Presse Sport dossier Sport et alimentation Quel que soit leur niveau, rares sont les sportifs qui ne se sont jamais intéressés à leur alimentation. Outre certaines croyances tenaces, il y a aussi des modes, comme le règne des sucres lents (pâtes, riz), aujourd’hui concurrencés par le régime crétois. On relève également des comportements irrationnels dans les sports à catégorie de poids et les disciplines où la prise de quelques grammes superflus tourne à l’obsession. Sport et alimentation, c’est parfois l’amour-haine… Novembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°393 9 VOUS AVEZ DIT RÉGIME ? Nourriture je t'aime, moi non plus... Sport et alimentation entretiennent des rapports étroits mais compliqués, voire difficiles. Trop de sportifs maltraitent leur assiette et leur corps. Comment manger mieux pour donner le meilleur de soi ? À table ! ssayez un jour d’avaler une bonne choucroute avant de gravir le col de l’Izoard et vous comprendrez tout de suite qu’alimentation et sport ne font pas toujours bon ménage ! Plus largement, les exigences d’un organisme en plein effort sont parfois difficiles à gérer, et surtout à anticiper. Les fringales légendaires qui scotchent les cyclistes au bitume n’épargnent personne, de l’amateur au champion. « Au début du siècle, raconte Jean-Paul Brouchon, ancien chroniqueur sportif à France-Info, dans une interview donnée en 2003 au Point, les coureurs parcouraient dans les 400 km dans la journée… Alors certains s’arrêtaient carrément dans une auberge ou directement chez l’habitant pour prendre un bol de soupe et un petit coup de rouge ! » De mémoire de spécialiste, c’est Fausto Coppi qui le premier a pris conscience de l’importance de collations fréquentes, suite à sa rencontre avec le nutritionniste Gayelord Hauser (1). Tout le monde a ensuite voulu l’imiter : « Son grand rival Bartali faisait même surveiller ses poubelles!», rapporte Jean-Paul Brouchon. Aujourd’hui, même les cyclistes amateurs ont appris à s’alimenter avant d’avoir faim. Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples. Si la science a fait beaucoup de progrès, l’alimentation a encore ses raisons que la raison ignore, et les « croyances alimentaires » les plus farfelues ont souvent la vie dure. « Déjà, plusieurs siècles avant E 10 Décembre 2005 Jésus-Christ, dans le cadre des Jeux Olympiques antiques, on préconisait aux sauteurs de manger de la viande de chèvre, aux boxeurs du taureau et aux lutteurs du porc, rappelle le Dr Jean-Pierre de Mondernard, médecin érudit et spécialiste du dopage. Et dans le rugby des années 1980, on considérait encore dans certains clubs huppés que les avants avaient tout intérêt à manger du sanglier tandis que les arrières trouveraient dans le chevreuil de quoi bondir plus vite ! » CROYANCES ALIMENTAIRES ET PRATIQUES DOPANTES Ces exemples montrent jusqu’où peuvent se nicher les croyances alimentaires et surtout jusqu’où les sportifs sont prêts à aller pour chercher dans la nourriture un remède, une potion magique, une recette qui assurera leur succès… « Dans le temps, les cyclistes croyaient beaucoup aux fakirs, ces soigneurs improvisés qui leur vendaient du miracle », sourit Jean-Pierre de Mondenard. De fait, certaines pratiques (prise de caféine, d’extraits de guarana – plante amazonienne aux vertus tout aussi excitantes – ou d’autres aliments) s’approchent dangereusement du dopage. « Le sportif est tout en sensations, souligne Véronique Rousseau, diététicienne à l’Insep, qui vient de cosigner avec le Dr Stéphane Cascua un ouvrage de fond sur le sujet (2). Il attend la formule magique qui améliorera sa performance. » Le sportif cherche le petit plus qui va le faire « décol- en jeu une autre idée du sport n°394 ler », jusqu’à parfois basculer dans « quelque chose de plus sérieux.» Ces modes et croyances se diffusent aussi dans les rangs des sportifs du dimanche. « Pendant des décennies, déplore le Dr de Mondenard, on a cru et répété que boire de l’eau pendant un effort physique coupait les jambes. C’était bien évidemment une aberration qui conduisait à de graves problèmes de déshydratation. » Il y eut aussi la mode des régimes pâtes à outrance, le règne absolu des sucres lents au