Czesław Bartnik Le Christ kérygmatique

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Czesław Bartnik
Le Christ kérygmatique
Collectanea Theologica 52/Fasciculus specialis, 39-52
1982
C o llec ta n e a T h e o lo g ic a
52(1982) fase, sp ec ia lis
CZESLAW BARTNIK, LUBLIN
LE CHRIST KÉRYGMATIQUE
A p a rtir du m om ent où D. F. Strauss (f 1874), s ’éle v a n t contre
Schleierm acher, a posé une césure rad icale e n tre le C hrist de la foi
et le Jésu s de l'h isto ire (Der Christus des Glaubens und der Jésus
der Geschichte, Berlin 1865), et où a déb u té le m ouvem ent de cette
schizophrénie christologique dans le cad re du Leben-Jesu-Forschung: E. Renan, H. G unkel, M. Dibelius, R. B ultm ann, K. L. Schm idt
et d 'au tres, les théologiens catholiques s'e ffra y è ren t à la pensée
que non seulem ent p ren a it naissance un nestorianism e contem po­
rain selon lequel il n 'y a u ra it pas de lien in tern e e n tre la figure h is­
torique de Jé su s e t sa d ivinité avec la foi de l'Eglise en ce tte divi­
nité, m ais que la christologie to u t e n tière s’é c ro u lait en ruines. Les
catholiques av aien t l’im pression, et ne se tro m p aien t pas, que c ’était
égalem ent un a tte n ta t co n tre to u t objectivism e en théologie. Le
C hrist de la foi et le C hrist du kérygm e de l’Eglise ne se ra it q u ’une
m isérable créatio n de l’im agination religieuse su bjective, alors que
la connaissance histo riq u e u tilisée dans l'Eglise se ra it la négation
de to u t objectivism e, rationalism e, fondem ent. La christologie a eu
raiso n de re je te r a lim ine l'opposition e n tre la co n n aissan ce par
l'h isto ire et la connaissance p ar la foi et, par conséquent, e n tre le
C hrist de l'h isto ire et le C hrist de la foi. M ais, à ce q u'il sem ble,
a pris n aissance une p a rtialité polém ique en ce qui concerne l’op­
position inconciliable à la v a le u r de la conception du C hrist de la
foi et du kérygm e. O n peut, sem ble-t-il, du point de v u e catholique
aussi, p a rle r d 'u n e „icône v iv an te k é ry g m atiq u e du C hrist", c.à.d.
d 'u n e christologie qui su rg it du sein de la foi de l’Eglise et de son
kérygm e, nullem ent en opposition avec le Jésu s de l’histoire.
Le pluralism e contem porain des perspectives christologiques
A nalogiquem ent aux tem ps bibliques, nous som m es égalem ent,
aux tem ps contem porains, tém oins de nom breuses e t différentes
persp ectiv es christologiques. N ous ne nous occupons pas ici des
christologies opposées p a r le contenu, m ais précisém ent du plu ralis­
m e des persp ectiv es christologiques. Ces plan s sem blent se com plé­
te r m utuellem ent.
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1. La christologie trad itio n n elle classique a v a it un caractère
théologique, et donc m étap h y siq u e et en m êm e tem ps ahistorique.
Jésus-C hrist d ev ait être av an t to u t l'idée in carn ée de la Divinité.
Il était un fait et en m êm e tem ps une v é rité, un év én em en t tem po­
rel et en m êm e tem ps divin, un hom m e individuel concret et en
m êm e tem ps le V erbe de Dieu. Il n 'y av ait en lui au cu n e d échirure
e n tre le niv eau h isto riq u e de Jésu s de N azareth et la dim ension cé­
leste du M essie, reç u p ar la foi su rn a tu re lle . C ette figure fournit
l'unique im age de Jésu s-C h rist qui n 'a pas besoin de l'histoire, ni de
division en deux plans de vision, ni de tran sm issio n aux g é n é ra ­
tions p o sté rie u res au m oyen de tran sfo rm atio n s e n de nouveaux
tem ps et de nouvelles époques. A v rai dire, c 'é ta it u n e im age sp a­
tiale du C h rist qui, à p a rtir d 'u n point brille com m e le soleil, sur le
m onde en tier et su r tous les siècles, to u jo u rs le m êm e, objectif, p e r­
ceptible directem en t et pleinem ent. L'im age du C hrist n 'e st le ré ­
su ltat d 'au cu n in term éd iaire; tout sim plem ent il resp len d it en Jésus
dé N azareth, en l’Hom m e concret qui est le p ro to ty p e de chacun
d 'e n tre nous et possède le m êm e aspect com m e un chacun, à l’e x ­
ception de la n a tu re divine invisible. Ce n 'é ta it pas la négation du
Jésu s de l'histoire, m ais p lutôt le p o stulat que ni le tem ps, ni l'his­
to ire ne nous sé p are n t de Jésus-C hrist, q u'il nous est tout sim ple­
m ent donné sans interm édiaire. La d istance h isto riq u e et sa tra n s ­
m ission se ram èn en t to u t sim plem ent à rien. En théologie il ne
s'ag issait que de fixer les élém ents p a rticu lie rs de l’im age de Jésus
Christ. C ette christologie „m étaphysique" a prédom iné d u ran t de
longs siècles dans les Eglises catholique et orthodoxe.
