Comprendre le corps qui change

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corps
COMPRENDRE LE
QUI
change
LE TEMPS
TRANSFORME
TOUT. IL NOUS
FAÇONNE
ET IL NOUS
VIEILLIT.
NOUS SOMMES
ŒUVRE DU
TEMPS.
22 Québec Science | Novembre 2014
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80 ans
Une loi de
la nature
Par Marine Corniou
n sait à peu près à quoi s’attendre: un bébé Homo sapiens né au Canada
en 2012 vivra en moyenne 80 ans. Idem pour les rejetons des autres
pays développés, où les maladies infectieuses et la malnutrition tuent
peu. Mais qu’en est-il des autres espèces? Dans la nature, rares sont
les animaux qui atteignent leur âge maximal potentiel. Souvent, la
prédation, les accidents et les maladies les emportent bien avant la sénescence
liée au poids des années. D’ailleurs, les estimations de longévité des différents
animaux proviennent, le plus souvent, d’observations de spécimens en captivité.
Il en ressort une diversité phénoménale! Ainsi, une mouche domestique termine
son cycle de vie en 17 jours, alors que certaines reines termites peuvent vivre
17 ans. Une souris, même bien nourrie et protégée, ne vivra pas plus de 5 ans,
alors qu’une chauve-souris peut atteindre 20 ou 40 ans.
Le rythme du vieillissement non plus n’est pas constant. Un saumon va dégénérer
et mourir en quelques jours après avoir frayé, alors qu’une tortue pourra vivre
plusieurs décennies sans montrer le moindre signe de sénescence.
Et même au sein d’une famille comme les primates, par exemple, la vieillesse
ne frappe pas de façon équitable. Chez les humains, les centenaires ne sont pas
rares et le record est détenu par Jeanne Calment, une Française morte à plus de
122 ans. Nos proches parents, les chimpanzés, atteignent exceptionnellement
l’âge vénérable de 60 ans, tandis que les ouistitis communs vivent en moyenne
de 5 à 7 ans, avec un maximum enregistré de 16 ans en captivité.
Certes, les plus gros animaux tendent à vivre plus longtemps que les petits,
pour des raisons partiellement mystérieuses. On pense, étant donné leur
métabolisme plus lent et leur cœur battant moins vite, que leurs cellules se
dégradent plus lentement que celles des petites bêtes. Mais là encore, les exceptions
sont courantes: si l’énorme baleine boréale, dont le métabolisme est très lent,
détient le record de longévité des mammifères – elle vit facilement plus de 150
ans –, de petites palourdes d’eau froide, elles, vont atteindre les 300 ou 400 ans!
Et elles ne sont pas les seules vieillardes au sein du règne animal. En voici
quelques autres.
CORBIS
O
Novembre 2014 | Québec Science 23
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POUR ÉTUDIER LES MÉCANISMES DU VIEILLISSEMENT, LES CHERCHEURS UTILISENT
LES MODÈLES «CLASSIQUES» DE LABORATOIRE, À SAVOIR DES SOURIS, DES RATS,
DES DROSOPHILES, DES VERS ET DES LEVURES. MAIS ILS S’INTÉRESSENT AUSSI À
DES ANIMAUX PLUS ATYPIQUES.
211 ans
La baleine boréale
31 ans
Le rat-taupe nu
Originaire d’Afrique de l’Est, Heterocephalus glaber n’a pas un physique enviable, mais sa longévité est exceptionnelle. En effet, le rat-taupe nu peut vivre jusqu’à 31 ans en captivité, soit de 5 à
10 fois plus que sa cousine la souris. Et ce n’est pas tout: il ne développe jamais de cancer, ni naturellement ni en laboratoire lorsqu’on lui injecte des cellules tumorales. Son secret de jouvence
est encore bien gardé, mais le séquençage de son génome en 2011 a permis de lever le voile sur
certains atouts du rongeur. Ainsi, le rat-taupe possède-t-il un gène, appelé p16, qui bloque instantanément toute prolifération anormale de cellules. En avril 2014, une étude a lié son étonnante
durée de vie à la présence d’une protéine appelée HSP25 qui joue un rôle de sentinelle dans les
cellules et élimine efficacement les molécules anormales ou endommagées, avant qu’elles ne
puissent altérer l’organisme (voir l’article à la page 30).
