Sport et alimentation

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Presse Sport
dossier
Sport et alimentation
Quel que soit leur niveau, rares sont les sportifs
qui ne se sont jamais intéressés à leur
alimentation. Outre certaines croyances tenaces,
il y a aussi des modes, comme le règne des sucres
lents (pâtes, riz), aujourd’hui concurrencés
par le régime crétois. On relève également
des comportements irrationnels dans les sports
à catégorie de poids et les disciplines où la prise de
quelques grammes superflus tourne à l’obsession.
Sport et alimentation, c’est parfois
l’amour-haine…
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en jeu une autre idée du sport n°393
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VOUS AVEZ DIT RÉGIME ?
Nourriture je t'aime,
moi non plus...
Sport et alimentation entretiennent des rapports étroits
mais compliqués, voire difficiles. Trop de sportifs maltraitent
leur assiette et leur corps. Comment manger mieux pour donner
le meilleur de soi ? À table !
ssayez un jour d’avaler une bonne
choucroute avant de gravir le col
de l’Izoard et vous comprendrez
tout de suite qu’alimentation et
sport ne font pas toujours bon
ménage ! Plus largement, les exigences d’un
organisme en plein effort sont parfois difficiles à gérer, et surtout à anticiper. Les fringales légendaires qui scotchent les cyclistes
au bitume n’épargnent personne, de l’amateur au champion. « Au début du siècle,
raconte Jean-Paul Brouchon, ancien chroniqueur sportif à France-Info, dans une interview donnée en 2003 au Point, les coureurs
parcouraient dans les 400 km dans la journée… Alors certains s’arrêtaient carrément
dans une auberge ou directement chez l’habitant pour prendre un bol de soupe et un petit
coup de rouge ! » De mémoire de spécialiste,
c’est Fausto Coppi qui le premier a pris
conscience de l’importance de collations fréquentes, suite à sa rencontre avec le nutritionniste Gayelord Hauser (1). Tout le monde
a ensuite voulu l’imiter : « Son grand rival
Bartali faisait même surveiller ses poubelles!»,
rapporte Jean-Paul Brouchon.
Aujourd’hui, même les cyclistes amateurs
ont appris à s’alimenter avant d’avoir faim.
Pourtant, les choses ne sont pas aussi
simples. Si la science a fait beaucoup de
progrès, l’alimentation a encore ses raisons
que la raison ignore, et les « croyances alimentaires » les plus farfelues ont souvent
la vie dure. « Déjà, plusieurs siècles avant
E
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Jésus-Christ, dans le cadre des Jeux
Olympiques antiques, on préconisait aux sauteurs de manger de la viande de chèvre, aux
boxeurs du taureau et aux lutteurs du porc,
rappelle le Dr Jean-Pierre de Mondernard,
médecin érudit et spécialiste du dopage. Et
dans le rugby des années 1980, on considérait encore dans certains clubs huppés que les
avants avaient tout intérêt à manger du sanglier tandis que les arrières trouveraient dans
le chevreuil de quoi bondir plus vite ! »
CROYANCES ALIMENTAIRES
ET PRATIQUES DOPANTES
Ces exemples montrent jusqu’où peuvent se
nicher les croyances alimentaires et surtout
jusqu’où les sportifs sont prêts à aller pour
chercher dans la nourriture un remède, une
potion magique, une recette qui assurera
leur succès… « Dans le temps, les cyclistes
croyaient beaucoup aux fakirs, ces soigneurs
improvisés qui leur vendaient du miracle »,
sourit Jean-Pierre de Mondenard. De fait,
certaines pratiques (prise de caféine, d’extraits de guarana – plante amazonienne aux
vertus tout aussi excitantes – ou d’autres
aliments) s’approchent dangereusement du
dopage. « Le sportif est tout en sensations,
souligne Véronique Rousseau, diététicienne
à l’Insep, qui vient de cosigner avec le Dr
Stéphane Cascua un ouvrage de fond sur le
sujet (2). Il attend la formule magique qui
améliorera sa performance. » Le sportif
cherche le petit plus qui va le faire « décol-
en jeu une autre idée du sport n°394
ler », jusqu’à parfois basculer dans « quelque
chose de plus sérieux.»
