La sclérose en plaque de l enfant

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La sclérose en plaques de l’enfant
● Y. Mikaeloff* et le groupe KIDMUS d’étude de la sclérose en plaques à début infantile
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■ La prévalence des SEP débutant avant 16 ans est estimée entre 1,8 et 4,4 % de l’ensemble des cas de SEP.
■ L’âge moyen du premier événement neurologique est
de 13 ans ; un début avant 10 ans est rare.
■ L’atteinte du tronc cérébral et les troubles de la
conscience (formes “encéphalitiques”) sont plus fréquents
initialement que chez l’adulte.
■ Il y a plus de problèmes de diagnostics différentiels
devant une première atteinte aiguë démyélinisante chez
l’enfant que chez l’adulte.
■ Chez l’enfant, la SEP est moins fréquente que les encéphalomyélites aiguës disséminées.
■ Les anomalies IRM ne permettent pas de prédire l’évolution vers une SEP.
■ Les formes rémittentes sont le plus nombreuses chez
l’enfant.
■ Le traitement est principalement symptomatique, fondé
sur les corticoïdes lors des poussées. Il y a peu d’évaluation des traitements de fond spécifiques. L’interféron ß
semble bien toléré.
a SEP de l’enfant (début avant 16 ans) a ses particularités. Un débat a eu lieu sur son existence même dans
cette tranche d’âge, mais l’étude détaillée des cas a
permis de confirmer que d’authentiques SEP pouvaient débuter
avant 10 ans, avec une dissémination temporelle et spatiale
donnant une certitude selon les critères de Poser (1). Bien que
rare, la SEP de l’enfant pose des problèmes spécifiques de diagnostic et de prise en charge. L’organisation d’un réseau
d’étude et de prise en charge de ces patients, incluant les
pédiatres et les neurologues d’enfants et d’adultes, nous paraît
fondamentale pour avancer dans ce domaine.
L
PATHOGÉNIE ET ÉPIDÉMIOLOGIE
La plupart des études publiées sur la SEP de l’enfant sont
rétrospectives. Un début de SEP avant 16 ans est trouvé pour
1,8 à 4,4 % des cas totaux (2-4). L’âge moyen au premier événement neurologique est de 13 ans. Un début de SEP avant
10 ans concerne 0,2 à 0,7 % des cas totaux. Cinquante cas rapportés dans la littérature ont débuté avant 6 ans (5, 6). Les plus
jeunes cas rapportés ont un début à 1 an.
Le sex-ratio fille/garçon est de 3/1 après 12 ans et de 1/1 avant
10 ans, évoquant le rôle possible de facteurs hormonaux. Des
antécédents familiaux de maladies démyélinisantes sont trouvés pour 21 % des patients dans l’étude canadienne (2). Il y a
peu d’études spécifiques sur les facteurs génétiques des SEP de
début infantile. Le rôle de l’exposition à un agent infectieux est
discuté sans conclusion formelle. Il y a peu d’études immunologiques spécifiques concernant les SEP de début infantile.
DIAGNOSTIC CLINIQUE ET PARACLINIQUE
La SEP de l’enfant a des spécificités. Les présentations avec
troubles de la conscience suggérant une encéphalopathie aiguë
semblent plus fréquentes chez l’enfant : 15 % dans l’étude de
Dale en 2000 (7). La prédominance de signes d’atteinte du
tronc cérébral est rapportée par comparaison avec l’adulte.
Ainsi, dans l’étude de Ghezzi (3), on trouve 20,3 % d’atteintes
du tronc cérébral avant 16 ans, versus 6,5 % à l’âge adulte.
Cela a été évoqué auparavant (8). La répartition des autres
signes est par ailleurs similaire à celle chez l’adulte.
Dans le LCR, une hyperlymphocytose est fréquente, jusqu’à
50 cellules/mm3 (7, 8). L’augmentation oligoclonale des IgG
est trouvée dans 75 % des cas (2, 8), parfois de façon retardée
mais stable, comme chez l’adulte. Les études IRM chez l’enfant trouvent une imagerie comparable à celle chez l’adulte (7).
Cependant, des IRM évocatrices d’encéphalomyélite aiguë disséminée (EMAD) à la première poussée ne sont pas rares (7,
9). Les anomalies IRM orientent de façon non formelle quant
au développement ultérieur d’une SEP après une première
atteinte aiguë démyélinisante chez l’enfant. Il y a peu d’études
spécifiques d’électrophysiologie chez l’enfant. Le score EDSS
est parfaitement adapté à l’enfant pour apprécier l’évolution du
handicap.
