JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3589 Schizophrénie et immunité Dr P. Lévy-Soussan* L es premiers travaux démontrant une interaction entre le système nerveux et le système immunitaire remontent à 1931 avec les recherches de Métalnikov à l’Institut Pasteur. Quarante ans plus tard, des travaux similaires sont effectués aux ÉtatsUnis par Ader : la psychoneuro-immunologie est née. À l’origine, la psychoneuro-immunologie Cette nouvelle discipline étudie les principaux systèmes de l’organisme au niveau de leurs interactions réciproques. Le système immunitaire n’est plus imaginé seulement comme un système isolé, autorégulé et chargé de la défense de l’organisme contre des antigènes pathogènes, mais aussi comme un système en interaction dynamique avec tous les autres systèmes de l’organisme : endocrinien et neurologique en particulier. Le terme de réseau illustre bien cette notion : toute modification de l’un de ces systèmes par des causes internes ou externes à l’organisme aura nécessairement des conséquences sur les autres systèmes et modifiera l’homéostasie globale du réseau. Il est facile de concevoir qu’une perturbation, physiologique ou non, de ce réseau peut provoquer, en réponse, des conséquences qui seront soit bénéfiques pour le sujet, soit pathologiques. Les pathologies auto-immunes illustrent bien cette notion : l’homéostasie du système immunitaire est modifiée dans le sens d’un excès de production d’anticorps dirigés contre le soi. À l’inverse, un agent pathogène déclenche une réponse immunologique bénéfique pour le sujet, par la production d’anticorps réagissant avec cet agent. De l’interprétation des études en neuropsycho-immunologie * SHU (Prs Loo et Olie), Hôpital SainteAnne, Paris Institut Pasteur, unité d’immunocytochimie (Pr Avrameas), Paris L’interaction réciproque de ces systèmes rend très difficile l’interprétation d’un résultat dans une étude. Les modifications des paramètres immunologiques ne représentent qu’un aspect des variations d’un seul système du réseau. De plus, les modifications observées ne peuvent être interprétées d’une façon univoque. En effet, un résultat significatif pourrait être aussi bien interprété dans le sens d’une causalité étiopathogénique, 3589 ou encore être le reflet d’une dysrégulation située dans un autre système. De plus comme toujours en physiologie, il convient de différencier structure et fonction, messager et signal, dont l’identification par les chercheurs intervient généralement à des temps différents. Rappel des notions de base en immunologie, le soi et le non-soi Immunité non induite et induite L’immunité non induite est une immunité qui n’est pas déterminée par des antigènes du non-soi. Elle ne nécessite pas d’intervention antigénique antérieure pour développer des anticorps. Ces anticorps préexistent à toute stimulation antigénique apparente par le non-soi. De tels anticorps sont appelés des autoanticorps naturels. Ils existent chez tout individu normal. Rappelons que le soi immunologique peut être défini normalement par tout ce qui est exprimable naturellement par les gènes de l’individu, dès l’ontogenèse thymique. L’une des principales propriétés des autoanticorps naturels est d’être polyréactifs. En effet, ils peuvent aussi bien réagir contre des antigènes du soi, sans provoquer de pathologies auto-immunes, que réagir avec des antigènes pathogènes venant de l’extérieur. De tels anticorps jouent un rôle essentiel de régulation au sein du système immunitaire par le maintien constant de son homéostasie. Cette action régulatrice s’effectue, par exemple, à travers les multiples interactions anticorps-anticorps du réseau idiotypique. L’immunité induite est déterminée par la survenue d’un antigène exogène (nonsoi) qui déclenche, via des médiateurs solubles, la production d’anticorps spécifiques par les lymphocytes B. L’action des anticorps est régulée par le réseau