2. A p a rtir du XIXe s., su rto u t sous l'influence du p ro te sta n tis­
me, a p p a ra ît la p e rsp e c tiv e christologique historique. Il est v rai que
la connaissance h isto riq u e était ju g ée différem m ent, parfois con­
trad icto irem en t, m ais en m atière d'influences sur le catholicism e
com m ençait à s'im poser la conviction c o n cern an t le c a ra c tè re objec­
tif, réa liste et profond de la connaissance historique. C ’est pourquoi
beaucoup de catholiques aussi ont com m encé à croire que l'im age
m étap h y siq u e de Jésu s-C h rist po u v ait ê tre rem placée avec succès
par l'im age historique. O n élabora donc à l'aid e de m éthodes his­
to riques scientifiques une im age de Jésus-C hrist to u t à fait factographique. La Bible ap p araissait com m e le docum ent h istorique le
plus typique. O n re je ta it avec déterm in atio n certain es craintes p ro ­
testa n te s, à savoir que la connaissance histo riq u e est to u t à fait su b ­
jective, agnostique q u an t à la m étem pirique e t m êm e carrém ent
m ythogène. O n a so u v en t pensé qu'il se ra possible de co n stru ire des
argum ents h istoriques co n cern an t le C hrist et son o eu v re rédem p­
trice au point que la foi religieuse ne sera plus q u 'u n sim ple effet
de l'histoire. De telles opinions ap p araissaien t de plus en plus dans
le catholicism e de la l ère m oitié du XXe s. C 'est donc une christo-
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logie scientifico-historique, qui suppose que dans la foi, la liturgie,
la vie spirituelle, la pasto rale, l'a rt relig ieu x et enfin en théologie
fonctionne un g en re de „factographie de Jésu s-C h rist", rep ro d u ite
à p a rtir de sources historiques. O n n 'a pas rem arq u é q u 'a u dom aine
c h rétien d ev rait ê tre appliqué un a u tre m odèle d'h isto ire, co n v en a­
blem ent transform é.
3.
La p ersp ectiv e psychologique de la christologie est c a ra c té ­
ristique du p rotestantism e. Et il s'ag it su rto u t de la psychologie in­
dividuelle. Jésus-C hrist est saisi av an t to u t com m e u n e im age reçue
d'u n e m anière précise p ar le psychism e d 'u n individu. Il est un p e r­
sonnage ex istan t non pas ta n t en lui-m êm e que dans la foi des c h ré ­
tiens ta n t prim itifs que contem porains. Il a p p a ra ît com m e une ex p é ­
rience vécue, com m e l'ex p ressio n des asp iratio n s religieuses, comm e
la m anière de lier sa vie à Dieu. Il s'exprim e m oins par la doctrine
que par la m oralité, par le sentim ent du sens de la vie, par le fait
de confier sa vie à Dieu. En somm e, c'est une christologie in dividu­
aliste, non seulem ent au sens qu'elle p rése n te Jésus-C hrist comm e
un objet individuel qui se rt de référen ce à l’hom m e dans sa v ie re ­
ligieuse, m ais aussi au sens qu'il s'ag it ici de réfé re n c e de la p art
des individualités cro y an tes respectives. De cette m an ière l'E sprit
Saint crée une christologie en quelque so rte p a rticu liè re à chaque
chrétien, bien que ce soit à p a rtir des m êm es données de l'h isto ire
et de la foi.
Les théologien s p ro te sta n ts du Leben-Jesu-Forschung appuient
leur christologie sur la conscience ex istentielle, en principe sans
vérification objective. Il y av ait et il y a là des ten ta tiv e s de se li­
bérer d 'u n tel subjectivism e existentiel. M. K âhler (Der sogenannte
historische Jésus und der geschichtliche, biblische Christus, Leipzig
1892, 18962) v ers la fin du XIXe s. enseignait que la foi ch rétienne
annonçait Jésu s de N azareth tel que le proclam ait le k éry g m e apos­
tolique, crucifié et ressuscité. Et avec cela, le C hrist R essuscité de
la foi se rv a it à l’in te rp ré ta tio n o b jective de la vie histo riq u e de J é ­
sus to u t en tière, car cette in te rp ré ta tio n se faisait sur la base de la
force du Saint-Esprit. Le kérygm e apostolique et le k éry g m e con­
tem porain po ssèd en t quelque chose de la v a le u r historique, bien
qu'ils aient la foi p our fondem ent principal.
C ependant K âhler n 'a pas co n ju ré les d an g ers m enaçants.
M. D ibelius et R. B ultm ann ont tiré la conclusion logique du d u a ­
lism e de Jésu s de l'h isto ire et du C hrist de la foi enseig n an t que
l'im age kéry g m atiq u e du C hrist com m e K yrios et Theos é ta it m y ­
thique, p riv é de to u te relatio n avec les faits historiques. Comme
m ythe le C hrist de la foi ne pouvait non plus ê tre l’objet d 'u n e v é ­
ritable théologie. D 'ailleurs, d'une m an ière g énérale, seuls pouvaient
ê tre l'o b jet de to u te la théologie, le m onde hum ain, l'ex isten ce hu­
m aine dans ses „m om ents lim itatifs” de com m encem ent, de l ’im ­
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puissance in tern e, de l'é ta t de péch eu r e t de la m ort. O n doit donc
com prendre le C hrist to u t au plus com m e un co rrélatif de l'in te r­
p réta tio n ex isten tielle de la vie de Jé su s de N a zareth e t de chaque
hom me. En ce qui concerne Jésus, c e tte in te rp ré ta tio n a pris la fo r­
m e m ythologique sans v a le u r objective. En ce qui concerne les
au tres hom m es po stérieu rs, la d é c la ra tio n sur Jésu s com m e C hrist
est la form e de la conscience de l'hom m e face à Dieu, et donc de la
co n crétisatio n de la reco n n aissan ce de son péché et de la nécessité
de la rédem ption p ar la croix. En fin de com pte, to u te la christologie
se résum e dans la foi en l'insuffisance de l'hom m e à se sa u v er luim êm e e t en l'esp o ir de tro u v e r dans la p rofondeur de la C roix la
force de D ieu qui dans le langage m yth o lo g iq u e a résu rre c tio n pour
nom.
Plus ta rd fut faite une nouvelle te n ta tiv e de p o rte r un jugem ent
su r le Jé su s de l ’h isto ire et d 'é ta b lir un pont e n tre lui e t la com m u­
nauté, e n tre Jé su s an n o n çan t et annoncé, e n tre l’h istoire e t la foi:
H. C onzelm ann, W . P annenberg, F. H ahn. La christologie de la tr a ­
dition sy n o p tiq u e d ev ait avoir une plus g ran d e relatio n avec la
connaissance h isto riq u e de Jésus. Du m êm e coup, on aperçoit de
plus en plus clairem en t la co n tin u ité e n tre la figure histo riq u e de
Jésu s et la foi et le k éry g m e de l'Eglise. De ce fait, nous som m es
rap p ro ch és d 'u n e christologie collective, sociale, ecclésiale.