détriment de tous les autres aliments. Dans les années 80, l’ouvrage du docteur Robert Haas, Manger pour gagner, qui préconisait ce type de déséquilibre alimentaire, fut la bible de nombreux champions et, par ricochet, celle de bien des amateurs. Aujourd’hui encore, nombreux sont les sportifs et les entraîneurs qui pensent que hors des pâtes et du riz il n’y a point de salut. «Je mangeais l’équivalent de deux kilos de pâtes cuites par jour et 300 grammes de viande à chaque repas », confie dans une interview à www.nutri-site.com le rugbyman Jérôme Thion, lequel a choisi depuis de varier son alimentation... Mais les « pasta party » d’avant les compétitions et les plâtrées de nouilles qu’ingurgitent au soir de chaque étape les cyclistes du Tour de France ne sont pas une légende. « On oublie trop souvent qu’il n’y a pas que les sucres lents, martèle le Dr Stéphane Cascua. Si l’on compare le corps humain à une Formule 1, le carburant, ce sont en effet les sucres lents. Mais, pour Presse Sports Sport et alimentation Le coureur cycliste Jacquinot se restaure lors de l’étape Les Sables-d’Olonne-Bayonne, Tour de France 1922. faire fonctionner l’électronique, il faut des vitamines que l’on trouve dans les légumes et dans les fruits. » De ce point de vue, le régime des cyclistes semble donc bien excessif. Jugée responsable d’apports en graisses animales suspects et peu digestes, la viande a souvent fait les frais de ces régimes exclusifs. Sauf chez ceux qui voulaient « faire du muscle » comme les haltérophiles ou les culturistes… « Pendant des années, et encore aujourd’hui, les sportifs ont fait preuve d’une véritable lipidophobie, dénonce le Dr Stéphane Cascua. Ils faisaient la chasse aux graisses en réduisant le plus possible les apports en lipides », avec des comportements parfois proches de l’anorexie. Or de nombreuses études ont démontré l’importance de certains lipides, comme les Oméga 3 ou 6, pour le bon fonctionnement de l’organisme. Certains ont donc réintégré ces graisses dans leur alimentation tandis que d’autres persistent dans l’abstinence la plus stricte… NON AUX RÉGIMES MIRACLES Quel que soit leur niveau, rares sont les sportifs qui ne se sont jamais intéressés à leur alimentation. Pour être plus performants ou parce qu’ils font du sport pour être en forme et améliorer leur apparence physique. « Tous les sportifs ont un jour où l’autre fait un régime. Pour perdre de la masse grasse quand on fait du marathon ou tout autre sport d’endurance, ou pour gagner du muscle dans les disciplines de vitesse ou de puissance», résume Véronique Rousseau. Sans parler des sports à catégorie de poids (judo, lutte, boxe), de la gymnastique ou même du ski de fond, où les régimes sont le « pain quotidien » des sportifs. « J’ai dû tester à peu près tous les régimes possibles avant de finir par comprendre », explique Nicolas Termier, ancien biathlète de haut niveau, créateur avec son ami Thomas Reppelin, lui aussi sportif de haut niveau, du site internet www.nutri-site.com. Avides d’informations et surtout d’astuces miracles qui les aideraient à mieux gérer leur problème de poids et leurs performances, les sportifs sont souvent prêts à essayer tout et n’importe quoi sans imaginer les conséquences de leur démarche. « Tout le problème, explique la diététicienne Catherine Schmitt, qui travaille notamment avec le pôle France de ski nordique, est de lutter contre les idées fausses qui traînent dans le milieu. Dans le sport, on a très vite tendance à éliminer tel ou tel aliment et à utiliser la complémenta- Décembre 2005 tion alimentaire sans s’assurer au préalable du bon équilibre de son alimentation ». Pourtant, dans les années 70 et 80, les travaux du Dr Creff sur le thème «Manger de tout un peu » ont permis de promouvoir une alimentation variée. « Le problème est que prôner une alimentation variée et équilibrée est moins séduisant que proposer un régime miracle. L’équilibre alimentaire, c’est du long terme », note Catherine Schmitt. « Chacun doit faire son propre cheminement alimentaire, un peu comme on choisit sa religion », explique Karine Herry. Bien que médecin, cette spécialiste de trail, également cinq fois championne de France du 100 km sur route, est