Czesław Bartnik
Le Christ kérygmatique
Collectanea Theologica 52/Fasciculus specialis, 39-52
1982
Collectanea Theologica
52(1982) fase, specialis
CZESLAW BARTNIK, LUBLIN
LE CHRIST KÉRYGMATIQUE
A partir du moment où D. F. Strauss (f 1874), sélevant contre
Schleiermacher, a posé une césure radicale entre le Christ de la foi
et le Jésus de l'histoire (Der Christus des Glaubens und der sus
der Geschichte, Berlin 1865), et où a débuté le mouvement de cette
schizophrénie christologique dans le cadre du Leben-Jesu-For-
schung: E. Renan, H. Gunkel, M. Dibelius, R. Bultmann, K. L. Schmidt
et d'autres, les théologiens catholiques s'effrayèrent à la pensée
que non seulement prenait naissance un nestorianisme contempo
rain selon lequel il n'y aurait pas de lien interne entre la figure his
torique de Jésus et sa divinité avec la foi de l'Eglise en cette divi
nité, mais que la christologie tout entière sécroulait en ruines. Les
catholiques avaient limpression, et ne se trompaient pas, que cétait
également un attentat contre tout objectivisme en théologie. Le
Christ de la foi et le Christ du kérygme de lEglise ne serait quune
misérable création de limagination religieuse subjective, alors que
la connaissance historique utilisée dans l'Eglise serait la négation
de tout objectivisme, rationalisme, fondement. La christologie a eu
raison de rejeter a limine l'opposition entre la connaissance par
l'histoire et la connaissance par la foi et, par conséquent, entre le
Christ de l'histoire et le Christ de la foi. Mais, à ce qu'il semble,
a pris naissance une partialité polémique en ce qui concerne lop
position inconciliable à la valeur de la conception du Christ de la
foi et du kérygme. On peut, semble-t-il, du point de vue catholique
aussi, parler d'une icône vivante kérygm atique du Christ", c.à.d.
d'une christologie qui surgit du sein de la foi de lEglise et de son
kérygme, nullement en opposition avec le Jésus de lhistoire.
Le pluralisme contemporain des perspectives christologiques
Analogiquement aux temps bibliques, nous sommes également,
aux temps contemporains, témoins de nombreuses et différentes
perspectives christologiques. Nous ne nous occupons pas ici des
christologies opposées par le contenu, mais précisément du pluralis
me des perspectives christologiques. Ces plans semblent se complé
ter mutuellement.
4 0 CZESŁAW BARTNIK
1. La christologie traditionnelle classique avait un caractère
théologique, et donc métaphysique et en même temps ahistorique.
Jésus-Christ devait être avant tout l'idée incarnée de la Divinité.
Il était un fait et en même temps une vérité, un événement tempo
rel et en même temps divin, un homme individuel concret et en
même temps le Verbe de Dieu. Il n'y avait en lui aucune déchirure
entre le niveau historique de Jésus de Nazareth et la dimension cé
leste du Messie, reçu par la foi surnaturelle. Cette figure fournit
l'unique image de Jésus-Christ qui n'a pas besoin de l'histoire, ni de
division en deux plans de vision, ni de transmission aux généra
tions postérieures au moyen de transformations en de nouveaux
temps et de nouvelles époques. A vrai dire, c'était une image spa
tiale du Christ qui, à partir d'un point brille comme le soleil, sur le
monde entier et sur tous les siècles, toujours le même, objectif, per
ceptible directement et pleinement. L'image du Christ n'est le ré
sultat d'aucun intermédiaire; tout simplement il resplendit en Jésus
dé Nazareth, en lHomme concret qui est le prototype de chacun
d'entre nous et possède le même aspect comme un chacun, à lex
ception de la nature divine invisible. Ce n'était pas la négation du
Jésus de l'histoire, mais plutôt le postulat que ni le temps, ni l'his
toire ne nous séparent de Jésus-Christ, qu'il nous est tout simple
ment donné sans intermédiaire. La distance historique et sa trans
mission se ram ènent tout simplement à rien. En théologie il ne
s'agissait que de fixer les éléments particuliers de limage de Jésus
Christ. Cette christologie métaphysique" a prédominé durant de
longs siècles dans les Eglises catholique et orthodoxe.
2. A partir du XIXe s., surtout sous l'influence du protestantis
me, apparaît la perspective christologique historique. Il est vrai que
la connaissance historique était jugée différemment, parfois con
tradictoirement, mais en matière d'influences sur le catholicisme
commençait à s'imposer la conviction concernant le caractère objec
tif, réaliste et profond de la connaissance historique. Cest pourquoi
beaucoup de catholiques aussi ont commencé à croire que l'image
métaphysique de Jésus-Christ pouvait être remplacée avec succès
par l'image historique. On élabora donc à l'aide de méthodes his
toriques scientifiques une image de Jésus-Christ tout à fait facto-
graphique. La Bible apparaissait comme le document historique le
plus typique. On rejetait avec détermination certaines craintes pro
testantes, à savoir que la connaissance historique est tout à fait sub
jective, agnostique quant à la métempirique et même carrément
mythogène. On a souvent pensé qu'il sera possible de construire des
arguments historiques concernant le Christ et son oeuvre rédemp
trice au point que la foi religieuse ne sera plus qu'un simple effet
de l'histoire. De telles opinions apparaissaient de plus en plus dans
le catholicisme de la lère moitié du XXe s. C'est donc une christo-
LE CHRIST KËRYGMATIQUE 41
logie scientifico-historique, qui suppose que dans la foi, la liturgie,
la vie spirituelle, la pastorale, l'art religieux et enfin en théologie
fonctionne un genre de factographie de Jésus-Christ", reproduite
à partir de sources historiques. On n'a pas rem arqué qu'au domaine
chrétien devrait être appliqué un autre modèle d'histoire, convena
blement transformé.
