"Le financement de l`économie - La régulation bancaire" Véronique

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Le financement de l’économie – la régulation bancaire
A quoi sert un système financier
Un système financier remplit plusieurs missions :
La première est de se faire rencontrer l’offre et la demande de financements. Les
offreurs sont les épargnants qui souhaitent placer leur argent pour augmenter son
montant grâce au taux d’intérêt. Les demandeurs sont les investisseurs comme les
entreprises, les ménages ou les Etats qui souhaitent emprunter. Les ménages
passent par le biais des banques pour accéder au crédit tandis que les Etats et les
entreprises ont le choix de passer par les banques ou par les marchés financiers (la
Bourse, par exemple).
La deuxième est de fixer le « prix » de l’argent. Celui-ci est défini par le taux d’intérêt :
les épargnants le souhaitent le plus élevé possible quand les emprunteurs le
souhaitent le plus bas possible. Si l’emprunteur est jugé peu fiable, l’épargnant va
exiger un taux d’intérêt plus élevé, c’est la prime de risque de défaut de l’emprunteur.
Le système financier permet le fonctionnement de l’économie réelle
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puisqu’il finance :
Les investissements des entreprises (formation de capital, achat de machines,
construction de bâtiments industriels et tertiaires) ou d’achats des entreprises
(matières premières, fournitures informatiques…).
la construction d’infrastructures (de communication, de fourniture d’énergie…).
la consommation et l’achat, notamment d’immobilier, à crédit pour les particuliers.
Les décalages de trésoreries entre les dépenses et les achats pour les entreprises
comme pour les particuliers.
La protection contre des risques de variation de prix (taux de change, taux d’intérêt,
prix de matières premières…) par le biais d’outils financiers plus sophistiqués
Longtemps ce rôle d’intermédiation entre les agents économiques a été effectué
essentiellement par les banques, détentrices à la fois des réseaux, des informations et de la
compétence nécessaires à la mise en relation et à l’évaluation du prix du risque. Mais
aujourd’hui, les marchés exercent aussi ce rôle, via la Bourse et d’autres plateformes
d’échanges de titres (obligations, actions) tels que les marchés directs entre opérateurs.
Au fil du temps les techniques financières se sont sophistiquées : des effets de commerce
inventés au moyen âge pour faciliter les commerces dans les grandes foires aux produits
dérivés d’aujourd’hui, en passant par la titrisation, l’histoire de la finance est pleine
d’innovations financières toujours créées pour les besoins de l’économie réelle, mais dont
les usages abusifs ont pu provoquer des crises. La première bulle spéculative s’est portée
sur les bulbes de tulipe aux Pays-Bas en 1634 suite à l’effet d’une maladie des bulbes, ce
qui encouragea la spéculation à la hausse des prix. L’éclatement de cette bulle a été suivi
d’une crise économique. Aujourd’hui, les nouvelles technologies de l’information et de la
communication ont accéléré les échanges d’informations sur les titres du marché financier,
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« Réelle » du latin « Res » la chose : contrairement à une acception souvent utilisée le terme d’économie réelle
ne signifie pas « vraie économie » par opposition à l’économie factice ou déconnectée de la réalité que serait la
finance. L’économie réelle est celle qui produit et vend des biens et des services.
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créant un vaste marché planétaire sans cesse actif en fonction des décalages horaires,
accélérant la transmission des crises.
Dans cette note, nous traiterons dans la partie 1 de la nécessité de réguler les marchés
financiers avant d’aborder dans une partie 2 les mesures pour que le système financier soit
davantage au service du financement de l’économie réelle.
Encadré : Définitions
Spéculation : La spéculation est un comportement consistant à gagner de l’argent en achetant des marchandises
des actifs financiers ou des devises avec l’intention de les revendre à une date ultérieure, en bénéficiant d’une
évolution favorable de leur prix de ces marchandises ou de ces actifs. La spéculation permet notamment la
couverture des risques (comme évoqué ci-dessous) : elle est alors utile à l’économie quand elle permet à une
compagnie aérienne de se prémunir de la hausse du prix du kérosène. Elle est nuisible à l’économie quand elle
se fait sur la dette publique de pays en difficultés comme la Grèce ou si elle conduit à des niveaux de prix des
actions ou des obligations, les matières premières ou de l’immobilier, sans lien avec le niveau de richesse moyen
de l’économie réelle.
