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Le français parlé du Mali : une variété régionale ?
Ingse Skattum
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Université d'Oslo
1. Introduction
Peut-on considérer le français parlé au Mali comme une variété régionale et si oui, sur
la base de quels critères? Les facteurs généralement reconnus comme influant sur la
variation linguistique sont de nature 1) intrasystémiques (les "points faibles" inhérents
à la langue)
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; 2) intersystémiques (résultant du contact des langues); 3)
extrasystémiques (influence du contexte extralinguistique) (Chaudenson et al. 1993).
Si, de nos jours, l'importance des facteurs extralinguistiques est généralement
reconnue, les rapports entre facteurs intra- et interlinguistiques sont encore débattus.
Alors que certains mettent l'accent sur les facteurs inhérents à la langue plutôt que sur
les interférences
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résultant des contacts des langues
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, d'autres au contraire focalisent
sur ce qu'on appelle contact linguistics (Ploog 2008:251)
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.
Dans sa définition du régiolecte, C. Bavoux (1997:237) met ainsi surtout en
avant l'exploitation, par les communautés linguistiques, des ressources propres à la
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Je remercie Mortéza Mahmoudian, Gérard Dumestre et Chantal Lyche de leur lecture de versions
préliminaires de cet article.
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Les traits linguistiques irréguliers, rares et opaques seraient plus exposés aux variations que les traits
réguliers, fréquents et transparents. Ainsi, par exemple, la proposition relative et les pronoms
personnels du français, qui ont des modes de fonctionnement qu'on ne retrouve pas en d'autres points
du système, représenteraient-ils des zones de fragilité.
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"Le transfert de règles d'une langue à une autre" (Chaudenson et al. 1993: 66).
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Pour une discussion des problèmes théoriques et méthodologiques liées aux interférences comme
mode d'explication de la variabilité et du changement linguistique, voir A. M. Knutsen (2007:20-24).
Elle en conclut que "la théorie des interférences doit intervenir seulement dans les cas où il n'est pas
possible de trouver une motivation intrasystémique pour expliquer le changement linguistique"
(op.cit.:24).
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Comme représentants de ce domaine de recherche, K. Ploog (ibid.) cite entre autres Myers-Scotton
(2002), Heine & Kuteva (2005), Johanson (2005), Mithun (2007), Manessy (1989) et Thomason
(2001). Leurs approches diffèrent: Myers-Scotton étudie la grammaire [abstraite] des locuteurs
bilingues, Heine & Kuteva focalisent sur les résultats de l'activité linguistique plutôt que sur les
processus cognitifs et parlent de ces résultats comme une replication, alors que Johanson utilise le
terme de structural copying, et Mithun celui de gradual typological alignment. Manessy a lancé la
théorie de la sémantaxe, voyant une bonne part des restructurations comme motivées par une différence
de catégorisation sémantique entre les langues en contact et non comme des interférences provenant
d'une langue spécifique ni comme des résultats de l'apprentissage imparfait de la langue seconde (L2).
Thomason admet comme Manessy qu'il peut y avoir des changements linguistiques sans interférence
d'une langue spécifique, mais met l'accent sur l'apprentissage (imparfait) de la L2, qui conditionnerait
l'introduction de plus ou moins d'emprunts ou d'interférences structurelles de la langue première ( L1).