Didier Bouchon : D’autres laboratoires, une centaine environ, travaillent sur cette bactérie chez les insectes. Mais
nos études sontuniques carnous travaillons surlecloporte,uncrustacé,etquechez celui-ci,
Wolbachia
entraîne la
féminisation des mâles. Nous nous réunissons tous les deux ans lors d’une conférence mondiale,
Wolbachia
Conference
,pourprésenteretcomparernostravauxrespectifs.C’estimportantpourvérifier,confronterlesmodèleset
s’assurer que les découvertes et avancées ne concernent pas qu’une seule population mais sont généralisables à
l’ensembledusystème
Wolbachia
-hôte.
Cestravauxnousamènentaussiàparcourirlemondeetenparticulierlestropiquespourétudierlecasdesvecteursde
maladiestropicales,commelesmoustiques,etprévoircequ’ilpourraitsepassersuiteauréchauffementclimatique.En
effet, les vecteurs se déplacent déjà et certains s’établissent en région méditerranéenne où ils étaient jusque-là
absents.Nousallonsdoncobserversurleterrainlesinteractionsbactérie-hôteetnousprélevonsdesindividuspourles
étudierensuiteenlaboratoire.
FS:Vousdevezdoncdisposerd’élevagesdecloportes,puisquelabactérienepeutvivrequedansles
cellulesdesonhôte.Commentcesélevagesseprésentent-ils?
Didier Bouchon : Il y a environ 4.000 espèces de cloportes décrites, réparties depuis le cercle polaire jusqu’à
l’Equateur.EnEurope,ilya500à1.000espècesdécrites.
Enlaboratoire,nousélevonsplusd’unecentained’espèces,soit250.000individus.C’estassezsimpleàréaliser,ilsuffit
deboîtesavecduterreau,del’humiditéetdesélémentsvégétauxpourlesnourrir.Laseulecontrainteestlenombre
debrasquecetélevagerequiert.Commedanslesélevagesdedrosophiles,nousréalisonsdesélevagescontrôléspour
disposerdelignéesdontnousconnaissonsparfaitementlescaractéristiquesetlepédigreesur30ans.
Parailleurs,nousavonsuneéthique:toutcequirentreestvivant,toutcequisortestmort.Celapermetd’évitertoute
contamination dumilieu par des espècesexotiques et infectées, donc très prolifiques. Comme la bactérie
Wolbachia
disparaît au-delà de 30°C, il suffit de passer les échantillons à l’étuve pour les stériliser et donc, non, il n’y a aucun
risquequelesêtreshumainssoientinfectés.
FS : Pourquoi étudiez-vous cette relation écologique, certes surprenante, mais qui semble bien loin
despréoccupationsdenosconcitoyens?
DidierBouchon:Lecadregénérald’étudedulaboratoireestlasymbioseetleséchangesentredesbactériesetdes
organismeseucaryotesd’unepart,l’étudedescrustacéesd’autrepart.Orlabactérie
Wolbachia
estunendosymbionte
trèsfréquentchezlesarthropodes,dontfontpartielescrustacés.
Quantàlaquestion«
Aquoiçasert?
»,ehbien,
Wolbachia
pourraitêtreutiliséecommemoyendeluttebiologique.Si
l’on contrôle cette bactérie, il est possible de manipuler les populations de ravageurs, que ceux-ci s’attaquent aux
culturesousoientdesvecteursdemaladieshumainescommelamalariaouladengue.
Par exemple, une féminisation des mâles à 100% ferait s’écrouler des populations de ravageurs. Chez l’insecte, la
bactérie crée des incompatibilités qui aboutissent à l’avortement. Avec un taux de 100%, les populations touchées
s’écrouleraient à leur tour. Il y a ainsi un grand programme financé en partie par la
FondationBill Gates
pour lutter
contrelamalariaetladengue.
FS : N’y a-t-il pas un risque à éliminer une espèce, même nuisible, qui a tout de même un rôle
écologique?
Didier Bouchon : Toutes les populations d’une même espèce ne sont pas des vecteurs de maladie. L’idée est
d’éliminerouderéduirelespopulationsdeszonesàrisques,maispasl’espèceentière,cequipourraiteffectivement
perturberlesécosystèmes.
FS:Vousparlezdecontrôler
Wolbachia
,commentenvisagez-vousdelefaire?
DidierBouchon:Agirsur
Wolbachia
,làestleproblème!Labactérienepeutvivrequedanslescellulesdesonhôte,
elle n’est donc pas cultivable, ce qui empêche bon nombre d’expérimentations. Par transformationgénétique, peut-