Décembre 2005 en jeu une autreidéedusport n°394 13
Sport et alimentation
«J’ai commencé les régimes à 14 ans,
quand j’étais au niveau régional »,
confie aujourd’hui Franck Bellard,
ancien judoka de haut niveau. Il y a deux
ans, dans un ouvrage aux anecdotes édi-
fiantes (1), il brisait le silence sur des pra-
tiques reproduites depuis des années à
tous les niveaux de compétition. «Pour être
au poids de sa catégorie le jour J, il est plus
facile de perdre 5 kilos en une semaine en
se déshydratant que d’apprendre à équili-
brer son alimentation à long terme», confie
cet ancien participant à des champion-
nats du monde. Franck Bellard cite
l’exemple de Yacine Douma (futur cham-
pion d’Europe 2002 en moins de 60 kg),
obligé de courir à 5 heures du matin en
sudisette dans les couloirs d’un hôtel bié-
lorusse, avant la pesée de la Coupe du
monde par équipes, en 1998: « J’entends
encore le bruit de son K-way…» Mais il parle
surtout de sa propre expérience : «Alors que
mon poids s’établissait à 72 kg, je concour-
rais dans les moins de 66 kg. Avec le temps,
ça devenait de plus en plus dur. Pour mai-
grir, je ne mangeais pas grand chose. Je pré-
férais un paquet de gâteaux plutôt qu’un
repas. Et 24 h, 48h et même parfois 72h
avant une épreuve, je cessais complètement de
boire…»
De tels exemples ne sont pas isolés, et dès le
niveau régional, les jeunes qui reproduisent
les méthodes des anciens s’astreignent à ces
dérives. «Dire que j’étais considéré comme un
héros parce que j’étais capable de perdre 6 kg
avant chaque épreuve et de battre le soir même
des records de nems au resto chinois! » Des pra-
tiques tolérées, voire encouragées par certains
entraîneurs (2). «Lors des Jeux d’Athènes, ils ont
fait descendre dans la catégorie -60kg un judoka
qui en pesait 72 et qui combattait d’habitude
dans les -66kg. Le type a dû perdre 12kg ! C’était
hallucinant ! Deux jours plus tard, il les avait
repris à coup de crises de boulimie et de réten-
tion d’eau…»
Pour éviter ces excès, Franck Bellard donne
dans son livre des conseils de diététique. Mais
pas seulement. «Au-delà de ces conseils, j’ai
voulu alerter le monde du judo. Après m’être
blessé et arrêté, j’ai compris que je devais mon-
ter de catégorie. J’ai dû repartir à zéro.
Aujourd’hui, j’en suis convaincu: peu importe
la catégorie, si on doit être fort, on sera fort.»
VICTIMES DU MYTHE DE LA LÉGÈRETÉ
Ce type de pratiques (3) concerne les autres
sports à catégories de poids, comme la lutte ou
la boxe: le combat des puncheurs sur le retour
contre leur bedaine n’est-il pas l’un des ressorts
dramatiques des films de boxe? Mais d’autres
disciplines sont touchées, comme les sports
d’endurance, où le poids est considéré comme
un facteur de ralentissement. «Quand je faisais
du marathon, raconte Catherine Schmitt,
aujourd’hui diététicienne, je me pesais plu-
sieurs fois par jour, j’évitais les dîners et les
réunions de famille, je m’isolais pour être sûre
de contrôler mon poids à 100% ».
Même syndrome dans le ski de fond: «J’ai
vu, raconte Nicolas Termier, ancien
biathlète, des skieurs manger trois
feuilles de salade et quelques grains de
maïs à midi puis se ruer à la supérette
pour s’acheter un pot de Nutella dès
que l’entraîneur avait le dos tourné.
Beaucoup de filles finissaient par se
rendre anorexiques et personne ne disait
rien. Pire, j’ai entendu des entraîneurs
dire à des filles de 16 ans : «Avec tout
le poids que tu traînes, pas étonnant que
tu n’avances pas ! ». Ce genre de
remarque venant d’un entraîneur, ça
fait des dégâts!» Le saut à ski engendre
aussi de tels comportements. À la fin des
années 90, la maigreur maladive de
«l’homme-oiseau» Sven Hannawald
(que sa volonté de rester léger pour pla-
ner plus longtemps avait conduit à
quasiment refuser toute nourriture)
fit même scandale en Allemagne. Et
en 2002, alors qu’il dominait la disci-
pline, Hannawald ne pesait toujours
que 60 kg pour 1,84m…
Et que dire des gymnastes, véritables
poupées dont la croissance est quasi-
ment stoppée ? Récemment, une jeune
gymnaste russe a été frappée par son entraî-
neur, qui l’avait surprise en train de manger des
gâteaux en cachette (Libération du 27 sep-
tembre 2005). L’homme a été suspendu. Mais
combien de temps encore les fédérations et les
cadres sportifs responsables de l’entraînement
des jeunes encourageront-ils ces pratiques qui
nuisent à la santé de ces garçons et ces filles
en pleine croissance? «Pour une sélection olym-
pique, témoigne Franck Bellard, on est prêt à
tout. Mais si les Jeux c’est merveilleux, ça ne vaut
pas la peine d’y laisser sa peau!». ●
V.S
(1) Ma diététique de judoka,
Amphora, 208 p., 19 €.
(2) Notamment quand il faut palier
à une défection dans une catégorie.
(3) Certains prennent aussi
des coupe-faim ou des diurétiques.
Tous obsédés par leur poids!
Les sports à catégories de poids comme le judo ou la boxe invitent parfois à
des comportements alimentaires irresponsables. Et la tyrannie du poids qui
s’exerce dans des disciplines comme la gymnastique, le saut à ski ou le ski
de fond conduit parfois à l’anorexie.
Presse Sports
La bonne
catégorie,
c’est parfois au
gramme près…