« Le Liban, à la jonction entre l’Orient et l’Occident »
Introduction aux conférences proposées par le mouvement Reconstruire Ensemble,
à organiser à Genève, si possible en marge de l’exposition sur les Trésors du Liban,
ainsi éventuellement qu’en séminaire, organisé au creux des montagnes valaisannes ou grisonnes
Ces conférences visent à éclairer la situation du Liban et des Chrétiens d’Orient, situés à cheval entre l’Orient et l’Occident.
Une situation cruciale, en train de crucifier ces derniers, qui menace, à terme, de déchirer le monde entier…
Suscitées par le mouvement de réconciliation « Reconstruire Ensemble », lancé et coordonné par le Père antonin Maroun
Attalah et inspirées par les recherches de la Fondation Bodmer, entreprises à l’occasion de son exposition sur les racines
spirituelles de l’Europe, ces conférences sont destinées à un public soucieux de mieux comprendre les tenants et les
aboutissants de cette situation, afin de pouvoir mieux résister aux courants belliqueux à l’œuvre actuellement.
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Les côtes orientales de la Méditerranée sont reliées à l’Europe depuis la nuit des temps. Le mythe grec fait venir
cette séduisante princesse de Tyr des côtes phéniciennes, rendant ainsi implicitement hommage, comme le
relève Amin Maalouf dans son discours d’entrée à l’Académie française, à tout ce que ce continent doit au
Proche-Orient : l’écriture, l’alphabet phonétique, la ville, le monothéisme, le christianisme, sources de la
civilisation européenne.
C’est de ses ports que les navigateurs Phéniciens partirent, effectivement les premiers, à la découverte de la
Méditerranée, prolongeant à travers elle les routes du commerce entre l’Orient et l’Occident. Ses ports furent
occupés par la suite par les Grecs, puis, quelques siècles plus tard, par les Croisés (pour des raisons moins
commerciales que militaires et religieuses), avant que les Vénitiens ne viennent y établir leurs comptoirs, puis
surtout les Français « leurs échelles ou marches du Levant ». Des ports qui gardèrent leur spécificité et leur
autonomie au sein des empires qui les englobaient, pour continuer à commercer entre l’Orient et l’Occident.
Le Liban, nom emprunté à la Montagne qui surplombe ces côtes, est le fruit de cette longue tradition. C’est ainsi
le seul Etat arabe dont le gouvernement soit constitutionnellement présidé par un Chrétien, grâce à la France,
avec laquelle ce pays entretenait donc des rapports privilégiés depuis des siècles, bien avant la chute de
l’Empire ottoman. Ces rapports permirent le développement d’un florissant réseau d’échanges intellectuels,
financiers et économiques, faisant du Liban la tête de pont, en quelque sorte de l’Occident en Orient.
L’intérêt porté au Liban par la France n’était certes pas gratuit. Leurs efforts conjugués visaient à déstabiliser
l’empire ottoman, puis à contrer les puissances arabes, notamment égyptiennes, tentant d’émerger des
décombres de cet empire, comme le décrit bien Le Couvent de la Lune de Carole Dagher. Cette complicité entre
le Liban et la France a-t-elle porté préjudice à ce petit pays multiconfessionnel, qui a pu, grâce au mandat
français, établir un équilibre institutionnel entre ses différentes composantes religieuses ? Cet équilibre a permis
en tout état de cause au Liban de conforter son art du « vivre ensemble », qui lui valut d’être qualifié de « Suisse
du Moyen-Orient » ! Un parallèle qui ne tenait pas qu’à la prospérité de leurs banques et de leur commerce,
mais aussi à l’esprit de liberté de ces montagnards capables d’arracher leur autonomie à leurs autorités
impériales respectives. Un parallèle tenant aussi à la taille de leur territoire, trop petit pour nourrir toute leur
population, incitée donc à émigrer, transformant ainsi leur manque de ressources en une belle et enrichissante
ouverture au monde. La culture de l’entente et du vivre ensemble entre composantes différentes était donc, pour
la Suisse comme pour le Liban, une condition essentielle de leur liberté et même de leur existence, les
préservant, quand ils y parvenaient, des ingérences aussi bien de leurs souverains, que de leurs voisins.