Ces modes et croyances se diffusent aussi dans
les rangs des sportifs du dimanche. « Pendant
des décennies, déplore le Dr de Mondenard,
on a cru et répété que boire de l’eau pendant
un effort physique coupait les jambes. C’était
bien évidemment une aberration qui conduisait à de graves problèmes de déshydratation. » Il y eut aussi la mode des régimes
pâtes à outrance, le règne absolu des sucres
lents au détriment de tous les autres aliments. Dans les années 80, l’ouvrage du docteur Robert Haas, Manger pour gagner, qui
préconisait ce type de déséquilibre alimentaire, fut la bible de nombreux champions et,
par ricochet, celle de bien des amateurs.
Aujourd’hui encore, nombreux sont les sportifs et les entraîneurs qui pensent que hors des
pâtes et du riz il n’y a point de salut. «Je mangeais l’équivalent de deux kilos de pâtes cuites
par jour et 300 grammes de viande à chaque
repas », confie dans une interview à
www.nutri-site.com le rugbyman Jérôme
Thion, lequel a choisi depuis de varier son
alimentation... Mais les « pasta party »
d’avant les compétitions et les plâtrées de
nouilles qu’ingurgitent au soir de chaque
étape les cyclistes du Tour de France ne sont
pas une légende. « On oublie trop souvent
qu’il n’y a pas que les sucres lents, martèle
le Dr Stéphane Cascua. Si l’on compare le
corps humain à une Formule 1, le carburant,
ce sont en effet les sucres lents. Mais, pour
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Sport et alimentation
Le coureur cycliste Jacquinot
se restaure lors de l’étape
Les Sables-d’Olonne-Bayonne,
Tour de France 1922.
faire fonctionner l’électronique, il faut des
vitamines que l’on trouve dans les légumes et
dans les fruits. » De ce point de vue, le régime
des cyclistes semble donc bien excessif.
Jugée responsable d’apports en graisses animales suspects et peu digestes, la viande a souvent fait les frais de ces régimes exclusifs. Sauf
chez ceux qui voulaient « faire du muscle »
comme les haltérophiles ou les culturistes…
« Pendant des années, et encore aujourd’hui,
les sportifs ont fait preuve d’une véritable lipidophobie, dénonce le Dr Stéphane Cascua. Ils
faisaient la chasse aux graisses en réduisant
le plus possible les apports en lipides », avec
des comportements parfois proches de l’anorexie. Or de nombreuses études ont démontré l’importance de certains lipides, comme les
Oméga 3 ou 6, pour le bon fonctionnement de
l’organisme. Certains ont donc réintégré ces
graisses dans leur alimentation tandis que
d’autres persistent dans l’abstinence la plus
stricte…
NON AUX RÉGIMES MIRACLES
Quel que soit leur niveau, rares sont les sportifs qui ne se sont jamais intéressés à leur alimentation. Pour être plus performants ou parce
qu’ils font du sport pour être en forme et
améliorer leur apparence physique. « Tous les
sportifs ont un jour où l’autre fait un régime.
Pour perdre de la masse grasse quand on fait
du marathon ou tout autre sport d’endurance,
ou pour gagner du muscle dans les disciplines
de vitesse ou de puissance», résume Véronique
Rousseau. Sans parler des sports à catégorie
de poids (judo, lutte, boxe), de la gymnastique ou même du ski de fond, où les régimes
sont le « pain quotidien » des sportifs. « J’ai
dû tester à peu près tous les régimes possibles avant de finir par comprendre »,
explique Nicolas Termier, ancien biathlète
de haut niveau, créateur avec son ami Thomas
Reppelin, lui aussi sportif de haut niveau, du
site internet www.nutri-site.com.
