période marquée par le culte du corps et la starification des sportifs, il incarnait à ce moment précis
la beauté d’un grand homme, et aussi sa fragilité. C’est une image qui m’a beaucoup marqué.
De qui est votre parole sur scène finalement? Celle du comédien, de l’auteur, du boxeur ? On peut
parler d’un même combat ?
C’est là tout l’exercice, complexe, de cette pièce. Je pense qu’un auteur écrit toujours pour lui-
même. Même s’il écrit pour moi je sais qu’il écrit son histoire. Dieudonné Niangouna est l’un des
auteurs africains les plus brillants de sa génération. Sa langue est flamboyante, féroce. Il a vécu la
guerre, échappé aux milices, et il investit le théâtre comme un espace de résistance. Je me saisis
donc de la parole de cet auteur. On porte également la parole de Mohamed Ali puisque, dans cette
pièce, on rappelle sa vie, son combat. Ce combat c’est aussi le mien car sur le plateau c’est mon
corps, mon âme, ma vie. J’essaye, à juste distance, d’être respectueux de la parole de Dieudonné
Niangouna l’auteur, de porter le rêve de Mohamed Ali, et d’y introduire mon propre rêve aujourd’hui
afin de le partager avec le public. La construction de la pièce part de cette triple parole, qui s’ancre
dans cette belle allégorie qu’est le ring. C’est de la boxe donc on reçoit des coups, et on en donne.
Mais on crée aussi un espace de discussion avec le public qui est venu regarder.
À l’issue de ses combats, ce n’était pas Mohamed Ali qui gagnait en tant qu’homme, c’était le rêve
qu’il portait. C’est pour cette raison qu’il a battu des adversaires techniquement plus doués.
Foreman, Frazier étaient des machines à tuer, mais Ali gagne par l’intelligence, et parce qu’il il ne
monte pas seul sur le ring : il y monte porté par tout un peuple. Pour moi c’est très fort. Quand je
monte personnellement sur le ring, je ne monte pas seul. Je monte avec Dieudonné Niangouna, je
monte avec Mohamed Ali, et je monte avec un peuple. Je monte avec tous ceux qui aujourd’hui au
bord de la route, au bord du chemin, cherchent leur manière d’appartenir au monde.
Comment la pièce a-t-elle été reçue jusqu’à présent ?
Beaucoup de gens viennent car la figure de Mohamed Ali les appelle, et qu’ils ont envie de revivre
ses combats. La première réaction est souvent la surprise car ce qui est proposé ne correspond pas
forcément à ce qu’ils attendaient de la pièce. Ensuite, en Afrique, il y a une identification rapide à la
figure et aux idées qui sont présentées à travers la pièce. À Avignon et en Suisse, on perçoit un
certain malaise, mais dans le bon sens : c’est un vrai combat, on reçoit des coups, et il y en a qui
résistent, qu’il faut travailler aux poings là où certains sont K.O. au 3ème round. Sur d’autres il faut
revenir, remettre le combat en quelque sorte.
J’expérimente cette diversité dans le rapport à la pièce, mais au fur et à mesure que je joue, une
chose apparait, limpide : le théâtre a besoin d’habiter cet espace de partage et de discussion. On
vient au théâtre pour prendre du plaisir bien sûr, mais également pour confronter ses idées à
d’autres idées. Et il ne faut pas avoir peur d’y aller franchement. La bataille des idées doit avoir lieu,
et quand elle a lieu, quelle que soit sa férocité, un dialogue s’instaure. Cela engendre généralement
des discussions supplémentaires une fois la pièce terminée. Pour certains, c’est déstabilisant, là où
d’autres estiment qu’il est vivifiant de revenir sur l’histoire. Car les comptes ne sont pas soldés. On a
tendance à le croire, mais c’est faux, et il est important de pouvoir remettre les choses en question
pour avancer vers ce que j’appelle, peut-être naïvement, une forme de fraternité universelle.