Nécessité accrue par les affrontements meurtriers entre ces derniers…
Mais le parallèle s’arrête en 1945. Car si la fin de la 2ème Guerre Mondiale a finalement mis un terme aux
affrontements en Europe, au sein de laquelle la Suisse risque donc moins de se sentir écartelée, le Liban
continue, lui, à se trouver sur la ligne de partage entre l’Occident et l’Orient. Une ligne à nouveau d’affrontement,
depuis en particulier que l’Occident imposa, dans le plus grand mépris des pays arabes, la création de l’Etat
d’Israël, afin de se décharger des Juifs rescapés de la Shoah et de la mauvaise conscience générée par celle-là,
comme l’analyse justement Viviane Forrester dans Le Crime occidental. La convivialité libanaise s’en trouve
doublement fragilisée, par la présence des réfugiés palestiniens au Liban d’une part et par les tensions de plus
en plus fortes entre l’Occident et le Proche-Orient, entre le Christianisme et l’Islam, d’autre part, suscitées donc,
entre autres facteurs, par l’usurpation des terres palestiniennes destinées à régler le problème juif.
Un problème résultant peut-être d’une autre usurpation ou plutôt d’une « captation d’héritage » de l’Ancien
Testament hébraïque par les Chrétiens ? Telle est la thèse assez éclairante des théologiens interrogés par
Gérard Mordillat et Jérôme Prieur dans leur ouvrage sur Les origines du christianisme, expliquant pourquoi et
comment les Chrétiens ont cherché, dès le 2ème siècle après JC, à fonder un christianisme séparé et distinct du
judaïsme, afin de justifier ce détournement d’héritage et de légitimer ainsi par la suite leurs persécutions, lorsque
le christianisme devint religion d’Etat… Les racines de cet anti-sémitisme récurent sont en fait multiples et
complexes et les différentes vagues de leur recrudescence ont varié en fonction des contextes contribuant à les
réactiver. Mais ces racines appellent toujours et encore à être décelées et extirpées.
L’exploration des origines mérite donc examen, par des spécialistes, pour tout un chacun, afin de dévoiler la
source de ces tensions qui risquent de perdurer tant qu’elles n’auront pas été suffisamment comprises et
dépassées. D’autant que ces tensions résultent aussi, en grande partie, de malentendus, issus sans doute des
interprétations divergentes entre les référentiels culturels et linguistiques sémites et grecs, sources de
nombreuses querelles qui pourraient peut-être se résoudre, si l’on prenait le temps et la peine d’acquérir les
outils permettant de comprendre l’Autre, sans projeter ses propres représentations sur lui.
Explorer donc les sources, comme le fait la Fondation Bodmer,
- d’un christianisme émergeant de la conjugaison entre la philosophie grecque et le judaïsme en terre
encore largement païenne, d’une part
- mais aussi d’un islam, émergeant quant à lui d’un contexte judéo-chrétien, fondé sur un Coran
s’inscrivant dans le prolongement, quant au fond, de l’Ancien et du Nouveau Testament, d’autre part,
pourrait contribuer à dénouer les nœuds résultant de représentations réciproques erronées, qui ont gravement
perturbé les processus de filiation entre les trois religions abrahamiques, sans les trancher brutalement, comme
le fit Alexandre en son temps, tranchant le nœud gordien ; Alexandre, le fondateur par ailleurs d’Alexandrie,
creuset des premières ré-flexions interculturelles, objet des futures manifestations de la Fondation Bodmer.
Un nœud en train de dangereusement se retendre actuellement, suite aux provocations des fanatiques de tous
bords, qui appellent en elles-mêmes attention et précaution, afin de savoir comment adéquatement résister aux
courants belliqueux que ces extrémistes tentent de susciter entre Chrétiens et Musulmans. Des tensions donc
latentes, résultant de visions du monde divergentes entre celles :
- d’un Proche-Orient en quête de sources culturelles et spirituelles fondant sa propre identité, ainsi que d’une
dignité recouvrée, suite aux humiliations d’un passé colonial ; en réaction par ailleurs face aux dérives
- d’un Occident ambivalent, terre certes de progrès scientifiques, technologiques, matériels inégalés et
enviables, terre par ailleurs de liberté et des « Droits de l’Homme », promouvant respect et épanouissement
de chaque personne, un épanouissement en train cependant de dériver vers un individualisme égocentrique,
dissolvant progressivement la trame sociale des relations humaines.
