Revue thématique
Les bases neurales de la douleur
BERNARD CALVINO
Laboratoire de neurobiologie,
UMR ESPCI-CNRS 7637, Paris
Tirésàpart:
B. Calvino
Résumé. Les différents éléments anatomo-physiologiques qui sous-tendent la physiologie
de la douleur aiguë sont présentés ainsi que les processus de contrôle central de la douleur
qui sont envisagés aux différents niveaux d’intégration : contrôles segmentaires spinaux,
contrôles d’origine supraspinale tant inhibiteurs qu’excitateurs, contrôles inhibiteurs diffus
induits par des stimulations nociceptives. La douleur chronique résulte de processus de
sensibilisation périphérique (inflammation) et centrale (neuroplasticité), parmi lesquels
plusieurs systèmes de signalisation jouent un rôle prépondérant, particulièrement le sys-
tème glutamatergique (par l’intermédiaire du récepteur NMDA) et celui des neurotrophines
(NGF et BDNF). D’un point de vue psychophysiologique, la douleur résulte de l’expérience
subjective d’une sensation émotive déplaisante, considérée comme résultant de processus
adaptatifs au sein de réseaux de neurones situés à différents niveaux du système nerveux
central, dont les composantes peuvent augmenter ou diminuer en fonction des caractéris-
tiques du stimulus, de l’état du sujet et du contexte dans lequel ce stimulus est appliqué. Á
ce titre, les différentes composantes de la douleur et les mécanismes psychologiques et
neurophysiologiques sous-tendant la dimension affective de la douleur sont présentés.
Enfin, en prenant l’exemple de la douleur du membre fantôme, le rôle de systèmes
physiologiques indépendants de ceux impliqués dans la physiologie de la nociception et de
la douleur, est souligné pour montrer l’extrême complexité de la douleur et de ses systèmes
de contrôle chez l’homme.
Mots clés : nociception, douleur aiguë, douleur chronique, contrôles segmentaires,
contrôles supra-spinaux, composante affective de la douleur, cortex
Abstract. Main elements concerning the physiology of pain are described, as well as the
structures of the nervous system at the origin of the central control of pain: peripheral fibres
(small diameter myelinated Adand unmyelinated C fibres); spinal ascending pathways;
cerebral structures relaying nociceptive information (medial and ventro-postero-lateral
thalamic relays); SI and SII cortical areas; spinal segmentary and supraspinal excitatory and
inhibitory controls; diffuse noxious inhibitory controls (DNIC). Chronic pain is a result of two
processes: peripheral and central sensitization, in relation with inflammation and nerve
injury at peripheral level and with neuroplasticity at central level. Neurotrophins, mainly
NGF and BDNF and their receptors (LNTR, TrkA and TrkB) are involved in these processes.
Pain is a result of an unpleasant emotional experience: its various components, mainly the
emotional one, may be increased or decreased considering the different characteristics of
the stimulus and of the affective state of the patient, as well as the context in which this
stimulus is applied. The role of physiological systems, unconnected with those classically
involved in the physiology of nociception and pain, such as the motor cortex in phantom
limb pain, are described in conclusion, to focuse on the extreme complexity of the control
systems of pain in humans.
Key words:nociception, acute pain, chronic pain, spinal segmentary controls, supraspinal
controls, affective component of pain, cortex
Selon la définition de l’International association
for the study of pain (IASP), société internatio-
nale qui rassemble tous les chercheurs et per-
sonnels soignants qui interviennent pour l’étude et la
prise en charge de la douleur, la douleur est « une
sensation désagréable et une expérience émotionnelle
en réponse à une atteinte tissulaire réelle ou potentielle
ou décrite en ces termes ». La douleur est donc une
expérience s’articulant autour de quatre composantes
fondamentales : 1) sensori-discriminative ; 2) affective
et émotionnelle ; 3) cognitive ; 4) comportementale. En
s’intéressant à la première composante sensori-
discriminative de la douleur, Sherrington, grand neuro-
physiologiste anglais de la fin du XIX
e
siècle, avait plus
particulièrement étudié la psychophysiologie des sti-
mulations sensorielles de haute intensité, celles qui,
pour reprendre son expression, étaient « susceptibles
de remettre en cause l’intégrité physique de l’orga-
nisme », et c’est ainsi qu’il a créé ce terme de « noci-
ception » qui caractérisait de telles stimulations.
