238 | La Lettre du Neurologue ˊ̐˫˭ϴ͎˭͉͇͈͈
ÉDITORIAL
malade toute entière dans son histoire. Elle doit être reconnue
dans sa singularité, dans ses valeurs, dans sa vulnérabilité,
dans sa culture, dans son idée d’autonomie.
Un défi éthique
Concilier l’humanité du soin dans et avec cette technicité
médicale et les modifications des représentations des divers
acteurs est un véritable défi éthique. Le soin ne peut excuser
son action non réfléchie ni maîtrisée parce qu’elle est lourde
dans sa gestion. Il ne peut être désincarné. Il est en constant
devenir et ne doit pas se cristalliser sur des savoirs prétextant
leur scientificité. Il doit évoluer malgré la démultiplication
des techniques et l’exigence de leur application procédurale.
Le faire, l’acte ne peuvent se résumer aux seuls aspects
biologique, radiologique ou thérapeutique qui leur incombent.
L’évolution des mentalités médicales doit révéler une prise de
conscience quant à cette exigence de la sécurité et de l’amé-
lioration de la qualité des soins. La remise en cause constante
de nos savoir-faire et de nos rouages sera un événement signi-
ficatif et signifiant. Il faut un profond mouvement d’intros-
pection d’où émerge une autre conception de la personne
malade et de sa place plus active qu’auparavant dans le choix
du soin, une autre perception de son costume d’officier du
soin, une autre approche du “prendre-soin”, voire une autre
façon de penser les maladies et la mise en place de leurs
traitements. Réconcilier les valeurs humaines du soin avec les
pratiques de soin dans toutes ses amplitudes, voilà l’affaire.
Car, en effet, les techniques biomédicales innovantes par
leur incessante amélioration, multiplicité et haute technicité
bouleversent le soin du fait de leur omniprésence : un malade
vient se faire soigner de plus en plus fréquemment en se
faisant avant tout et surtout “explorer”. Cela vient bousculer
nombre de principes et de repères du soin qui peuvent être vus
et ressentis par les patients, leur famille et certains soignants
comme une déshumanisation. L’image du patient passif est à
contre-courant d’un “aujourd’hui” où l’information médicale
médiatisée, de façon plus ou moins profane et juste, tendrait
à rendre le patient actif. Si l’enjeu de la médecine hospita-
lière est l’excellence − certes surenchère à double tranchant −
par l’existence de ces multiples compétences et expertises
techniques, le soin ne doit pas sacrifier à la nécessité fonda-
mentale d’une relation de confiance pour une structure de
soin qui doit assurer la présence de professionnels visibles,
accessibles et à l’écoute. S’attacher à rendre compétents les
malades dans le vécu de leur maladie passe par ne plus faire
l’économie d’un enseignement du “prendre-soin” pour ces
patients, leur famille mais également pour le citoyen de la
rue. Il nous faut gagner en visibilité pour une meilleure gestion
de l’activité sanitaire. Bien sûr, cela expose à l’expropriation
du “savant-soigner” et son mystère organisationnel, mais
chacun doit se reconnaître en faculté d’opinion, de choix de
comment soigner et se faire soigner. Un discernement et une
concertation en toute humilité pour une meilleure légitimité.
Il nous faut soutenir cette pédagogie de la responsabilité
partagée envers le citoyen. C’est une exigence qui se doit
d’être implicite, puisqu’elle s’articule naturellement sur la
dignité et le respect de chacun des acteurs. Justice et solli-
citude en sont aussi la charpente. Il ne faut pas toutefois, dans
l’ambition de parfaire les étapes essentielles du soin, dériver
vers une chosification, vers la procédure pour que cela se passe
bien. La mention “éthique” est peut-être trop devenue un
label de validation utilisé à des fins de communication pour
satisfaire à des exigences réglementaires.
Spécificité de la neurologie
La grande complexité des physiologies et des connexions
cellulaires du système nerveux rend ces maladies invisibles
et donc à la limite de l’explicable par le médecin. À l’annonce
du diagnostic, que celui-ci se fasse ou non à l’issue d’un long
parcours fait de “bouts d’annonce” parce que cela n’est pas
facile, il faut un temps long qui se fige entre un savoir-faire,
résultat théorique et pratique d’une identification déterminée,
une action par la nomination d’un constat, et une sensibilité
existentielle qui se voit disloquée dans son histoire. L’appli-
cation des explorations, parfois nombreuses, l’explication de
leur justesse, la signification d’un consentement éclairé pour
un prélèvement sanguin en vue d’une détermination génétique
pour un diagnostic ou une recherche ne peuvent s’affranchir
d’une disposition médicale avant tout humaine plus que
d’un dispositif médical d’un technicien du soin. Dans notre
spécialité, à tous les niveaux du soin, la réalité est complexe
et potentiellement source de difficultés, d’incompréhension
ou d’erreurs : l’accueil du patient au sein d’un cabinet, d’un
centre de radiologie, d’un hôpital ou d’une clinique, d’une
maison de retraite, etc., doit être travaillé ; les explications
des soins compliqués et appliqués aux phases ultimes de la vie
demandent du temps. Les désarrois de patients qui n’ont plus
le désir de poursuivre le soin en passant par les idées fausses
voire manipulées qui tournent autour de cette mal nommée
“euthanasie”, et la méconnaissance des lois – notamment
la loi Leonetti – sont à reconnaître. Les ambivalences des