Processus accentué par un libéralisme débridé, axé sur une recherche obsessionnelle du profit, une
recherche émoussant quant à elle le sens moral de couches sociales de plus en plus larges, conduisant à
des excès, des abus et finalement des crises financières ébranlant l’ensemble du système économique
occidental, comme ne cessent de le dénoncer maints auteurs (tels entre beaucoup d’autres, un Georges
Corm, un Amin Maalouf, un Maurice Bellet, un Stéphane Hessel).
Un système fragilisé par ailleurs par l’émergence de nouvelles puissances aspirant au même niveau de
développement que l’Occident, alors que la conscience des désordres écologiques et de l’épuisement
prévisible des ressources naturelles, résultant de ce type de développement, devient de plus en plus aiguë…
Un tel contexte, remettant tant d’intérêts matériels supposément « acquis » ou « dus » et de modes de
fonctionnement habituels en cause est anxiogène et dangereux. Et l’épine que représente l’Etat d’Israël en
Palestine pour les pays arabes peut à tout instant faire exploser cette situation.
Comment tenter au moins de la dédramatiser ? Ne pourrait-on pas commencer par considérer qu’à l’instar des
rôles joués par le catholicisme en Pologne ou le protestantisme en RDA face au régime communiste, l’Islam
représente peut-être une forme d’étendard face au libéralisme occidental, permettant de proclamer l’identité des
pays arabes et de l’Iran, ainsi qu’une forme de rempart face aux dérives d’un Occident qui a perdu ses repères ?
Une perte expliquant d’ailleurs peut-être aussi la poussée des extrêmes droites européennes, en quête de
boucs émissaires et d’affrontements simplistes, focalisés sur la religion, terrain des plus glissant…
Les premiers à faire les frais de l’exacerbation de la situation sont les Chrétiens d’Orient, pourchassés des terres
irakiennes, égyptiennes, syriennes, qu’ils habitent depuis des siècles, dès avant l’apparition du christianisme et
bien avant celle de l’islam, en raison de connivences alléguées avec l’Occident. Tour à tour instrumentalisés,
mais surtout abandonnés, en fait, par ce dernier, les Chrétiens d’Orient, maillon sans défense, témoignent
cependant d’un courage étonnant et d’une foi vivante exemplaire au milieu de toutes les adversités qui les
accablent. Leur témoignage non seulement force l’admiration, mais mérite surtout écoute et attention.
Partageant en effet la langue et la culture de leurs compatriotes musulmans, ces Chrétiens sont à la jonction
sociétale et culturelle entre l’Orient et l’Occident. Ils sont également à la jonction historique entre d’une part le
judaïsme et le christianisme originel, d’avant sa récupération par les pouvoirs impériaux ou royaux du Sud-Est et
du Nord-Ouest de la Méditerranée - contre lesquels les prétendus « hérétiques » se sont rebellés en Orient
comme en Occident - ainsi qu’à la jonction d’autre part entre le christianisme et l’islam, celui-ci ayant jailli au sein
de celui-là, résurgence même, disent d’aucuns, de l’arianisme qui avait germé en terre orientale.
Ces Chrétiens apostoliques pourraient donc utilement compléter et rectifier la vision occidentale de l’Orient, de
l’islam et même du christianisme. Ils pourraient surtout l’éclairer d’un courant de spiritualité ravivé et renouvelé,
capable de guider l’Occident hors de ses ornières ; un courant d’où pourraient émerger de nouvelles relations
entre Occidentaux et Proches-Orientaux, évitant un affrontement meurtrier entre un christianisme désaffecté et
un islam exacerbé. Ils pourraient ainsi servir non plus de tête de pont, mais de passerelle entre Orient et
Occident…
Le mouvement Reconstruire Ensemble, animé et coordonné par le Père antonin Maroun Attalah, s’est déjà
attelé à la tâche. Il a pour objectif la reconstruction d’un vivre ensemble fondé sur des actions en faveur des
jeunes, du livre, de la découverte de l’Autre à travers des voyages. Ce mouvement s’inscrit dans la tradition des
cercles humanistes libanais, fondant leur « vivre ensemble » sur la culture, ainsi en particulier que sur le travail
historique, qui permet de prendre conscience des représentations à travers lesquelles l’Autre et soi-même se
voient. Une conscience indispensable pour pouvoir se libérer de l’effet de ces représentations, « détartrant »
ainsi les canaux mentaux à travers lesquels un courant spirituel peut alors mieux circuler et réunir.