passée par des excès avant de construire au fil des ans, avec son mari entraîneur et les conseils de nutritionnistes, son propre régime alimentaire. « Aujourd’hui, je suis convaincue qu’il faut privilégier la qualité de son alimentation plutôt que d’avoir recours à des produits synthétiques », confiet-elle. INDIGESTION DE BONNES RECETTES La sagesse serait-elle en train de l’emporter sur l’empirisme et les régimes miracles qui peuvent mener tout droit à la blessure ou à l’épui- en jeu une autre idée du sport n°394 11 Vandystadt sement ? « Il reste beauDes pâtes et encore des pâtes pour les cyclistes de l’équipe Festina. coup à faire », résume le nutritionniste Denis Riché, qui prêche une approche individualisée de l’alimentation des sportifs. Pourtant, on trouve dans les magazines spécialisés pléthore de conseils, de menus types ou même de régimes soit disant adaptés à la pratique de telle ou telle discipline. Pas facile de s’y retrouver, surtout quand des sportifs de renom, comme par exemple Jeannie Longo, adepte du bio et de la nourriture saine, y vont de leur propre livre sur le sujet (3). « Aujourd’hui, tout le monde se targue de faire de la diététique, note Catherine Schmitt. Les entraîneurs, les kinés, les médecins du sport n’hésitent pas à don- De même, si les barres ou les boissons énerner leurs petits conseils qui sont souvent très gétiques peuvent être très utiles dans le cas écoutés par des jeunes en demande. d’efforts prolongés ou pour une meilleure Pourtant, la diététique c’est du sérieux ! récupération après une épreuve, elles ne Conseiller telle ou telle complémentation si doivent en aucun cas se substituer à une le sportif n’en n’a pas besoin peut faire plus alimentation variée. « Le problème des comde mal que de bien. » Tel ce skieur de fond pléments alimentaires, résume Catherine qui s’est offert une grosse cure de magné- Schmitt, c’est qu’ils doivent justement être sium et qui, le jour de l’épreuve, a dû aban- utilisés comme des compléments et non pas comme des substituts. Il est parfois tentant donner, perclus de crampes… « Malheureusement, on constate souvent un de manger n’importe quoi et d’espérer ratvéritable déficit de connaissance en la traper le coup en avalant telle ou telle gélule matière dans l’encadrement sportif », de vitamines ou d’acides aminés. Mais ça ne affirme Catherine Schmitt. Si certaines marche pas comme ça ! » fédérations sportives prennent l’alimentaET LA BONNE CHÈRE tion très au sérieux et font appel à des DANS TOUT ÇA ? spécialistes, d’autres ne s’y intéressent guère et laissent la porte ouverte aux com- Autre paramètre à prendre en compte, la pléments miracles vendus sur internet, les- dimension plaisir, indissociable de l’aliquels peuvent contenir des produits mentation. « Les sportifs subissent déjà dopants. D’où l’importance d’une sensibi- de très fortes contraintes, insiste Véronique lisation des jeunes dès qu’ils pratiquent Rousseau, alors pour eux, comme pour beaucoup d’ailleurs, l’alimentation est une un sport de façon assez intensive. « Il est essentiel que les parents s’intéressent source de plaisir, une récompense. Il est de près à l’alimentation de leur enfant », donc très délicat de leur imposer des souligne d’expérience Nicolas Termier. « Les contraintes supplémentaires quand ils pasjeunes qui font beaucoup de sport, constate sent à table. » Les excès des troisièmes Véronique Rousseau, mangent sans doute mi-temps en rugby ou même en judo mieux que ceux qui n’en font pas. Mais ils n’existent pas par hasard. « Cela fait parsont comme tout le monde : ils aiment les tie intégrante de la récupération des sporproduits sucrés, les chips, les hamburgers, tifs », constate Véronique Rousseau. Chez les viennoiseries, autant d’aliments très les amateurs, s’offrir un bon gueuleton riches en calories vite ingurgités, au détri- après 50 km à vélo ne choque personne ment d’autres aliments aux apports nutri- non plus. « Attention toutefois à ne pas trop en abuser », souligne la diététicienne. tionnels essentiels. » 12 Décembre 2005 en jeu une autre idée du sport n°394 Boire de l’alcool les jours qui précèdent une compétition aura également des répercussions néfastes sur les performances. Même