Antoine Kernen Université de Lausanne Thématique B

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Enseignants, Chercheurs, Experts sur l’Asie et le Pacifique
Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific
MA VIE EN AFRIQUE: L'INTÉGRATION DES COMMERÇANTS ET ENTREPRENEURS
CHINOIS EN AFRIQUE DE L'OUEST ?
Antoine Kernen
Université de Lausanne
Thématique B : Nouveaux paradigmes de la mondialisation
Theme B New Globalisation Paradigms
Atelier 08 : Perspectives chinoises - Terroirs africains agencements culturels et
sociaux
Workshop 08 : Chines perspectives - African lands cultural and social organisation
4ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique
4th Congress of the Asia & Pacific Network
14-16 sept. 2011, Paris, France
École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes
© 2011 Antoine Kernen
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B Nouveaux paradigmes de la mondialisation
Ma vie en Afrique: l'intégration des commerçants et entrepreneurs chinois en Afrique de
l'ouest ?
Antoine Kernen / 2
MA VIE EN AFRIQUE: L'INTÉGRATION DES COMMERÇANTS ET ENTREPRENEURS
CHINOIS EN AFRIQUE DE L'OUEST ?
Antoine Kernen
Université de Lausanne
Les employés des multinationales chinoises en Afrique
En Chine, l’image des entreprises chinoises comme employeur n’est pas bonne. Durant
l’été 2010, les grèves et les manifestations qui se sont multipliée dans le Sud du pays ont
contribué à faire connaître d’un large public les mauvaises conditions de travail des
travailleurs migrants venant des campagnes. En Afrique leur image n’est pas meilleure. L’idée
qu’elles offrent de plus mauvaises conditions de travail que les autres tout en s’appuyant sur
de larges contingents de la main d’œuvre importée de Chine est largement répandue dans le
littérature. Ces critiques sont en partie fondées, mais ne rendent généralement pas compte de
l’évolution depuis une quinzaine d’années du fonctionnement des entreprises chinoises en
Afrique.
Nul doute qu’en comparaison avec les entreprises des pays de l’OCDE, les entreprises
chinoises utilisent un nombre beaucoup plus important de travailleurs expatriés. Il faut
toutefois reconnaître que cette situation évolue en raison des exigences des gouvernements
africains, de la pression de la concurrence ou plus pragmatiquement leur désir de réduire les
causes de conflits potentiels dans une entreprise. En prenant conscience de cette dynamique, il
est possible d’observer que les multinationales chinoises tendent, en fonction de leur temps
d’implantation en Afrique, à localiser une plus grande partie de leur personnel.
Même si elles font toujours un usage plus étendu d’employés expatriés que la
concurrence, ces entreprises n’en demeurent pas moins créatrices d’emploi, sans beaucoup
prétériter l’entrepreneuriat local. En effet, l’arrivée puis l’installation de multinationales
chinoises en Afrique subsaharienne n’a pas bouleversé le tissus économique local. À
l’exception de l’Afrique du Sud et dans une certaine mesure le Nigéria ou du Ghana, la
plupart des autres pays ne disposent pas d’entreprises actives dans les mêmes secteurs. En
effet, si les produits importés par les commerçants chinois peuvent parfois se trouver en
concurrence avec une production locale industrielle ou artisanale, c’est beaucoup plus
rarement les cas pour les multinationales chinoises actives essentiellement dans les domaines
de la construction ou de l’extraction de matières premières. Elles concurrencent donc
essentiellement d’autres multinationales européennes, nord-américaines ou sud-africaines.
Reste évidemment à préciser la qualité des emplois ainsi créés. Il est coutume de dire
que les emplois créés par les entreprises chinoises sont moins bien payés que ceux offerts par
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Ma vie en Afrique: l'intégration des commerçants et entrepreneurs chinois en Afrique de
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d’autres entreprises étrangères. Il est vrai que les conflits sociaux sont relativement fréquents
dans les entreprises chinoises, mais ils sont davantage révélateurs d’un mode de
revendications salariales particulier dans des pays le chômage est très répandu, que de
salaires inférieurs. Les grandes entreprises chinoises s’alignent généralement sur les salaires
moyens pratiqués tout en cherchant à fidéliser leurs employés.