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Ainsi, un stimulus nociceptif périphérique, stimula-
tion de forte intensité, déclenche une cascade d’événe-
ments physiologiques conduisant à l’intégration des
informations codant pour les différents aspects de la
douleur. Certaines perturbations peuvent être à l’ori-
gine du prolongement dans le temps du processus à
l’origine de la douleur et conduire au développement
d’une douleur chronique, parfois sans cause organi-
que, qui laisse le plus souvent le thérapeute désarmé et
pour laquelle l’apport de la recherche n’en est encore
qu’à ses balbutiements. La douleur perd alors sa signi-
fication de signal d’alarme pour évoluer vers un vérita-
ble syndrome chronique dont les effets délétères sont
le plus souvent handicapants.
Les douleurs chroniques peuvent être en rapport
avec deux principales causes. On distingue principale-
ment les douleurs par excès de nociception (inflamma-
tion, sensibilisation des nocicepteurs...) et les douleurs
neuropathiques (neuropathies périphériques consécu-
tives à des lésions de nerfs sensoriels périphériques ou
neuropathies centrales consécutives à des lésions de
structures relais du système nerveux central).
D’un point de vue physiologique, la cascade d’évé-
nements conduisant à l’intégration des informations
douloureuses met en jeu des récepteurs (nocicepteurs
périphériques), des voies médullaires ascendantes, des
relais dans l’encéphale intégrant ces informations dou-
loureuses (principalement au niveau thalamique) et
enfin des sites de projection corticaux (cortex somes-
thésiques primaire et secondaire, mais aussi insulaire
et cingulaire).
Á la périphérie, les stimulus nociceptifs sont tra-
duits en messages nerveux par des nocicepteurs cons-
titués par des terminaisons nerveuses libres des fibres
sensorielles primaires disséminées dans la peau, les
muscles, les articulations ou les parois des viscères.
Leur activation résulte soit d’une stimulation directe
exercée à leur niveau par des stimulus de haute inten-
sité, soit d’une stimulation indirecte par l’intermédiaire
de molécules libérées par l’inflammation au site de
lésion (NGF, bradykinine, prostaglandines, histamine,
sérotonine...). Les messages nerveux codant pour une
stimulation nociceptive sont véhiculés par les fibres
afférentes primaires des nerfs sensitifs, fibres de petit
diamètre qui peuvent être myélinisées (fibres Ad)ou
non myélinisées (fibres C). Ils rejoignent ensuite la
moelle épinière par l’intermédiaire des racines posté-
rieures des nerfs rachidiens ; les terminaisons axonales
centrales des fibres se situent dans la substance grise,
au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière
(CDME), où elles vont établir des synapses avec des
neurones de relais de la nociception, les neurones noci-
ceptifs spécifiques ou non spécifiques. Les axones de
ces neurones remontent ensuite vers les noyaux de
projection de l’encéphale par l’intermédiaire des fais-
ceaux spino-thalamiques (FST) ou spino-réticulo-
thalamiques (FSRT) du quadrant ventro-latéral de la
substance blanche de la moelle épinière. D’autres voies
ascendantes ont été plus récemment décrites, en parti-
culier les voies spino-ponto-amygdalienne et spino-
ponto-hypothalamique, qui constituent un support
anatomophysiologique important respectivement pour
les composantes affective et émotionnelle d’une part,
et neurovégétative, d’autre part, de la douleur. Le prin-
cipal noyau de projection cérébral de la nociception est
commun avec celui de la sensibilité somesthésique
lemniscale, le noyau ventro-postéro-latéral du thala-
mus (VPLT). Enfin, les neurones thalamiques se projet-
tent vers les aires corticales spécifiques somesthési-
ques SI et SII. D’autres aires corticales sont également
impliquées dans l’intégration de l’information nocicep-
tive à l’origine de la douleur, en particulier le cortex
cingulaire antérieur (CCA) et le cortex insulaire.