Les structures de la christologie verbale primitive
Il sem ble que les tém oignages bibliques prim ififs sont s y n th é ­
tiques; ils relien t le Jésu s de l'h isto ire et le C hrist de la foi en une
seule ex isten ce et la ,,jésulogie'' à la christologie. La Bible a une
conception plus large de l'histoire, c ’est l'h isto ire du salu t qui em ­
brasse les gesta Dei per Christum dans le m onde em pirique et su p ­
pose que la transm ission h isto riq u e dans le tem ps et l’espace em ­
brasse la to ta lité des connaissances et im pressions de la perso n n e du
tém oin, sp iritu elles et su rn a tu re lle s e t non seulem ent p urem ent em ­
piriques. La co n stru ctio n de la stricte liaison de Jésu s de l’h istoire
avec le C h rist de la foi est claire dans to u te la paro le biblique, s u r­
tout dans la conception de la p réd icatio n (kéryssein) et de l'évangélisation, de l'an n o n ce (evaggelidzomai). En v e rtu de quoi, se sont
créées dans la Bible plusieurs figures de la christologie m oins m é­
tap hysique, h isto riq u e ou psychologique que v erbale, qui p rend
appui sur la paro le d ’abord dite, puis écrite.
1.
D ans le cercle du k éry g m e n é o te stam e n ta ire g én éral la p re ­
m ière p lace rev ie n t au k éry g m e christologique. Ce kérygm e a sa
genèse dans le kérygm e de Jésu s-C h rist c o n cern an t le royaum e de
Dieu. En fin de com pte le k éry g m e du S eigneur est d e v e n u le k é ­
rygm e c o n cern an t le Seigneur (p.ex. A c 10,36— 41). Ici est ap p aru
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une liaison cu rieu se de l'o b je t du kérygm e avec le sujet, ce qui
a fourni le m odèle à la liaison u lté rie u re de la christologie objective
avec la christologie subjective, quand il s'ag it de l'enseignem ent
p ratiq u é p ar les ch rétiens e t par l'Eglise. M ais m êm e prim itivem ent
app araissen t différentes stru c tu re s du kéry g m e christologique.
a) K é r y g m e s i m p l e . C haque k é ry g m e christologique est
un peu plus tard if que le k éry g m e c o n cern an t le ro y au m e de Dieu.
M ais m êm e le k é ry g m e christologique prim itif é ta it trè s sim ple. Il
se résum ait à „p rêch er le C hrist" (Ac 8,5), „prêcher Jésu s" (Ac 9,20),
„prêcher le C h rist crucifié" (1 Co 1,23) ou „prêcher Jésus-C hrist"
(Ac 28,31). En to u t cas le kérygm e ch rétien se c o n c en tra it su r la
p ersonne de Jésus-C hrist, em brassant ici les élém ents em piriques,
c.à.d. p u rem en t histo riques, et m étem piriques, c.à.d. liés à la foi
salvifique. A u déb u t le kérygm e sim ple é n u m érait su r un m êm e plan
tous ces év én em en ts qui av aien t tra it au C hrist. Un hym ne ch risto ­
logique trè s a n cien le m ontre parfaitem ent:
„11 a été m anifesté dans la chair,
Ju stifié dans l'Esprit,
V u des A nges,
P roclam é chez les païens,
C ru dans le m onde,
Enlevé dans la gloire" (1 Tm 3, 16).
A vec le tem ps on en a rriv e à form uler un dogm e christologique
en quelque so rte em bryonnaire: „Jésus-C hrist" (p.ex.M c 1,1). C 'est
la liaison la plus sim ple de to u te la réa lité de Jé su s de l'h isto ire avec
to u te la réalité du C h rist de la foi. Saint Paul a fourni une form ule
plus théologique: le C hrist Jésu s (p.ex. Rm 1,2; 2 Co 1,1), em ployée
d'ailleu rs com m e interch an g eab le avec la p rem ière (p.ex. Rm 1,4.6.7;
1 Co 1,1). La p rem ière form ule procède de l'o rd re ascendant: on
p a rt de l'h isto ire p ou r aboutir au salut: Jé su s est ap p aru comme
Sauveur, M essie, Fils de Dieu. La seconde form ule procède de l'o rd re
descendant: on p a rt de la foi salvifique pour aboutir aux fonde­
m ents historiques: le C hrist, M essie, qui est le n o y au (ou le coeur)
du salut et d e la foi, a ex isté com m e Jé su s de N azareth , concret et
historique. Les d eu x form ules ren d e n t l'en seig n em en t sy n th étiq u e
au su jet de Jésu s-C h rist com m e V erbe de Dieu incarné dans
l'hom m e. Le k éry g m e é ta it le v éhicule de c ette doctrine e t de ce
dépôt.
b) K é r y g m e r é f l e c t i f . Il s'e st é g alem en t form é un k é ­
rygm e plus développé, q u 'o n peu t appeler „kérygm e, que". Un te x te
ancien transm is p ar Paul le c a ra c té rise ainsi: „Je vous ai donc
transm is to u t d 'a b o rd ce que j'av a is m oi-m êm e reçu , à savoir que
le C hrist est m ort p o u r nos péchés selon les E critures, q u'il a été
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m is au tom beau, q u ’il est ressu scité selo n les E critures, q u'il est
ap p aru à C éphas, puis aux D ouze" (1 Co 15,3—5. Cf. A c 9,20; Col
1,28). Evidem m ent, a rriv e en tête le fait de la résu rre c tio n que est
em pirique e t à la fois tran sem pirique: ,,on p rêch e que le C hrist est
re ssu sc ité ’’ (1 Co 15,12. Cf. 1 Co 2,4 e t ss.). Le fait de la résu rre c tio n
de Jésu s est le fondem ent de la foi au C hrist: „M ais si le C hrist n 'est
pas ressu scité, alors n o tre préd icatio n (ke iyg m a ) est vide, vide est
aussi v o tre foi (1 Co 15,14). P our Paul, Jésu s histo riq u e est l’a rg u ­
m ent que le m y stè re du salut, caché depuis les siècles, cen tre de
l ’économ ie salvifique de Dieu sur l'hom m e, s'e st réalisé ,,à la m a­
n ière de la c h a ir” , c.à.d. à la m an ière h isto riq u e et em pirique (Rm
16,25—26; Ep 3,2—9; Col 1,26—27).