Titrisation : Technique financière qui permet à une banque de transformer en titres négociables des actifs.
Initialement, cette technique a été utilisée par les établissements de crédit dans le but de refinancer une partie de
leurs prêts à la clientèle. Avec la titrisation, tout ou partie des risques de ces crédits sont transférés des banques
aux autres entités juridiques. Cette pratique s’étend aujourd'hui à d’autres types d’actifs et d’acteurs (portefeuilles
d’assurances, immobilier, créances commerciales). Côté avantages, cela permet aux banques d’augmenter leur
capacité de prêts pour financer l’économie réelle. Côté inconvénients, si cette pratique est mal encadrée, elle
donne lieu à une dispersion des risques dans l’ensemble du système financier et accrédite l’illusion de la
disparition des risques.
CDO : Un collateralized debt obligation ou CDO (en français : « obligation adossée à des actifs »), est une
structure de titrisation d'actifs financiers de nature diverse. Les crédits dits subprimes (prêts immobiliers à des
ménages peu solvables,) sont compilés dans ces outils avec d’autres prêts non risqués à des entreprises ou des
ménages pour devenir des titres à part entière qui circulent sur les marchés financiers.
Prêts Subrprimes : ce sont des prêts immobiliers à des ménages aux revenus faibles et erratiques (ménages dit
sous-primes, donc sous les premiers pour une traduction littérale). Ces prêts octroyés par des sociétés
d’hypothèque ont été revendus sous forme de titrisation à d’autres acteurs financiers comme des grandes
banques d’investissement américaines.
Produits dérivés : Il s’agit de produits financiers dérivés, dont le « sous-jacent » est un actif de type crédit, c'est-à-
dire une créance ou une obligation. Ces instruments ont servi de couverture de risque afin de se protéger contre
un risque -défini comme la probabilité mathématique qu'un dommage se produise- par des contrats d'assurance
permettant d'apporter un certain niveau de compensation. Ils sont utilisés par exemple par des entreprises
aériennes pour se prémunir de la hausse du prix du kérosène. Un autre acteur financier prend alors le risque de
hausse de prix mais il pense lui, que le prix baissera…
Accords de Bâle : accords de réglementation bancaire signés dans la ville de Bâle (Suisse), et élaborés par le
Comité de Bâle composé de banquiers centraux. Bâle I est signé en 1988. Bâle II, qui renforce les premiers
accords, est mis en place entre 2004 et 2008. Les accords de Bâle III ont été publiés fin 2010 et leur mise en
place est prévue entre 2012 et 2019.
I. Fonctionnement et régulation du système financier
1.1. Retour sur l’histoire du système financier depuis la crise des années 1930
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Le système de financement de l’économie a connu de fortes évolutions et des réformes de la
gouvernance qui ont modifié le paysage bancaire.
La crise des années 30 aux Etats-Unis a commencé par une crise boursière qui s’est
propagée à tout le système bancaire. Les banques avaient prêté de l’argent à des
investisseurs qui achetaient des actions (parts d’entreprise), amplifiant le mouvement de
spéculation à la hausse du cours des actions jusqu’à conduire au krach. Après le krach, les
banques n’ont plus é remboursées des prêts qu’elles avaient accordés, entrainant un
effondrement des banques et des retraits massifs des dépôts sous forme de billets (bankrun)
et une contraction du crédit distribué par les banques (credit crunch). Les Etats-Unis ont
décidé de mettre en œuvre la séparation entre les banques de dépôt et les banques de
financement de l’économie (Glass-Steagal Act de juin 1933). Cette idée est apparue car la
crise des années 30 avait une origine boursière et qu’on a souhaité séparer le système
bancaire de la Bourse. Elle a eu une incidence importante sur le paysage bancaire américain
qui s’est organisé autour de deux types de banques : des banques d'investissement de très
grande taille mais sans dépôts et des groupes bancaires de dépôts très nombreux et plus
petits.
