nous avons mesuré (4) une réduction significative de la MVC et
du temps d’endurance à la fatigue. Dans notre étude (4), la réoxy-
génation des sujets acclimatés à la haute altitude exerce des effets
variables (amélioration de la MVC ou aucune action). En tout
état de cause, on peut admettre que les performances motrices
maximales de sujets hypoxémiques sévères depuis plusieurs
mois sont altérées.
CONSÉQUENCES DE L’HYPOXIE SUR LA FIBRE
MUSCULAIRE
Les cibles cellulaires de l’hypoxie sont multiples : la réduction
de PaO2affecte la capillarisation musculaire, la membrane de la
fibre musculaire, ses équipements enzymatiques et peut-être aussi
la typologie des fibres musculaires.
Variations de perfusion musculaire
Chez l’animal (10), l’hypoxémie aiguë provoque un vasospasme
musculaire important, dû à l’activation de la commande sympa-
thique, qui est responsable d’une réduction d’apport sanguin et
donc d’une aggravation des conséquences de la baisse d’apport
d’oxygène. Chez l’homme, nous avons observé récemment
(résultats en cours de publication) que seule une réduction de
PaO2en dessous de 40 mmHg exerce cet effet, alors qu’une
hypoxémie plus modérée (PaO2> 55 mmHg) augmente le débit
sanguin musculaire. Cette vasodilatation est attribuée à la libé-
ration locale de facteurs endothéliaux et aussi de métabolites mus-
culaires (potassium et surtout oxyde d’azote, NO) (10). L’hypoxie
est un facteur important d’hyperproduction de NO par les cel-
lules endothéliales et par les fibres musculaires elles-mêmes (10).
Elle agirait en activant un facteur libéré par certains neurones du
tronc cérébral (Hypoxia Inducible Factor, HIF1), lui-même acti-
vateur de la transduction de la NO-synthase, de l’érythropoïétine
(EPO) et du facteur principal de néogenèse capillaire (Vascular
Endothelial Growth Factor, VEGF). C’est par ce dernier méca-
nisme que l’hypoxémie chronique augmenterait le nombre de
capillaires musculaires. En résumé, ces effets de l’hypoxémie
semblent correspondre à une réponse adaptative, donc bénéfique,
du muscle à la réduction de ses apports en oxygène.
Modifications de la membrane des fibres musculaires
Elles semblent au contraire être néfastes (létales). En effet, l’expo-
sition prolongée à l’hypoxémie (expérience Everest Comex) nous
a permis de démontrer une altération de la transmission électrique
membranaire musculaire (mesurée par l’enregistrement de
l’onde M), mesurée dès l’altitude de 5 000 m et qui persiste, voire
s’accentue, à 7 000 m (4). Cette altération de l’excitabilité mem-
branaire peut résulter de la perturbation des échanges ioniques.
En effet, l’hypoxémie déprime l’expression de la pompe Na+-K+
ATPase, action responsable d’une fuite extracellulaire du potas-
sium au cours de la contraction musculaire (11). Il se pourrait
donc que l’hypoxémie prolongée des insuffisants respiratoires
gêne l’excitabilité des fibres musculaires, rendant compte au
moins en partie de la réduction de leurs capacités contractiles.
L’hypoxémie est un facteur important d’accentuation de la syn-
thèse des formes radicalaires de l’oxygène, ayant pour consé-
quence une agression membranaire due à la peroxydation des
lipides. Cet effet, déjà documenté chez l’animal (12), a été véri-
fié chez l’homme acclimaté à la haute altitude (13).
Conséquences métaboliques musculaires de l’hypoxémie
Il semble exister des adaptations métaboliques à l’hypoxémie.
Chez l’homme sain au repos, il est admis que l’hypoxémie aiguë
n’augmente pas l’acidose intramusculaire (3, 14) et n’affecte en
rien la consommation d’oxygène (14). À l’opposé, l’hypoxémie
accroît la production de lactate au cours de l’exercice et réduit
aussi la V
.O2max (14). L’absence d’effets métaboliques cellu-
laires de l’hypoxémie chez le sujet normal au repos peut s’expli-
quer par une importante action facilitatrice de l’hypoxémie sur
le transport transmembranaire du glucose (15), épargnant ainsi
la consommation du glycogène intramusculaire. Chez l’insuffi-
sant respiratoire chronique, une réduction du contenu musculaire
en ATP et phosphocréatine existe dans le muscle au repos, ce qui
est en faveur d’une diminution du métabolisme cellulaire aéro-
bique (16, 17). En revanche, chez ces patients, la glycolyse anaé-
robique semble être augmentée (17). La réoxygénation des
patients insuffisants respiratoires (16) augmente le rapport phos-
phates inorganiques/phosphocréatine, semblant réactiver les voies
métaboliques. Elle atténue aussi l’acidose intramusculaire à la
fin d’un exercice. Les données humaines sur les modifications
de typologie des fibres musculaires (rapides-glycolytiques/lentes-
oxydatives) en réponse à l’hypoxémie chronique existent chez
l’homme sain acclimaté à l’altitude (18) ; elles sont en faveur
d’une réduction des activités enzymatiques aérobiques et donc
d’une diminution de proportion des fibres lentes-oxydatives au
profit des fibres rapides-glycolytiques. Ces dernières étant plus
sensibles à la fatigue, on peut ainsi expliquer la réduction du
temps d’endurance chez les sujets hypoxémiques chroniques.
EFFETS DE L’HYPOXIE SUR LA COMMANDE
NERVEUSE MOTRICE
Il s’agit alors d’une action à un niveau supérieur. L’hypoxémie
chronique (sujet acclimaté à la haute altitude) ralentit la conduc-
tion neuromusculaire (4)et déprime aussi fortement le recrutement
des unités motrices au cours des contractions volontaires (4). Cet
effet inhibiteur est également retrouvé dans toutes les ex-
périences humaines exposant des sujets sains à l’hypoxémie
aiguë (2, 3). Il existe chez tout individu normal (animal et homme)
un mécanisme de rétrocontrôle visant à réduire la décharge des
motoneurones spinaux ainsi qu’à privilégier le recrutement des
unités motrices lentes, moins fatigables, au cours d’un travail pro-
longé de forte intensité conduisant à la défaillance de la contrac-
tion (fatigue musculaire). Ce mécanisme est appelé “sagesse du
muscle” (muscle wisdom), car il tend à retarder l’apparition de la
fatigue. Il fait intervenir les afférences musculaires du groupe IV,
activées par la production locale d’acide lactique et la sortie du
potassium hors des fibres musculaires (19). Il a été montré récem-
ment chez l’animal (20) que l’hypoxémie aiguë réduit, voire sup-
prime, l’activation de ces terminaisons sensitives intramusculaires
au cours d’exercices fatigants. Les études humaines réalisées lors
de l’exposition aiguë (2, 3) ou chronique à l’hypoxémie (4) sont
MISE AU POINT
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La Lettre du Pneumologue - Volume III - no5 - octobre 2000