Les tortues géantes
La légende raconte qu’Harriet a été capturée aux
Galápagos par Charles Darwin, lors de son fameux
voyage de 1835 à bord du
Beagle
. Si les analyses
génétiques ont indiqué qu’elle provenait en fait
d’une île sur laquelle Darwin n’a jamais mis les
pieds, l’âge attribué à cette tortue géante, lui, s’est
révélé exact. En 2006, la bête de 150 kg s’est
éteinte à 176 ans dans un zoo australien, après
avoir passé, au début de sa vie, quelques années
au Royaume-Uni.
La même année, au zoo de Calcutta, en Inde, la
tortue géante Adwaita fermait elle aussi les yeux, à
un âge estimé à 255 ans, ce qui fait d’elle l’une des
plus vieilles représentantes connues des vertébrés.
Le titre de doyen est maintenant détenu par Jona-
than, une tortue géante des Seychelles, qui coule
des jours paisibles à Sainte-Hélène, dans l’Atlan-
tique Sud. Probablement capturé en 1882, alors
qu’il était déjà adulte, ce mâle costaud aurait au-
jourd’hui 182 ans. À une décennie près, il aurait pu
côtoyer Napoléon, en exil sur l’île.
La baleine boréale
Pouvant mesurer 20 m de long pour une centaine
de tonnes, Balæna mysticetus évolue dans les
eaux arctiques et subarctiques. Il y a une quinzaine
d’années, des Autochtones d’Alaska ont découvert
plusieurs pointes de harpon en ivoire, centenaires,
fichées dans la graisse d’une baleine boréale fraî-
chement chassée. Alertés, des biologistes de l’uni-
versité d’Alaska ont décidé d’évaluer l’âge de cinq
baleines pêchées – en mesurant le taux d’acide
aspartique présent dans le globe oculaire des ani-
maux. Verdict? La plus jeune avait 91 ans; et la
plus vieille, 211 ans!
Le rat-taupe nu
Originaire d’Afrique de l’Est, Heterocephalus glaber n’a pas un physique enviable, mais sa longé-
vité est exceptionnelle. En effet, le rat-taupe nu peut vivre jusqu’à 31 ans en captivité, soit de 5 à
10 fois plus que sa cousine la souris. Et ce n’est pas tout: il ne développe jamais de cancer, ni na-
turellement ni en laboratoire lorsqu’on lui injecte des cellules tumorales. Son secret de jouvence
est encore bien gardé, mais le séquençage de son génome en 2011 a permis de lever le voile sur
certains atouts du rongeur. Ainsi, le rat-taupe possède-t-il un gène, appelé p16, qui bloque instan-
tanément toute prolifération anormale de cellules. En avril 2014, une étude a lié son étonnante
durée de vie à la présence d’une protéine appelée HSP25 qui joue un rôle de sentinelle dans les
cellules et élimine efficacement les molécules anormales ou endommagées, avant qu’elles ne
puissent altérer l’organisme (voir l’article à la page 30).
Méduses et compagnie
En matière d’immortalité, les méduses et les autres membres de l’embranchement des cni-
daires tiennent le haut du pavé. L’hydre, notamment, un petit polype d’eau douce de quelques
millimètres, intéresse depuis longtemps les scientifiques de par sa capacité à se régénérer
presque indéfiniment. Elle se reproduit d’ailleurs par bourgeonnement, faisant pousser sur son
corps une nouvelle petite hydre qui se détache ensuite pour vivre sa propre vie. En 2012, des
chercheurs allemands ont découvert que le gène FoxO jouait un rôle dans la vita-
lité et le nombre des cellules souches présentes chez l’hydre. Fait étonnant, ce
gène est également présent chez les vertébrés, dont l’homme, et il semble
très actif chez les centenaires…
Dans la même famille, plusieurs méduses possèdent elles aussi ce
«don d’immortalité». L’espèce
Turritopsis dohrnii
, en particulier, est carré-
ment capable d’inverser son cycle de vie, en cas de famine ou de condi-
tions difficiles. Elle parvient à retourner à l’état larvaire, un peu comme un
papillon qui redeviendrait chenille. Quand les conditions s’améliorent, elle se
développe à nouveau en un individu adulte. On ignore encore comment ses
cellules parviennent à inverser ainsi le cours du temps.
Les cellules immortelles
Immortelles s’il en est, les cellules cancéreuses ont ceci de redoutable
qu’elles deviennent insensibles au vieillissement. Se multipliant indéfini-
ment, elles parviennent à inactiver les gènes qui contrôlent normalement la
mort cellulaire programmée, l’apoptose. L’exemple le plus célèbre est celui
des cellules HeLa, véritables coqueluches des labos, citées dans pas moins
de 60 000 publications scientifiques! À l’origine, elles proviennent d’une
mère de famille, Henrietta Lacks, qui a été admise à l’hôpital Johns
Hopkins, à Baltimore, aux États-Unis, pour un cancer du col de l’utérus en
1951. Prélevées sur la patiente, ces cellules particulièrement agressives
sont les premières cellules humaines cancéreuses à avoir survécu en cul-
ture. Plus de 60 ans après la mort de Henrietta Lacks, les cellules conti-
nuent à se multiplier à une vitesse inédite dans des labos du monde entier.
24 Québec Science |Novembre 2014
211 ans
255 ans
31 ans
POUR ÉTUDIER LES MÉCANISMES DU VIEILLISSEMENT, LES CHERCHEURS UTILISENT
LES MODÈLES «CLASSIQUES» DE LABORATOIRE, À SAVOIR DES SOURIS, DES RATS,
DES DROSOPHILES, DES VERS ET DES LEVURES. MAIS ILS S’INTÉRESSENT AUSSI À
DES ANIMAUX PLUS ATYPIQUES.
Quel est le lien entre vieillissement et cancer? Gerardo Ferbeyre, professeur à l'Université de Montréal,
répond à cette question (et à bien d’autres) sur www.quebecscience.qc.ca/podcast.
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