les rugbymen, devenus professionnels, ont mis la pédale douce sur l’alcool et la bonne chère ! « Ce qui trompe beaucoup de gens, c’est que l’organisme a une capacité d’adaptation étonnante aux mauvais régimes qu’on lui impose », note Karine Herry. Quand on est jeune, on se dit qu’on peut tout encaisser ! Jusqu’au jour où le corps maltraité pendant trop longtemps dit stop et se grippe à coup de tendinites à répétition, d’inflammations, de déchirures musculaires, de prises de poids inexpliquées ou de baisses de forme soudaines. Mieux vaut donc se poser les bonnes questions le plus tôt possible, comme on se réhydrate avant d'avoir trop soif… ● VALÉRIE SARRE (1) Fondateur de la diététique dans les années 50, Gayelord Hauser avait écrit en 1920 un ouvrage intitulé Vivez jeune, vivez plus longtemps. Aujourd’hui, une gamme de produits diététiques vendus en grandes surfaces porte son nom. (2 ) Alimentation pour le sportif, de la santé à la performance, par Véronique Rousseau et Stéphane Cascua, Amphora, 2005, (www.ed-amphora.fr) 288 p., 22,80 €. (3) Vivre en forme, Anne Carrière, 2002. Sport et alimentation Tous obsédés par leur poids ! « Presse Sports Les sports à catégories de poids comme le judo ou la boxe invitent parfois à des comportements alimentaires irresponsables. Et la tyrannie du poids qui s’exerce dans des disciplines comme la gymnastique, le saut à ski ou le ski de fond conduit parfois à l’anorexie. ’ai commencé les régimes à 14 ans, quand j’étais au niveau régional », confie aujourd’hui Franck Bellard, ancien judoka de haut niveau. Il y a deux ans, dans un ouvrage aux anecdotes édifiantes (1), il brisait le silence sur des pratiques reproduites depuis des années à tous les niveaux de compétition. «Pour être au poids de sa catégorie le jour J, il est plus facile de perdre 5 kilos en une semaine en se déshydratant que d’apprendre à équilibrer son alimentation à long terme», confie cet ancien participant à des championnats du monde. Franck Bellard cite l’exemple de Yacine Douma (futur champion d’Europe 2002 en moins de 60 kg), obligé de courir à 5 heures du matin en sudisette dans les couloirs d’un hôtel biélorusse, avant la pesée de la Coupe du monde par équipes, en 1998: «J’entends encore le bruit de son K-way…» Mais il parle surtout de sa propre expérience : «Alors que mon poids s’établissait à 72 kg, je concourrais dans les moins de 66 kg. Avec le temps, ça devenait de plus en plus dur. Pour maigrir, je ne mangeais pas grand chose. Je préférais un paquet de gâteaux plutôt qu’un repas. Et 24h, 48h et même parfois 72h avant une épreuve, je cessais complètement de boire…» De tels exemples ne sont pas isolés, et dès le niveau régional, les jeunes qui reproduisent les méthodes des anciens s’astreignent à ces dérives. «Dire que j’étais considéré comme un héros parce que j’étais capable de perdre 6 kg avant chaque épreuve et de battre le soir même des records de nems au resto chinois!» Des pratiques tolérées, voire encouragées par certains entraîneurs (2). «Lors des Jeux d’Athènes, ils ont fait descendre dans la catégorie -60kg un judoka qui en pesait 72 et qui combattait d’habitude dans les -66kg. Le type a dû perdre 12kg ! C’était hallucinant ! Deux jours plus tard, il les avait repris à coup de crises de boulimie et de rétention d’eau…» Pour éviter ces excès, Franck Bellard donne dans son livre des conseils de diététique. Mais pas seulement. «Au-delà de ces conseils, j’ai J La bonne catégorie, c’est parfois au gramme près… voulu alerter le monde du judo. Après m’être blessé et arrêté, j’ai compris que je devais monter de catégorie. J’ai dû repartir à zéro. Aujourd’hui, j’en suis convaincu: peu importe la catégorie, si on doit être fort, on sera fort.» VICTIMES DU MYTHE DE LA LÉGÈRETÉ Ce type de pratiques (3) concerne les autres sports à catégories de poids, comme la lutte ou la boxe: le combat des puncheurs sur le retour contre leur bedaine n’est-il pas l’un des ressorts dramatiques des films de boxe? Mais d’autres disciplines sont touchées, comme les sports d’endurance, où le poids est considéré comme un facteur de ralentissement. «Quand je faisais du marathon, raconte Catherine Schmitt, aujourd’hui diététicienne, je me