Fonction maculaire chez le plongeur professionnel

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J Fr. Ophtalmol., 2000; 23, 5, 472-474
© Masson, Paris, 2000.
COMMUNICATION DE LA SFO
Fonction maculaire chez le plongeur professionnel
V.-M. Peyraud-Gilly, P. Daubas, T. Joly, G. Filliard, S. Monroux-Rousseau
Service d’Ophtalmologie, Hôpital d’Instruction des Armées Sainte-Anne, F 83000 Toulon Naval.
Correspondance : V. Peyraud-Gilly, 270, chemin de Cambeiron, 83330 Le Beausset.
E-mail : [email protected]
Reçu le 30 septembre 1999. Accepté le 28 février 2000.
Macular investigations in professional divers
V.-M. Peyraud-Gilly, P. Daubas, T. Joly, G. Filliard, S. Monroux-Rousseau
J. Fr. Ophtalmol., 2000 ; 23, 5 : 472-474
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Purpose: Air diving is frequently practiced by professionals or sportsmen. Controversial data
exist in the literature on the existence of retinal abnormalities in divers.
Patients and methods: 18 divers (aged: 27-58y) who dived around 2000 times in their life
were studied: half of them dived only with air while the others used an O2-enriched gas mixture (40 to 60%). None of them had presented a bend (decompression sickness). Visual acuity
and ocular fundus examination have been explored. A quantification of color vision and central
visual field, so as a fluorescein angiography have been performed.
Results: No alteration of visual acuity was noted; abnormalities in the color vision and the
visual field are reported; however the angiographic lesions described in the literature have not
been observed.
Discussion: The alterations of color vision were quite severe but not very frequent. No correlation was found with any characteristics or type of diving.
Conclusion: These observations are comforting for sportive divers who do not dive very often
nor very deep but an individual predisposition is suspected.
Mots-clés : Diving, retina, color vision, central visual field, fluorescein angiography.
Fonction maculaire chez le plongeur professionnel
Introduction : La plongée sous-marine est une activité très pratiquée, aussi bien au plan professionnel que des loisirs. Il est donc intéressant de vérifier son innocuité sur l’œil, d’autant
plus qu’il existe une controverse quant à l’existence d’une maculopathie dysbarique.
Sujets et méthodes : 18 plongeurs professionnels essentiellement de la Marine utilisant l’air
ou des mélanges enrichis en oxygène, et dont la principale caractéristique est l’important passé
subaquatique, ont été examinés : mesure de l’acuité visuelle, fond d’œil, vision des couleurs
(Farnsworth 100 Hue), champ visuel central (Stat 57/Moniteur Ophtalmologique Métrovision),
angiographie à la fluorescéine.
Résultats : L’acuité visuelle n’était altérée chez aucun plongeur. Le fond d’œil présentait une
tortuosité vasculaire dans un cas et une excavation papillaire dans 3 cas. L’examen de la vision
des couleurs a révélé des anomalies sur un quart des yeux examinés dont plus de la moitié a
au moins deux déviations standards. L’examen du champ visuel a montré un scotome central
relatif dans la moitié des cas. L’angiographie présentait dans 4 cas des plages d’hétérogénéité
dans l’aire maculaire.
Discussion : L’absence de retentissement à court et moyen terme sur l’acuité visuelle a été
confirmée. Des anomalies peu fréquentes mais assez sévères ont pu être mises en évidence
sur la discrimination chromatique, et modérées mais fréquentes sur le champ visuel central.
En revanche, les anomalies angiographiques décrites dans la littérature chez certains plongeurs
n’ont pas été retrouvées.
Conclusion : La plongée de loisir ne paraît pas entraîner de retentissement oculaire important :
les anomalies retrouvées dans cette étude sont modérées ou peu fréquentes. Compte tenu
du très grand nombre et des conditions de plongées réalisées par les plongeurs étudiés (utilisation de mélanges enrichis en oxygène), les amateurs de plongée sous-marine peuvent se
voir rassurés, bien que mis en garde de l’existence très probable d’une susceptibilité individuelle.
Mots-clés : Plongée sous-marine, rétine, vision des couleurs, champ visuel central, angiographie fluorescéinique.
INTRODUCTION
La plongée sous-marine est devenue
une activité fréquente, tant au plan
ludique ou sportif que professionnel
notamment portuaire. Les accidents
avec retentissement ophtalmologique clinique sont rares et les symptômes décrits relèvent le plus souvent
du registre neuro-ophtalmologique
[1]. Cependant il existe dans la littérature une controverse en ce qui
concerne l’existence de lésions rétiniennes, essentiellement maculaires,
en relation avec la pratique de la plongée sous-marine : deux études en effet décrivent des anomalies angiographiques de l’épithélium pigmentaire
maculaire notamment à type d’effet
fenêtre [2-4]). Deux autres études retrouvent une incidence identique dans
le groupe témoin, mais comportent de
nombreux biais (notamment groupe
témoin constitué de plongeurs) [5, 6]).
