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Autoanticorps “anti-cerveau”
La recherche d’autoanticorps dans la schi-
zophrénie est inspirée par les anomalies
retrouvées dans les pathologies auto-
immunes. Dans ces dernières, il est fré-
quent de retrouver des anticorps spéci-
fiques d’organes (thyroïde dans la mala-
die de Basedow, muscle dans la myasthé-
nie, etc.), et non spécifiques d’organes
(DNA, tubuline, myosine...). Dans cet
esprit, plusieurs équipes tentent de recher-
cher des “anticorps anti-cerveau”, donc
“spécifiques d’organes”, dans la schizo-
phrénie.
En dehors des groupes de Heath et de
Teplitzki, aucune équipe ne met claire-
ment en évidence de différence entre
sujets sains et schizophrènes lorsque des
anticorps anti-tissu cérébral humain, anti-
membranes ou antilipides cérébraux sont
recherchés. La méthode utilisée (ELISA)
peut en grande partie expliquer de tels
résultats. L’homogénat d’une structure
cérébrale est un mélange d’antigènes du
soi composée de structures extra- et intra-
cellulaire (DNA, tubuline, dopamine etc.).
Cette méthode peu spécifique, lorsqu’elle
est utilisée qualitativement, ne fait que
retrouver dans le sérum des schizophrènes
et des sujets normaux des auto-anticorps
naturels.
En revanche, la méthode par Western-Blot
permet de mieux apprécier les différents
composés d’un homogénat selon leur
poids moléculaire. Le Western-Blot est
une méthode qui permet de fractionner
sur un gel les différents composés d’un
homogénat en fonction de leur vitesse de
migration, proportionnelle à leur poids
moléculaire. Sur le gel existe alors un éta-
lement des différentes fractions antigé-
niques selon leur taille. Lorsqu’un sérum
est déposé sur le gel, les anticorps
sériques vont se fixer sur les antigènes
contre lesquels ils sont dirigés. La bande
révélée par la suite correspond à un anti-
gène qui a un poids moléculaire connu et
contre lequel il existe des anticorps
sériques réactifs.
Une équipe retrouve, chez la moitié des
schizophrènes étudiés, des anticorps diri-
gés contre un antigène, retrouvé dans le
striatum, l’hippocampe et le cortex de rat,
de poids moléculaires précis (68 et 86
kD).
Autoanticorps naturels
Ces autoanticorps ont été étudiés sur le
plan qualitatif (présence versus absence)
vis-à-vis de plusieurs antigènes non spéci-
fiques d’organes : DNA, histones, agglu-
tinines froides, Heat-Shock Protein, pla-
quettes, cardiolipines, antigènes tissu-
laires. La présence de tels anticorps n’est
pas pathologique en soi, seule une quanti-
té anormalement élevée ou une affinité
accrue pour les antigènes du soi pourrait
avoir un sens pathologique.
– Une étude a mis en évidence, chez 44 %
de schizophrènes (n = 22) et 8 % des
témoins, par la technique du Western-
Blot, des anticorps sériques dirigés contre
une protéine de 60 kD. Après purification,
cette protéine se révèle être une Heat-
Shock Protein.
Rappelons que la Heat-Shock Protein est
une protéine mitochondriale qui existerait
à un taux élevé dans certains modèles ani-
maux de diabète insulino-dépendant et de
polyarthrite rhumatoïde.
– Une étude réalisée à l’Institut Pasteur
analyse, sur un plan quantitatif cette fois,
différents anticorps sériques chez les schi-
zophrènes comparativement à des sujets
normaux. Des autoanticorps réagissant
contre la dopamine et la sérotonine ont été
mis en évidence dans la population de
schizophrènes étudiée (n = 14) et chez
tous les sujets normaux (n = 10).
Dans une sous-population de patients
(non répondeurs au traitement neurolep-
tique), des taux d’anticorps significative-
ment plus bas contre le DNA, la dopami-
ne et la thyroglobuline ont été mis en évi-
dence, avant le début de traitement. Ainsi,
des taux plus bas de certains autoanti-
corps pourraient être un facteur prédictif
de non-réponse au traitement neurolep-
tique. Sur un plan plus global, on peut
avancer comme hypothèse qu’un certain
sous-groupe de schizophrènes se différen-
cierait par une régulation homéostatique
spécifique du système immunitaire, reflé-
tée par les autoanticorps naturels.
Conclusion non conclusive
Les résultats divergents au cours des dif-
férentes études envisagées dans cette
revue de la littérature peuvent s’expliquer
de différentes façons : hétérogénéité dia-
gnostique propre à la schizophrénie, mise
en place récente de critères diagnostiques,
variation et progrès constant des
méthodes de dosage immunologique.
Malgré tout, les modifications immunolo-
giques observées chez les patients schizo-
phrènes semblent refléter une certaine
spécificité de l’homéostasie du système
immunitaire, que l’on peut observer à tra-
vers ses différents constituants : lympho-
cytes, cytokines et autoanticorps naturels
en particulier.
L’étude des autoanticorps, reflet de l’acti-
vation du réseau idiotypique, montre des
modifications spécifiques, dans le sens
d’une augmentation ou d’une diminution
des taux chez les patients schizophrènes.
Cette activation de l’homéostasie du sys-
tème immunitaire doit être interprétée à la
lumière des connaissances à venir concer-
nant les interactions complexes avec le
système endocrinien et le système ner-
veux, que le fonctionnement psychique
soit normal ou pathologique.
Références
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