Moi qui jadis composais des poèmes ardents et enjoués

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Prof. T. Suarez
SA 2008
Cours: Introduction à l’histoire de la philosophie médiévale
Ch. II : Anicius Manlius Severinus Boethius ou la philosophie comme consolation
c
Moi qui jadis composais des poèmes ardents et enjoués
Mes pleurs hélas! me vouent à de mornes mélopées.
J'écris sous la dictée de Camènes déchirées de peine
Et les élégies baignent mon visage de larmes sincères.
Elles au moins ont refusé de se laisser intimider,
Elles ne m'ont pas privé de leur présence à mes côtés!
Gloire d'une jeunesse heureuse et riche de promesses,
Elles offrent une consolation à ma triste vieillesse.
Les épreuves ont précipité sa venue sans l'annoncer
Et la souffrance a décidé que son heure avait sonné.
Les cheveux blancs m'envahissent bien avant l'âge
Et sur mon corps usé se ride une peau flasque.
La mort est bienvenue quand sans troubler les années
Douces, elle répond à l'appel incessant de la détresse.
Oh! comme elle sait faire aux malheureux la sourde oreille
Et refuser, impitoyable, de fermer des yeux en larmes!
Quand, volage, la Fortune favorisait mes vains succès,
Peu s'en était fallu que l'instant fatal ne l'emportât.
Mais aujourd'hui qu'elle me montre son vrai visage,
Cette maudite vie retarde à plaisir l'échéance.
Vous fallait-il, mes amis, si souvent clamer ma chance?
Si on tombe, c'est qu'on ne tenait pas sur ces jambes!
BOÈCE, Consolation, L. I, 1e poème.
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Tandis que je méditais silencieusement en moi-même et que je
confiais aux bons soins de mon stylet mes plaintives doléances, je vis
apparaître au-dessus de ma tête une femme: tout dans son aspect
inspirait le respect, ses yeux jetaient des flammes et révélaient une
clairvoyance surhumaine, elle avait le teint vif et débordait d'énergie;
elle était pourtant si chargée d'ans qu'il était impossible de croire
qu'elle appartînt à notre temps. Il était difficile d'évaluer sa taille:
tantôt elle se réduisait aux mensurations humaines habituelles, tantôt
elle donnait l'impression de se cogner la tête contre le ciel; et quand
elle se tenait très droite, elle parvenait à pénétrer le ciel et se dérobait
au regard des humains. Ses habits avaient été réalisés dans une étoffe
très fine, minutieusement ouvragée et indestructible: elle me révéla
par la suite qu'elle les avait elle-même tissés de ses propres mains.
Leur aspect, comme il arrive aux portraits d'ancêtres noircis par la
fumée, s'était terni le temps passant et la négligence aidant. Tout en
bas, avait été brodé un Pi, tout en haut, un Thêta. Entre les deux
lettres, on distinguait une sorte d'échelle, dont les degrés reliaient le
caractère inférieur au caractère supérieur. Mais des brutes avaient
déchiré ce vêtement et chacun avait emporté le lambeau qu'il avait pu
s'approprier. Elle tenait à la main droite des opuscules et à la main
gauche, un sceptre.
BOÈCE, Consolation, L. I, prose 1 (trad. franç. § 2).
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Une fois enlevée la perfection, on ne peut même pas imaginer d'où
provient ce qui est imparfait. Car la nature des choses n'a pas pris
naissance dans des réalités amoindries et imparfaites, mais, procédant
de ce qui est intact et parfait, elle glisse (se dégrade) jusqu'à ces
derniers êtres désormais épuisés (sans vigueur).
BOÈCE, Consolation, L. III, prose 10 (trad. franç. § 19).
f
Mais dans cet enchaînement de causes solidaires les unes des autres,
nous reste-t-il un libre arbitre ou bien la chaîne du destin enferme-telle aussi les mouvements de l'âme humaine?
BOÈCE, Consolation, L. V, prose 2 (trad. franç. § 3).
g
A mon avis, dis-je, que Dieu connaisse toutes choses par avance ou
qu’il existe un libre arbitre, voilà deux affirmations complètement
contradictoires et incompatibles. Car si Dieu prévoit tout et s’il ne
peut en aucune façon se tromper, il se produit nécessairement ce que
la Providence à prévu.
BOÈCE, Consolation, L. V, prose 3 (trad. franç. § 5).
h
Là où il y a erreur, c’est que chacun pense qu’il ne connaît tout ce
qu’il connaît qu’à partir des propriétés et de la nature de ce qui est
connu, alors que c’est le contraire qui se passe. En effet, tout ce qui
est connu n’est pas compris selon ses caractéristiques, mais bien
plutôt selon les capacités de ceux qui cherchent à le connaître.
BOÈCE, Consolation, L. V, prose 4 (trad. franç. § 7).
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Vois-tu comment dans le domaine de la connaissance, toutes ces
approches utilisent leur capacité propre plus que les propriétés des
choses sur lesquelles porte la connaissance ? Et ce n’est pas sans
raison : comme tout jugement est l’acte de celui qui porte un
jugement, il est nécessaire que chacun accomplisse sa tâche en
comptant non sur les capacités des autres, mais sur les siennes
propres.
BOÈCE, Consolation, L. V, prose 4 (trad. franç. § 7).
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Si dans la perception des corps, bien que leurs qualités se montrent à
l’extérieur et affectent les organes des sens et que l’entrée en activité
de l’âme soit précédée par la sensation physique qui appelle l’action
de l’esprit à s’exercer sur elle, si, dis-je, dans la perception des corps
l’âme n’est pas marquée par la sensation physique, à plus forte raison
les êtres indépendants de la matière peuvent-ils juger et connaître
sans dépendre des objets extérieurs, mais par un acte de l’esprit.
BOÈCE, Consolation, L. V, prose 5 (trad. franç. § 9).
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