La crise économique des années 70 s’est caractérisée par de l’inflation et l’absence de
croissance. Les gouvernements ont essayé de relancer l’économie par des politiques
budgétaires expansionnistes (faire du déficit) sans résultats. L’interventionnisme économique
keynésien a été remis en cause : l’école monétariste a alors proposé de lutter contre
l’inflation par des politiques de rigueur et de laisser les entreprises se financer sur les
marchés financiers. C’est l’époque de la déréglementation des activités financières. Les
nations ont appliqué diversement ces nouvelles politiques économiques.
Aux Etats-Unis, la loi de séparation des activités bancaires a prévalu légalement jusqu’en
1999 mais les innovations financières et notamment la pratique de la titrisation permettant
aux banques prêteuses dans l’immobilier de revendre les risques à d’autres porteurs a rendu
inopérantes les frontières qui existaient entre les banques de détail et les banques
d’investissements.
En France, le contrôle du crédit est aboli en 1987 et est remplacé par le recours au marché
interbancaire et les entreprises sont introduites en Bourse avec les privatisations. Le
système financier français s’est bâti, au contraire du système américain, sur des banques
universelles. Celles-ci font en effet des activités commerciales classiques auprès des
ménages et des PME mais sont aussi des banques d’investissement qui gèrent des
portefeuilles d’épargne et des grandes entreprises. Les banques universelles, c’est-à-dire
des ensembles financiers, regroupent directement ou via des filiales les différents métiers
des banques de détail, des banques de financement et d’investissement et des banques de
gestion d’actifs. Ces banques ont également une forte présence à l’étranger permettant de
renforcer leurs propres positions et de mieux accompagner leurs clientèles, notamment les
entreprises à l’étranger et aussi par croissance externe (achats de filiales à l’étranger). Ce
modèle fait de la France un acteur majeur des grandes banques mondiales. Même si la crise
a pu mener les banques françaises à réduire la banque d’investissement, elles restent parmi
les plus grandes en Europe. La France possède ainsi quatre banques systémiques
mondiales (Banque populaire-caisses d’épargne, BNP Paribas, Crédit Agricole et
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Société Générale) et même 5 en comptant Dexia. Le Royaume Uni en compte quatre aussi
quand l’Allemagne et l’Italie n’en comptent qu’une seule chacun.
1.2. Le système financier avant la crise
Après toutes ces années de bouleversements de la réglementation, le système financier des
années 2000 présente les caractéristiques suivantes :
Une libéralisation des marchés financiers et une interconnexion mondiale des
marchés financiers nationaux par le biais des réseaux informatiques.
Un encadrement des marchés financiers qui reste malgré tout au niveau national
(Autorité des marchés financiers, Autorité de contrôle prudentiel).
Une place plus importante des financements par les marchés, tant pour les
entreprises (actions, obligations) que pour les banques (financement interbancaire).
Depuis 1997, la capitalisation boursière du CAC40 à Paris a quasiment doublé,
même avec la crise. Cependant, ces dernières années, les entreprises émettent
plutôt des obligations sur les marchés financiers (jugées moins risquées que les
actions).
Une place tout aussi importante des banques car elles ont su utiliser leurs
compétences dans la mise en relation et la circulation de l’information pour être
prépondérantes dans le conseil aux entreprises (ingénierie financière, introduction en
bourse…). Elles sont devenues principaux acteurs de la globalisation financière mais
ont réinventé leurs contours en élargissant le portefeuille de métiers vers les activités
de marché et l’assurance.
Un basculement de l’épargne des ménages vers les marchés, puisque la part des
dépôts à court terme (comprenant les livrets) est passée de 44,8% en 1990 de
l’épargne à 29% au début 2011, tandis que l’assurance-vie est passée de 14 à 36%
(Les placements effectués sont à 70% en obligations et titres de créances, et à 11%
en actions d’entreprises, dont la part a été divisée après la crise financière, mais les
2/3 des investissements sont faits hors de France
2
).