Avides d’informations et surtout d’astuces
miracles qui les aideraient à mieux gérer leur
problème de poids et leurs performances, les
sportifs sont souvent prêts à essayer tout et
n’importe quoi sans imaginer les conséquences de leur démarche. « Tout le problème,
explique la diététicienne Catherine Schmitt,
qui travaille notamment avec le pôle France
de ski nordique, est de lutter contre les idées
fausses qui traînent dans le milieu. Dans le
sport, on a très vite tendance à éliminer tel
ou tel aliment et à utiliser la complémenta-
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tion alimentaire sans s’assurer au préalable
du bon équilibre de son alimentation ».
Pourtant, dans les années 70 et 80, les travaux du Dr Creff sur le thème «Manger de tout
un peu » ont permis de promouvoir une alimentation variée. « Le problème est que prôner une alimentation variée et équilibrée est
moins séduisant que proposer un régime
miracle. L’équilibre alimentaire, c’est du long
terme », note Catherine Schmitt.
« Chacun doit faire son propre cheminement
alimentaire, un peu comme on choisit sa religion », explique Karine Herry. Bien que
médecin, cette spécialiste de trail, également
cinq fois championne de France du 100 km
sur route, est passée par des excès avant de
construire au fil des ans, avec son mari
entraîneur et les conseils de nutritionnistes,
son propre régime alimentaire. « Aujourd’hui,
je suis convaincue qu’il faut privilégier la
qualité de son alimentation plutôt que d’avoir
recours à des produits synthétiques », confiet-elle.
INDIGESTION DE BONNES RECETTES
La sagesse serait-elle en train de l’emporter sur
l’empirisme et les régimes miracles qui peuvent mener tout droit à la blessure ou à l’épui-
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Vandystadt
sement ? « Il reste beauDes pâtes et encore des pâtes pour
les cyclistes de l’équipe Festina.
coup à faire », résume le
nutritionniste Denis
Riché, qui prêche une
approche individualisée
de l’alimentation des
sportifs. Pourtant, on
trouve dans les magazines spécialisés pléthore de conseils, de
menus types ou même de
régimes soit disant adaptés à la pratique de telle
ou telle discipline. Pas
facile de s’y retrouver,
surtout quand des sportifs de renom, comme par
exemple Jeannie Longo,
adepte du bio et de la
nourriture saine, y vont
de leur propre livre sur le
sujet (3). « Aujourd’hui,
tout le monde se targue
de faire de la diététique,
note Catherine Schmitt.
Les entraîneurs, les kinés,
les médecins du sport n’hésitent pas à don- De même, si les barres ou les boissons énerner leurs petits conseils qui sont souvent très gétiques peuvent être très utiles dans le cas
écoutés par des jeunes en demande. d’efforts prolongés ou pour une meilleure
Pourtant, la diététique c’est du sérieux ! récupération après une épreuve, elles ne
Conseiller telle ou telle complémentation si doivent en aucun cas se substituer à une
le sportif n’en n’a pas besoin peut faire plus alimentation variée. « Le problème des comde mal que de bien. » Tel ce skieur de fond pléments alimentaires, résume Catherine
qui s’est offert une grosse cure de magné- Schmitt, c’est qu’ils doivent justement être
sium et qui, le jour de l’épreuve, a dû aban- utilisés comme des compléments et non pas
comme des substituts. Il est parfois tentant
donner, perclus de crampes…
« Malheureusement, on constate souvent un de manger n’importe quoi et d’espérer ratvéritable déficit de connaissance en la traper le coup en avalant telle ou telle gélule
matière dans l’encadrement sportif », de vitamines ou d’acides aminés. Mais ça ne
affirme Catherine Schmitt. Si certaines marche pas comme ça ! »
fédérations sportives prennent l’alimentaET LA BONNE CHÈRE
tion très au sérieux et font appel à des
DANS TOUT ÇA ?