pesais plusieurs fois par jour, j’évitais les dîners et les réunions de famille, je m’isolais pour être sûre de contrôler mon poids à 100% ». Décembre 2005 Même syndrome dans le ski de fond: «J’ai vu, raconte Nicolas Termier, ancien biathlète, des skieurs manger trois feuilles de salade et quelques grains de maïs à midi puis se ruer à la supérette pour s’acheter un pot de Nutella dès que l’entraîneur avait le dos tourné. Beaucoup de filles finissaient par se rendre anorexiques et personne ne disait rien. Pire, j’ai entendu des entraîneurs dire à des filles de 16 ans: «Avec tout le poids que tu traînes, pas étonnant que tu n’avances pas ! ». Ce genre de remarque venant d’un entraîneur, ça fait des dégâts!» Le saut à ski engendre aussi de tels comportements. À la fin des années 90, la maigreur maladive de « l’homme-oiseau » Sven Hannawald (que sa volonté de rester léger pour planer plus longtemps avait conduit à quasiment refuser toute nourriture) fit même scandale en Allemagne. Et en 2002, alors qu’il dominait la discipline, Hannawald ne pesait toujours que 60 kg pour 1,84m… Et que dire des gymnastes, véritables poupées dont la croissance est quasiment stoppée ? Récemment, une jeune gymnaste russe a été frappée par son entraîneur, qui l’avait surprise en train de manger des gâteaux en cachette (Libération du 27 septembre 2005). L’homme a été suspendu. Mais combien de temps encore les fédérations et les cadres sportifs responsables de l’entraînement des jeunes encourageront-ils ces pratiques qui nuisent à la santé de ces garçons et ces filles en pleine croissance? «Pour une sélection olympique, témoigne Franck Bellard, on est prêt à tout. Mais si les Jeux c’est merveilleux, ça ne vaut pas la peine d’y laisser sa peau!». ● V.S (1) Ma diététique de judoka, Amphora, 208 p., 19 €. (2) Notamment quand il faut palier à une défection dans une catégorie. (3) Certains prennent aussi des coupe-faim ou des diurétiques. en jeu une autre idée du sport n°394 13 Sport et alimentation Denis Riché : « Le sportif n’est pas une machine à vapeur » DR Auteur d’ouvrages de référence sur l’alimentation des sportifs (1), Denis Riché a collaboré avec des équipes de France dans des sports aussi différents que la natation et le rugby. Farouche opposant à la « dictature des calories », il est en revanche très attaché à l’individualisation du conseil en alimentation. Denis Riché, quelle est votre approche de la diététique sportive? La position officielle consiste à considérer le sportif comme une machine à vapeur. On lui donne du carburant pour le faire avancer en raisonnant trop souvent en terme de calories sans se soucier de son état de santé. Les performances des sportifs progressent ; en revanche, leur état de santé ne s’est guère amélioré ces dernières années. Parallèlement, les recherches portant sur les liens entre le contenu de l’assiette et notre santé ont apporté beaucoup d’enseignements. Ils ont notamment mise en évidence l’intérêt du régime crétois (2). Je me suis donc intéressé à celui-ci en me demandant comment ce régime pouvait être favorable aux sportifs. Quand on regarde de près leur alimentation, on se rend compte que 90 % des sportifs souffrent de carences en graisse et plus précisément en Oméga 3. Ces Oméga 3 jouent un rôle direct sur les inflammations, l’immunité de l’organisme, et permettent de limiter le risque cardio-vasculaire. Autre problème : on raisonne trop souvent à partir du contenu de l’assiette du sportif sans se soucier des pathologies dont il peut souffrir. Que préconisez-vous ? Je suis pour une individualisation du conseil en alimentation qui va bien au-delà du simple contrôle de l’apport calorique. Les sportifs ont tendance à se peser trop souvent et à compter leurs calories, comme si manger chez Mc Do ou manger crétois revenait au même du moment qu’ils ont le bon le nombre de calories ! C’est un point de vue indéfendable. Quand on suit un sportif, on doit aussi s’intéresser à ce que j’appelle l’entraînement invisible, c’est-à-dire à tout ce qu’il y a en 14 Décembre 2005 plus de l’entraînement. Chez les joueurs de tennis par exemple, cela se traduit par la prise en compte des nombreux décalages horaires qu’ils subissent tout au