Thème spécial
Réflexions sur la déflation
Généralités
Ces dernières années, la plupart des pays industrialisés ont réalisé des
progrès considérables dans la lutte contre l'inflation. Ce succès s'est traduit
un peu partout par une prospérité économique et par une croissance assez
régulière du PIB. Seul le Japon fait exception: ce pays est tombé dès 1995
dans une phase déflationniste et lutte depuis lors contre des tendances
récessives.
Le problème de la déflation présente certains aspects qui méritent attention.
Notre analyse s'articule en cinq volets. Nous traiterons successivement des
succès de la politique monétaire dans la lutte contre le renchérissement dans
les années nonante, des principaux paramètres déflationnistes et en
particulier du taux d'intérêt zéro (zero interest-rate floor, ZIF), des expériences
faites au Japon dans un contexte déflationniste ainsi que des solutions
avancées par le FMI et la FED pour lutter contre la déflation. Nous en tirerons
quelques conclusions par rapport au contexte helvétique.
Succès dans la lutte
contre l'inflation
dans les années
nonante
Le graphique 1 montre l'évolution du taux d'inflation dans les pays membres
du G7 et en Suisse. Ce graphique illustre l'efficacité des mesures anti-
inflationnistes. 1
Les années septante se caractérisent par une forte augmentation du
renchérissement, tandis qu'une phase nettement plus modérée s'est instaurée
dès le début des années quatre-vingt. Durant le dernier quart du 20ème siècle,
la plupart des pays industrialisés ont réussi à réduire leur taux d'inflation.
A cet égard, la Suisse se distingue dans la mesure où elle a pu maintenir son
taux d'inflation à un niveau comparativement très bas après la récession de
1975, à quelques exceptions près. Il a fallu attendre les années nonante pour
voir les autres pays rejoindre la Suisse.
La baisse du taux d'inflation s'est en outre accompagnée d'une diminution
considérable de la variabilité de cet indicateur.
L'inflation est devenue moins persistante. Il y a certes eu des périodes
caractérisées par une inflation un peu plus forte, mais ces pics sont restés à
un niveau relativement bas et ces phases inflationnistes ont duré nettement
moins longtemps que dans les années septante.
1 Cf. IMF (2002)
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1961
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1999
2001
Pays du G-7
Suisse
Graphique 1: Renchérissement depuis 1961
Indice des prix à la consommmation, variation en % par rapport à l'année précédente
Politique monétaire:
principal instrument
anti-inflationniste
Mis à part certains facteurs particuliers tels que l'évolution des prix du pétrole,
la lutte contre l'inflation a surtout été le fait de la politique monétaire. Les
adaptations institutionnelles (indépendance des banques d'émission) et la
focalisation de la politique monétaire sur le problème de l'inflation ont été des
facteurs décisifs.
Effets positifs sur
l'activité économique
réelle
Dans son „World economic outlook 2002“, le Fonds monétaire international
(FMI) analyse les effets positifs de cette tendance sur l'activité économique
réelle. Selon le FMI, l'économie a bénéficié dans les années nonante d'un
contexte nettement plus favorable, le taux d'inflation et sa volatilité étant très
bas. Globalement, une meilleure crédibilité de la politique monétaire et une
meilleure prédictibilité de l'inflation ont permis d'instaurer une réflexion à long
terme sur les marchés des facteurs de production et sur les marchés des
produits.
La déflation
Définition
La politique monétaire, qui vise la stabilité des prix, manque sa cible non
seulement lorsque l'inflation dépasse un certain taux, mais aussi lorsque les
prix sont en chute libre. Les périodes de déflation ont été très rares pendant
des décennies. Il a fallu l'expérience japonaise pour que cette problématique
devienne soudain une question d'actualité.
Par déflation, on entend la baisse continue du niveau des prix dans une
économie. En général, on se base sur l'indice des prix à la consommation.
Les prix des actifs (immeubles, actions) ou les taux de change ne sont pas
pris en considération.
Il faut distinguer la déflation des reculs momentanés du niveau des prix, par
exemple lorsque les prix du pétrole diminuent. De même, la baisse de l'indice
suisse des prix à la consommation en juin 2002 est liée à l'effet momentané
des soldes et ne peut être assimilée à une déflation. On parle de déflation
seulement si les prix évoluent à la baisse pendant une période assez longue
et que cette diminution s'accompagne d'une stagnation ou d'un recul du BIP.
De plus, il ne faut pas confondre déflation et désinflation, qui désigne la phase
transitoire entre un taux d'inflation élevé et un taux d'inflation plus bas.
Causes de a baisse
des prix
Il arrive souvent que le prix d'une marchandise baisse. Le progrès
technologique et l'amélioration de la productivité engendrent d'ailleurs une
tendance générale à la baisse pour les prix des produits industriels (par ex.
des puces électroniques). De même, les prix des matières premières peuvent
évoluer à la baisse pendant un certain temps en fonction des réserves à
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disposition et des prévisions quant à leur épuisement. Mais ces baisses de
prix ont lieu du côté de l'offre et n'ont aucun caractère déflationniste.
