"Juifs, Yéménites"
Yémen. Elle est formée aujourdhui de moins de 300 personnes, réparties dans trois lieux uniques : les villages de
Kersa et de Ridha, dans la province dAmran, puis Sanaa, la capitale. Les enfants représentent près de 30% du total
de la communauté. Ils perpétuent une présence vieille de près de 2000 ans. Avant de quitter lécole, le professeur
murmure la prophétie : « Al Knafei Nesharim... », « Les juifs yéménites gagneront un jour la terre promise sur les
ailes dun aigle ».
« Les ailes dun aigle »
Pour beaucoup de juifs yéménites, la prophétie sest réalisée. LAigle a pris les formes dun C-46 ou dun DC-4 aux
couleurs dAlaska Airlines. De juin 1949 à septembre 1950, au départ dAden, dans le sud, 380 rotations aériennes
ont conduit 50 000 juifs yéménites dans le nouvel Etat dIsraël. En 15 mois, la discrète opération « Tapis magique »,
couplée au mouvement démigration débuté au XIXème siècle, a failli enterrer la mémoire de cette communauté au
Yémen. Quelques uns, une poignée, nont pas rendu la prophétie possible. Ils se disent juifs, avant tout. Mais ils ont
fait le choix de rester Yéménites. Malgré les conditions économiques, qui renvoient le pays dans les profondeurs des
classements internationaux du développement humain. Malgré les conditions sécuritaires, à lorigine du rapatriement
forcé dans la capitale des soixante derniers juifs de Saada, dans le nord. Cétait en janvier 2007. Yahia Ayish,
technicien de formation et guérisseur, est un des rabbins de la province dAmran. Il reçoit dans son salon. Demain
débute le Shabbat, il sapplique à le préparer. Il est rabbin « par savoir et non par titre », grâce à la transmission
érudite de son père. Pour lui, « être un juif au Yémen, cest se rattacher à une histoire : être un Yéménite, un fils de
Yéménite. Je ne pourrai pas vivre ailleurs, je suis un Yéménite ». Le cheikh musulman Harrash, du village de Kersa,
ne dit pas autre chose. Il sapplique à tenir son rôle auprès de toutes les communautés : aider les juifs à résoudre
leurs problèmes, leurs différends. « On agit avec les juifs comme sils étaient des nôtres », conclue-t-il, rompant les
éventuels a priori sur un cloisonnement des confessions. Mais être Juif au Yémen, aujourdhui, ne relève pas dune
tradition immuable et figée. Lérosion des traditions, la préservation dun « caractère » Limagerie transmise par les
voyageurs et photographes du XIXème siècle appartient désormais au répertoire de la trace et du témoignage. Les
synagogues historiques des villes de Sanaa, Aden ou Taez ont disparu depuis longtemps. Les lieux de culte ont
investi les habitations privées. Ils prennent place dans les Mafraj, ces vastes salons bordés de matelas et de
coussins dans lesquels tous les yéménites se retrouvent pour discuter. Les textes religieux sont en bon ordre sur des
étagères, au mur une affiche donne le mode demploi précis du port de la kippa. Il faut pousser la porte en fer dune
habitation pour découvrir lunique synagogue de la région dAmran. Lérosion de la tradition architecturale ou
vestimentaire est en marche, chacun le concède. Il sagit aujourdhui de préserver la pratique religieuse, considérée
comme lune des plus pures du monde juif, ou plus généralement le « caractère » des juifs yéménites, selon les
termes dun enseignant. Le judaïsme au Yémen revêt en effet plusieurs exceptions, rappelle le Professeur Ephraim
Isaac, retraité de lUniversité de Princeton et spécialiste du judaïsme en Ethiopie et au Yémen : « Dont lextrême
concentration lors de la prière, le style méditatif des chants, les vocalisations lors du rituel liturgique ou encore la
prononciation yéménite de lhébreu, qui pourrait se rapprocher du babylonien. Le judaïsme Yéménite est comme un
pont entre le judaïsme ancien et moderne ». Le Professeur Isaac insiste sur limportance de maintenir ce lien. Cette
spécificité religieuse est une source dappartenance essentielle. Elle marque la frontière avec des pays dont les
rapports aux Textes sont estimés moins rigoureux, Israël en tête. Israël. Le nom nest pas un tabou. Beaucoup sy
sont rendus, pour découvrir, ou simplement visiter des membres de leurs familles. Ils en sont revenus, avec une
exception notable sur leurs passeports : la trace du tampon de laéroport Ben Gourion, synonyme de refoulement
dans un pays arabe (sauf pour la Jordanie et de lEgypte, signataires dun accord de paix). Les Etats-Unis ont aussi
un goût dhorizon pour certains. « Jirais bien pour trouver un emploi ou pour que mes enfants bénéficient dun
meilleur enseignement religieux », précise un jeune professeur qui a vécu 13 ans à New York, avant de revenir se
marier au Yémen. Le voyage à létranger a des allures de choc pour beaucoup, ce dont sest bien aperçu le rabbin
Samuel, venu de New York pour sassurer des bonnes conditions dexistence des juifs du Yémen. Son constat : la
nécessité de développer sur place les écoles religieuses. Le rabbin soulignait le choc des déracinements successifs,
« quitter le Yémen, sinstaller à New York, puis revenir de nouveau au Yémen après une expérience américaine de
plusieurs années et un apprentissage en yiddish ». De fait, cest bien la question de lenseignement religieux qui
monopolise lessentiel des discours des juifs rencontrés au Yémen. Ils pointent le manque de manuels, despaces,
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