La complexité de la compréhension des bases neu-
rales de la douleur vient en grande partie de la multipli-
cité des voies spinales ascendantes et des nombreuses
structures de projection de l’encéphale qui contribuent
toutes à la genèse de la douleur. Cette vision extrême-
ment schématique des relations entre les structures
impliquées dans la physiopathologie de la douleur ne
rend compte que très partiellement des relations com-
plexes entre nociception et douleur, c’est-à-dire entre
physiologie et psychologie. La douleur est une sensa-
tion dont la perception peut être modulée en fonction
de la situation psychologique de l’individu, mais aussi
en fonction de l’environnement dans lequel il se situe,
au sens le plus large du terme (environnement affectif,
socio-culturel, ethnologique, religieux...). Cette modu-
lation résulte de la mise en jeu de contrôles inhibiteurs
exercés par les voies descendantes qui participent aux
systèmes de contrôle de la douleur, issues des structu-
res aussi bien spinales (les contrôles segmentaires spi-
naux) que supra-spinales (les contrôles situés dans le
tronc cérébral : substance grise périaqueducale et
noyau du raphé magnus) ou hétéro-segmentaires dif-
fus (CIDN). Des contrôles issus des structures corticales
ou sous-corticales interviennent également, par exem-
ple dans le contrôle inhibiteur de la perception de la
douleur par une modification des processus d’attention
(calcul mental, modification de la fréquence respira-
toire).
B. Calvino
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Les mécanismes périphériques
associés à la douleur aiguë
Les données rassemblées dans les trois paragra-
phes qui suivent constituent l’essentiel des notions
nécessaires à la compréhension du sujet central de cet
article, les bases neurales de la douleur [1].
Les informations nociceptives à l’origine de la dou-
leur par excès de nociception sont générées à la péri-
phérie par les nocicepteurs qui sont constitués par les
terminaisons nerveuses libres des fibres sensorielles
primaires de fin diamètre, myélinisées (fibres Ad)ou
non myélinisées (fibres C). Ces nocicepteurs ne répon-
dent qu’à des stimulations d’intensité élevée, suscepti-
ble de remettre en cause l’intégrité physique de l’orga-
nisme. De manière schématique, on distingue trois
classes de nocicepteurs en fonction de la nature du
stimulus : les mécanonocicepteurs qui répondent à des
pressions d’intensité très élevée ; les thermonocicep-
teurs, qui répondent soit à des températures basses
(inférieures à 10 °C, thermonocicepteurs au froid) soit
élevées (supérieures à 43 °C, thermonocicepteurs au
chaud) ; les chémonocicepteurs qui répondent à des
molécules chimiques algogènes comme, par exemple,
la capsaïcine, un extrait du piment. En plus de ces trois
classes de nocicepteurs, on en identifie une quatrième,
les nocicepteurs polymodaux, qui répondent à deux
ou, le plus souvent, à trois modalités de stimulations
différentes.
Á la périphérie, au cours du développement d’une
inflammation aiguë, de nombreuses molécules sont
synthétisées et libérées par les cellules des tissus péri-
phériques, les terminaisons nerveuses et les cellules
immunocompétentes activées, susceptibles d’activer
et/ou de sensibiliser les nocicepteurs. Ces molécules
constituent la « soupe inflammatoire » où l’on retrouve
les kinines, les cytokines pro-inflammatoires (TNFa,
IL1, IL6) mais aussi anti-inflammatoires (IL4, IL10, IL13
et IL1-ra), les prostaglandines, les neuropeptides (subs-
tance P et CGRP principalement), l’histamine, les neu-
rotrophines (nerve growth factor ou NGF, et brain deri-
ved neurotrophic factor ou BDNF), les amines biogènes
(sérotonine et noradrénaline), etc. [2]. Parmi ces molé-
cules, le NGF est synthétisé et sécrété en grande quan-
tité dans le foyer inflammatoire par les fibroblastes et
les kératinocytes, après stimulation par l’interleukine-1
(IL1, la principale cytokine de l’inflammation). Le NGF
exerce une action directe de sensibilisation périphéri-
que des fibres nociceptives : en se fixant sur son récep-
teur spécifique TrkA, localisé sur les terminaisons péri-
phériques de ces fibres, il permet la phosphorylation
des résidus tyrosine de sa partie intracellulaire, ce qui
entraîne secondairement celle d’autres molécules
intracellulaires, comme les canaux ioniques, en les