La déflation intervient à partir du moment où la demande s'affaiblit pendant
une période prolongée. Il faut en outre que les ménages et les entreprises
adoptent une attitude déflationniste, c'est-à-dire qu'ils s'attendent à ce que les
prix évoluent à la baisse pendant une période prolongée. Ces facteurs
déflationnistes peuvent induire une dynamique endogène, la baisse des prix
engendrant une baisse de la demande et vice versa.
Il s'agit d'analyser pourquoi, à partir du moment où une évolution
déflationniste se déclenche, celle-ci peut générer une sous-exploitation des
ressources économiques pendant une période assez longue.
Effets négatifs sur la
consommation et les
investissements
Les taux d'intérêts
nominaux ne peuvent
pas être négatifs...
...et les salaires
nominaux ne peuvent
en général pas être
revus à la baisse.
Solvabilité réduite des
débiteurs
Les attentes déflationnistes ont des effets dévastateurs pour la conjoncture
économique. Lorsque les attentes vont dans le sens d'une inflation, les biens
durables acquièrent un statut de valeur refuge, ce qui peut constituer un motif
d'achat. Celui qui renonce à consommer aujourd'hui pour pouvoir mieux
consommer demain, n'a plus besoin d'investir, mais doit simplement
thésauriser. Il en résulte une certaine retenue du côté des consommateurs.
Les investissements sont moins attrayants, parce que les prix des biens dont
la vente devrait servir à financer les investissements évoluent à la baisse sur
le long terme. En bref, la valeur actualisée des investissements diminue.
En règle générale, les attentes déflationnistes ne peuvent pas être
compensées par des taux d'intérêts bas, voire négatifs: en effet, aucun
créancier n'est enclin à prêter de l'argent à un taux qui ne couvre ni la prime
de risque, ni les frais. Dans ce cas, il a tout avantage à thésauriser.
Lorsque les prix des marchandises baissent, on peut en principe rétablir
l'équilibre économique en abaissant les salaires nominaux. Ce serait toutefois
un long et douloureux processus d'adaptation. La tendance à la baisse des
salaires et les attentes allant dans ce sens contribueraient à déstabiliser
encore davantage la demande autochtone.
Comme nous l'avons déjà formulé, la baisse des prix entraîne une diminution
de la valeur actualisée du produit du capital réel. Ainsi, les prix de ces valeurs
patrimoniales baissent, même si elles sont escomptées à un taux d'intérêt
inférieur. Par conséquent, la solvabilité des débiteurs se détériore. Une telle
évolution peut plonger le système bancaire dans une situation difficile, ce qui
freinerait inévitablement l'attribution de nouveaux crédits.
Potentiels de la
politique monétaire
Les instruments dont dispose la banque d'émission sont moins efficaces en
phase de déflation qu'en temps normal: même avec une politique monétaire
expansive, les intérêts réels peuvent rester clairement positifs à cause de la
limite du taux d'intérêt zéro. De même, l'influence des instruments de politique
monétaire sur la masse monétaire (par ex. M3) peut se diluer. En revanche, la
banque d'émission peut directement agir sur les attentes. Si elle arrive à
communiquer de manière convaincante qu'elle entend combattre la déflation
en prenant des mesures radicales et qu'elle a pour objectif un taux d'inflation
positif, elle est en mesure de palier ces difficultés.
Potentiels limités de la
politique budgétaire
Une politique budgétaire expansive pourrait offrir un échappatoire, mais
seulement jusqu'à un certain point. La déflation est un phénomène qui touche
en général l'ensemble de l'économie. Il faut donc faire appel à des moyens
financiers très importants, ce qui aurait pour effet d'alourdir considérablement
le déficit de la collectivité publique et d'augmenter fortement l'endettement de
l'Etat.
La politique budgétaire arrive à ses limites lorsque l'augmentation des impôts
sert à anticiper l'augmentation future des déficits: les consommateurs
réagissent immédiatement en réduisant leurs dépenses. Cette retenue
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contrebalancerait en partie l'effet expansif des programmes mis en oeuvre.
L'expérience
japonaise
Dans les années nonante, le Japon a fait de mauvaises expériences en
matière de déflation. A la fin des années quatre-vingts, le Japon a vécu une
inflation relativement élevée, doublée d'une explosion des prix des actifs
(biens-fonds, actions). En un premier temps, les mesures anti-inflationnistes
ont porté leurs fruits. L'inflation, les prix immobiliers et les cours des actions
se sont normalisés, et l'activité économique a repris sa croissance en 1994.
Ce redressement s'est toutefois avéré fragile. La valeur extérieure du yen a
augmenté d'un bond, paralysant du coup l'activité économique réelle.
L'économie japonaise ne s'est pas encore remise de cette léthargie2.
On peut avancer plusieurs causes pour expliquer cette évolution défavorable.