idiotypique (interactions anticorps-anticorps) et leur production est contrôlée par des lymphocytes Ts (suppressor) eux-mêmes activés par l’antigène. JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3590 Immunologie et psychiatrie En conclusion, une pathologie autoimmune pourrait refléter : – une perturbation de la production des anticorps en réponse à une stimulation par un antigène (viral, médicamenteux etc.) ; – une perturbation intrinsèque de l’homéostasie du système immunitaire, non déclenchée par un antigène. Schizophrénie et immunologie Dans la schizophrénie, des modifications significatives des variables immunologiques ont été observées, comme les cytokines (en particulier l’IL-2), les lymphocytes et les anticorps (en particulier les autoanticorps naturels). Il est impossible actuellement de définir quelle est la part de l’immunité induite et non induite dans les différents désordres immunologiques observés. Lymphocytes Nombre absolu et pourcentage des lymphocytes Une revue de la littérature des 10 dernières années permet de constater, sur la majorité des études, l’absence de modification du nombre absolu ou de pourcentage de lymphocytes. L’étude des sous-populations lymphocytaires T (CD4+, CD8+, CD3+) donne des indices plus fiables de l’exploration du système immunitaire que le nombre absolu de lymphocytes T. Une seule étude montre une augmentation de CD4+ (lymphocytes helper) et des CD3+ (lymphocytes T et B), en fonction de la gravité de l’atteinte clinique évaluée avec une échelle psychiatrique. Les tests de stimulation aux mitogènes Les tests de stimulation aux mitogènes permettent d’évaluer la réactivité de la population lymphocytaire à des stimuli non spécifiques. Rappelons que la PHA (phytohémagglutinine) stimule une souspopulation de lymphocytes T, la Con A (concanavaline A) stimule une souspopulation de lymphocytes T et B, le PWM (pokeweed mitogen) stimule les lymphocytes B. Habituellement, on note une diminution de cette réactivité dans les pathologies auto-immunes. La majorité des études sont en faveur d’une diminution de la réactivité chez des sujets schizophrènes, comparés à des témoins. Une étude serait en faveur d’une plus grande sensibilité des lymphocytes T suppresseurs par rapport aux lymphocytes T helpers. Une autre étude montre une diminution de la réactivité non seulement aux stimuli non spécifiques (PHA) mais aussi à différents antigènes spécifiques (tuberculine, herpès, cytomégalo virus). Ganguli retrouve une normalisation de la stimulation aux mitogènes lorsqu’il ajoute aux cultures lymphocytaires des antigènes du lobe frontal d’un sujet normal. Les neuroleptiques ne seraient pas impliqués dans les différentes anomalies retrouvées aux tests de stimulation. Hypersensibilité retardée L’hypersensibilité retardée permet une exploration dynamique des phénomènes de mémoire dûs aux lymphocytes T CD4+. L’hypersensibilité retardée explore donc l’immunité cellulaire. Rappelons que cette réaction suppose une rencontre antérieure (sensibilisation) avec l’antigène exploré. Une seule étude trouve une augmentation de la réponse cellulaire lors d’une injection de différents antigènes du cerveau, en sous-cutané (S 100 protein, neuron specific enolase). Cette hyper-réactivité n’est pas spécifique de la schizophrénie, puisque l’auteur la retrouve chez des sujets alcooliques, déments et déprimés. Cytokines – Les cytokines (dont IL-1, IL-2, IL-6 et interféron gamma ont été particulièrement étudiés dans la schizophrénie) sont des médiateurs solubles généralement capables d’activer la prolifération et la différenciation cellulaires. La diminution de la production d’IL-2 se retrouve fréquemment dans les pathologies auto-immunes. La majorité des études observent une diminution de la production d’IL-2 au cours de la schizophrénie, comparativement à des sujets témoins. – La première (6) démontre que la baisse