Syndromes douloureux posturaux et auriculothérapie Y. Meas (Tchang Chi Cheng) Pour effectuer un mouvement, aussi simple soit-il, nous n’utilisons pas qu’un seul muscle mais un groupe de muscles intégrés dans une chaîne musculaire synergique. Sur le plan neurophysiologique, la contraction d’un muscle est complexe et s’accompagne de commande sur les groupes musculaires en amont et en aval, mais également sur les muscles antagonistes. Comme propose Pierre Rabischong, la commande cérébrale n’est pas simplement une action d’un groupe musculaire mais aussi une commande d’une fonction et les muscles agonistes et antagonistes fonctionnent en synergie (remplaçant la notion de chaînes musculaires). Le mouvement s’intègre dans un système posturologique dans le mouvement de la vie. La posturologie est l’étude des mouvements d’un sujet dans l’espace, des processus de régulation lui permettant de contrôler, dans un environnement donné, la station debout, la marche, voire l’ensemble de ses activités quotidiennes. L’homme et son évolution Au cours de son évolution phylogénique et ontogénique, l’homme est passé de la position quadripède à la station bipède en réalisant un redressement, une inversion des courbures du rachis cervical, dorsal et lombaire, nécessitant un apprentissage de la station verticale, une optimisation du répertoire moteur et des différentes tactiques de régulation qui seront matures vers l’âge de 12 ans. La posture est sous-tendue par deux systèmes de fonctionnement. Un système antigravitationnel Il permet de « repousser » le sol (rôle majeur du réflexe tonique postural) et de se maintenir debout. Cette lutte contre la gravité est assurée par : le squelette osseux, les fascias, la musculature posturale des paravertébraux (surtout les transversaires épineux). Son fonctionnement met en jeu : la proprioception fine, la vigilance tonique, nécessite une liberté des mouvements de l’axe et des appuis. 226 Auriculothérapie Un système d’autoagrandissement C’est une véritable dynamique de la posture debout permettant « l’allongement » de la colonne vertébrale (notion de chaînes musculaires). Le maintien de la position verticale chez l’homme est fragile, expliquant les fréquentes dysfonctions favorisées par des mécanismes d’évitement, d’adaptation à une nociception. Chacun a sa propre signature posturale. Le système postural Sujet normal Chez le sujet normal, le système postural est d’une extrême finesse, la surface au sol de la projection du centre de gravité décrite par un sujet en posture dite statique ne dépasse pas 200 mm2, ce qui revient à dire qu’un sujet immobile se comporte comme un pendule inversé oscillant autour d’un axe de 4° (au cours d’un examen de 1 min, le sujet étant concentré sur le maintien de la station érigée immobile) (fig. 1). Pour maintenir une posture, nous faisons appel à un système complexe mettant en jeu des capteurs d’informations : (peau, muscles, articulations, œil, pied, appareil manducateur, système vestibulaire et labyrinthique, etc.). Ces informations sont transmises, décodées au niveau de centres neurologiques pour informer les effecteurs. Le principal est l’entrée oculaire car la vision permet la reconnaissance, l’intégration visuospatiale et, via la mémoire de travail et la cognition, une adaptation appropriée peut se faire. Cette régulation est en grande partie automatique, soutenue par notre cerveau primitif (système limbique). C’est une organisation complexe à multiples entrées et multiples réponses, multiplexée et multimodale. Dans le contrôle du maintien d’une position L’activité posturale est gouvernée par le système extrapyramidal (régissant au niveau musculaire principalement les extenseurs) par les voies réflexes mettant en jeu le réflexe myotatique. On notera le rôle des émotions, de l’éveil qui est important. La coordination avec la motricité volontaire qui se fait grâce au cervelet. Cette activité posturale est un carrefour entre : – les voies motrices ; – les voies intéroceptives : la proprioception dans son ensemble (voûte plantaire, cou), labyrinthiques (oreille interne) avec « réflexe tonique labyrinthique » ; Syndromes douloureux posturaux et auriculothérapie Fig. 1 - L’équilibre correspond à la projection du centre de gravité dans le polygone de sustentation. 