spécialistes, d’autres ne s’y intéressent
guère et laissent la porte ouverte aux com- Autre paramètre à prendre en compte, la
pléments miracles vendus sur internet, les- dimension plaisir, indissociable de l’aliquels peuvent contenir des produits mentation. « Les sportifs subissent déjà
dopants. D’où l’importance d’une sensibi- de très fortes contraintes, insiste Véronique
lisation des jeunes dès qu’ils pratiquent Rousseau, alors pour eux, comme pour
beaucoup d’ailleurs, l’alimentation est une
un sport de façon assez intensive.
« Il est essentiel que les parents s’intéressent source de plaisir, une récompense. Il est
de près à l’alimentation de leur enfant », donc très délicat de leur imposer des
souligne d’expérience Nicolas Termier. « Les contraintes supplémentaires quand ils pasjeunes qui font beaucoup de sport, constate sent à table. » Les excès des troisièmes
Véronique Rousseau, mangent sans doute mi-temps en rugby ou même en judo
mieux que ceux qui n’en font pas. Mais ils n’existent pas par hasard. « Cela fait parsont comme tout le monde : ils aiment les tie intégrante de la récupération des sporproduits sucrés, les chips, les hamburgers, tifs », constate Véronique Rousseau. Chez
les viennoiseries, autant d’aliments très les amateurs, s’offrir un bon gueuleton
riches en calories vite ingurgités, au détri- après 50 km à vélo ne choque personne
ment d’autres aliments aux apports nutri- non plus. « Attention toutefois à ne pas
trop en abuser », souligne la diététicienne.
tionnels essentiels. »
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Boire de l’alcool les jours qui précèdent une
compétition aura également des répercussions néfastes sur les performances.
Même les rugbymen, devenus professionnels, ont mis la pédale douce sur l’alcool
et la bonne chère ! « Ce qui trompe beaucoup de gens, c’est que l’organisme a une
capacité d’adaptation étonnante aux mauvais régimes qu’on lui impose », note
Karine Herry. Quand on est jeune, on se dit
qu’on peut tout encaisser ! Jusqu’au jour
où le corps maltraité pendant trop longtemps dit stop et se grippe à coup de tendinites à répétition, d’inflammations, de
déchirures musculaires, de prises de poids
inexpliquées ou de baisses de forme soudaines. Mieux vaut donc se poser les
bonnes questions le plus tôt possible,
comme on se réhydrate avant d'avoir trop
soif… ●
VALÉRIE SARRE
(1) Fondateur de la diététique dans les années
50, Gayelord Hauser avait écrit en 1920
un ouvrage intitulé Vivez jeune, vivez plus
longtemps. Aujourd’hui, une gamme de produits
diététiques vendus en grandes surfaces
porte son nom.
(2 ) Alimentation pour le sportif,
de la santé à la performance,
par Véronique Rousseau et Stéphane
Cascua, Amphora, 2005,
(www.ed-amphora.fr) 288 p., 22,80 €.
(3) Vivre en forme, Anne Carrière, 2002.
Sport et alimentation
Tous obsédés par leur poids !
«
Presse Sports
Les sports à catégories de poids comme le judo ou la boxe invitent parfois à
des comportements alimentaires irresponsables. Et la tyrannie du poids qui
s’exerce dans des disciplines comme la gymnastique, le saut à ski ou le ski
de fond conduit parfois à l’anorexie.