activant. De plus, le complexe NGF/TrkA est internalisé
à l’intérieur de la fibre nerveuse sensorielle dans des
vésicules d’endocytose qui sont transportées rétrogra-
dement par le flux axonal jusqu’aux corps cellulaires
de ces neurones dans le ganglion de la racine dorsale
(GRD) : à ce niveau le NGF va activer la synthèse de
nombreux peptides comme la substance P et le CGRP,
mais aussi des récepteurs pour des peptides algogènes
sécrétés abondamment dans les foyers inflammatoires
comme les récepteurs à la bradykinine, ou des récep-
teurs de type « canal ionique » sensibles à l’acidose
inflammatoire ou à la chaleur, comme les récepteurs
vanilloïdes VR1, et les canaux sodiques. Enfin, la syn-
thèse d’une autre molécule de la famille des neurotro-
phines, le BDNF (cf. ci-dessous), est également activée
dans le GRD par le NGF, et le BDNF est transporté et
stocké dans les terminaisons centrales des fibres sen-
sorielles dans des vésicules à cœur dense, dans la
corne dorsale de la moelle épinière (CDME).
Le relais spinal
de la corne postérieure
Une coupe transversale de moelle épinière permet
de caractériser la substance blanche (ensemble de fais-
ceaux d’axones principalement myélinisés, ascendants
ou descendants) et la substance grise (corps cellulaires
des neurones et des cellules gliales) subdivisée en
corne postérieure sensorielle et corne antérieure
motrice ; à partir des travaux anatomiques de Rexed,
on la divise traditionnellement en dix couches, six
dans la corne postérieure et trois dans la corne anté-
rieure, la couche X constituant la zone centrale péri-
épendymaire.
Les fibres nociceptives Adet C entourent la couche
superficielle de la corne postérieure dans laquelle elles
pénètrent perpendiculairement pour se terminer dans
les couches superficielles (I et II), mais se prolongent
également dans les couches profondes (V, VI, VII et X) ;
elles se prolongent dans la substance blanche dans 2
ou 3 segments spinaux de part et d’autre de leur seg-
ment d’entrée, constituant le tractus de Lissauer. Les
fibres non nociceptives, myélinisées de gros diamètre
(fibres Aa,b), contournent tangentiellement la couche
superficielle de la corne postérieure, se divisent en
deux branches dont l’une ascendante constitue la voie
Les bases neurales de la douleur
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lemniscale de la somesthésie, et l’autre segmentaire se
termine dans les couches intermédiaires de la corne
postérieure (couches III et IV).
Les études électrophysiologiques menées dans la
corne postérieure de la moelle épinière ont permis
d’identifier trois classes de neurones recevant des affé-
rences des fibres sensorielles primaires :
1) les neurones nociceptifs spécifiques sont princi-
palement situés dans les couches superficielles de la
corne dorsale (couche I et secondairement II), mais
aussi en plus faible quantité dans les couches profon-
des (couche V, mais également couches VI, VII et X) ; ils
ne répondent qu’à des stimulations périphériques de
haute intensité, de multiple origine (cutanée, articulaire
et viscérale) ; ils reçoivent principalement des afféren-
ces des fibres Adet C et leur champ récepteur périphé-
rique est de petite taille ;
2) les neurones nociceptifs non spécifiques (égale-
ment dénommés neurones à convergence multiple, ou
neurones à large gamme réceptive – wide dynamic
range neurons, WDR - ou neurones polymodaux) sont
principalement situés dans les couches profondes
(couche V) mais aussi en plus faible quantité dans les
couches superficielles (couches I et II) ; ils répondent à
des stimulations périphériques aussi bien de faible que
de haute intensité, et leur fréquence de réponse aug-
mente proportionnellement avec l’intensité du stimu-
lus, constituant un codage de cette intensité, dans une
relation croissante (linéaire ou exponentielle) entre
intensité et fréquence de décharge ; un même neurone
reçoit des afférences de territoires aussi bien cutanés
que viscéraux, musculaires ou articulaires, ce qui per-
met par l’intermédiaire de cette convergence d’expli-
quer le phénomène de douleur rapportée (une lésion
viscérale, cardiaque par exemple, est ressentie doulou-
reusement dans un territoire cutané, le bras gauche) ;
ils reçoivent des afférences de fibres sensorielles non
nociceptives (fibres Aa,b), et nociceptives (fibres Ad, C).