Dans cette partie fondée sur des entretiens menés auprès d'employés des entreprises
chinoises, nous nous intéresserons dans un premier temps aux expatriés chinois et puis aux
travailleurs engagés localement.
Vers une typologie des expatriés chinois
Les travailleurs chinois dans les projets de construction en Afrique : expatriés ou
prisonniers ?
Un dimanche matin, le long d’une des grandes avenues de la capitale Kinshasa, des
passants s’attroupent et discutent devant quelques travailleurs chinois qui s’affairent à la
construction des caniveaux récoltant l’eau de pluie sur les bas-côtés de la route. Entre ces
observateurs attentifs, la discussion s’engage. « Regardez comment ils agencent ces pierres
pour renforcer l’ouvrage ! Ainsi ça résistera à la saison des pluies ! », lance l’un. En ce jour
férié que de nombreux Congolais passent à l’église, un autre s’émerveille de leur ardeur au
travail : « Ils travaillent durs, et ne se reposent jamais. Seul des Chinois peuvent travailler
ainsi ! ». Ce jour en effet, l’entreprise chinoise contractante a pris la décision de faire
travailler du personnel chinois 7 jours sur 7 car le temps presse. On craint que l’arrivée
prochaine de la saison des pluies n’endommage les travaux déjà effectués.
Des anecdotes similaires sont peut-être à l’origine de la rumeur persistante en Afrique
sur l’emploi de prisonniers chinois. On en trouve aussi des échos dans la presse internationale
et même certains ouvrages
1
. Ainsi Roberta Cohen, de la ligue internationale des droits
humains, allègues dans le New York Times que « The Chinese not only export goods made by
prison labor, but they export prison workers too »
2
. En connaissant le prix de la main-d’œuvre
chinoise, et sauf à considérer tous les travailleurs chinois comme des prisonniers, on se
demande bien pourquoi les entreprises chinoises feraient appel à des prisonniers. Et sur
l’ensemble des chantiers que nous avons pu visiter en Afrique, nous n’avons pas vu la trace
du moindre prisonnier. Dès lors, cette rumeur nous informe à l’évidence davantage sur les
clichés qui sont véhiculés sur la Chine que sur une quelconque réalité.
1
Philippe Richer, L’offensive chinoise en Afrique, Paris, Karthala, 2000, p. 191.
2
Roberta Cohen, "China Has Used Prison Labor in Africa" New York Times, 11 May 1991.
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Antoine Kernen / 4
Cette rumeur permet toutefois de rendre compte combien ces nouveaux « blancs »
3
tranchent avec ceux que les Africains connaissent depuis plus longtemps. Même si les
entreprises chinoises emploient aussi une abondante main d’œuvre locale, de nombreux
chinois sont présents et visibles sur les chantiers. Sur la plupart des chantiers visités, de
nombreux chefs d’équipes et tout l’encadrement est chinois. A Kinshasa, on trouve un Chinois
sur chaque tronçon d’un kilomètre des grandes artères en reconstruction. Ils supervisent le
travail d’une soixantaine d’ouvriers congolais. Si nécessaire, ils manient la pelle, ce qui est
parfois le seul moyen pour se faire comprendre, malgré les quelques traducteurs qui naviguent
entre les différentes parties du chantier. Autre exemple, la compagnie Sinohydro Corporation
Ltd utilise 250 travailleurs et techniciens chinois et 1'500 employés ghanéens sur le site de la
construction du barrage de Bui.
Le nombre important de travailleurs chinois sur les chantiers de construction, n’est pas
uniquement lié au fait que l’encadrement à partir du niveau de chef d’équipe est très
largement chinois. L’organisation des chantiers chinois repose sur l’utilisation de différents
types d’ouvriers spécialisés qui confectionnent sur place des éléments qui interviennent dans
la construction. Ainsi sur la « base » d’une entreprises de construction du Shaanxi à Yaoundé
qui tournait pourtant au ralenti lors de notre visite, des menuisiers confectionnent des cadres
de fenêtre ou des mécaniciens réparent et entretiennent les véhicules et machines de chantiers.
