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Schizophrénie et
immunité
Dr P. Lévy-Soussan*
Les premiers travaux
démontrant une interac-
tion entre le système ner-
veux et le système immuni-
taire remontent à 1931
avec les recherches de
Métalnikov à l’Institut
Pasteur. Quarante ans plus
tard, des travaux similaires
sont effectués aux États-
Unis par Ader : la psycho-
neuro-immunologie est née.
À l’origine, la psychoneuro-immu-
nologie
Cette nouvelle discipline étudie les prin-
cipaux systèmes de l’organisme au
niveau de leurs interactions réciproques.
Le système immunitaire n’est plus ima-
giné seulement comme un système isolé,
autorégulé et chargé de la défense de
l’organisme contre des antigènes patho-
gènes, mais aussi comme un système en
interaction dynamique avec tous les
autres systèmes de l’organisme : endo-
crinien et neurologique en particulier.
Le terme de réseau illustre bien cette
notion : toute modification de l’un de ces
systèmes par des causes internes ou
externes à l’organisme aura nécessaire-
ment des conséquences sur les autres
systèmes et modifiera l’homéostasie glo-
bale du réseau.
Il est facile de concevoir qu’une pertur-
bation, physiologique ou non, de ce
réseau peut provoquer, en réponse, des
conséquences qui seront soit bénéfiques
pour le sujet, soit pathologiques. Les
pathologies auto-immunes illustrent bien
cette notion : l’homéostasie du système
immunitaire est modifiée dans le sens
d’un excès de production d’anticorps
dirigés contre le soi. À l’inverse, un
agent pathogène déclenche une réponse
immunologique bénéfique pour le sujet,
par la production d’anticorps réagissant
avec cet agent.
De l’interprétation des études en
neuropsycho-immunologie
L’interaction réciproque de ces systèmes
rend très difficile l’interprétation d’un
résultat dans une étude. Les modifica-
tions des paramètres immunologiques ne
représentent qu’un aspect des variations
d’un seul système du réseau.
De plus, les modifications observées ne
peuvent être interprétées d’une façon
univoque. En effet, un résultat significa-
tif pourrait être aussi bien interprété dans
le sens d’une causalité étiopathogénique,
ou encore être le reflet d’une dysrégula-
tion située dans un autre système.
De plus comme toujours en physiologie,
il convient de différencier structure et
fonction, messager et signal, dont l’iden-
tification par les chercheurs intervient
généralement à des temps différents.
Rappel des notions de base en
immunologie, le soi et le non-soi
Immunité non induite et induite
L’immunité non induite est une immuni-
té qui n’est pas déterminée par des anti-
gènes du non-soi. Elle ne nécessite pas
d’intervention antigénique antérieure
pour développer des anticorps. Ces anti-
corps préexistent à toute stimulation
antigénique apparente par le non-soi. De
tels anticorps sont appelés des autoanti-
corps naturels. Ils existent chez tout
individu normal. Rappelons que le soi
immunologique peut être défini norma-
lement par tout ce qui est exprimable
naturellement par les gènes de l’individu,
dès l’ontogenèse thymique.
L’une des principales propriétés des
autoanticorps naturels est d’être poly-
réactifs. En effet, ils peuvent aussi bien
réagir contre des antigènes du soi, sans
provoquer de pathologies auto-immunes,
que réagir avec des antigènes pathogènes
venant de l’extérieur.
De tels anticorps jouent un rôle essentiel
de régulation au sein du système immu-
nitaire par le maintien constant de son
homéostasie. Cette action régulatrice
s’effectue, par exemple, à travers les
multiples interactions anticorps-anti-
corps du réseau idiotypique.
L’immunité induite est déterminée par la
survenue d’un antigène exogène (non-
soi) qui déclenche, via des médiateurs
solubles, la production d’anticorps spéci-
fiques par les lymphocytes B. L’action
des anticorps est régulée par le réseau
idiotypique (interactions anticorps-anti-
corps) et leur production est contrôlée
par des lymphocytes Ts (suppressor)
eux-mêmes activés par l’antigène.