227 228 Auriculothérapie – les voies sensorielles (extéroception) : l’audition, la vision (capteur majeur dans l’équilibration et le maintien de la posture). L’étude de l’ensemble de ces systèmes : capteurs, système nerveux central, effecteurs, etc. (fig. 2) nous permet de réaliser une prise en charge thérapeutique adaptée avec un résultat plus durable dans le temps. C’est un véritable jeu de piste ! Fig. 2 - Schéma cybernétique de la régulation posturale. L’équilibre postural Nous ne parlerons pas de posture normale ou de posture pathologique, nous définirons un équilibre postural idéal de référence et des déséquilibres posturaux. Sans syndrome douloureux, nous ne traiterons pas systématiquement un déséquilibre postural. Syndromes douloureux posturaux et auriculothérapie 229 L’auriculothérapeute va trouver toutes les raisons pour s’impliquer dans cette discipline de posturologie et/ou dans la médecine manuelle-ostéopathie. De la neurophysiologie, de la douleur, de la cognition et l’intégration, des obstacles tant mécaniques et cicatriciels, que des raisons pour mettre à profit son expertise diagnostique et thérapeutique. Le diagnostic d’anomalies posturales nécessite un recours à une posture de référence, l’alignement idéal doit être fondé sur des principes scientifiques cohérents, il s’agit d’une posture nécessitant le moins d’effort et de contrainte possible favorisant une efficacité corporelle maximale. La ligne de référence est matérialisée avec un fil à plomb, ce qui nous permet de prendre des repères bien précis (fig. 3). De profil, passage de l’axe vertical par : le vertex, l’apophyse odontoïde de l’axis, le corps vertébral de L3, l’aplomb de l’articulation calcanéo-cuboïdienne. Calcul des flèches : occipitale 0 à 2 cm, cervicale 4 à 6 cm (C3), dorsale 0 cm (T7), lombaire 4 cm (L3), sacré 0 cm (S1). De face et de dos : observation des lignes horizontales, statique des ceintures scapulaire et pelvienne, équilibre de la tête, équilibre des membres inférieurs. Horizontale : orientation des ceintures scapulaire et pelvienne. Différents déséquilibres posturaux Nous pouvons maintenant définir plusieurs types de déséquilibres posturaux. Les postures racontent l’histoire des individus. Liées de façon étroite à la morphologie, à l’héritage corporel (intégration gestuelle et posturale par mimétisme), aux activités sportives et professionnelles antérieures aux comportements, à l’histoire psychoaffective. Les tendances posturales individuelles se traduisent dans et par « l’équilibre », très personnel, des tonicités des différents muscles qui déterminent l’attitude de base de chacun. Ses conséquences Le déséquilibre postural peut engendrer des contraintes articulaires, des souffrances et une usure des cartilages, des douleurs du dos et des articulations, des tensions musculaires, souffrances tendineuses, des claquages, des tendinites, un mauvais rendement sportif, une asthénie, une tendance dépressive réactionnelle par la perte progressive d’autonomie, etc. Les points d’adaptation en auriculothérapie sont primordiaux, tout comme le traitement des cicatrices et des autres obstacles. 230 Auriculothérapie Fig. 3 - Références posturales. Syndromes douloureux posturaux et auriculothérapie 231 Approche diagnostique Pour aboutir à un diagnostic final de trouble postural, le patient doit réaliser un bilan de tous les capteurs intervenant dans le mode de régulation, d’où l’avantage d’avoir à sa disposition un plateau technique permettant de réunir dans une même unité de temps et de lieu tous les acteurs du bilan postural : médecin, ostéopathe, podologue, orthoptiste, dentiste. Nous pouvons explorer par différents tests spécifiques tous les capteurs et dépister les informations perturbatrices du système de régulation (fig. 4). Une synthèse avec une conduite à tenir peut alors être proposée au patient. Toute agression est automatiquement compensée par des mécanismes destinés à limiter voire supprimer cette agression. Tout traitement d’une lésion doit remonter des symptômes à la cause (où aux causes) et le traitement de ces causes se fera avec des ordres de priorité. Au final, le traitement doit être le plus global possible, une approche multidisciplinaire et interactive est souvent indispensable. Fig. 4 - Stratégie posturale. 