Leur champ récepteur périphérique est de taille varia-
ble, pouvant aller, par exemple sur un membre, de
quelques phalanges au membre tout entier ; ils ont une
organisation particulière, avec un centre dont la stimu-
lation génère une activité maximale du neurone, qui va
décroissant au fur et à mesure que l’on se rapproche de
la périphérie du champ, à intensité de stimulation cons-
tante ;
3) les neurones non nociceptifs spécifiques qui ne
répondent à des stimulations périphériques que de fai-
ble intensité et n’interviennent pas dans l’intégration
de l’information nociceptive.
Les structures supraspinales mises
en jeu dans la douleur
Les axones des neurones nociceptifs de la corne
postérieure constituent les faisceaux médullaires
ascendants qui projettent leur information à différents
niveaux supraspinaux ; dans la mesure où la plus
grande partie de ces axones décussent au niveau du
segment médullaire, le trajet de ces faisceaux est
controlatéral et leur cheminement est principalement
localisé dans le quadrant ventrolatéral de la substance
blanche de la moelle épinière. Du fait de cette organisa-
tion anatomique, les sites de projection supraspinaux
sont eux aussi controlatéraux. Cependant, un nombre
minoritaire de ces axones a un cheminement ascen-
dant projetant sur des structures supraspinales ipsilaté-
rales, dont le rôle reste à établir et dont il ne sera pas ici
fait mention.
Très schématiquement, on peut distinguer quatre
sites supraspinaux de projection des neurones noci-
ceptifs spécifiques ou non :
1) le principal est constitué par les noyaux du thalamus
ventro-postéro-latéral, noyaux spécifiques de la sensi-
bilité tactile et de la nociception ; ces neurones thalami-
ques reçoivent rapidement les informations nocicepti-
ves véhiculées par les axones des neurones spino-
thalamiques dont les corps cellulaires sont localisés
dans les couches I, II et principalement V de la corne
postérieure. La distribution de ces informations se fait
de manière parfaitement structurée du fait de l’organi-
sation somatotopique de ces neurones thalamiques
qui, du fait de leurs propriétés électrophysiologiques,
semblent très vraisemblablement engagés dans la
composante sensori-discriminative de la douleur ;
2) des sites de projection bulbaires (noyau gigantocel-
lulaire) et mésencéphaliques (substance grise péri-
aqueducale et noyau cunéiforme) constituent des
structures relais pour l’information nociceptive, véhicu-
lée par le faisceau spino-réticulo-thalamique jusqu’au
thalamus médian non spécifique. On a également
caractérisé des faisceaux ascendants projetant directe-
ment au niveau du thalamus médian. Ces sites relais
interviennent dans la mise en jeu d’une réaction
d’alerte et des centres cardio-respiratoires, ainsi que
dans l’élaboration des réactions motrices ou émotion-
nelles et dans les mécanismes d’éveil associés aux
réactions comportementales consécutives à une stimu-
lation douloureuse ;
3) l’hypothalamus reçoit des terminaisons axonales
soit directes du faisceau spino-hypothalamique,
soit indirectes du faisceau spino-parabrachio-
B. Calvino
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hypothalamique ; il intervient dans le contrôle des
réactions végétatives de la douleur, mais aussi dans la
libération d’hormones intervenant dans le contrôle du
stress ;
4) le complexe amygdalien, structure du système lim-
bique, reçoit, après un relais dans le noyau parabra-
chial latéral, des informations issues des neurones
nociceptifs spécifiques localisés dans la couche I de la
corne postérieure, véhiculées par le faisceau spino-
ponto-amygdalien. Cet ensemble pourrait intervenir
dans le contrôle des réactions affectives et émotionnel-
les de la douleur.
