la france et l`iran, des nations si lointaines et si proches - Hal-SHS

LA FRANCE ET L’IRAN, DES NATIONS SI
LOINTAINES ET SI PROCHES [FRANCE AND IRAN
: BOTH DISTANT AND NEAR NATIONS].
G´erard-Fran¸cois Dumont
To cite this version:
G´erard-Fran¸cois Dumont. LA FRANCE ET L’IRAN, DES NATIONS SI LOINTAINES
ET SI PROCHES [FRANCE AND IRAN : BOTH DISTANT AND NEAR NATIONS]..
G´eostrat´egiques, 2005, pp.197-210. <halshs-00769652>
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La France et l’Iran, des nations si lointaines et si proches 197
La France et l’Iran, des nations
si lointaines et si proches
Le recteur Gérard-François DUMONT*
LaFrance et l’Iran apparaissent comme des États si différents qu’il peut
sembler utopique de penser que l’un puisse s’intéresser à l’autre. Tout
semble les éloigner, leur nature identitaire et institutionnelle, leurs
règles sociétales, leurs stratégies économiques comme leurs choix géopoli-
tiques. Néanmoins, ils possèdent d’importants traits communs au regard de
la géographie, de leur tradition jacobine, de leur ancienneté nationale ou de
certains parcours historiques. Il en résulte mille raisons justifiant qu’ils aient de
l’intérêt l’un pour l’autre.
Pour les Français, comme sans doute pour les autres Européens, penser
ce pays asiatique qu’est l’Iran conduit inévitablement à se remémorer l’œuvre
de Montesquieu. Or cela, apriori,ne facilite guère la compréhension puisque
notre auteur a notamment écrit dans les Lettres persanes : «Il est plus facile
àun asiatique de s’instruire des mœurs des Français dans un an, qu’il ne l’est
àun Français de s’instruiredes mœurs des asiatiques dans quatre, parce que
les uns se livrent autant que les autres se communiquent peu »
1
.
Mais, au-delà de cette citation éventuellement discutable, réfléchissons
d’abord à ce qui peut fonder la nature des relations entre la France et l’Iran
2
.
Apriori,on ne voit guère de particularité méritant un regard très approfondi,
les sentiments réciproques affichés par les deux pays apparaissant rares. À
l’évident éloignement géographique s’ajoutent peu de liens issus de l’histoi-
re. La présence française en Iran s’est trouvée historiquement limitée, pour
deux raisons. D’une part, l’Iran n’a nullement fait partie de ce qu’on appelait
«l’empire français » ni, d’ailleurs, d’aucun autre empire colonial. D’autre part,
la France n’a exercé ni pouvoir colonial ni mandat de la Société des Nations
sur un quelconque territoire de l’Asie centrale du Sud, ce sous-continent dont
l’Iran fait partie. En outre, la France n’a jamais eu de présence coloniale ni
dans l’un des sept pays ayant aujourd’hui une frontière terrestre commune
avec l’Iran, ni dans les huit autres États avec lesquels l’Iran compte une fron-
tière maritime. La situation de la France par rapport à l’Iran a donc toujours
été différente de celle des Anglais se souciant de leur route des Indes et, donc,
de la partie méridionale de l’Iran faisant lien entre l’empire britannique du
sous-continent indien et la péninsule Arabique. Lorsque, à la fin de l’empire
ottoman, le Royaume-Uni obtient en 1920 de la Société des Nations un pro-
tectorat sur un territoire contigu à l’Iran, l’Irak, la France reçoit le Liban et la
Syrie, soit deux pays méditerranéens non limitrophes de l’Iran et dont le pre-
mier, surtout, a connu une longue histoire séculaire avec la France.
Réfléchir aux relations France-Iran conduit à souligner d’importants
facteurs de différence et donc d’éloignement, qui semblent creuser un fossé
de grande ampleur entre les deux pays. Néanmoins, un examen attentif
conduit à souligner d’incontestables facteurs de proximité qui justifient
pleinement un regardréciproque.
Une première et forte distinction porte sur les fondements du fonctionne-
ment de chacun des États, laïque en France, s’appuyant officiellement sur des
valeurs religieuses en Iran. À cela s’ajoutent des situations économiques oppo-
sées, fondées sur des ressources sans comparaison et des stratégies totalement
contraires. Il convient en outrede constater les divergences géopolitiques.
Deux conceptions divergentes sur la place du religieux
La divergence identitaire et institutionnelle entre la France et l’Iran s’ob-
serve d’aborddans leur intitulé étatique. Depuis le 1er avril 1979, la dénomi-
nation exacte de l’Iran est « République islamique d’Iran », formulation qui
affirme l’importance de la place du religieux et, plus précisément, d’une reli-
gion. Même si l’adjectif islamique date de 1979, la réalité est beaucoup plus
ancienne puisque c’est la dynastie Safavide qui, au XVIesiècle, a fait du chiis-
me la religion officielle du pays.
