R et S n° 31 2006 - Club innovations transports des collectivités

rgument électoral pour le turbulent
maire de Londres Ken Livingstone,
mesure pour les riches, opération
limitée, qui ne porte que sur l’équiva-
lent du cinquième du trafic de Paris intra
muros : telles sont quelques unes des obser-
vations de cette recherche, dont les auteurs
ont toutefois opté pour un titre prudent :
“Essai d’évaluation”.
Le centre de Londres était très encombré
avant la mise en place du péage, ce qui sus-
citait l’exaspération des Londoniens. Point-
clé du programme électoral de Ken
Livingstone, cette promesse a largement
contribué à son élection comme maire en mai
2000, et la mise en place du péage en deux
ans et demi seulement a joué un rôle dans sa
réélection en 2004.
Pour les auteurs, le péage est une mesure
localisée, d´impact restreint, considérant
l’exiguïté de la zone concernée. D’une surface
de 22 km2, et d’un rayon de 2,6 km, elle est
délimitée par un anneau viaire nommé Ring
Road. Elle englobe la City et une partie des quar-
tiers (boroughs) de Camden, Westminster,
Lambeth, Southwark et Islington. C’est le quar-
tier des affaires, des bâtiments officiels et des
principaux sites touristiques. Il correspond
grosso modo aux dix arrondissements cen-
traux de Paris, mais avec plus d’emplois et
moins d’habitants (370 000 personnes).
Le péage n´agit que sur la congestion dans
l´hypercentre. Le volume de trafic concerné
ne représente que le cinquième de celui de
Paris intra muros, ou de celui du périphérique
parisien. Les chercheurs reconnaissent cepen-
dant que l’activité de cette zone centrale est
plus intense qu’à Paris où elle se disperse
davantage dans la grande et la petite cou-
ronne ou des quartiers comme La Défense, si
bien que 70 % des déplacements se font en
dehors de Paris.
Une autre critique porte sur la source d’infor-
mation et le manque d´analyses indépen-
dantes. C’est un organisme unique, Transport
for London, qui assure la politique des trans-
ports publics. Tfl concentre quasi toutes les
informations. Les auteurs ne sont pas loin de
penser que cette institution a plus tendance
à vanter les mérites du péage qu’à souligner
ses points faibles.
&
RECHERCHES
SYNTHÈSES
A
JUILLET-AOUT 2006
31
ISSN en cours
Le péage de Londres :
constats et controverses
Programme de
recherche et
d’innovation dans
les transports
terrestres
Ministères chargés
de la recherche,
des transports,
de l’environnement
et de l’industrie,
l’ADEME
l’ANVAR
Remy Prud’homme et Juan Pablo Bocarejo Le péage de congestion dans le
centre de Londres : un essai d’évaluation. Janvier 2005.
Observatoire de l’économie et des institutions locales (ŒIL), IUP, université Paris
XII, Créteil (France). Lettre de commande du Prédit N° 03 MT 37.
Le péage instauré au centre de Londres en
février 2003 pour limiter les embouteillages
est souvent donné comme un modèle.
Dans une étude qui n’est pas passée inaper-
çue, Rémy Prud’homme et Juan Pablo
Bocarejo, émettent de sérieuses réserves.
S’ils concèdent que ce péage est un succès
technique, ils soulignent que la zone concer-
née est très petite à l’échelle de Londres et
que l’échec économique est patent.
Suite p. 2
Le volume de trafic concerné ne
représente que le cinquième de celui
de Paris intra muros.
Le péage de conges-
tion de Londres n´est
pas un péage optimal, comme défini par la
théorie, puisque son montant ne varie pas en
fonction du degré de congestion de la zone. Il
est cependant possible de calculer un péage
qui maximiserait le surplus économique pour
ce péage de zone, avec un tarif fixe, inva-
riable selon le degré de congestion.