Il semble donc intéressant de tenter de
vérifier l’innocuité de la plongée sousmarine au niveau rétinien.
SUJETS ET MÉTHODES
Dix-huit plongeurs professionnels
ont été examinés : 15 plongeurs de
la Marine (6 plongeurs de bord utilisant l’air et 9 plongeurs-démineurs
utilisant des mélanges enrichis en
oxygène, le plus souvent à 40 ou
60 %) et 3 plongeurs civils actuellement moniteurs de plongée utilisant
l’air. Il s’agit de sujets de sexe masculin, dont l’âge moyen est de 33 ans
(31 ans si l’on ne considère que les
Vol. 23, n° 5, 2000
plongeurs militaires) ; cinq sont des fumeurs modérés
et aucun ne présente d’antécédent familial de dégénérescence maculaire liée à l’âge.
En ce qui concerne les plongées, leur nombre moyen
par plongeur est de 2 150 avec des extrêmes de 400
à 7 500, la profondeur moyenne se situe autour de
30 mètres avec des profondeurs maximales de
35 mètres pour les plongeurs de bord et de 80 mètres
pour les plongeurs-démineurs. La durée moyenne des
plongées est de 30 minutes avec des extrêmes allant de
10 minutes à trois heures. Le délai séparant l’examen
de la dernière plongée est très variable, de quelques
heures à plusieurs mois. À de très rares exceptions près,
les tables de décompression ont toujours été respectées, même si les plongeurs les plus anciens ont utilisé
autrefois les anciennes tables de décompression. Deux
plongeurs seulement ont signalé des effets secondaires
pouvant être rapportés à la pratique de la plongée :
arthralgies pour l’un et une hypoacousie pour l’autre.
Les examens pratiqués ont été les suivants : mesure
de l’acuité visuelle de loin, de près; fond d’œil centré
sur le pôle postérieur ; vision des couleurs par le test de
Farnsworth 100 Hue ; champ visuel des 15 degrés centraux, statique, automatisé avec un moniteur ophtalmologique Métrovision, protocole Stat 57 ; et enfin
angiographie numérisée à la fluorescéine.
À noter que seuls l’acuité visuelle et l’examen du fond
d’œil avaient été réalisés au préalable, lors de l’admission des plongeurs militaires notamment, l’examen de
la vision des couleurs ayant été réalisé à l’aide d’un
autre test (Ishihara).
Fonction maculaire chez le plongeur professionnel
Figure 1 : Dyschromatopsie sans axe particulier.
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RÉSULTATS
L’acuité visuelle était de 10/10 pour tous les plongeurs
à l’exception du plus âgé (58 ans) qui n’avait que 8/10
à l’un des deux yeux.
L’examen du fond d’œil a montré un cas de tortuosité
vasculaire et trois cas d’excavation papillaire sans hyperpression intraoculaire associée.
L’examen de la vision des couleurs était anormal pour
neuf yeux (sept sujets), avec des scores supérieurs à
deux déviations standards dans cinq cas (fig. 1). Nos critères se rapportent à la table de Verriest, Van Laethem
et Uvuls [7], qui tient compte de l’âge mais aussi de
l’inexpérience du sujet, ce qui était le cas dans notre
étude.
Au champ visuel, un scotome relatif, le plus souvent
central ou paracentral, a été retrouvé sur dix yeux, ce
qui représente une atteinte de la moitié des sujets
(fig. 2).
L’angiographie était normale la plupart du temps, en
dehors de quatre cas d’hétérogénéité dans l’aire maculaire. Il faut noter l’absence d’effet fenêtre franc.
Figure 2 : Scotome central relatif.
Aucune différence statistiquement significative n’a pu
être mise en évidence entre les deux sous-groupes de
plongeurs, en air et en mélanges enrichis en oxygène,
en ce qui concerne les anomalies de la vision colorée et
celles du champ visuel (test du chi2).
V.-M. Peyraud-Gilly et coll.
DISCUSSION
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Notre étude a confirmé l’absence de retentissement à
court et moyen terme sur l’acuité visuelle.