ÉVOLUTION ET PRONOSTIC
* Service de neurologie pédiatrique, hôpital Saint-Vincent-de-Paul, Paris.
La Lettre du Neurologue - n° 6 - vol. VI - juin 2002
Il y a une prédominance des formes rémittentes chez l’enfant
(tableau I). Dans l’étude canadienne (2), il est probable que
l’excès de formes de début progressif soit lié à une définition
plus large de la progression. Des auteurs ont comparé le
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Tableau I. Formes de début de la SEP de l’enfant (1, 2) comparées à
celle de l’adulte (9).
Duquette,1987 (1)
(125 SEP enfant)
(%)
Ghezzi,1997 (2)
(149 SEP enfant)
(%)
Confavreux, 2000 (9)
(1 844 SEP adulte)
(%)
Formes rémittentes
78
94,6
85
Formes progressives
22
5,4
15
pronostic des formes de début infantile à celui d’un groupe
d’âge de début adulte (3). Ils évoquent une évolution similaire
pour la fréquence des poussées, l’intervalle entre les deux premières poussées, le handicap fonctionnel. Cependant, une évolution moins péjorative du handicap pour les patients ayant une
SEP de début avant 20 ans par comparaison avec les patients
ayant un début plus tardif est connue (10, 11).
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Chez l’enfant, la SEP est moins fréquente que les EMAD. Il y
a des différences de présentation entre SEP et EMAD, mais les
présentations “encéphalitiques” de SEP semblent trouvées chez
l’enfant de façon plus fréquente que chez l’adulte, chez qui
elles sont également décrites (7, 9, 12). Quinze à 35 % des
patients avec un diagnostic initial d’EMAD évoluent vers une
maladie multiphasique, à rechutes, compatible avec une SEP.
Le diagnostic initial repose sur un faisceau d’arguments
(tableau II). L’absence de dissémination dans le temps émerge
comme principal critère de jugement diagnostique retenu. Les
nouvelles techniques IRM pourront aider à caractériser les différents tableaux.
Par ailleurs, la forme dite de Schilder (13), ou “sclérose diffuse
myélinoclastique”, présentant des foyers de démyélinisation
pseudo-tumoraux, est plus souvent évoquée chez l’enfant que
chez l’adulte (14). Elle est considérée par certains auteurs
comme une entité intermédiaire entre SEP et EMAD. D’autres
diagnostics doivent être discutés et éliminés devant une atteinte
aiguë de la substance blanche chez l’enfant (tableau III).
TRAITEMENT ET PRISE EN CHARGE
Il n’y a pas d’étude contrôlée sur le traitement de la SEP de
l’enfant. Le traitement suit les recommandations concernant les
patients adultes. Il y a peu d’évaluations chez l’enfant. Le traitement des poussées consiste en corticoïdes intraveineux
(méthylprednisolone en 3 perfusions lentes de 1 g/1,73 m 2
trois jours de suite) en hospitalisation, suivis par un traitement
oral de courte durée. Les conséquences des traitements corticoïdes répétés sur la croissance doivent être envisagées dans le
cas où les poussées sont fréquentes et rapprochées.
Concernant les traitements de fond, comme pour d’autres
domaines de la pédiatrie, les nouveaux médicaments sont longuement évalués chez l’adulte avant d’être mis à la disposition
de l’enfant. De manière anecdotique, des immunosuppresseurs
(Imurel®, Endoxan®) ou les immunoglobulines i.v. ont pu être
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Tableau II. Différences cliniques et paracliniques significatives entre
encéphalomyélite aiguë disséminée (EMAD) et SEP (d’après Dale,
2000 [6], et Hynson, 2001 [9]).
Différences significatives
EMAD
SEP
Infection avant l’épisode
+++
+
Début polysymptomatique
+++
+
Encéphalopathie aiguë
+++
+
Syndrome pyramidal
++
+
Névrite optique isolée
0
++
IRM :
Lésions périventriculaires
Charge lésionnelle élevée
Lésions mal limitées
Lésions associées de la substance grise profonde
+
++
++
++
++
+
+
+
Tableau III. Diagnostics différentiels de la SEP de l’enfant.