Pouvant mesurer 20 m de long pour une centaine
de tonnes, Balæna mysticetus évolue dans les
eaux arctiques et subarctiques. Il y a une quinzaine
d’années, des Autochtones d’Alaska ont découvert
plusieurs pointes de harpon en ivoire, centenaires,
fichées dans la graisse d’une baleine boréale fraîchement chassée. Alertés, des biologistes de l’université d’Alaska ont décidé d’évaluer l’âge de cinq
baleines pêchées – en mesurant le taux d’acide
aspartique présent dans le globe oculaire des animaux. Verdict? La plus jeune avait 91 ans; et la
plus vieille, 211 ans!
255 ans
Méduses et compagnie
En matière d’immortalité, les méduses et les autres membres de l’embranchement des cnidaires tiennent le haut du pavé. L’hydre, notamment, un petit polype d’eau douce de quelques
millimètres, intéresse depuis longtemps les scientifiques de par sa capacité à se régénérer
presque indéfiniment. Elle se reproduit d’ailleurs par bourgeonnement, faisant pousser sur son
corps une nouvelle petite hydre qui se détache ensuite pour vivre sa propre vie. En 2012, des
chercheurs allemands ont découvert que le gène FoxO jouait un rôle dans la vitalité et le nombre des cellules souches présentes chez l’hydre. Fait étonnant, ce
gène est également présent chez les vertébrés, dont l’homme, et il semble
très actif chez les centenaires…
Dans la même famille, plusieurs méduses possèdent elles aussi ce
«don d’immortalité». L’espèce Turritopsis dohrnii, en particulier, est carrément capable d’inverser son cycle de vie, en cas de famine ou de conditions difficiles. Elle parvient à retourner à l’état larvaire, un peu comme un
papillon qui redeviendrait chenille. Quand les conditions s’améliorent, elle se
développe à nouveau en un individu adulte. On ignore encore comment ses
cellules parviennent à inverser ainsi le cours du temps.
Les cellules immortelles
Immortelles s’il en est, les cellules cancéreuses ont ceci de redoutable
qu’elles deviennent insensibles au vieillissement. Se multipliant indéfiniment, elles parviennent à inactiver les gènes qui contrôlent normalement la
mort cellulaire programmée, l’apoptose. L’exemple le plus célèbre est celui
des cellules HeLa, véritables coqueluches des labos, citées dans pas moins
de 60 000 publications scientifiques! À l’origine, elles proviennent d’une
mère de famille, Henrietta Lacks, qui a été admise à l’hôpital Johns
Hopkins, à Baltimore, aux États-Unis, pour un cancer du col de l’utérus en
1951. Prélevées sur la patiente, ces cellules particulièrement agressives
sont les premières cellules humaines cancéreuses à avoir survécu en culture. Plus de 60 ans après la mort de Henrietta Lacks, les cellules continuent à se multiplier à une vitesse inédite dans des labos du monde entier.
24 Québec Science | Novembre 2014
Les tortues géantes
La légende raconte qu’Harriet a été capturée aux
Galápagos par Charles Darwin, lors de son fameux
voyage de 1835 à bord du Beagle. Si les analyses
génétiques ont indiqué qu’elle provenait en fait
d’une île sur laquelle Darwin n’a jamais mis les
pieds, l’âge attribué à cette tortue géante, lui, s’est
révélé exact. En 2006, la bête de 150 kg s’est
éteinte à 176 ans dans un zoo australien, après
avoir passé, au début de sa vie, quelques années
au Royaume-Uni.
La même année, au zoo de Calcutta, en Inde, la
tortue géante Adwaita fermait elle aussi les yeux, à
un âge estimé à 255 ans, ce qui fait d’elle l’une des
plus vieilles représentantes connues des vertébrés.
Le titre de doyen est maintenant détenu par Jonathan, une tortue géante des Seychelles, qui coule
des jours paisibles à Sainte-Hélène, dans l’Atlantique Sud. Probablement capturé en 1882, alors
qu’il était déjà adulte, ce mâle costaud aurait aujourd’hui 182 ans. À une décennie près, il aurait pu
côtoyer Napoléon, en exil sur l’île.
Quel est le lien entre vieillissement et cancer? Gerardo Ferbeyre, professeur à l'Université de Montréal,
répond à cette question (et à bien d’autres) sur www.quebecscience.qc.ca/podcast.
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Et les végétaux ?