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Géostratégiques n° 10 - Décembre 2005
En revanche, dès l’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958,
la France affirme le caractère « laïque » de la république. Le même article
ajoute que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens
sans distinction d’origine, de race ou de religion ». À l’instar du caractère reli-
gieux ancien de l’État iranien, l’identité laïque de la France a de profondes
racines. En effet, contrairement à ce que l’on dit souvent, le processus de laï-
cisation est très ancien en France, comme l’atteste l’histoire du deuxième mil-
lénaire, pendant laquelle des rois ou des empereurs français s’opposent pério-
diquement au pape. Et, même lorsque le premier dirigeant français s’affirme
de droit divin, il n’entend pas recevoir de directives du premier serviteur du
Dieu chrétien, le pape de Rome. La loi de 1905 de séparation des églises
3
et
de l’État n’a fait que légiférer sur une tendance fort ancienne attestée par
exemple par le souci d’organisations civiles de ne pas laisser le champ social
exclusivement aux ordres religieux, comme en témoigne l’hospice de
Beaune
4
.La loi de séparation « est un achèvement plutôt qu’une rupture ».
En effet, « c’est le contraire de Combes, le refus d’un anticléricalisme obses-
sionnel et le choix d’une « séparation libérale », selon la formule d’époque,
c’est-à-dire respectant la liberté des consciences et des cultes »
5
.Mais il est
vrai que l’héritage idéologique de Combes conduit encoreaujourd’hui des
tenants d’une laïcité intégriste à tomber parfois dans le laïcisme, avec par
exemple les déclarations périodiques d’hommes politiques déniant aux
évêques ou aux prêtres le droit de donner leur point de vue sur telle ou telle
question de société. La laïcité française a évidemment comme conséquence
une société pluri-religieuse, y compris dans des formes non religieuses comme
l’agnosticisme ou l’athéisme
6
.
D’autres éléments attestent l’opposition identitaireentre la France et
l’Iran, à l’exemple de leurs drapeaux. En France, comme le précise l’article 2
de la constitution, « l’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc,
rouge. » Le troisième alinéa du même article indique : « la devise de la répu-
blique est « liberté, égalité, fraternité ». Ces traits propres sont d’ailleurs pré-
sents dans l’enseignement dès l’école primaire
7
.
En Iran, le caractère religieux de l’État est présent sur le drapeau même,
où figurele pictogramme de la lettre « alif », symbole de l’unité divine, et une
double frise séparant les bandes horizontales combinant « il n’y a de Dieu
qu’Allah » avec un texte proclamant la grandeur de Dieu, ajoutés en 1979.
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Géostratégiques n° 10 - Décembre 2005
La laïcité française est évidemment à l’opposé de la religiosité iranienne.
Outre les fondements de l’État et la façon dont ils apparaissent (ou non) sur
le drapeau, une troisième divergence vient de l’organisation institutionnelle.
La France a comme chef de l’État un président de la république élu au suffra-
ge universel. Il bénéficie de larges pouvoirs énumérés dans le titre II d’une
constitution qui ne contient pas moins de 14 articles, alors que le titre III,
consacré au gouvernement, n’en compte que 4.
Quant au système de gouvernement iranien, il s’apparente depuis 1979
àune théocratie. Le président de la république est notamment responsable
devant le Guide suprême, dirigeant religieux désigné par des religieux. Ce
Guide suprême exerce une tutelle sur l’ensemble des décisions de la nation.
Bien qu’il ne participe pas aux réunions internationales, sa fonction équivaut
àce qui est ailleurs celle de chef de l’État, d’autant qu’il exerce des pouvoirs
directs sur la police, les forces armées, les milices islamiques, les télévisions et
radios, les fondations et mosquées.
Il résulte de ce qui précède deux types d’espace public. En France règne
une grande liberté de comportement, de tenues vestimentaires, de discus-
sions, tandis que la laïcité est illustrée par de nombreuses cérémonies, princi-
palement sous l’égide des maires, qui forment une sorte de liturgie républicai-
ne, à commencer par le mariage civil, qui doit obligatoirement précéder tout
éventuel mariage religieux. En Iran, l’espace public doit respecter strictement
les règles religieuses, même si, dans l’espace privé, les comportements peuvent
êtreparfois à la marge de ces mêmes règles. Ce respect inclut la question de
la divergence de statut selon le sexe, quasiment absente en France.
Des règles antinomiques sur la place de la femme
En effet, la France demeure placée sous les règles de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, à une période où le terme
femme avait un sens générique s’appliquant à toute l’humanité
8
.L’égalité
entre les sexes y est inscrite dès l’article 1 : « les hommes naissent et demeu-
rent libres et égaux en droits ». Quant au préambule de la constitution du 27
octobre1946, toujours en vigueur,il précise dès son troisième alinéa : « la loi
garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’hom-
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