Un accès faciliau crédit par le biais d’un marché financier mondial avec beaucoup
de liquidités générées par des politiques monétaires expansionnistes aux Etats Unis
et au Japon (taux d’intérêt bas, offre de monnaie accrue), permettent aux entreprises
comme aux ménages et aux Etats riches de s’endetter plus facilement que par le
passé.
Une réglementation internationale peu mise en œuvre : la première étape dans une
coordination des réglementations bancaires date de 1988, quand les gouverneurs
des banques centrales, réunis à Bâle, ont formulé pour la première fois des
recommandations communes pour le niveau de fonds propres exigé des banques
internationales par rapport à leurs risques de crédit. Ces recommandations, que
chaque pays était chargé d’appliquer pour ses banques, ont d’abord été appelées
ratios Cooke, du nom du premier président du comité crée à Bâle, puis « Bâle 1 »
quand, bien plus tard, une deuxième version des recommandations a été appelée
« Bâle II ». Celle-ci tenait compte du développement des marchés pour inclure leurs
risques dans les exigences de fonds propres pour les banques.
2
Source : Bulletin de la Banque de France 2
e
trimestre 2011 et 4
e
trimestre 2011.
5
De plus, les pays développés ont ainsi profité de ce système pour soutenir leur croissance
par l’endettement. Pendant ce temps, les économies des pays émergents croissaient en
devenant les « usines du monde ». Ainsi, les balances commerciales se sont déséquilibrées
entre pays développés et émergents et des flux d’épargne sont venus des pays en
développement vers les pays riches, au premier rang desquels les USA réputés pour leur
solidité financière.
Jusqu’à la crise, les marges réalisées par les banques sur les différences de taux entre
l’argent déposé par les épargnants et l’argent prêté ont sensiblement diminué (sous l’effet de
la concurrence, de l’évolution des taux …). Pour maintenir leur rentabilité, les banques ont
diversifié leur activités, commercialisant des produits générateurs de commissions (cartes
bancaires, assurances..). Elles ont aussi développé une activid’investissement ainsi que
du trading pour compte propre en investissant une partie de leurs réserves sur les marchés
financiers.
1.3. Un nouveau système financier mondial depuis la crise
La crise de 2007 est venue remettre en cause violemment ces évolutions. Les déséquilibres
des balances commerciales ont entrainé des déséquilibres financiers (excédents d’épargne
en Chine contre excès de dette aux USA), un endettement structurel s’est développé tant
dans la sphère privée que publique dans les économies développées ; les innovations
financières ont permis de faire disparaitre l’impression de risque par la titrisation.
Mais avec la pratique de la titrisation et l’interpénétration des marchés financiers et
bancaires au niveau mondial, l’explosion d’une bulle spéculative limitée à l’immobilier
subprime américain s’est propagée à l’ensemble de la planète financière. C’est ainsi que le
risque systémique est réapparu, c’est-à-dire le risque sur la stabilité du système financier. La
titrisation et les produits dérivés ont en effet disséminé le risque : celui-ci n’a pas disparu
mais il s’est dilué dans une multitude de banques, souvent en dehors du pays d’origine du
risque (ici les Etats Unis).
La crise financière s’est propagée aux Etats qui ont recapitaliser des banques et le
ralentissement de l’économie a réduit les recettes fiscales et augmenté les dépenses. La
crise de la dette privée est devenue une crise de la dette publique.
Pour limiter le retour des crises, les Etats ont lancé un mouvement de re-régulation du
marché financier. Il s’agit pour eux de mieux encadrer les opérateurs financiers, au premier
rang, les banques, afin d’éviter un retour du risque systémique.
Au niveau international, le G20
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a été réactivé après la crise financière en 2009 pour mettre
en place une nouvelle régulation financière internationale. Si les résultats sont pour l’instant
limités, ils ont quand même permis de :
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Le G20 est composé de dix-neuf pays et de l'Union européenne dont les ministres, les chefs des banques
centrales et les chefs d'États se unissent régulièrement. Il a été créé en 1999, après la succession de crises
financières dans les années 1990 et réactivé par le Président américain en 2008 suite à la crise financière.
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