Ancien directeur du Centre d’Etude et de Recherche Orientales, Maroun Attalah a également lancé un vaste
projet éditorial relatif au Patrimoine Oriental, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, mettant en lumière son apport à
la culture universelle. Ce projet éditorial pourrait utilement compléter les travaux entrepris par la Fondation
Bodmer sur les racines spirituelles de l’Europe, travaux qui se poursuivent donc actuellement avec l’exploration
d’Alexandrie. Ce projet éditorial est essentiel, car il permettrait d’affiner la vision de l’Occident sur l’Orient, ainsi
surtout que de restaurer l’estime et la fierté du Proche-Orient en lui-même, comme Amin Maalouf l’appelle de
ses vœux dans son livre Le dérèglement du monde.
Ce projet pourra-t-il trouver écho et soutiens en Suisse, pays européen sans passé colonial, terre pluriculturelle
de dialogue et de médiation, où souffle un esprit de liberté et de convivialité comparable, mutatis mutandis, à
celui qui anime encore le Liban ? Sera-t-il notamment possible de trouver un ou plusieurs cercles (entre l’Espace
Fusterie, la Librairie l‘Olivier, l’Université, la fondation Bodmer, le Centre Européen de la culture, le FSPI), où
organiser sa présentation, ainsi que quelques-unes des conférences suggérées dans les deux listes ci-jointes, à
l’occasion de l’exposition des trésors archéologiques du Liban, qui aura lieu du 30 novembre 2012 au 31 mars
2013 à Genève ? L’on pourrait aussi les organiser sous forme de séminaires (en marge par exemple du festival
Origen, organisé chaque été dans les Grisons, ou bien au sein de l’Abbaye de Saint-Maurice, fondée en l’an
515, sur le lieu hautement symbolique du martyr de Maurice et de ses légionnaires impériaux thébains
(égyptiens), décapités 2 siècles plus tôt, pour avoir refusé d’exécuter l’ordre de mâter les premiers Chrétiens
rebelles), afin de tenter de :
- dénouer les nœuds des malversations et malentendus passés, non pour détricoter l’histoire, mais pour
reconnaître les erreurs passées et pouvoir
- se dire réciproquement, sans jugement ni condamnation - à la manière de la « Commission Vérité et
Réconciliation » d’Afrique du Sud - simplement donc exprimer les souffrances endurées de toutes parts,
comme y invite Viviane Forrester et le font une Laurence Deonna, dans La guerre a deux voix, ou un
Giovanni Netzer - créateur du festival Origen, notamment dans sa pièce Samson, l’un des premiers
kamikazes de l’histoire littéraire – pour déblayer le terrain de rencontre de ses épines et cailloux
- apprendre à se regarder dans le miroir de l’Autre pour rectifier le cours des chemins empruntés, lorsque
ceux-ci mènent vers des précipices ou des affrontements
- développer un regard à l’oeil nu – dépouillé autant que possible des filtres déformant de ses propres
référentiels, au travers des confrontations constructives – ainsi qu’à cœur et esprit ouverts, permettant
de cultiver un vivre ensemble fondé sur la culture de la diversité humaine
Tel est l’espoir que l’auteur de ces lignes, représentante du mouvement Reconstruire Ensemble en Suisse,
caresse et s’emploie à réaliser, en commençant par les diffuser auprès de personnes susceptibles de s’engager
en faveur du Liban, des Chrétiens d’Orient, ainsi que de relations apaisées entre le christianisme et l’islam.
Marie-Laure Sturm 14.10.12
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