’ai commencé les régimes à 14 ans,
quand j’étais au niveau régional »,
confie aujourd’hui Franck Bellard,
ancien judoka de haut niveau. Il y a deux
ans, dans un ouvrage aux anecdotes édifiantes (1), il brisait le silence sur des pratiques reproduites depuis des années à
tous les niveaux de compétition. «Pour être
au poids de sa catégorie le jour J, il est plus
facile de perdre 5 kilos en une semaine en
se déshydratant que d’apprendre à équilibrer son alimentation à long terme», confie
cet ancien participant à des championnats du monde. Franck Bellard cite
l’exemple de Yacine Douma (futur champion d’Europe 2002 en moins de 60 kg),
obligé de courir à 5 heures du matin en
sudisette dans les couloirs d’un hôtel biélorusse, avant la pesée de la Coupe du
monde par équipes, en 1998: «J’entends
encore le bruit de son K-way…» Mais il parle
surtout de sa propre expérience : «Alors que
mon poids s’établissait à 72 kg, je concourrais dans les moins de 66 kg. Avec le temps,
ça devenait de plus en plus dur. Pour maigrir, je ne mangeais pas grand chose. Je préférais un paquet de gâteaux plutôt qu’un
repas. Et 24h, 48h et même parfois 72h
avant une épreuve, je cessais complètement de
boire…»
De tels exemples ne sont pas isolés, et dès le
niveau régional, les jeunes qui reproduisent
les méthodes des anciens s’astreignent à ces
dérives. «Dire que j’étais considéré comme un
héros parce que j’étais capable de perdre 6 kg
avant chaque épreuve et de battre le soir même
des records de nems au resto chinois!» Des pratiques tolérées, voire encouragées par certains
entraîneurs (2). «Lors des Jeux d’Athènes, ils ont
fait descendre dans la catégorie -60kg un judoka
qui en pesait 72 et qui combattait d’habitude
dans les -66kg. Le type a dû perdre 12kg ! C’était
hallucinant ! Deux jours plus tard, il les avait
repris à coup de crises de boulimie et de rétention d’eau…»
Pour éviter ces excès, Franck Bellard donne
dans son livre des conseils de diététique. Mais
pas seulement. «Au-delà de ces conseils, j’ai
J
La bonne
catégorie,
c’est parfois au
gramme près…
voulu alerter le monde du judo. Après m’être
blessé et arrêté, j’ai compris que je devais monter de catégorie. J’ai dû repartir à zéro.
Aujourd’hui, j’en suis convaincu: peu importe
la catégorie, si on doit être fort, on sera fort.»
VICTIMES DU MYTHE DE LA LÉGÈRETÉ
Ce type de pratiques (3) concerne les autres
sports à catégories de poids, comme la lutte ou
la boxe: le combat des puncheurs sur le retour
contre leur bedaine n’est-il pas l’un des ressorts
dramatiques des films de boxe? Mais d’autres
disciplines sont touchées, comme les sports
d’endurance, où le poids est considéré comme
un facteur de ralentissement. «Quand je faisais
du marathon, raconte Catherine Schmitt,
aujourd’hui diététicienne, je me pesais plusieurs fois par jour, j’évitais les dîners et les
réunions de famille, je m’isolais pour être sûre
de contrôler mon poids à 100% ».
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Même syndrome dans le ski de fond: «J’ai
vu, raconte Nicolas Termier, ancien
biathlète, des skieurs manger trois
feuilles de salade et quelques grains de
maïs à midi puis se ruer à la supérette
pour s’acheter un pot de Nutella dès
que l’entraîneur avait le dos tourné.