* SHU (Prs Loo et Olie), Hôpital Sainte-
Anne, Paris
Institut Pasteur, unité d’immunocytochimie
(Pr Avrameas), Paris
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Immunologie et psychiatrie
Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998
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En conclusion, une pathologie auto-
immune pourrait refléter :
une perturbation de la production des
anticorps en réponse à une stimulation par
un antigène (viral, médicamenteux etc.) ;
une perturbation intrinsèque de l’ho-
méostasie du système immunitaire, non
déclenchée par un antigène.
Schizophrénie et immunologie
Dans la schizophrénie, des modifications
significatives des variables immunolo-
giques ont été observées, comme les
cytokines (en particulier l’IL-2), les lym-
phocytes et les anticorps (en particulier
les autoanticorps naturels).
Il est impossible actuellement de définir
quelle est la part de l’immunité induite et
non induite dans les différents désordres
immunologiques observés.
Lymphocytes
Nombre absolu et pourcentage des lym-
phocytes
Une revue de la littérature des 10 der-
nières années permet de constater, sur la
majorité des études, l’absence de modifi-
cation du nombre absolu ou de pourcen-
tage de lymphocytes.
L’étude des sous-populations lymphocy-
taires T (CD4+, CD8+, CD3+) donne
des indices plus fiables de l’exploration
du système immunitaire que le nombre
absolu de lymphocytes T. Une seule
étude montre une augmentation de
CD4+ (lymphocytes helper) et des CD3+
(lymphocytes T et B), en fonction de la
gravité de l’atteinte clinique évaluée avec
une échelle psychiatrique.
Les tests de stimulation aux mitogènes
Les tests de stimulation aux mitogènes
permettent d’évaluer la réactivité de la
population lymphocytaire à des stimuli
non spécifiques. Rappelons que la PHA
(phytohémagglutinine) stimule une sous-
population de lymphocytes T, la Con A
(concanavaline A) stimule une sous-
population de lymphocytes T et B, le
PWM (pokeweed mitogen) stimule les
lymphocytes B. Habituellement, on note
une diminution de cette réactivité dans
les pathologies auto-immunes.
La majorité des études sont en faveur
d’une diminution de la réactivité chez
des sujets schizophrènes, comparés à des
témoins. Une étude serait en faveur
d’une plus grande sensibilité des lym-
phocytes T suppresseurs par rapport aux
lymphocytes T helpers. Une autre étude
montre une diminution de la réactivité
non seulement aux stimuli non spéci-
fiques (PHA) mais aussi à différents
antigènes spécifiques (tuberculine, her-
pès, cytomégalo virus).
Ganguli retrouve une normalisation de la
stimulation aux mitogènes lorsqu’il ajou-
te aux cultures lymphocytaires des anti-
gènes du lobe frontal d’un sujet normal.
Les neuroleptiques ne seraient pas impli-
qués dans les différentes anomalies
retrouvées aux tests de stimulation.
Hypersensibilité retardée
L’hypersensibilité retardée permet une
exploration dynamique des phénomènes
de mémoire dûs aux lymphocytes T
CD4+. L’hypersensibilité retardée explore
donc l’immunité cellulaire. Rappelons
que cette réaction suppose une rencontre
antérieure (sensibilisation) avec l’antigène
exploré.
Une seule étude trouve une augmentation
de la réponse cellulaire lors d’une injec-
tion de différents antigènes du cerveau, en
sous-cutané (S 100 protein, neuron speci-
fic enolase). Cette hyper-réactivité n’est
pas spécifique de la schizophrénie,
puisque l’auteur la retrouve chez des
sujets alcooliques, déments et déprimés.
Cytokines
Les cytokines (dont IL-1, IL-2, IL-6 et
interféron gamma ont été particulière-
ment étudiés dans la schizophrénie) sont
des médiateurs solubles généralement
capables d’activer la prolifération et la dif-
férenciation cellulaires. La diminution de
la production d’IL-2 se retrouve fréquem-
ment dans les pathologies auto-immunes.
La majorité des études observent une
diminution de la production d’IL-2 au
cours de la schizophrénie, comparative-
ment à des sujets témoins.