D'une part, l'économie japonaise est trop cloisonnée, autant à l'intérieur qu'à
l'extérieur. D'autre part, l'héritage du boom des années quatre-vingts a jeté le
les banques japonaises dans une situation extrêmement difficile, à laquelle
sont encore venus s'ajouter des problèmes d'ordre structurel. C'est surtout la
correction des prix immobiliers qui a mis à jour les faiblesses de ce système.
De nombreux instituts bancaires, qui avaient pratiqué une politique de crédit
trop rudimentaire, ont été rattrapés par l'agrégation des risques. A la
différence d'autres systèmes bancaires affectés par des problèmes similaires,
l'assainissement de la situation n'a pratiquement pas avancé au Japon.
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PIB réel (variation par rapport à la période précédente)
Prix à la consommation (variation par rapport au trimestre de l'année précédente)
Graphique 2: PIB et renchérissement au Japon
Stagnation ou
régression des prix
depuis 1995
.. et ses effets
En 1995, le taux de renchérissement est descendu dans le négatif, puis s'est
maintenu juste en-dessus de zéro pendant trois ans pour chuter ensuite dans
le négatif à partir de 1999.
Cette évolution a eu de graves conséquences pour l'économie japonaise.
La croissance réelle est très basse, l'activité économique est depuis
plusieurs années inférieure à la capacité normale de l'économie du
pays.
Le taux de chômage a doublé entre 1991 et 1999.
Les grands programmes de dépenses publiques ont généré des
déficits considérables et une forte augmentation de l'endettement de
l'Etat.
2 Les commentaires relatifs à la situation du Japon se fondent essentiellement sur l'analyse de Ahearne et al.(2002)
Thème spécial
Problèmes du secteur
financier
Les problèmes du secteur financier ont été exacerbés par la déflation. La
solvabilité des débiteurs a encore diminué. Le volume des crédits bancaires a
d'abord stagné pour fondre ensuite à partir de 1999.
Politique monétaire:
marge de manœuvre
restreinte
La politique monétaire était confrontée aux problèmes décrits plus haut.
Malgré l’élargissant la base monétaire et des taux d'intérêts directeurs
proches de zéro, les intérêts réels à court terme sont restés nettement
positifs. De surcroît, le système bancaire n'était guère en mesure de jouer son
rôle d'intermédiaire financier. La masse monétaire au sens large n'a guère
réagi aux sollicitations de la base monétaire. On qualifie souvent cette
situation de „trappe de la liquidité“.
Rôle de la politique
budgétaire
Au niveau de la politique budgétaire, d'importants programmes de stimulation
ont été mis en place, notamment pour le développement des infrastructures
publiques. L'évolution a été aggravée par le fait que les stabilisateurs
automatiques sont plutôt inexistants dans l’économie japonaise. En dépit des
déficits élevés et de la forte augmentation de l'endettement, les programmes
de relance ont seulement été en mesure de compenser quelque peu la chute
des investissements privés.
Conclusion: le Japon
n'a pas encore réussi
de sortir de la
déflation.
L'expérience japonaise montre qu'il est très difficile de sortir de la déflation
une fois qu'elle s'est installée.
En outre, dans le cas du Japon, pratiquement aucun des instruments
prévisionnels n'a permis de détecter cette déflation ex ante. Seules les
analyses ex post ont permis d'apporter quelques éléments de réponse
empiriques.
Recommandations
du FMI et de la FED
Eviter de la déflation
Notre analyse montre que plus le niveau des prix est stable, plus l'économie
en profite. Plus le taux de renchérissement s'approche de zéro pendant une
période prolongée, plus le risque de basculer dans une évolution récessive ou
déflationniste est grand. Une telle évolution est non seulement difficile à
prévoir, mais elle entraîne surtout des pertes considérables pour l'économie. Il
faut donc adopter une stratégie visant à réduire autant que possible le risque
de déflation. Dans son rapport annuel 2002, le FMI a formulé (pas
uniquement pour le Japon) quelques suggestions :
il faut définir une limite inférieure pour le taux d'inflation visé, qui soit,
de préférence, en-dessus de zéro,
lorsque le taux d'inflation est très bas, la banque d'émission devrait
vigoureusement réagir à toute baisse de croissance du PIB par une
diminution des taux d'intérêts. Le risque de déclencher ainsi une
inflation involontaire est considéré comme moins grave que celui de
tomber dans une déflation.
Remarques sur
l'évolution en Suisse
En Suisse, les prévisions basées sur le renchérissement des prix à la
consommation ont dû être revisées à plusieurs reprises durant ces dernières
années. Au premier semestre 2002, l'indice des prix à la consommation était
supérieur de 0.6 % par rapport au niveau du premier semestre 2001.
Le graphique 3 montre que la constellation actuelle est inhabituelle:
le taux d'inflation est juste en-dessus de zéro;
les taux d'intérêts à court terme sont très bas;
la croissance est faible.
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