Act. Méd. Int. - Psychiatrie (15), n° 206, janvier 1998 3590 de la production d’IL-2 est secondaire à une anomalie intrinsèque aux lymphocytes T, et non à une anomalie de la régulation de la production d’IL-2. La régulation extrinsèque ne serait donc pas en cause. – Une autre étude retrouve une corrélation entre la diminution de production d’IL-2 et l’augmentation des autoanticorps tissulaires dans une population de schizophrènes comparativement à une population de schizophrènes ne présentant pas d’augmentation des autoanticorps et à des témoins. Pour l’auteur, ces résultats pourraient refléter une certaine vulnérabilité aux pathologies auto-immunes d’un sousgroupe de patients schizophrènes. En revanche, une mesure directe de l’IL-2 et de l’INF-gamma au niveau sérique ne retrouve pas de différences significatives entre schizophrènes et témoins. Cette apparente contradiction avec les études précédentes ne fait que souligner l’importance des différentes techniques immunologiques pour mesurer un même paramètre : certaines équipes utilisent des méthodes de production in vitro d’IL-2 ; d’autres mesurent l’IL-2 in vivo au niveau sérique. – L’étude des récepteurs solubles à l’IL-2 au cours de la schizophrénie tente de retrouver des résultats identiques à ceux observés dans les pathologies autoimmunes : une augmentation du taux des récepteurs solubles. En effet, cette augmentation provoque une diminution de l’IL-2 disponible pour activer les lymphocytes B. Certaines études retrouvent une augmentation de ces récepteurs au cours de la schizophrénie, ce que d’autres auteurs ne confirment pas. – Les études concernant une autre cytokine, l’interféron gamma, apportent des résultats encore moins concluants. Anticorps L’analyse des taux sériques d’immunoglobulines totales IgG, IgM et IgA ne montrent pas d’anomalies particulières chez les schizophrènes. JANV 98 MEP 27/04/04 14:07 Page 3591 Autoanticorps “anti-cerveau” La recherche d’autoanticorps dans la schizophrénie est inspirée par les anomalies retrouvées dans les pathologies autoimmunes. Dans ces dernières, il est fréquent de retrouver des anticorps spécifiques d’organes (thyroïde dans la maladie de Basedow, muscle dans la myasthénie, etc.), et non spécifiques d’organes (DNA, tubuline, myosine...). Dans cet esprit, plusieurs équipes tentent de rechercher des “anticorps anti-cerveau”, donc “spécifiques d’organes”, dans la schizophrénie. En dehors des groupes de Heath et de Teplitzki, aucune équipe ne met clairement en évidence de différence entre sujets sains et schizophrènes lorsque des anticorps anti-tissu cérébral humain, antimembranes ou antilipides cérébraux sont recherchés. La méthode utilisée (ELISA) peut en grande partie expliquer de tels résultats. L’homogénat d’une structure cérébrale est un mélange d’antigènes du soi composée de structures extra- et intracellulaire (DNA, tubuline, dopamine etc.). Cette méthode peu spécifique, lorsqu’elle est utilisée qualitativement, ne fait que retrouver dans le sérum des schizophrènes et des sujets normaux des auto-anticorps naturels. En revanche, la méthode par Western-Blot permet de mieux apprécier les différents composés d’un homogénat selon leur poids moléculaire. Le Western-Blot est une méthode qui permet de fractionner sur un gel les différents composés d’un homogénat en fonction de leur vitesse de migration, proportionnelle à leur poids moléculaire. Sur le gel existe alors un étalement des différentes fractions antigéniques selon leur taille. Lorsqu’un sérum est déposé sur le gel, les anticorps sériques vont se fixer sur les antigènes contre lesquels ils sont dirigés. La bande révélée par la suite correspond à un antigène qui a un poids moléculaire connu et contre lequel il existe des anticorps sériques réactifs. Une équipe retrouve, chez la moitié des schizophrènes étudiés, des anticorps dirigés contre un antigène, retrouvé dans le striatum, l’hippocampe et