La première (6) démontre que la baisse
de la production d’IL-2 est secondaire à
une anomalie intrinsèque aux lympho-
cytes T, et non à une anomalie de la régu-
lation de la production d’IL-2. La régula-
tion extrinsèque ne serait donc pas en
cause.
Une autre étude retrouve une corrélation
entre la diminution de production d’IL-2
et l’augmentation des autoanticorps tissu-
laires dans une population de schizo-
phrènes comparativement à une popula-
tion de schizophrènes ne présentant pas
d’augmentation des autoanticorps et à des
témoins.
Pour l’auteur, ces résultats pourraient
refléter une certaine vulnérabilité aux
pathologies auto-immunes d’un sous-
groupe de patients schizophrènes.
En revanche, une mesure directe de l’IL-2
et de l’INF-gamma au niveau sérique ne
retrouve pas de différences significatives
entre schizophrènes et témoins. Cette
apparente contradiction avec les études
précédentes ne fait que souligner l’impor-
tance des différentes techniques immuno-
logiques pour mesurer un même para-
mètre : certaines équipes utilisent des
méthodes de production in vitro d’IL-2 ;
d’autres mesurent l’IL-2 in vivo au niveau
sérique.
L’étude des récepteurs solubles à l’IL-2
au cours de la schizophrénie tente de
retrouver des résultats identiques à ceux
observés dans les pathologies auto-
immunes : une augmentation du taux des
récepteurs solubles. En effet, cette aug-
mentation provoque une diminution de
l’IL-2 disponible pour activer les lympho-
cytes B.
Certaines études retrouvent une augmen-
tation de ces récepteurs au cours de la
schizophrénie, ce que d’autres auteurs ne
confirment pas.
– Les études concernant une autre cytoki-
ne, l’interféron gamma, apportent des
résultats encore moins concluants.
Anticorps
L’analyse des taux sériques d’immunoglo-
bulines totales IgG, IgM et IgA ne mon-
trent pas d’anomalies particulières chez
les schizophrènes.
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Autoanticorps “anti-cerveau”
La recherche d’autoanticorps dans la schi-
zophrénie est inspirée par les anomalies
retrouvées dans les pathologies auto-
immunes. Dans ces dernières, il est fré-
quent de retrouver des anticorps spéci-
fiques d’organes (thyroïde dans la mala-
die de Basedow, muscle dans la myasthé-
nie, etc.), et non spécifiques d’organes
(DNA, tubuline, myosine...). Dans cet
esprit, plusieurs équipes tentent de recher-
cher des “anticorps anti-cerveau”, donc
“spécifiques d’organes”, dans la schizo-
phrénie.
En dehors des groupes de Heath et de
Teplitzki, aucune équipe ne met claire-
ment en évidence de différence entre
sujets sains et schizophrènes lorsque des
anticorps anti-tissu cérébral humain, anti-
membranes ou antilipides cérébraux sont
recherchés. La méthode utilisée (ELISA)
peut en grande partie expliquer de tels
résultats. L’homogénat d’une structure
cérébrale est un mélange d’antigènes du
soi composée de structures extra- et intra-
cellulaire (DNA, tubuline, dopamine etc.).
Cette méthode peu spécifique, lorsqu’elle
est utilisée qualitativement, ne fait que
retrouver dans le sérum des schizophrènes
et des sujets normaux des auto-anticorps
naturels.
En revanche, la méthode par Western-Blot
permet de mieux apprécier les différents
composés d’un homogénat selon leur
poids moléculaire. Le Western-Blot est
une méthode qui permet de fractionner
sur un gel les différents composés d’un
homogénat en fonction de leur vitesse de
migration, proportionnelle à leur poids
moléculaire. Sur le gel existe alors un éta-
lement des différentes fractions antigé-
niques selon leur taille. Lorsqu’un sérum
est déposé sur le gel, les anticorps
sériques vont se fixer sur les antigènes
contre lesquels ils sont dirigés. La bande
révélée par la suite correspond à un anti-
gène qui a un poids moléculaire connu et
contre lequel il existe des anticorps
sériques réactifs.
Une équipe retrouve, chez la moitié des
schizophrènes étudiés, des anticorps diri-
gés contre un antigène, retrouvé dans le
striatum, l’hippocampe et le cortex de rat,
de poids moléculaires précis (68 et 86
kD).