c)
K é r y g m e a p o l o g é t i q u e . C ’est trè s tôt égalem ent
que s ’est d éveloppé le k éry g m e qui p ro u v e, qui argum ente, su rto u t
su r la base du tém oignage plus larg em en t com pris au su je t des faits
em piriques et tran sem piriques. C ’est u n k é ry g m e qui ten d ait à é ta b ­
lir „l’a u th e n tic ité ” de tout le fait de Jésus-C hrist: „Et nous, nous
som m es tém oins de to u t ce q u'il a fait dans le pays des Juifs et
à Jérusalem . Lui qu'ils sont allés ju sq u ’à faire m ourir en le su sp en ­
dan t au gibet. D ieu l'a ressu scité le tro isièm e jo u r et lui a donné de
se m anifester non à tout le peuple, m ais au x tém oins que Dieu av ait
choisis d ’avance, à nous qui avons m angé et bu avec lui après sa
résu rre c tio n d ’e n tre les m orts; et il nous a en jo in t de p rêc h e r au
p eu p le e t d ’a tte ste r q u ’il est , lui, le ju g e étab li p ar Dieu pour les
v iv an ts et p o u r les m orts" (Ac 10,39—42. Cf. A c 2,22—36; 3, 12— 18;
13,23—37; 1 Co 1,18—23). En su ite de quoi s'e st développée l’in sti­
tu tio n ap ostolique pour „tém oigner de la v é rité de Jésu s-C h rist” ,
de sa vie e t de son o eu v re du salut: „Ce qui é ta it dès le com m en­
cem ent, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos
yeux, ce q u e nous avons contem plé, ce que nous avons touché du
V erbe de vie, car la vie s ’est m anifestée; nous l'avons vue, nous en
rendons tém oignage et nous vous annonçons cette Vie éternelle, qui
é ta it a u p rès du P ère" (1 J n 1,1—2). Donc, a pris naissance une
in stitu tio n de tém oignage sur la v é rité de „tout Jésu s-C h rist” sous
la form e d ’u n e p erso n n e viv an te, le „tém oin" (Ac 1,8). Plus tard,
dans l ’éco le pau lin ien n e on appelait ces gens k e r y k s ( k e i y k s kai
apostolos): „docteur des païens dans la foi et la v é rité" (1 Tm 2,7.
Cf. 2 Tm 1,10— 11; T t 1,2—3).
Le k é ry g m e qui pro u v e l ’a u th en ticité histo riq u e a atte in t son
apogée dans l'arg u m en tatio n strictem en t théologique. En d ’autres
m ots, le k é ry g m e é ta it la p réd icatio n de la foi com m une que Jésu s
de N a zareth (Ac 2,22) était C hrist, c.à.d. M essie, Seigneur (Kyrios)
et Fils de Dieu: „Dieu l’a fait Seigneur et C hrist, ce Jésu s que vous,
vous avez crucifié" (Ac 2,36). C e k é ry g m e é ta it un support v iv an t
pour une christologie pleine: „proclam ant que Jésu s est le Fils de
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Dieu" (Ac 9,20. Cf. 2 Co 1,19); „nous p rêch o n s le C hrist Jésu s, le
Seigneur" (2 Co 4,5. Cf. Rm 10,14— 15); „pour que vous croyiez que
Jésu s est le C hrist, le Fils de Dieu, et q u 'e n c ro y a n t vous ayez la
vie en son nom " (Jn 20,31). La divinité rée lle du C hrist é ta it indis­
solublem ent liée a u p erso n n ag e ré e l de Jésus.
d)
K é r y g m e d o c t r i n a l . Le k éry g m e christologique était
la somm e théologique su r Jésus-C hrist. En ta n t que „annonce de Jésus-C hrist" (Rm 16,25; 1 Co 1,21; 2,4; 15,14; 2 Tm 4,17; Tt 1,2—3) il
est le n o y au de la d o ctrin e chrétienne. Le k é ry g m e a v a it trois ty p es
fondam entaux.
Le ty p e lu can ien se rap p ro ch ait le plus du k é ry g m e h istorique
qui se ram en ait to u t sim plem ent à „parler d e Jé su s" (Ac 1,1).
C ’était „un récit des événem ents qui se sont accom plis parm i nous,
tels que nous les ont transm is ceux qui fu ren t dès le début tém oins
oculaires et se rv ite u rs de la Parole" (Le 1,1— 2). Il é ta it m oins un
discours v iv an t que „livre de to u t ce que Jésu s a fait et enseigné,
depuis le com m encem ent ju sq u 'a u jo u r où, ap rès avoir donné ses
instructions aux apôtres q u'il av ait choisis sous l'actio n de l'E sprit
Saint, il fut enlevé au ciel. C 'est en co re à e u x q u 'a v e c de nom breu­
ses p reu v es il s'é ta it m ontré v iv an t ap rès la passion; pendant
40 jours il leu r é ta it a p p a ru et les av ait e n tre te n u s du R oyaum e de
D ieu" (Ac 1,1—3). La description faite p ar Luc é ta it à un hau t degré
un exposé de l'h isto ire tem porelle de Jésus.
En sain t Je an , la n otion de k éry g m e n 'a p p a ra ît pas, m ais celle
de la paro le su r Jésus-C hrist. Par contre, le ty p e paulinien inverse
l'o rd re de Luc e t souligne le dogm e christologique. Le kérygm e
d octrinal est pour lui u n e union com posite de la connaissance, de
la foi et de la p a ro le relativ em en t à la p e rso n n e de Jésus-C hrist (Rm
15,14; 1 Co 13,2; 2 Co 8,7; Ph 3,8). En to u t cas, ce n 'e st pas la seule
connaissance, ni la seule foi, ni, enfin, un p ro d u it alogique. C ’est
pourquoi pour Paul le k éry g m e christologique est strictem ent lié
à l'Eglise v iv an te qui est „la rep ro d u ctio n (perm anente) du M ystère
du C hrist" (Ep 3,3—4) est la réflexion co n tin uelle de l'im age du
C hrist (2 Co 3,18; 4,4; Col 1,28— 29; Ga 4,19). L’Eglise dev ien t le té ­
m oin p rincipal du M essie et de Jésu s en u n e seule personne. De
cette m anière p ren d naissan ce le k éry g m e christologique de c a ra ­
ctère ecclésial, officiel, p e rsista n t dans l’Eglise ju sq u 'à la parousie:
„Le Fils de Dieu, le C hrist Jésu s que nous avons annoncé parm i
vous, Silvain, T im othée et moi, n 'a pas été oui et non; il n ’y a que
oui en lui. T outes les prom esses de Dieu ont en effet leu r oui en lui;
aussi bien est-ce p a r lui que nous disons ’A m en ’ à la gloire de Dieu"
(2 Co 1,19—20). De ce tte m anière Jésus-C hrist a p p a ra ît au coeur
m êm e de l'Eglise com m e „Dieu v iv an t" (Ac 14,15), à la p lace des
divinités païennes (Ac 17,18).