Beaucoup de filles finissaient par se
rendre anorexiques et personne ne disait
rien. Pire, j’ai entendu des entraîneurs
dire à des filles de 16 ans: «Avec tout
le poids que tu traînes, pas étonnant que
tu n’avances pas ! ». Ce genre de
remarque venant d’un entraîneur, ça
fait des dégâts!» Le saut à ski engendre
aussi de tels comportements. À la fin des
années 90, la maigreur maladive de
« l’homme-oiseau » Sven Hannawald
(que sa volonté de rester léger pour planer plus longtemps avait conduit à
quasiment refuser toute nourriture)
fit même scandale en Allemagne. Et
en 2002, alors qu’il dominait la discipline, Hannawald ne pesait toujours
que 60 kg pour 1,84m…
Et que dire des gymnastes, véritables
poupées dont la croissance est quasiment stoppée ? Récemment, une jeune
gymnaste russe a été frappée par son entraîneur, qui l’avait surprise en train de manger des
gâteaux en cachette (Libération du 27 septembre 2005). L’homme a été suspendu. Mais
combien de temps encore les fédérations et les
cadres sportifs responsables de l’entraînement
des jeunes encourageront-ils ces pratiques qui
nuisent à la santé de ces garçons et ces filles
en pleine croissance? «Pour une sélection olympique, témoigne Franck Bellard, on est prêt à
tout. Mais si les Jeux c’est merveilleux, ça ne vaut
pas la peine d’y laisser sa peau!». ●
V.S
(1) Ma diététique de judoka,
Amphora, 208 p., 19 €.
(2) Notamment quand il faut palier
à une défection dans une catégorie.
(3) Certains prennent aussi
des coupe-faim ou des diurétiques.
en jeu une autre idée du sport n°394
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Sport et alimentation
Denis Riché :
« Le sportif n’est pas une machine à vapeur »
DR
Auteur d’ouvrages de référence sur l’alimentation
des sportifs (1), Denis
Riché a collaboré avec des
équipes de France dans
des sports aussi différents
que la natation et le rugby.
Farouche opposant à la « dictature des calories », il est en revanche très attaché à l’individualisation du conseil en alimentation.
Denis Riché, quelle est votre approche de la
diététique sportive?
La position officielle consiste à considérer le
sportif comme une machine à vapeur. On lui
donne du carburant pour le faire avancer en
raisonnant trop souvent en terme de calories
sans se soucier de son état de santé. Les performances des sportifs progressent ; en
revanche, leur état de santé ne s’est guère
amélioré ces dernières années. Parallèlement,
les recherches portant sur les liens entre le
contenu de l’assiette et notre santé ont
apporté beaucoup d’enseignements. Ils ont
notamment mise en évidence l’intérêt du
régime crétois (2). Je me suis donc intéressé
à celui-ci en me demandant comment ce
régime pouvait être favorable aux sportifs.
Quand on regarde de près leur alimentation,
on se rend compte que 90 % des sportifs souffrent de carences en graisse et plus précisément en Oméga 3. Ces Oméga 3 jouent un rôle
direct sur les inflammations, l’immunité de
l’organisme, et permettent de limiter le risque
cardio-vasculaire. Autre problème : on raisonne trop souvent à partir du contenu de
l’assiette du sportif sans se soucier des pathologies dont il peut souffrir.
Que préconisez-vous ?
Je suis pour une individualisation du conseil
en alimentation qui va bien au-delà du simple
contrôle de l’apport calorique. Les sportifs ont
tendance à se peser trop souvent et à compter leurs calories, comme si manger chez Mc
Do ou manger crétois revenait au même du
moment qu’ils ont le bon le nombre de calories ! C’est un point de vue indéfendable.
Quand on suit un sportif, on doit aussi s’intéresser à ce que j’appelle l’entraînement
invisible, c’est-à-dire à tout ce qu’il y a en
14
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plus de l’entraînement. Chez les joueurs de tennis par exemple, cela se traduit par la prise en
compte des nombreux décalages horaires qu’ils
subissent tout au long d’une saison. Comment
les vivent-ils ? Dorment-ils bien ? Toutes ces
questions sont essentielles et doivent être prise
en compte dans un suivi d’alimentation.
Y a-t-il des régimes en fonction des sports
pratiqués ?
Ce n’est pas comme ça que je raisonne. Ce qui
compte, c’est la réponse de l’individu aux
besoins exigés par le sport qu’il pratique. Il
faut chercher les anomalies que l’on rencontre
chez chaque individu et les confronter à ses
habitudes alimentaires pour y remédier. C’est
ainsi que j’ai procédé quand je me suis occupé
de l’équipe de France de rugby lors de la Coupe
du monde 2003. Je proposais ensuite des
conseils alimentaires individualisés et une
complémentation en fonction des troubles
ressentis. Ce qui compte, au-delà de la performance immédiate, c’est l’état dans lequel
les sportifs seront dans quinze ans.