Autoanticorps naturels
Ces autoanticorps ont été étudiés sur le
plan qualitatif (présence versus absence)
vis-à-vis de plusieurs antigènes non spéci-
fiques d’organes : DNA, histones, agglu-
tinines froides, Heat-Shock Protein, pla-
quettes, cardiolipines, antigènes tissu-
laires. La présence de tels anticorps n’est
pas pathologique en soi, seule une quanti-
té anormalement élevée ou une affinité
accrue pour les antigènes du soi pourrait
avoir un sens pathologique.
– Une étude a mis en évidence, chez 44 %
de schizophrènes (n = 22) et 8 % des
témoins, par la technique du Western-
Blot, des anticorps sériques dirigés contre
une protéine de 60 kD. Après purification,
cette protéine se révèle être une Heat-
Shock Protein.
Rappelons que la Heat-Shock Protein est
une protéine mitochondriale qui existerait
à un taux élevé dans certains modèles ani-
maux de diabète insulino-dépendant et de
polyarthrite rhumatoïde.
Une étude réalisée à l’Institut Pasteur
analyse, sur un plan quantitatif cette fois,
différents anticorps sériques chez les schi-
zophrènes comparativement à des sujets
normaux. Des autoanticorps réagissant
contre la dopamine et la sérotonine ont été
mis en évidence dans la population de
schizophrènes étudiée (n = 14) et chez
tous les sujets normaux (n = 10).
Dans une sous-population de patients
(non répondeurs au traitement neurolep-
tique), des taux d’anticorps significative-
ment plus bas contre le DNA, la dopami-
ne et la thyroglobuline ont été mis en évi-
dence, avant le début de traitement. Ainsi,
des taux plus bas de certains autoanti-
corps pourraient être un facteur prédictif
de non-réponse au traitement neurolep-
tique. Sur un plan plus global, on peut
avancer comme hypothèse qu’un certain
sous-groupe de schizophrènes se différen-
cierait par une régulation homéostatique
spécifique du système immunitaire, reflé-
tée par les autoanticorps naturels.
Conclusion non conclusive
Les résultats divergents au cours des dif-
férentes études envisagées dans cette
revue de la littérature peuvent s’expliquer
de différentes façons : hétérogénéité dia-
gnostique propre à la schizophrénie, mise
en place récente de critères diagnostiques,
variation et progrès constant des
méthodes de dosage immunologique.
Malgré tout, les modifications immunolo-
giques observées chez les patients schizo-
phrènes semblent refléter une certaine
spécificité de l’homéostasie du système
immunitaire, que l’on peut observer à tra-
vers ses différents constituants : lympho-
cytes, cytokines et autoanticorps naturels
en particulier.
L’étude des autoanticorps, reflet de l’acti-
vation du réseau idiotypique, montre des
modifications spécifiques, dans le sens
d’une augmentation ou d’une diminution
des taux chez les patients schizophrènes.
Cette activation de l’homéostasie du sys-
tème immunitaire doit être interprétée à la
lumière des connaissances à venir concer-
nant les interactions complexes avec le
système endocrinien et le système ner-
veux, que le fonctionnement psychique
soit normal ou pathologique.
Références
1) Ader R. : Psychoneuro-immunology. R. Ader
ed., Academic Press, New York 1981.
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“horror autotoxicus” to “gnothi seauton”.
Immunol. Tod., 1994, 12 : 154-9.
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immune neuroendocrine interactions. Clin. Exp.
Immunol., 1977, 27 : 1-12.
4) De Lisi L.E. : Neuroimmunology : clinical stu-
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ders. In : The neurology of schizophrenia. H.A
Nassralah, D.R. Weinberger ed., Elsevier Science
Publishers, Amsterdam 1986, 1 : 377-96.
5) Levy-Soussan P. et coll. : A preliminary pros-
pective study on natural autoantibodies. Biol.
Psychiatry, 1994, 35 :135-8.
6) Villemain F. et coll. : Aberrant T cell-mediated
immunity in untreated schizophrenic
patients : deficient interleukin-2 production.
Am. J. Psychiatry, 1989, 146 : 609-16.
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