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CZESŁAW BARTNIK
2.
Une a u tre fonction christologique, sans doute à un m oindre
d egré que p ar le kérygm e, est rem plie p ar ,,l'in stitu tio n " de l ’é v a n ­
gile au sens de p réd icatio n de la Bonne N o u velle au su jet de Jésu s
C hrist (Ac 5,42. Cf. 8,35; 11,20; 16,10), en quelque so rte „annoncer
Jésus-C hrist". L 'évangile a p lu tô t le c a ra c tè re de m atières, paroles
et actes salvifiques accom plis p ar Jésus-C hrist.
Il sem ble cep en d an t que l ’év angile atte in t plus profondém ent le
phénom ène m êm e de Jésus-C hrist, sa rév élatio n , ou plutôt son a u to ­
rév élatio n . La tra d itio n sy noptique ra p p o rte que la Bonne N ouvelle
au su je t de Jésu s-C h rist a pris son origine dans le kérygm e du
C hrist: „Jésus se m it à p rêc h e r" (Mt 4,17), „11 proclam ait la Bonne
N ouvelle v en u e de D ieu" (Me 1,14). Du point de v u e essentiel c ’é ta it
d ’abord ,,l’annonce de l’Evangile" (Me 1,15; 13,10; 14,9; 16,20; Ac
16,10) sans a u tre précision de l'objet. Il faut sans doute le com pren­
dre av an t to u t com m e la rév é latio n du P ère de to u te l ’hum anité.
Ensuite a rriv a la précision que c'est ,,la Bonne N ouvelle du ro y a u ­
m e" (Mt 4,23; 9,35; 26,13) ou „la Bonne N o u v elle du ro y au m e de
D ieu" (Le 8,1; 9,2). C ependant le ro y au m e de Dieu annoncé dans
l'E vangile s'identifie ju sq u 'à un c e rtain point avec „le royaum e du
C hrist et de D ieu" (Ep 5,5), avec „le ro y au m e de n o tre Seigneur"
(2 P 1,11; A p 11,15), et aussi avec l'Eglise (Ac 9,1—5), et m êm e avec
la p erso n n e de Jésus-C hrist elle-m êm e (Mt 10,37—38, aussi par.;
16,27—28, aussi par.; 25,31—46; M e 9,1).
De m êm e que le kérygm e, l'év an g ile du royaum e de D ieu s'est
transform é en év angile de Jésu s: „la Bonne N o u velle de Jé su s" (Ac
8,35; 13,33). A insi conçu, il em b rassait to u te l’histo ire te rre s tre de
Jésu s (Me 14,9; Le 8,39; 12,3). C ’é ta it en m êm e tem ps la Bonne N ou­
velle du C hrist" (Rm 15,19; 1 Co 9,12; 2 Co 2,12; 9,13; Ga 1,8), ou du
M essie, „Evangile de la g râce de D ieu" (Ac 20,24), ,,l’E vangile de
D ieu" (Rm 1,1). S ynthétiquem ent, c'est „l'E vangile de n o tre Seigneur
Jésu s" (2 Th 1,8), „la Bonne N ouvelle du C hrist J é su s '' (Ac 5,42), du
Fils de Dieu et du D escendant de D avid (Rm 1,3— 4), tout sim plem ent
,,l'E vangile de Jésus-C hrist" (Me 1,1). En un m ot, c ’était l'E vangile
intégral: au su je t de l’histo ire de Jésu s et en m êm e tem ps de l'o eu ­
v re réd em p trice du Fils de D ieu dans u n e m êm e personne. L'Evan­
gile est une im age de Jésus-C hrist, son prolongem ent et m êm e un
v e c te u r spécifique à tous les peuples e t à to u tes les époques au
m oyen de l’histoire. Il est le lieu p a rticu lie r de l'autoconscience
christologique, et fournit en quelque so rte à Jésus-C hrist une possi­
bilité spécifique d 'ê tre p rése n t et de v iv re dans to u te l'h isto ire h u ­
m aine. Evidem m ent, ce n 'est pas le liv re seul qui cause cette christologie v iv an te dans le tem ps et l'espace, m ais la force de l'E sprit Saint
qui „historise": „on p rêch e l'E vangile dans l’Esprit Saint en voyé du
ciel" (1 P 1,12).
LE CHRIST KÊRYGMATIQUE
47
La christologie ecclésiale
De nom breux sav an ts, du cercle du Leben-Jesu-Forschung font
preu v e d ’inconséquence. Ils adm ettent que le su je t du kérygm e
christologique prim itif é ta it to u te la com m unauté ch rétien n e, et non
tel ou tel ch rétien rem arquable, et que l’im age du C hrist é ta it po rtée
p ar la conscience collective de la com m unauté; et, en m êm e tem ps,
ils refusent ce rô le à l’Eglise ultérieu re, et su rto u t à l ’Eglise contem ­
poraine. C ependant, dans le christianism e, su rto u t dans u n e société
aussi com pacte que l'Eglise catholique ex istait et existe to u jo u rs
une christologie ecclésiale, com m une, en qu elq u e so rte officielle.