507 ans
La palourde Ming
En 2006, des chercheurs britanniques ont prélevé, lors d’une expédition en Islande, une palourde (Arctica islandica) dont l’âge a été estimé à 507 ans. C’est en comptant le nombre de cernes sur sa coquille et en confirmant
leur résultat par une mesure au carbone 14 que les biologistes ont pu déduire l’âge du mollusque. Malheureusement, les chercheurs l’ont accidentellement congelé – et tué – sur le bateau. La bête a été nommée Ming, à titre
posthume, du nom de la dynastie chinoise en place lors de sa naissance, en 1499. Sa forte résistance au stress
oxydatif, c’est-à-dire aux radicaux libres, et sa capacité à éliminer les protéines anormales pourraient expliquer
en partie la surprenante durée de vie de cet animal.
Des bactéries
du fond des âges
5 minutes
Les moins
chanceux
Les éphémères, aussi appelés «mannes»,
portent bien leur nom: ils font partie des insectes dont la vie adulte est la plus brève.
Chez l’espèce Dolonia americana, la femelle
vit moins de cinq minutes, durant lesquelles
elle doit trouver un partenaire, s’accoupler
et pondre. La plupart des autres espèces
d’éphémères, elles, ont la «chance» de bénéficier de quelques heures ou de quelques
jours de plus pour accomplir leur mission.
Si de nombreux insectes ont une vie adulte
réduite, leur existence à l’état larvaire est
généralement plus longue. Certains coléoptères xylophages peuvent ainsi passer de
30 à 40 ans dans un arbre ou un meuble, à
l’état de larve, avant de muer en adulte.
Se réveiller frais et dispos après un sommeil de 250 millions
d’années, c’est l’exploit qu’aurait réalisé, en 2000, une bactérie retrouvée dans un cristal de sel à 569 m de profondeur,
à Carlsbad au Nouveau-Mexique. Isolée et plongée dans une
solution nutritive, la belle s’est réveillée comme si de rien
n’était. Bien que cette publication du journal Nature ait été vivement critiquée (certains suggérant qu’une bactérie moderne
aurait contaminé l’échantillon), il ne s’agit pas d’un exemple
isolé. Car il arrive souvent que des bactéries logées dans le
permafrost ou la glace, par exemple, reviennent à la vie après
plusieurs centaines de milliers d’années d’hibernation.
En 2007, des bactéries d’Antarctique ont même ressuscité,
après 8 millions d’années passées dans la glace.
Immortelles, donc, les bactéries? En quelque sorte, oui. Car
si elles succombent aux sécheresses, à la disette ou aux virus,
elles ne meurent pas de vieillesse. Elles se reproduisent en se
divisant, si bien qu’une mère «devient» ses deux filles en se
scindant en deux, accédant ainsi à la vie éternelle!
4 846 ans, c’est l’âge de Mathusalem,
le nom donné à un pin Bristlecone
(Pinus longæva) des White Mountains
de Californie longtemps considéré
comme l’arbre le plus vieux de la
planète. Il a été détrôné en 2008 par
un épicéa suédois, le vieux Tjikko, âgé
de 9 550 ans à en croire le nombre de
ses anneaux de croissance.
Pas étonnant que des arbres vivent
si vieux, puisque leurs cellules ne se
dégradent pas avec le temps. Par
contre, ils s’affaiblissent avec l’âge.
C’est surtout parce qu’ils ont une
croissance continue et que, à force de
grandir, ils finissent par être trop lourds
pour leur structure, ou trop développés
pour que la sève puisse irriguer
correctement leur feuillage. En outre,
plus ils vivent longtemps, plus ils sont
exposés aux virus, aux intempéries, aux
champignons et aux autres parasites.
Malgré tout, certains parviennent à
déjouer les pièges du temps. Car les
végétaux possèdent tous des cellules
non différenciées qui constituent des
tissus – les méristèmes – que l’on
trouve notamment dans les bourgeons.
C’est grâce à eux que l’on peut
bouturer une plante, et c’est aussi ce
qui permet à certains arbres de se
cloner presque indéfiniment.
En Utah, une colonie de peupliers
faux-trembles (Populus tremuloides)
se reproduirait ainsi, à partir d’un seul
individu, depuis 80 000 ans, selon des
analyses génétiques et une estimation
du taux de croissance. L’ensemble
pèse aujourd’hui 6 600 tonnes,
troncs et système racinaire
compris!
250000000 d’années
4846 ans
Novembre 2014 | Québec Science 25
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