3. La perspective psychologique de la christologie est caracté
ristique du protestantisme. Et il s'agit surtout de la psychologie in
dividuelle. Jésus-Christ est saisi avant tout comme une image reçue
d'une manière précise par le psychisme d'un individu. Il est un per
sonnage existant non pas tant en lui-même que dans la foi des chré
tiens tant primitifs que contemporains. Il apparaît comme une expé
rience vécue, comme l'expression des aspirations religieuses, comme
la manière de lier sa vie à Dieu. Il s'exprime moins par la doctrine
que par la moralité, par le sentiment du sens de la vie, par le fait
de confier sa vie à Dieu. En somme, c'est une christologie individu
aliste, non seulement au sens qu'elle présente Jésus-Christ comme
un objet individuel qui sert de référence à lhomme dans sa vie re
ligieuse, mais aussi au sens qu'il s'agit ici de référence de la part
des individualités croyantes respectives. De cette manière l'Esprit
Saint crée une christologie en quelque sorte particulière à chaque
chrétien, bien que ce soit à partir des mêmes données de l'histoire
et de la foi.
Les théologiens protestants du Leben-Jesu-Forschung appuient
leur christologie sur la conscience existentielle, en principe sans
vérification objective. Il y avait et il y a là des tentatives de se li
bérer d'un tel subjectivisme existentiel. M. Kâhler (Der sogenannte
historische Jésus und der geschichtliche, biblische Christus, Leipzig
1892, 18962) vers la fin du XIXe s. enseignait que la foi chrétienne
annonçait Jésus de Nazareth tel que le proclamait le kérygme apos
tolique, crucifié et ressuscité. Et avec cela, le Christ Ressuscité de
la foi servait à linterprétation objective de la vie historique de Jé
sus tout entière, car cette interprétation se faisait sur la base de la
force du Saint-Esprit. Le kérygme apostolique et le kérygm e con
temporain possèdent quelque chose de la valeur historique, bien
qu'ils aient la foi pour fondement principal.
Cependant Kâhler n'a pas conjuré les dangers menaçants.
M. Dibelius et R. Bultmann ont tiré la conclusion logique du dua
lisme de Jésus de l'histoire et du Christ de la foi enseignant que
l'image kérygmatique du Christ comme Kyrios et Theos était my
thique, privé de toute relation avec les faits historiques. Comme
mythe le Christ de la foi ne pouvait non plus être lobjet d'une vé
ritable théologie. D'ailleurs, d'une manière générale, seuls pouvaient
être l'objet de toute la théologie, le monde humain, l'existence hu
maine dans ses moments limitatifs de commencement, de lim
4 2 CZESŁAW BARTNIK
puissance interne, de l'état de pécheur et de la mort. On doit donc
comprendre le Christ tout au plus comme un corrélatif de l'inter
prétation existentielle de la vie de Jésus de Nazareth et de chaque
homme. En ce qui concerne Jésus, cette interprétation a pris la for
me mythologique sans valeur objective. En ce qui concerne les
autres hommes postérieurs, la déclaration sur Jésus comme Christ
est la forme de la conscience de l'homme face à Dieu, et donc de la
concrétisation de la reconnaissance de son péché et de la nécessité
de la rédemption par la croix. En fin de compte, toute la christologie
se résume dans la foi en l'insuffisance de l'homme à se sauver lui-
même et en l'espoir de trouver dans la profondeur de la Croix la
force de Dieu qui dans le langage mythologique a résurrection pour
nom.Plus tard fut faite une nouvelle tentative de porter un jugement
sur le Jésus de lhistoire et d'établir un pont entre lui et la commu
nauté, entre Jésus annonçant et annoncé, entre lhistoire et la foi:
H. Conzelmann, W. Pannenberg, F. Hahn. La christologie de la tra
dition synoptique devait avoir une plus grande relation avec la
connaissance historique de Jésus. Du même coup, on aperçoit de
plus en plus clairement la continuité entre la figure historique de
Jésus et la foi et le kérygme de l'Eglise. De ce fait, nous sommes
rapprochés d'une christologie collective, sociale, ecclésiale.
Les structures de la christologie verbale primitive
Il semble que les témoignages bibliques primififs sont synthé
tiques; ils relient le Jésus de l'histoire et le Christ de la foi en une
seule existence et la ,,jésulogie'' à la christologie. La Bible a une
conception plus large de l'histoire, cest l'histoire du salut qui em
brasse les gesta Dei per Christum dans le monde empirique et sup
pose que la transmission historique dans le temps et lespace em
brasse la totalité des connaissances et impressions de la personne du
témoin, spirituelles et surnaturelles et non seulement purement em
piriques. La construction de la stricte liaison de Jésus de lhistoire
avec le Christ de la foi est claire dans toute la parole biblique, sur
tout dans la conception de la prédication (kéryssein) et de l'évangé-
lisation, de l'annonce (evaggelidzomai). En vertu de quoi, se sont
créées dans la Bible plusieurs figures de la christologie moins mé
taphysique, historique ou psychologique que verbale, qui prend
appui sur la parole dabord dite, puis écrite.
1. Dans le cercle du kérygm e néotestamentaire général la pre
mière place revient au kérygme christologique. Ce kérygme a sa
genèse dans le kérygme de Jésus-Christ concernant le royaume de
Dieu. En fin de compte le kérygme du Seigneur est devenu le ké
rygme concernant le Seigneur (p.ex. Ac 10,36—41). Ici est apparu
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