Ce nombre important d’ouvriers spécialisés permet de baisser les coûts de construction des
entreprises chinoises et d’être plus autonomes. Ce faisant, les entreprises de construction ne
démontrent pas leur capacité d’adaptation à la réalité africaine mais reprennent le même mode
de fonctionnement qu’elles utilisent en Chine.
Plus nombreux, les travailleurs chinois n’ont évidemment ni le même mode de vie, ni
les mêmes salaires que les expatriés occidentaux. Ouvriers, chefs d’équipes, ingénieurs et
même chefs de chantiers, tous logent ensemble dans des baraquements tout sauf luxueux. En
fonction de leur position hiérarchique, ils partagent une petite chambre à coucher à deux,
parfois trois, ou bénéficient d’une chambre individuelle. Tout le monde se retrouve le soir à la
cantine pour manger ce que le cuisinier chinois leur a confectionné. En fin de semaine, les
cadres de ces chantier s’offrent parfois un dîner dans un restaurant chinois.
L’organisation de ce monde d’homme donne évidemment une image d’encasernement
assez militaire. Ce me type d’organisation se retrouve aussi dans les entreprises de
construction travaillant en Chine. Comme les chantiers sont souvent installés trop loin de leur
3
Les Chinois sont en effet considérés comme des « blancs » dans plusieurs pays africains.
B Nouveaux paradigmes de la mondialisation
Ma vie en Afrique: l'intégration des commerçants et entrepreneurs chinois en Afrique de
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lieu de résidence, ce ne sont pas seulement les manœuvres d’origine rurale mais aussi les
conducteurs de machines et de camions et les cadres du chantier qui quittent leur famille pour
toute la durée des travaux. En Chine, les cadres et certains ouvriers spécialisés qui sont les
seuls employés à avoir un contrat à durée indéterminée, à néficier de congés périodiques
leur permettant de rentrer occasionnellement quelques jours dans leur famille et, suivant la
région de Chine, des périodes de repos durant l’hiver.
Les entreprises occidentales ont une conception très différente de l’expatriation. Si des
techniciens peuvent parfois être envoyés sur place quelques semaines pour une tâche
spécifique, la pratique veut que l’on envisage une expatriation de l’employé et de sa famille
dès que la mission sur place dépasse une certaine durée. L’origine de cette pratique est datée
historiquement puisque c’est à partir des années 1920, moment se redéfinit la position du
colon en Afrique que l’ont encourage les épouses à accompagner leur mari en Afrique
4
. Mais
évidemment le coût d’une telle opération est considérablement plus élevé, puisque l’entreprise
doit prendre à sa charge non seulement le salaire et les primes d’expatriation de l’employé,
mais généralement la location d’une villa sécurisée et les frais d’écolage des enfants. Dès lors,
pour des raisons de coût, l’utilisation de l’expatriation en Afrique est limitée au maximum. En
dehors de quelques très rares expatriés qui supervisent l’avancement d’un chantier,
l’entreprise s’appuie sur du personnel local ou venant d’autres pays d’Afrique. La différence
du coût d’un expatrié chinois ne réside donc pas seulement dans des salaires peut-être dix fois
inférieurs, mais dans la manière de concevoir l’expatriation.
Pour l’observateur, la différence de mode de vie est flagrante. Les familles d’expatriés
européens se transforment rapidement en petite PME avec chauffeur, gardien, cuisinière,
nounou…, et vivent dans une opulence qu’ils ne connaissaient pas en Europe. Alors que les
Chinois sont logés dans des baraquements de chantier et ont pour seul contact avec leur
famille un ordinateur connecté à internet installé dans une pièce commune. On peut donc
aisément comprendre que des Africains se demandent qui sont ces « blancs » qui acceptent de
venir en Afrique sans leur famille, pour travailler de leurs mains et habiter dans des
conditions si spartiates. En outre, ces travailleurs chinois sortent très rarement en ville, ils
épargnent. Alors que les expatriés européens mènent un grand train de vie dans les restaurants
de la place, tout juste on apercevra quelques travailleurs chinois faire quelques achats au
supermarché ou s’aventurer durant le week-end faire un pique-niques sur la plage avec les
4
Benjamin Rubbers, Faire Fortune en Afrique : Anthropologie des derniers colons du Katanga, Paris,
Karthala, 2009.
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