Sans aucun doute, chaque cro y an t a sa p ro p re im age de Jésu s
C hrist, ce que m anifestent des enquêtes du g e n re de: Q ui est pour
toi Jésus-C hrist? Saint Paul lui-m êm e sem ble donner l'exem ple d ’une
telle christologie p erso n n elle quand il dit que: ,,par sa grâce il
daigna ré v é le r en moi son Fils" (Ga 1,16. Cf. 1 Co 9,1), sans aucune
vérification de ce tte im age auprès des A pô tres et de l’Eglise. C e­
pendant cette im age était to u t à fait conform e à celle de l’Eglise. Il
a rriv e p o u rta n t que la christologie perso n n elle diffère de la ch risto ­
logie ecclésiale, com m e c ’est a rriv é n ettem en t au x prem iers non
orthodoxes l'ap ô tre Judas, les p rêtres juifs, Sim on le M agicien, les
ébionites, le consul Félix, les prem iers docètes et une foule de gens
qui refu sèren t le christianism e ou ne s ’y a tta c h è re n t que p ar des
liens bien lâches. En to u t cas, dès le début a existé le problèm e qui
consistait à lier p our un individu ou m êm e un groupe, sa p ropre
christologie avec celle de la G rande Eglise. De là v ien t u n e nouvelle
lum ière qui perm et de com prendre la signification de l’Eglise pour
une christologie orthodoxe. E ntre les deux christologies, individuelle
et orthodoxe, il y av ait to u jo u rs une c e rtain e tension, su rto u t que
l ’im age ecclésiale du C hrist peut ê tre reçu e com m e „étran g ère" ou
„froide", alors que l'im age personnelle, à son tour, p eu t ê tre priv ée
d'objectivité. N éanm oins, dans le catholicism e, la p rio rité en re v e ­
nait to u jo u rs à la christologie eccésiale. C 'est elle aussi, qui a rem pli
les fonctions fondam entales sotériologique, liturgique, pastorale,
dogm atique et norm ativo-m orale. P ourtant, ce tte christologie, elle
aussi, peut ê tre inefficace, si chaque cro y an t n 'y engage pas to u te
sa vie personnelle.
Il sem ble que le christianism e prim itif a v a it sa conscience p a rti­
culière de l'ex isten ce d 'u n e christologie spéciale dans le kérygm e de
l'Eglise. Jésus-C hrist est une belle icône de la paro le de l'Eglise, im­
possible à exprim er. C 'est une im age du „Seigneur C hrist (vivant)
dans les coeurs" (1 P 3,15) de la com m unauté ch rétien n e. A u sein de
l'Eglise, la christologie s'u n it étro item en t à la théologie: „...resplen­
dir l'E vangile de la gloire du C hrist qui est l'im age de Dieu. C ar ce
n 'est pas nous que nous prêchons, m ais le C hrist Jésu s le Seigneur;
nous ne som m es, nous que vos serv iteu rs, p our l’am our de Jésus. En
48
CZESŁAW BARTNIK
effet D ieu qui a dit: ,Que du sein des tén è b res brille la lum ière' est
C elui qui a b rillé dans nos coeurs, p o u r faire resp len d ir la connais­
sance de la gloire de Dieu, qui est su r la face du C h rist” (2 Co 4,4—
6). L'Eglise façonne en son sein l'Icône du C h rist com m e C réateu r,
S auveur et Im age du Père. L'Eglise est donc, g râce à son existence
et à son kérygm e, un locus theologicus p a rticu lie r pour la christologie: „C 'est le C hrist parm i vous (dans le coeur de l'Eglise — Cz. B.)
— l'esp é ran c e de la gloire. Ce C hrist, nous l'annonçons" (Col 1,27—
28). L'Evangile lui-m êm e possède en lui une dim ension christologique, du m om ent q u 'o n e x h o rta it à c ro ire „en lui": „croyez à la Bon­
ne N o u v elle" (Me 1,15).
La ch ristologie ecclésiale a p our fondem ent le su je t collectif
q u 'e st l'Eglise de Jésus-C hrist, où, à le u r tour, jo u en t un rôle deux
élém ents p rin cip au x qui déterm in en t la form ation de c ette Icône: la
foi de l'Eglise e t le k éry g m e ecclésial. La foi sem ble ê tre prem ière,
alors que le k éry g m e sem ble ê tre u n e so rte d 'in term éd iaire e n tre
la com m unauté de l'Eglise et la p erso n n e de Jésus-C hrist. N é a n ­
m oins, p a r ra p p o rt au x adeptes de l'Eglise, v ien t d ’abord le kérygm e
de l'Eglise et c'est lui qui est le v e c te u r du C hrist. Le kérygm e est
égalem ent un phénom ène relig ieu x trè s viv an t. Et il p ren d des fo r­
m es d iv erses dans les confessions ch rétiennes. Là in te rv ie n t d é jà la
foi de l'Eglise. En conséquence, alors que dans le p ro testan tism e la
p rem ière place re v ie n t à la christologie p ersonnelle, basée su r la foi
de l'individuum , e t la foi ecclésiale d ev ien t quelque chose de s e ­
cond, dans le catholicism e et dans l'o rth o d o x ie au prem ier plan se
tro u v a l'im age com m unautaire, ecclésiale du C hrist, qui se base sur
la foi de l'Eglise.
A l'in té rie u r de la christologie com prise au sens larg e et fonc­
tio n n an t de d iv erses m anières s'est façonnée sa form e culm inante
sous l'asp ect du dogm e christologique. C 'est sim plem ent la fixation
de la christologie k éry g m atiq u e en dogm e, c.à.d. en enseignem ent
com m unautaire, officiel et objectif. M ais les v a le u rs de c ette d o c tri­
ne ne se c ré e n t pas sans effort. Le dogm e christologique était ac­
com pagné de p resq u e continuelles co n tro v e rse s de la christologie
k éry g m atiq u e avec la christologie frag m en taire ou individuelle.