Des anomalies de la vision des couleurs ont pu être
mises en évidence dans un nombre non négligeable de
cas (25 % des sujets) et relativement importantes
puisqu’elles dépassaient deux déviations standards dans
plus de la moitié des cas. Ceci n’avait pas été noté dans
les études de la littérature, à l’exception de celle réalisée
dans notre service mais qui portait sur des plongeurs
par système c’est-à-dire cumulant les différents facteurs
de risque (plongées prolongées à très grandes profondeurs) et avait montré l’existence de dyschromatopsies
acquises d’axe bleu-jaune essentiellement [3, 4]. Une
autre étude récente a également mis en évidence une
différence significative du nombre d’erreurs entre
groupe des plongeurs et groupe témoin au 15 Hue
désaturé (Macarez R, 1998. Mémoire de D.E.S. Faculté
de Médecine de Brest.). L’absence d’anomalies ou de
différence avec le groupe témoin dans les deux autres
études [6, 5] peut s’expliquer par l’utilisation de tests
beaucoup moins sensibles (Ishihara pour l’une, non précisé pour l’autre).
Une fréquence également anormale de scotomes
centraux relatifs avoisine les 50 %, même si ceux-ci sont
très localisés et peu profonds. De tels troubles n’étaient
pas non plus rapportés dans la littérature, mais là
encore les tests pratiqués manquaient de sensibilité
(analyseur de Friedmann) [5].
En ce qui concerne l’angiographie, les anomalies
décrites comme les effets fenêtres ou les dilatations
capillaires n’ont pas été retrouvées de façon aussi nette
chez nos plongeurs puisque chez quatre d’entre eux
uniquement une diminution et non une disparition
complète focale de l’épithélium pigmentaire a pu être
notée dans l’aire maculaire sous la forme de plages
d’hétérogénéité. Les anomalies décrites dans la littérature étaient plus fréquemment retrouvées lors d’antécédent d’accident de décompression et de long passé
subaquatique (plus de quatre ans d’expérience) [2]. Nos
plongeurs ont vraisemblablement beaucoup plus de
plongées à leur actif, mais n’ont pas présenté d’accident de décompression à proprement parler. Par
ailleurs, l’étude concluant en l’absence de retentissement rétinien de la plongée en cas de respect des tables
comporte de gros biais concernant le groupe contrôle :
outre celui, majeur, de contenir des plongeurs (même
si ceux-ci ne le sont que depuis un an, l’existence d’une
J. Fr. Ophtalmol.
susceptibilité individuelle ne peut être écartée), l’absence
d’appariement au niveau du sex ratio mais surtout de
l’âge avec une différence de 10 ans entre les deux groupes, et son effectif très restreint (sept sujets). De plus,
le nombre total de plongées réalisées au cours des dix
années requises pour l’inclusion dans l’étude n’est pas
précisé, en dehors de celui concernant les plongées audelà de 30 mètres qui est de 77 en moyenne [5].
CONCLUSION
L’intérêt de cette étude réside dans l’importance du
passé subaquatique des sujets étudiés et la mise en évidence d’anomalies de la vision colorée relativement peu
fréquentes mais assez profondes, ainsi que du champ
visuel central qui sont elles souvent très discrètes mais
fréquentes. Il faut cependant émettre quelques réserves
à l’égard des résultats périmétriques, réalisés pour la
première fois chez ces sujets et dont les anomalies touchaient quasi-exclusivement l’œil droit, premier œil
testé.
Il semble toutefois licite de rassurer les plongeurs de
loisir car malgré l’importance des anomalies de la vision
colorée retrouvées chez certains plongeurs, celles-ci restent peu fréquentes compte tenu du très grand nombre
de plongées réalisées ; néanmoins, nous serions tentés
de les mettre en garde de l’existence très probable
d’une susceptibilité individuelle, aucune corrélation
n’ayant pu être déterminée entre la présence d’anomalies fonctionnelles et/ou angiographiques et les différents paramètres étudiés.
RÉFÉRENCES
1. Butler FK. Diving and hyperbaric ophthalmology. Surv Ophthalmol,
1995;39:347-66.
2. Polkinghorne PJ, Cross MR et Sehmi K. Ocular fundus lesions in
divers. Lancet, 1988;2:1381-3.
3. Daubas P, Joly T et Landes J. Peut-on parler de maculopathie
dysbarique ? Ophtalmologie,1992;6:366-9.
4. Daubas P, Robinet C, Joly T, Guillou L, Filliard G, Trividic A, Landes
J. L’oeil du plongeur, fenêtre ouverte sur le dysbarisme. Revue
Scientifique et Technique de la Défense, 1995;3:179-85.
5. Holden R, Morsman G et Lane CM. Ocular fundus lesions in sports
divers using safe diving practices. Br J Sports Med, 1992;26:90-2.
6. Murrison AW, Pethybridge RJ et Rintoul AJ. Retinal angiography in
divers. Occup Environ Med, 1996;53:339-42.
7. Risse JF. La vision des couleurs. In : Explorations de la fonction
visuelle. Paris : Masson ; 1999. p. 373.
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