Enfin, pour terminer cette description rapide des
neurones, voies et structures impliquées dans l’inté-
gration de l’information nociceptive, à l’origine de l’éla-
boration de la sensation douloureuse, il reste à envisa-
ger la dernière partie de ce cheminement. D’une part,
les neurones du thalamus ventro-postéro-latéral qui
projettent leurs axones vers les aires somesthésiques
SI et SII du cortex pariétal : les caractéristiques du mes-
sage nociceptif y sont décodées permettant la genèse
de la perception de la sensation douloureuse (qualité,
localisation, intensité, durée). D’autre part, les neuro-
nes du thalamus médian qui projettent leurs axones
vers les aires corticales frontales, le cortex insulaire et
le cortex cingulaire antérieur, impliquées dans les réac-
tions émotionnelles plus élaborées à la douleur.
Les mécanismes
de contrôle de la douleur
La vision extrêmement schématique qui vient d’être
présentée des relations entre les structures impliquées
dans la physiologie de la douleur ne rend compte que
très partiellement des relations complexes entre noci-
ception et douleur, c’est-à-dire entre physiologie et psy-
chologie. La douleur est une sensation dont la percep-
tion peut être modulée en fonction de l’environnement
au sens le plus large du terme (affectif, socio-culturel,
ethnologique, religieux...), mais aussi en fonction de la
situation psychologique de l’individu. Cette modulation
résulte de la mise en jeu de contrôles inhibiteurs exer-
cés par des structures aussi bien spinales que supra-
spinales.
Les données rassemblées dans le paragraphe qui
suit constituent l’essentiel des notions nécessaires à la
compréhension du contrôle central de la douleur [3].
De manière schématique, on distingue quatre caté-
gories de tels systèmes de contrôle.
Les contrôles segmentaires spinaux
Ils ont été les plus étudiés et ont permis de mettre
en évidence l’importance du rôle de la corne posté-
rieure de la moelle épinière dans la modulation de la
transmission des messages nociceptifs. Les données
établies caractérisent le fait que la corne postérieure de
la moelle n’est pas qu’un simple relais de transmission
de l’information douloureuse entre les fibres sensoriel-
les périphériques et les structures supraspinales. La
mise en jeu de ces contrôles a été modélisée par Mel-
zack et Wall [4] dans leur « théorie du portillon »
(figure 1) : ce modèle repose sur l’équilibre d’une
balance entre deux types d’activités exercées sur les
neurones nociceptifs non spécifiques spinaux, à l’ori-
gine des faisceaux ascendants spino-thalamiques et
spino-réticulaires (neurones notés T, Trigger cells dans
le modèle). Les unes sont activatrices d’origine seg-
mentaire périphérique (véhiculées par les fibres noci-
ceptives Adet C), et les autres sont inhibitrices d’ori-
gine à la fois segmentaire périphérique (véhiculées par
les fibres non nociceptives Aa,b) et supraspinales (cf.
ci-dessous). Ainsi la douleur n’est ressentie que lors-
que le neurone T est activé, lorsque la balance penche
en faveur des activités excitatrices, soit par un excès de
l’activité des fibres nociceptives, soit par un déficit des
contrôles inhibiteurs. En première approximation dans
le modèle de la théorie du portillon [4], l’activation des
fibres de la sensibilité tactile légère Aa,binhibe les
réponses de ces neurones T à des stimulations noci-
ceptives par des mécanismes d’inhibition exercés par
l’intermédiaire de l’activation d’interneurones inhibi-
teurs segmentaires localisés dans la couche II (subs-
tance gélatineuse). Ces interneurones activés par les
Fibres de gros
diamètre
Contrôle
central
Système de contrôle
du portillon
Système
d'action
SG
+
+
+
-
-
-
T
Entrées
Fibres de petit
diamètre
T : première cellule de transmission du système nerveux central
SG : interneurone de la substance gélatineuse
Figure 1. Schéma de la théorie du portillon (gate control theory)
tel que proposé par Melzack et Wall [4] en 1965.
Figure 1. Gate-control theory [4].
Les bases neurales de la douleur
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