232 Auriculothérapie L’apport de l’auriculothérapie et auriculomédecine dans le diagnostic des lésions primaires et secondaires est un aspect intéressant pour trouver solutions dans les cas complexes. Les auriculothérapeutes experts dans cette discipline de posturologie comme Bernard Bricot, Michel Marignan, Yunnat et Yunsan Meas et Georges Willem vous confirmeront toute l’importance de l’auriculothérapie dans cette prise en charge globale. Observation clinique M.C. âgée de 50 ans, laborantine, au chômage depuis 4 ans. Depuis 10 ans, elle présente des douleurs progressivement invalidantes du rachis cervico-dorso-lombaire avec de fréquentes céphalées fronto-occipitales en casque et multiplie les arrêts de travail jusqu’à la perte de son emploi. Les bilans radiologiques et biologiques sont dans les limites de la normale. Sans diagnostic précis, la prise en charge réalisée (avant notre prise en charge) associait une semelle orthopédique de compensation pour « une jambe courte », des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), des antalgiques de palier I (paracétamol 1 g) à la demande, un corset en coutil, un antidépresseur (paroxétine) pour un syndrome anxio-dépressif réactionnel, etc. Sans résultats probants, la patiente limite de plus en plus son activité quotidienne (ne sort plus promener son chien, réduit au strict minimum ses courses et son ménage) et commence son syndrome de déconditionnement. Notre bilan posturologique et ostéopathique a permis de mettre en évidence (après avoir réalisé un examen clinique médical complet éliminant une pathologie organique) : une dysfonction de son système de régulation posturale. L’analyse de la silhouette montre un port de tête penchée sur le côté droit. La verticale de Barré nous oriente vers une pathologie descendante. Le test de Fukuda (test de piétinement) révèle une hypertonie gauche, confirmée par les différents tests posturologiques (tests des pouces montants ou tests de Bassani ou tests de Piedallu). L’examen global ostéopathique montre une fausse jambe courte par contracture du carré des lombes homolatéral (rentrant dans le cadre des contractures des chaînes musculaires adaptatives). Le bilan podologique est normal. Le bilan orthoptique révèle un trouble de la convergence important associé à une exophorie. Stratégie thérapeutique proposée Temps d’évaluation : – de sa douleur par l’échelle visuelle analogique (dans ce cas, elle était cotée à 7 sur 10) ; – de son incapacité par échelle d’Eifel quantifiant l’importance de l’impact fonctionnel et estimé à 8 sur 10 car considérée comme invalidante ; Syndromes douloureux posturaux et auriculothérapie 233 – de ses céphalées qui s’avèrent être une réelle céphalée de tension liée à la tension occipitale et du complexe de la ceinture scapulaire, car la verticale de Barré confirme la pathologie descendante ; – de son traitement médicamenteux qui montre une patiente peu compliante et aussi un traitement antalgique mal adapté ; – en auriculothérapie, on retrouve les problèmes de cicatrices dentaires et répercussion et fuites d’énergie accompagnée de tension des trapèzes et blocage de la 1re côte gauche. En auriculomédecine, on confirme également que la lésion primitive est cervicale, mais de plus, on retrouve des pathologies psychologiques lié à un vécu difficile de femme divorcée ayant élevé seule ses enfants et ayant subi des sévices par son père. Temps thérapeutique La conduite à tenir proposée par l’équipe a consisté : – à supprimer la semelle de compensation ; – à délivrer un traitement global ostéopathique libérant toutes les chaînes musculaires, en faisant en complément des techniques myotensives de son carré des lombes ; – un programme de réadaptation à l’effort ; – une rééducation orthoptique à poursuivre ; – en auriculothérapie : un traitement des cicatrices dentaires, déblocage 1re côte, puncture PCS homolatéral, point d’adaptation (épiphyse 1 retrouvé) en lui redemandant de réétayer par poursuites de séances d’auriculothérapie pour débloquer les « cicatrices psychoaffectives » et de pourvoir l’aider à gérer sa reprise et son reconditionnement à l’effort (fig. 5). Fig. 5 - Traitement auriculaire chez une personne présentant des douleurs invalidantes du rachis cervico-dorsolombaire. 234 Auriculothérapie En quelques séances, on constate une reprise d’activités quotidiennes abandonnées, une reprise de loisirs (vélo, marche), une diminution des prises médicamenteuses et du port du corset, etc. Références 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. Chantepie A, Perot JF, Toussirot P (2005) Concept ostéopathique de la posture. Maloine, Toulouse Bricot B (2000) La reprogrammation posturale globale. Sauramps Médical, Montpellier Brissot R (2005-2006) Cours DIU de posturologie clinique. Faculté de médecine de Rennes 1 Castaigne A, Lejonc JL, Schaeffer A (1981) Sémiologie médicale (initiation à la physiopathologie). Sandoz Éditions, Rueil-Malmaison Croibier A (2005) Diagnostic ostéopathique général. Elsevier, Paris Gagey PM, Weber B (2005) Posturologie – Régulation et dérèglements de la station debout. 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