Saint Paul av ait pleinem ent conscience de ce tte situ atio n quand il
e x h o rta it à l'h arm o n ie de la foi en Jésus-C hrist „avec l'Evangile que
j'an n o n c e en p rêc h a n t Jésus-C hrist" (Rm 16,25). A vec cela l'im ­
possibilité de ré p é te r et l'au th e n tic ité de l'im age de Jésus-C hrist
dans le k é ry g m e de l'Eglise éta ien t m êm e quelquefois ressen ties par
les non ch rétien s qui, à l'exem ple des ex o rcistes juifs, ont essayé
d 'o b ten ir des ré su lta ts en en ap pelant au k éry g m e officiel: „Ils di­
saient: J e vous a d ju re par ce Jésu s que Paul annonce" (Ac 19,13)
C ette au th e n tic ité est confirm ée p ar l'ac c e p ta tio n un iv erselle de
i'Eglise ou le tém oignage de la fonction apostolique. Q uand Pau]
LE CHRIST KÊRYGMATIQUE
49
écrit: „N ous annonçons Jésu s C hrist" (1 Co 1,23; 2 Co 4,5), le „nous"
rem place to u te la su b jectiv ité collective de la v é rita b le Eglise. Il se
réalise une co n v erg en ce ou p lu tô t une id en tité de l'im age du C hrist:
„Bref, eu x ou moi, voilà ce que nous vous prêchons. Et voilà ce que
vous avez cru" (1 C o 15,11). Les m em bres de l’Eglise ont le sens de
la distinction „du v ra i C hrist" et sa v en t ce q u ’il y a à faire „si le
prem ier v e n u vous p rêch e un a u tre C h rist" (2 Co 11,4). L'im age
ecclésiale du C hrist est définie e t elle est une: „N on q u'il y en ait
deux; il y a seulem ent des gens en tra in de je te r le tro u b le parm i
vous et qui v e u le n t b o u lev e rser l'E vangile du C hrist (...) Si qu elq u 'u n
vous an nonçait un év angile différent de celui que nous vous avons
p rêché, q u 'il soit an ath èm e" (Ga 1,7—9). En to u t cas le kéry g m e a la
force salvifique g râc e au fait q u'il façonne l’im age au th en tiq u e du
C hrist: „C’est p ar la folie du m essage q u ’il a plu à D ieu de sau v er les
c ro y an ts" (1 Co 1,21). C 'est la paro le ann o n cée qui sauve, e t cette
parole, c'est le C hrist.
H istoire du C hrist kérygm atique
Jésus-C hrist a v a it non seulem ent sa vie m atérielle et historique,
m ais aussi sa vie k éry gm atique. P ar ailleurs, m êm e sa vie k é ry g m a ­
tique est d 'u n e c e rtain e m an ière historique, car elle consiste dans la
réalisatio n du processus qui ren d Jésu s-C h rist S auveur accessible
à tous les tem ps e t à tous les lieux et m ilieux. Le S au v eu r serait in­
com préhensible sans ce tte o u v e rtu re à to u te l'h u m an ité de tous les
tem ps et de tous les lieux. C ’est pourquoi le k éry g m e est égalem ent
la vie h istorique de Jésus-C hrist et sa voie. Il s'est changé pour nous
en une paro le de k é ry g m e et m arche à grands pas à tra v e rs l ’h is­
toire: „...s’en a llè re n t de lieu en lieu ann o n çan t la p aro le" (Ac 8,4.
Cf. 11,19); „Le V erb e s ’e st fait chair e t il a dem euré parm i n o u s” (Jn
1,14); est devenu „Parole de vie" (1 J n 1,1). Le C hrist de la parole col­
labore lui-m êm e avec ceux qui l’annoncent: „...ils s ’en a llèren t p rê ­
cher en to u t lieu, le Seigneur agissant et confirm ant la P arole" (Me
16,20). P ar la p a ro le du k éry g m e Dieu ré v è le à tous son Fils: „aux
tem ps m arqués a m anifesté sa paro le p ar u n e pro clam ation" (Tt 1,3).
Le kérygm e ecclésial est en quelque so rte le prolongem ent de
l'in c a rn a tio n de la P aro le de Dieu. Il e st donc u n com plém ent n é ­
cessaire du C hrist. A son tour, la vie des chrétien s est le com plé­
m ent et l'accom plissem ent de ce kérygm e: „j'ai p ro cu ré l ’accom plis­
sem ent de l’Evangile du C hrist" (Rm 15,19). Ce p rocessus s'opère
sous la d irection du Saint-Esprit qui est l'in te rm éd ia ire essentiel
e n tre le C hrist e t le m onde de l'histoire: „...pour y p rêc h e r l'É van­
gile du C hrist et bien q u 'u n e p o rte ne fût o u v e rte dans le Seigneur..."
(2 Co 8,12). D’ailleu rs le Saint-Esprit é tab lissait les faits salvifiques
fondam entaux du C hrist: „Le C hrist Jésu s établi Fils de Dieu avec
puissance selon l ’E vangile de sainteté, p ar sa résu rre c tio n des m orts"
4 *— C oïlectan ea T heologica
50
CZESŁAW BA-RTNIK
(Rm 1,4). C 'est lui. qui donne la force à ceux qui annoncent le
C hrist: „...prêchant l'E vangile, dans l'E sprit Saint e n v o y é du ciel"
(1 P 1,12). Tous ont la possibilité de s'a sso c ier à l'im age kérygm atique du C h rist g râce à la ch arité, dont l ’Esprit est la source: „C'est
vraim ent dans de bons sentim ents qu'ils p rêc h e n t le C hrist" (Ph
1,15). En som m e, l'E sprit Saint est le c ré a te u r p ersonnel de l'Icône du
C hrist au sein de l'Eglise.
Si le C h rist v it dans son kérygm e, son histo ire rem onte aux
débuts de la rév é latio n de D ieu su r terre . D epuis le prem ier groupe
hum ain sur la te rre est née une c e rtain e „prescience" du Sauveur,
comm e les prem ières étincelles ou les prem iers ray o n s qui d evaient
fusionner en une seule Lum ière des N ations. Le C hrist viv ait „dans
l'an n o n ce de la Bonne N ouvelle, la prom esse faite à nos pères"
(Ac 13,32). „L'Esprit du C hrist, é ta it en eux, a tte sta it à l’avance les
souffrances du C hrist" (1 P 1,11) dans les gran d s personnages de la
foi m essianique. D ans l’In carn atio n a com m encé à ex ister la vie
su b stan tielle et l'au to g n o se du C hrist e n Jésu s à la m an ière c h a r­
nelle et dans l’union personnelle. La su iv a n te autognose du C hrist et
son o eu v re ont p assé p a r u n e „reconnaissance" su r la base de l’Egli­
se. Enfin, nous posons la question pour sav o ir si et à quel point tout
ce processus d ’h isto risatio n du C hrist n 'e st pas le seul axe de l’autognose de l'hum anité dans Jésus-C hrist et d'accom plissem ent d ’une
christologie v raim en t universelle.