Lorsqu’ils abordent le bilan économique du
péage, le point le plus détaillé de leur argu-
mentation, les auteurs concluent que ce bilan
est en dessous de la zone optimale, définie
d´après un modèle économique. Ils ont porté
en abscisse le volume de trafic en véhicules-
kilomètres et, en ordonnée, le coût unitaire
par véhicule-kilomètre. Sur cette base, ils ont
tracé la courbe de la demande, définie comme
la demande d’utilisation par rapport au coût
d’utilisation, soit la valeur du temps employé
plus les coûts de carburants et autres. Ils ont
également tracé la courbe d’offre, soit le coût
individuel par km pour les usagers de la voi-
ture, ainsi que celle du coût social, qui prend
en compte les externalités, c´est-à-dire les
CONTACT AUTEUR [email protected]
Le prix du péage est supérieur
au gain économique reçu.
Situation Situation Situation
Avant présente optimale
Utilisation voirie(1000 véh.*km) 1 390 1 160 1 055
Vitesse s (km/h) 14,3 16,3 18,5
Temps par km (minutes) 4,2 3,6 3,2
Coût individuel I (euros/véh.*km) 1,61 1,36 1,28
Coût Social S (idem) 3,38 2,39 2,09
Péage (idem) - 0,56 0,81
Coût marginal de congestion (idem) 1,77 0,46 -
Coûts de Congestion (1000 euros/jour) 296 24 -
Bénéfices (idem)* - 272 296
Montant perçu (idem) - 650 854
Coûts de perception (idem) - 689 689
Bénéfices nets - - 417 - 393
Coûts et bénéfices pour les automobilistes dans la zone à
péage de Londres
Ce tableau permet de comparer le montant perçu avec les bénéfices éco-
nomiques du système. Le ratio actuel est de 2,4. Le ratio optimal serait
de 2,9. La différence provient en partie de la non prise en compte de la
demande de voirie.
Source : Calculs propres.
* Les bénéfices pour les usagers des bus, amélioration de la fiabilité et
amélioration de l’environnement ne sont pas inclus.
coûts qu´un automobiliste cause aux autres
lorsqu´il se trouve en congestion.
L’intersection de ces courbes délimite un tri-
angle de gain économique pour une congestion
résiduelle. En effet, soulignent les auteurs,
réduire la congestion ne signifie pas arriver à
une congestion nulle, comme certains le pos-
tulent naïvement. Un péage optimal serait
celui qui permet d´internaliser totalement le
Un timbre poste sur la carte du Grand Londres
Avec ses 22 km2, la zone soumise au péage n’occupe
qu’une petite surface de l’agglomération.
Représentation du “péage optimal” par
rapport au gain économique.
Modèle modifié.
RECHERCHES
&
SYNTHÈSES
haque jour, 60 000 automobiles de moins
entrent dans la zone péagère. La vitesse
y a augmenté de 30 %, passant de 14,3 à
16,7 km/h en moyenne. La réduction des gaz
à effet de serre y est de 34 % ce qui repré-
sente une économie de 0,4 millions d’euros
par an.
Les gains environnementaux sont estimés à
4,9 millions d’euros par an.
Le report modal est important : 50 à 60 %
des usagers de la voiture se sont reportés sur
un autre mode de transport, ce qui repré-
sente toutefois seulement 2 % de l’ensemble
des transports en commun du Grand Londres.
Ce chiffre n’a pas été pris en compte dans le
calcul économique des auteurs, car les trans-
ports publics sont subventionnés.
L’offre d’autobus, autre volet du plan de
déplacement adopté par la municipalité, a
augmenté de 20 %. Dans la zone et hors
zone, six nouveaux itinéraires ont été créés,
des lignes ont été prolongées et les bus de
nuit sont plus nombreux. 15 à 20 % des
anciens automobilistes utilisent maintenant,
dans la zone à péage, le vélo, la moto ou pra-
tiquent l’auto-partage. Le taux d’occupation
des voitures a augmenté de 10 %.
Les usagers ont gagné en moyenne 1,34
minute de transport par jour.
Plus vite, plus dégagé, avec plus d’autobus.