Quelles sont les aberrations que vous
avez pu constater en matière d’alimentation ?
Les comportements aberrants ont toujours un
sens. Il faut porter un regard neutre et
essayer de les comprendre en les dédramatisant. Si un sportif ne mange jamais de
fruits ni de légumes, c’est peut-être parce
qu’il souffre de problèmes digestifs. D’où la
nécessité de rechercher avant tout la cause
de ces comportements.
Que pensez-vous des compléments alimentaires ?
Ils ne se justifient que dans une logique de
santé. Ils peuvent permettre de compenser
les manques d’une alimentation. Leur justification a été confirmée, à l’échelle de la
population, par une étude comme « SuViMax »
(3). En revanche, la confusion avec le dopage
peut s’expliquer quand on attribue à la nutrition l’unique rôle d’améliorer la performance.
C’est là qu’il y a confusion. La nutrition et
les compléments alimentaires ont pour mission de maintenir et si possible d’optimiser
la santé du sportif.
en jeu une autre idée du sport n°394
Quels types de compléments prescrivez-vous
le plus souvent ?
Des probiotiques (4) pour équilibrer les fonctions
digestives et des Omega 3 (graisse de poisson,
huile de colza) pour palier les carences fréquentes en la matière. Tous les joueurs de l’équipe
de France de rugby sont partis en Australie avec
dans leurs bagages de l’huile d’olive et de l’huile
de colza bio, première pression à froid !
Vous occupez-vous des gymnastes, pour qui
la prise de poids est une hantise ?
On m’a souvent demandé quel régime je proposais pour de jeunes gymnastes. Si on entre dans
cette démarche, cela revient à proposer quelque
chose qui sera en contradiction avec la santé des
individus. Pour maintenir une gamine à moins de
30 kg, il faut agir contre son bien-être. En tant
qu’acteur de santé, je refuse d’aller dans ce sens.
Quels conseils de base donneriez-vous à des
sportifs amateurs ?
S’hydrater régulièrement pendant l’effort avec
de préférence des boissons énergétiques.
Consommer de l’huile d’olive et de colza bio, première pression à froid. Manger en abondance
des fruits et des légumes qui sont les éléments
protecteurs de l’organisme. Ne pas surconsommer un groupe d’aliment plutôt qu’un autre. Ne
pas, à l’inverse, éliminer complètement un
groupe alimentaire de son alimentation. ●
RECUEILLI PAR V.S
(1) Dont L’alimentation du sportif en 80 questions (1998),
Diététique et micronutrition (2001),
Guide nutritionnel des sports d’endurance (2003),
parus chez Vigot.
(2) Censé réduire les risques de cancer et de maladies
cardiovasculaires, le «régime crétois» ou «régime
méditerranéen» consiste en des repas riches en fibres,
en vitamines et minéraux et en corps gras. Soit beaucoup
de fruits et de légumes, peu de viande mais du poisson,
de l’huile d’olive et des produits laitiers à base de lait
de chèvre ou de brebis.
(3) SuViMax est l'abréviation de SUpplémentation
en VItamines et Minéraux AntioXydants. Cette étude
menée en France de 1994 à 2001 auprès de 13027
personnes a permis de tester l'impact positif d'une
supplémentation en vitamines et minéraux antioxydants
(bêta-carotène, vitamines E et C, zinc
et sélénium) dans la prévention des cancers.
(4) Les probiotiques sont des bactéries qui aident à la
digestion et contribuent à la santé des intestins. On les
trouve dans les yaourts, les laits fermentés, les végétaux,
les germes de blé ou la levure de bière.
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