L’ancien n e com préhension de l'h isto ire du dogm e christologique
com m e recu eil de th èses n ’est q u ’un fragm ent, sans doute im portant,
du problèm e de la christologie ecclésiale. Il faudrait p a rle r de la
pleine christologie uniquem ent dans la p ersp ectiv e de l’h istoire u n i­
verselle, qui em brasse to u tes les sortes de christophanies, y com pris
la ch ristophanie kérygm atique, le d éveloppem ent du C orps M ysti­
que, m ais aussi de la connaissance c h ré tie n n e des gens, de leur
am our du C hrist et de to u te la p raxéologie chrétienne. La co n stitu ­
tion des th èses d octrinales con cern an t le C hrist n ’est q u ’une p a rtie
de la réa lité im m ense et m y stérieu se du développem nt du „phéno­
m ène C hrist", convenablem ent orienté v e rs to u s les tem ps: „afin
que par m oi le m essage fût proclam é et q u ’il p a rv în t au x oreilles
de tous les p aïen s" (2 Tm 4,17).
En un sens l’histo ire u n iv erselle est le prolongem ent de l’Eglise
com m e v e c te u r du kérygm e christologique et de l'Icône divine de
Jésus-C hrist. Jésu s „proclam é à to u tes les nations" (Me 13,10) et
dans „la Bonne N ouvelle proclam ée à to u te la création" (Me 16,15)
d ev ien t le C hrist de l'u n iv ers, ,,le C hrist Chef de to u tes choses" (Ep
1, 10). Il ne faut donc pas oublier q u ’il existe égalem ent une ch risto ­
logie u n iv erselle e t cosm ique, véh icu lée p ar u n e langue du m onde,
p ar le k éry g m e de to u te la création.
Le k é ry g m e u n iv ersel du C hrist a différentes nuances su ivant
LE CHRIST KÊRYGMAT1QUE
51
les époques et les cu ltures: „A près avoir, à m aintes rep rises et sous
m aintes form es, p arlé jad is aux Pères par les pro p h ètes, Dieu, en ces
jo u rs qui sont les d ern iers, nous a p a rlé p ar le Fils" (He 1, 1—2). Le
phénom ène ch ristiq u e a v a it d ’au tres form es k é ry g m atiq u es dans la
préh isto ire ch rétien n e, d 'a u tre s encore dans l'h isto ire te rre s tre de
Jésus, d 'a u tre s enfin dans l ’Eglise, et dans l'Eglise elle-m êm e, les
diverses époques et cu ltu res ont une im p o rtan te influence. L’é ta ­
blissem ent du cham p de l’identité et du changem ent, de la continuité
et de la d iscontinuité est la question la plus difficile de la christologie. T oute l’Eglise catholique croit po sséd er en elle l'im age du
C hrist qui g a ra n tit l’id en tité du C hrist et une continuité intacte. Les
changem ents sont hom ogéniques et v o n t su iv a n t la m êm e ligne de
développem ent.
C ertains se figurent que l ’im age k éry g m atiq u e du C hrist reste im­
m obile dans l'histoire, ne se développe pas et n ’a pas besoin de con­
trib u tio n de la p a rt des croyants. Rien n ’est plus faux. N on seu le­
m ent le phénom ène C hrist est, p ar son essence, le cen tre du
p rocessus historique, m ais encore to u te la p e rc e p tio n q u ’en a l’hu­
m anité est p rogressive. Il suffit de rap p e ler que n o tre connaissance
actuelle de Jésus-C hrist est bien plus pleine, plus riche que celle
q u ’on en av ait aux prem iers m om ents et aux p rem iers siècles du
christianism e. En ou tre, in te rv ie n t u n cu rieu x phénom ène de „sty­
lisation" de l ’im age du C hrist su iv an t le c a ra c tè re de la confession,
de l’époque et de la culture. A u tre est „le sty le" de l’im age christologique des peuples p asteu rs, a u tre celui des tem ps d ’in d u strialisa­
tion. En d ’au tres term es, chaque époque de l’histo ire crée une ad ap ­
tatio n de l'im age du C hrist qui lui est p ro p re, u n e tra n c h e de l’his­
to ire du C hrist et u n e form e de l’histo ire du dogm e christologique
qui lui sont propres. C e processus est n écessaire et im possible à a r­
rête r. Les différents cro y an ts, les Eglises to u t e n tiè re s y ont leur
part. Le C hrist ne peu t pas v iv re sans l’hom m e, sans coexistence et
sans collaboration des cro y an ts qui aim ent et „font le C h rist”. Ce
processus va d u rer ju sq u ’à la fin du m onde. P erso n n e non plus
n ’écrira la christologie une fois pour toutes. Et il faut croire que ce
développem ent de la christologie à tra v e rs les tem ps, les époques,
les cu ltu res e t les confessions signifie, dans le bilan définitif, l’ac­
com plissem ent du C hrist e t de son im age, que se com plètent ré c i­
proquem ent la vision cosm ique et ro y ale de l ’O rthodoxie, la vision
m orale et hum aniste du P ro testan tism e e t la vision p erso n n elle et
historico-salvifique du C atholicism e. N ous cro y o n s p ar l'Eglise que
tous ces „styles” conduisent à une christologie plérom ique. c.à.d.
à l’unité de la christologie objective avec la sub jectiv ité, de l ’union
de Dieu et de l’hum anité, dans l’unité où les rech erch es au su je t du
C hrist s'id en tifiero n t avec la plénitude de la R évélation dont nous
en aurons face à face.
52
CZESŁAW BARTNIK
En to u t cas, du point de v u e catholique, il n 'y a pas de pleine
christologie sans le k éry g m e ecclésial, de m êm e d'ailleu rs q u 'il n ’y
a u ra it pas de k éry g m e sans le C hrist. Il n ’y a u ra it donc p as d'ecclésiologie san s christologie, m ais il n 'y a u ra it non plus, sans ecclésiologie, de christologie au th en tiq u e, à n o tre p o rtée. En outre, la ch ris­
tologie ecclésiale ne se ra it pas plein e sans le co n tex te de l'h isto ire
u n iv erse lle e t sans le m onde de la création. L 'essence de to u te h is­
to ire , selon l'esp rit du catholicism e, est la form ation du C hrist par
to u te l'h u m an ité dans le Saint-Esprit.
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