Les londoniens trouvent des avantages à se déplacer dans un hyper-centre, si exigu soit-il,
où l’on circule plus vite et où il est plus facile de prendre l’autobus. Pour les auteurs, il
s’agit d’un gain psychologique qu’il conviendrait d’évaluer.
C
RECHERCHES
&
SYNTHÈSES
coût de congestion. En outre, insistent-ils, les
coûts de collecte du péage doivent être ampu-
tés des bénéfices de réduction de la conges-
tion. Le bilan entre les coûts économiques de
mise en place du peáge dans le centre de
Londres et les bénéfices pour les divers utilisa-
teurs (automobilistes, utilisateurs des autres
modes de transport, effets environnementaux)
est négatif. Les bénéfices générés par une
augmentation de la vitesse et une diminution
de la congestion correspondent à ce qui avait
été prévu. Cependant, les coûts de perception
du péage sont bien plus importants. Ce bilan
pourrait être d´autant plus défavorable si l´on
considère les valeurs de temps considérées
dans les études économiques en France, pro-
posées par le rapport Boiteux.
Les auteurs concluent que le montant perçu a
un rapport de 2,4 par rapport aux bénéfices
économiques du système, alors qu’à l’idéal il
devrait être de 2,9. “Ceci veut donc dire que les
usagers payent un prix deux à trois fois supé-
rieur à ce qu’il reçoivent comme bénéfice de la
réduction de la congestion”.
Une autre conclusion porte sur le coût même
de la congestion. Il correspond à peine à 0,2 %
du PIB de la zone, bien inférieur à ce que pou-
vait avoir estimé la CE dans son livre blanc, en
général 2 % du PIB.
L’étude de faisabilité du péage (rapport Rocol)
prévoyait un gain annuel de 100 millions de
livres. Les revenus nets s’élèvent à 68 millions
pour 2003-2004. Cet écart s’explique aussi par
des événements inopinés, comme la fermeture
d’une ligne de métro pendant plusieurs mois
dans la zone péagère.
Par ailleurs, le contrat de délégation entre Tfl
et Capita Business service qui a assuré la maî-
trise d’œuvre du projet a été renégocié au bout
de six mois à la suite d’incidents techniques et
de péages contestés.
La municipalité a accordé une large palette de
tarifs réduits ou de dérogations, pour des rai-
sons sociales ou écologiques. Sur 324 000
entrants, il y a seulement 170 000 personnes
qui doivent payer le plein tarif et sur ce
nombre, on compte 108 000 payeurs effectifs.
Bref, entre les exemptés et les contrevenants,
un entrant sur trois paye.
La batterie de caméras située aux 203 points
d’accès de la zone rendra-t-elle aux Britan-
niques leur civisme légendaire ?
15 à 20 % des anciens automobilistes
utilise maintenant, dans la zone à
péage, le vélo, la moto ou pratique
l’auto partage.
RECHERCHES
&
SYNTHÈSES
RECHERCHES ET SYNTHESES, rend compte, sous
une forme journalistique, de travaux financés par la
Drast (direction de la recherche et de l’animation
scientifique et technique) du ministère chargé des
transports, au sein du programme national Predit.
Ce programme de recherche et d’innovation dans les
transports terrestres soutient des projets dans le
domaine des transports publics ou privés de voya-
geurs ou de marchandises, assurant par des modes de
transports routiers, ferroviaires ou fluviaux, des
déplacements en milieu urbain ou interurbain.
Le Predit est organisé autour de groupes à vocation
technologique ou socio-économique, dont les résul-
tats donnent lieu à des documents de synthèses ou
des expérimentations.
NUMÉROS LES PLUS RÉCENTS :
17. “IVHW et Alzira, deux systèmes d’alerte
passés au crible”
18. “Idées de ville en Italie”
19. “Le risque dans les transports en commun :
loin des stéréotypes”
20. “
Le stationnement en ville :
une histoire riche en rebondissements”
21. “Élu local/sécurité routière : c
hronique de
la sécurité routière dans un village provençal”
22. “Chronocity, le conteneur citadin de
Chronopost : 1,3m3
” et zéro pullution”
23. “
De la connexion de lieux à la desserte géo-
graphique : les SIG”
24. “
Le dirigeable peut-il transporter des avions ?”