le cortex de rat, de poids moléculaires précis (68 et 86 kD). Autoanticorps naturels Ces autoanticorps ont été étudiés sur le plan qualitatif (présence versus absence) vis-à-vis de plusieurs antigènes non spécifiques d’organes : DNA, histones, agglutinines froides, Heat-Shock Protein, plaquettes, cardiolipines, antigènes tissulaires. La présence de tels anticorps n’est pas pathologique en soi, seule une quantité anormalement élevée ou une affinité accrue pour les antigènes du soi pourrait avoir un sens pathologique. – Une étude a mis en évidence, chez 44 % de schizophrènes (n = 22) et 8 % des témoins, par la technique du WesternBlot, des anticorps sériques dirigés contre une protéine de 60 kD. Après purification, cette protéine se révèle être une HeatShock Protein. Rappelons que la Heat-Shock Protein est une protéine mitochondriale qui existerait à un taux élevé dans certains modèles animaux de diabète insulino-dépendant et de polyarthrite rhumatoïde. – Une étude réalisée à l’Institut Pasteur analyse, sur un plan quantitatif cette fois, différents anticorps sériques chez les schizophrènes comparativement à des sujets normaux. Des autoanticorps réagissant contre la dopamine et la sérotonine ont été mis en évidence dans la population de schizophrènes étudiée (n = 14) et chez tous les sujets normaux (n = 10). Dans une sous-population de patients (non répondeurs au traitement neuroleptique), des taux d’anticorps significativement plus bas contre le DNA, la dopamine et la thyroglobuline ont été mis en évidence, avant le début de traitement. Ainsi, des taux plus bas de certains autoanticorps pourraient être un facteur prédictif de non-réponse au traitement neuroleptique. Sur un plan plus global, on peut avancer comme hypothèse qu’un certain sous-groupe de schizophrènes se différencierait par une régulation homéostatique spécifique du système immunitaire, reflétée par les autoanticorps naturels. 3591 Conclusion non conclusive Les résultats divergents au cours des différentes études envisagées dans cette revue de la littérature peuvent s’expliquer de différentes façons : hétérogénéité diagnostique propre à la schizophrénie, mise en place récente de critères diagnostiques, variation et progrès constant des méthodes de dosage immunologique. Malgré tout, les modifications immunologiques observées chez les patients schizophrènes semblent refléter une certaine spécificité de l’homéostasie du système immunitaire, que l’on peut observer à travers ses différents constituants : lymphocytes, cytokines et autoanticorps naturels en particulier. L’étude des autoanticorps, reflet de l’activation du réseau idiotypique, montre des modifications spécifiques, dans le sens d’une augmentation ou d’une diminution des taux chez les patients schizophrènes. Cette activation de l’homéostasie du système immunitaire doit être interprétée à la lumière des connaissances à venir concernant les interactions complexes avec le système endocrinien et le système nerveux, que le fonctionnement psychique soit normal ou pathologique. Références 1) Ader R. : Psychoneuro-immunology. R. Ader ed., Academic Press, New York 1981. 2) Avrameas S. : Natural autoantibodies : from “horror autotoxicus” to “gnothi seauton”. Immunol. Tod., 1994, 12 : 154-9. 3) Besedowsky H., Sorkin E. : Network of the immune neuroendocrine interactions. Clin. Exp. Immunol., 1977, 27 : 1-12. 4) De Lisi L.E. : Neuroimmunology : clinical studies of schizophrenia and other psychiatric disorders. In : The neurology of schizophrenia. H.A Nassralah, D.R. Weinberger ed., Elsevier Science Publishers, Amsterdam 1986, 1 : 377-96. 5) Levy-Soussan P. et coll. : A preliminary prospective study on natural autoantibodies. Biol. Psychiatry, 1994, 35 :135-8. 6) Villemain F. et coll. : Aberrant T cell-mediated immunity in untreated schizophrenic patients : deficient interleukin-2 production. Am. J. Psychiatry, 1989, 146 : 609-16.