Dans ce récit qui prend par instants des allures de roman policier, transparaissent différentes
tensions intellectuelles qui ont assurément habité, pour ne pas dire hanté, l’existence de son auteur:
un conflit premier entre une vision volontiers déterministe de l’homme et de l’existence
et une autre qui accorde une place centrale à la liberté; le conflit entre la prise en compte des
convenances sociales et une posture libertaire; le conflit aussi entre, d’une part, une relation à autrui
distante, qui conviendrait à un entomologiste enclin à observer ses semblables avec une froide
indifférence doublée d’une certaine misanthropie et, d’autre part, une insertion dans le monde
volontiers jouisseuse et un brin romantique. Les deux personnages centraux de ce récit incarnent
peut-être deux facette d’André Rey, mais celui qui porte le nom de Belle-Nature pourrait également
renvoyer, au moins partiellement, à la personne du peintre Robert Hainard. En effet les deux
hommes se sont souvent rencontrés et leur intense amitié s’est nourrie de maintes conversations
sur la nature, la science et l’art; sur la métaphysique aussi.
La publication de ce roman est suivie ici de celle du dernier article scientifique d’André Rey, paru à
titre posthume l’année même de sa mort en 1965. Cet article illustre bien le type de recherches
auquel s’est consacré le psychologue expérimental. En demandant à des enfants de différents âges,
et à des adultes, d’indiquer tout ce qu’ils peuvent remarquer, dire et penser en observant un simple
bouchon d’une bouteille de vin, il cherche à retracer "le cheminement de la perception véridique à la
représentation ". Des faits, rien que des faits, suivis d’hypothèses... et le moins possible de théorie
préalable: telle est la condition de la rigueur scientifique selon Rey, une condition à la fois
épistémologique et morale.
En 1990, dans le cadre des manifestations organisées par la Faculté de psychologie et des sciences
de l’éducation pour marquer le 25e anniversaire de la mort d’André Rey, Daniel Hameline,
professeur de philosophie de l’éducation et d’histoire des idées pédagogiques, avait donné une
conférence parue la même année sous le titre "André Rey, la science, l’artisan et l’imposture". Dans
sa préface au présent ouvrage, qu’il a intitulée "Le roman du laboratoire", Hameline développe son
propos de 1990 et met lumineusement en exergue quelques interrogations clés révélées par la
confrontation critique des deux derniers écrits de Rey.
...Grâce à l’amabilité de la Fondation Hainard, l’Association des Amis d’André Rey a eu la possibilité,
pour rendre hommage à l’amitié qui unissait Robert Hainard et André Rey, nés tous deux en 1906,
de choisir cinq oeuvres de l’artiste genevois pour illustrer ce livre, dont sa couverture. Des clins
d’oeil sont ainsi faits aux ballades des deux compères au bord du lac Léman et dans le Jura, de
même qu’à leur goût partagé pour la nature. Parmi elles, un dessin de Hainard croquant à grands
traits un paysage de montagne illustre l’idée d’inachèvement de l’oeuvre de Rey qui est au coeur de
ce sixième volume.
Martine Ruchat, Joseph Coquoz, Charles Magnin
Croquis représentant André Rey de Germaine Hainard-Roten
Images © Fondation Hainard, textes © LEP Editions Loisirs et Pédagogie SA, 2006 3
mmdp/17.2.2008