2
5. “Microbus, le petit bus construit spécifique-
ment pour l’accessibilité urbaine.
26. “Sécurité routière : des progrès fulgurants
qui masquent des lacunes”
27. “Des idées pour les marchandises dans les
villes d’Europe”
28. “Efficience des opérateurs de transports :
quelques surprises”
29. “Ce qui ne se voit que sur la scène de l’accident”
30. “Cesser de conduire : un véritable deuil”
RECHERCHES ET SYNTHÈSES
Responsable de publication : André Pény,
responsable de la Mission transports
Rédaction : Madeleine Melquiond
Conception graphique : Gérard Casal
Impression : MJ2
CONTACT EDITEUR
@http://www.predit.prd.fr
Mission Transports - SG/DRAST/MTETM
Tour Pascal B
92 055 La Défense cedex
Téléphone : 01 40 81 14 30
Télécopie : 01 40 81 14 44
UN SYSTÈME SIMPLE
Les personnes voulant circuler dans l’espace à péage doivent payer 5 livres
(8 depuis le deuxième semestre 2005) de 7 h à 18 h 30, sauf certains
véhicules, ce qui facilite une évasion importante : motos, taxis, personnes
handicapées, ont des tarifs réduits. Véhicules propres et électriques, services
publics, voitures de dépannage, payent des forfaits annuels. Après 18h30 le
péage passe à 10 livres.
Le règlement se fait par Internet, téléphone, SMS, dans les stations-service,
les bureaux de poste, les points de retrait de monnaie et certains commerces.
Les résidents ne payent qu’une taxe forfaitaire annuelle de 10 livres, ce qui
explique l’argument selon lequel il s’agit d’un péage qui profite aux riches.
Les entreprises communiquent la liste de leur flotte habilitée à entrer dans la
zone et les numéros d’immatriculation des véhicules. Aux points d’entrée,
il n’y a pas d’obstacle physique (plots, barrières…). Des caméras identifient les
numéros d’immatriculation et les comparent à la base de ceux qui ont déjà
payé ou sont exemptés. Une nouvelle confrontation a lieu à minuit.
L’amende de base est de 80 livres. Elle peut être réduite si le paiement est
très rapide et majorée en cas de retard. Au bout de trois infractions,
le véhicule est immobilisé.
Une position divergente :
le commentaire de Charles Raux, du
Laboratoire d’économie des transports.
L’étude de Rémi Prud’homme et Juan Pablo Bocarejo propose un
modèle d’évaluation qui permet à chacun, en bonne pratique scien-
tifique, de vérifier et d’expérimenter la robustesse des conclusions
non consensuelles de ces chercheurs.
Pour ma part, j’ai mis en œuvre le modèle des auteurs, avec les don-
nées publiées par Transport for London, l’autorité organisatrice des
transports de Londres.
Les résultats de ce travail tiennent en trois points.
- d’abord, les simulations montrent la grande sensibilité des résultats
aux variations des vitesses entre avant et après la mise en œuvre
du péage.
- ensuite, il est raisonnable d’admettre, pour les automobilistes de
cette zone, des valeurs de temps beaucoup plus élevées que celles
en usage habituel à Londres. Il serait donc opportun d’intégrer la
notion de fiabilité, ce qui inverserait les termes du bilan socio-éco-
nomique.
- enfin, des méthodes de collecte plus simples et moins coûteuses,
comme celles utilisées en Norvège, permettraient de rendre le sur-
plus nettement positif, même à des niveaux de péage moins élevés.
Les imperfections éventuelles d’un système configuré en fonction
d’objectifs locaux ne doivent pas conduire à reporter aux calendes
grecques la mise en œuvre de ce principe dans d’autres villes. Le
débat dépasse le seul exemple de Londres.
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