long d’une saison. Comment les vivent-ils ? Dorment-ils bien ? Toutes ces questions sont essentielles et doivent être prise en compte dans un suivi d’alimentation. Y a-t-il des régimes en fonction des sports pratiqués ? Ce n’est pas comme ça que je raisonne. Ce qui compte, c’est la réponse de l’individu aux besoins exigés par le sport qu’il pratique. Il faut chercher les anomalies que l’on rencontre chez chaque individu et les confronter à ses habitudes alimentaires pour y remédier. C’est ainsi que j’ai procédé quand je me suis occupé de l’équipe de France de rugby lors de la Coupe du monde 2003. Je proposais ensuite des conseils alimentaires individualisés et une complémentation en fonction des troubles ressentis. Ce qui compte, au-delà de la performance immédiate, c’est l’état dans lequel les sportifs seront dans quinze ans. Quelles sont les aberrations que vous avez pu constater en matière d’alimentation ? Les comportements aberrants ont toujours un sens. Il faut porter un regard neutre et essayer de les comprendre en les dédramatisant. Si un sportif ne mange jamais de fruits ni de légumes, c’est peut-être parce qu’il souffre de problèmes digestifs. D’où la nécessité de rechercher avant tout la cause de ces comportements. Que pensez-vous des compléments alimentaires ? Ils ne se justifient que dans une logique de santé. Ils peuvent permettre de compenser les manques d’une alimentation. Leur justification a été confirmée, à l’échelle de la population, par une étude comme « SuViMax » (3). En revanche, la confusion avec le dopage peut s’expliquer quand on attribue à la nutrition l’unique rôle d’améliorer la performance. C’est là qu’il y a confusion. La nutrition et les compléments alimentaires ont pour mission de maintenir et si possible d’optimiser la santé du sportif. en jeu une autre idée du sport n°394 Quels types de compléments prescrivez-vous le plus souvent ? Des probiotiques (4) pour équilibrer les fonctions digestives et des Omega 3 (graisse de poisson, huile de colza) pour palier les carences fréquentes en la matière. Tous les joueurs de l’équipe de France de rugby sont partis en Australie avec dans leurs bagages de l’huile d’olive et de l’huile de colza bio, première pression à froid ! Vous occupez-vous des gymnastes, pour qui la prise de poids est une hantise ? On m’a souvent demandé quel régime je proposais pour de jeunes gymnastes. Si on entre dans cette démarche, cela revient à proposer quelque chose qui sera en contradiction avec la santé des individus. Pour maintenir une gamine à moins de 30 kg, il faut agir contre son bien-être. En tant qu’acteur de santé, je refuse d’aller dans ce sens. Quels conseils de base donneriez-vous à des sportifs amateurs ? S’hydrater régulièrement pendant l’effort avec de préférence des boissons énergétiques. Consommer de l’huile d’olive et de colza bio, première pression à froid. Manger en abondance des fruits et des légumes qui sont les éléments protecteurs de l’organisme. Ne pas surconsommer un groupe d’aliment plutôt qu’un autre. Ne pas, à l’inverse, éliminer complètement un groupe alimentaire de son alimentation. ● RECUEILLI PAR V.S (1) Dont L’alimentation du sportif en 80 questions (1998), Diététique et micronutrition (2001), Guide nutritionnel des sports d’endurance (2003), parus chez Vigot. (2) Censé réduire les risques de cancer et de maladies cardiovasculaires, le «régime crétois» ou «régime méditerranéen» consiste en des repas riches en fibres, en vitamines et minéraux et en corps gras. Soit beaucoup de fruits et de légumes, peu de viande mais du poisson, de l’huile d’olive et des produits laitiers à base de lait de chèvre ou de brebis. (3) SuViMax est l'abréviation de SUpplémentation en VItamines et Minéraux AntioXydants. Cette étude menée en France de 1994 à 2001 auprès de 13027 personnes a permis de tester l'impact positif d'une supplémentation en vitamines et minéraux antioxydants (bêta-carotène, vitamines E et C, zinc et sélénium) dans la prévention des cancers. (4) Les probiotiques sont des bactéries qui aident à la digestion et contribuent à la santé des intestins. On les trouve dans les yaourts, les laits fermentés, les végétaux, les germes de blé ou la levure de bière.