• Encéphalomyélite aiguë disséminée
• Syndrome de Devic
• Leucodystrophie métachromatique ou d’autre origine métabolique
• Vascularites (lupus, PAN)
• Artérites cérébrales primitives ou secondaires
• Infections (VIH, Lyme, etc.)
• Syndrome d’activation macrophagique
• Sarcoïdose
• Tumeurs
utilisés chez l’enfant dans des formes à poussées fréquentes
(8). L’interféron ß n’a l’autorisation de mise sur le marché qu’à
partir de 16 ans. Son intérêt chez l’enfant est probable, même
s’il y a encore peu d’études publiées. Nous avons conduit
récemment une étude montrant une bonne tolérance (15). Cela
a été renforcé par une autre étude récente (16). Les autres
médicaments utilisés chez l’adulte n’ont pas été testés chez
l’enfant et ne disposent pas d’autorisation de mise sur le marché, ni d’autorisation temporaire d’utilisation.
En dehors des poussées, le suivi se fait principalement en hôpital de jour et en consultation. La coordination du neuropédiatre
et du médecin traitant, souvent un pédiatre, doit être bonne,
participant à un réseau de prise en charge qui se poursuit lors
du passage en neurologie de l’adulte. Sur le plan des vaccinations, il est recommandé de ne pas proposer de vaccination au
cours d’une poussée ni pendant la période d’activité de la maladie. En cas de traitement immunosuppresseur, les vaccins à
germes vivants sont à éviter.
Le suivi neurologique et les traitements symptomatiques sont
adaptés à l’âge de l’enfant et à la situation d’un organisme en
croissance. Ils observent les mêmes recommandations que chez
l’adulte. Un neuro-ophtalmologiste pédiatrique entraîné est
La Lettre du Neurologue - n° 6 - vol. VI - juin 2002
Figure. IRM cérébrale séquence T2.
Cas 1. Garçon, début polysymptomatique
à 9 ans, LCR initial non oligoclonal.
Première IRM : forme pseudo-tumorale,
a. coupe axiale,
b. coupe coronale. Rechute à 10 ans et demi
sous forme de névrite optique.
Cas 2. Fille, début polysymptomatique
à 12 ans et demi, LCR oligoclonal,
c. première IRM : lésions périventriculaires
et multifocales. Plusieurs rechutes.
d. IRM à 1 an du début : aggravation
des lésions.
indispensable pour suivre l’évolution des symptômes visuels de
façon fiable. Les conséquences du syndrome pyramidal et/ou
cérébelleux doivent être prises en compte. Le traitement médical de la spasticité doit être envisagé. La kinésithérapie et la
prise en charge orthopédique interviennent précocement pour
prévenir les déformations des membres ou du rachis. La douleur doit être évaluée et traitée de façon adaptée. Le traitement
symptomatique doit prendre en compte les troubles vésicosphinctériens et les répercussions de la maladie sur le développement de la sexualité de l’adolescent.
L’annonce du diagnostic de SEP ne doit se faire que si les critères de certitude ou de probabilité de Poser sont réunis. L’éducation du patient et de sa famille passe par une information
tenant compte de l’âge du patient et du niveau socioéducatif de
la famille. La prise en charge psychologique commence dès
l’entrée dans la maladie. Les données socioéconomiques et de
qualité de vie sont importantes à envisager pour des familles où
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des parents actifs doivent parfois limiter leur engagement professionnel. La scolarité doit tenir compte de l’asthénie, et des
projets d’accueil adaptés peuvent être prévus. Des choix professionnels compatibles avec le handicap devront être envisagés avec l’adolescent.
CONCLUSION
La SEP de l’enfant a ses spécificités. L’existence d’un réseau
entre neurologues d’enfants et d’adultes spécialistes de la SEP
pour la prise en charge de ces patients est fondamentale. Les
travaux collaboratifs doivent permettre une meilleure connaissance et une meilleure prise en charge de la SEP débutant chez
l’enfant et l’adolescent, dans le cadre d’études multicentriques.
Des réseaux informatisés, comme le réseau européen EDMUS,
sont un outil pour ces études rétrospectives et prospectives
(cf. rubrique “Vie professionnelle” de la Lettre du Neurologue
vol. V n° 6 de juin 2001 sur le projet KIDMUS).
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À tous nos lecteurs, à tous nos abonnés
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Belles lectures ensoleillées
Le prochain numéro paraîtra en septembre 2002
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