RECHERCHES 31 n° ISSN en cours & SYNTHÈSES JUILLET-AOUT 2006 Remy Prud’homme et Juan Pablo Bocarejo Le péage de congestion dans le centre de Londres : un essai d’évaluation. Janvier 2005. Observatoire de l’économie et des institutions locales (ŒIL), IUP, université Paris XII, Créteil (France). Lettre de commande du Prédit N° 03 MT 37. Le péage de Londres : constats et controverses Le péage instauré au centre de Londres en février 2003 pour limiter les embouteillages est souvent donné comme un modèle. Dans une étude qui n’est pas passée inaperçue, Rémy Prud’homme et Juan Pablo Bocarejo, émettent de sérieuses réserves. S’ils concèdent que ce péage est un succès technique, ils soulignent que la zone concernée est très petite à l’échelle de Londres et que l’échec économique est patent. A Programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres Ministères chargés de la recherche, des transports, de l’environnement et de l’industrie, l’ADEME l’ANVAR rgument électoral pour le turbulent maire de Londres Ken Livingstone, mesure pour les riches, opération limitée, qui ne porte que sur l’équivalent du cinquième du trafic de Paris intra muros : telles sont quelques unes des observations de cette recherche, dont les auteurs ont toutefois opté pour un titre prudent : “Essai d’évaluation”. Le centre de Londres était très encombré avant la mise en place du péage, ce qui suscitait l’exaspération des Londoniens. Pointclé du programme électoral de Ken Livingstone, cette promesse a largement contribué à son élection comme maire en mai 2000, et la mise en place du péage en deux ans et demi seulement a joué un rôle dans sa réélection en 2004. Pour les auteurs, le péage est une mesure localisée, d´impact restreint, considérant l’exiguïté de la zone concernée. D’une surface de 22 km2, et d’un rayon de 2,6 km, elle est délimitée par un anneau viaire nommé Ring Road. Elle englobe la City et une partie des quartiers (boroughs) de Camden, Westminster, Lambeth, Southwark et Islington. C’est le quartier des affaires, des bâtiments officiels et des principaux sites touristiques. Il correspond grosso modo aux dix arrondissements centraux de Paris, mais avec plus d’emplois et moins d’habitants (370 000 personnes). Le péage n´agit que sur la congestion dans l´hypercentre. Le volume de trafic concerné ne représente que le cinquième de celui de Paris intra muros, ou de celui du périphérique parisien. Les chercheurs reconnaissent cependant que l’activité de cette zone centrale est plus intense qu’à Paris où elle se disperse davantage dans la grande et la petite couronne ou des quartiers comme La Défense, si bien que 70 % des déplacements se font en dehors de Paris. Une autre critique porte sur la source d’information et le manque d´analyses indépendantes. C’est un organisme unique, Transport for London, qui assure la politique des transports publics. Tfl concentre quasi toutes les informations. Les auteurs ne sont pas loin de penser que cette institution a plus tendance à vanter les mérites du péage qu’à souligner ses points faibles. Le volume de trafic concerné ne représente que le cinquième de celui de Paris intra muros. Suite p. 2 ➥ & RECHERCHES SYNTHÈSES Le prix du péage est supérieur au gain économique reçu. Un timbre poste sur la carte du Grand Londres Le péage de congestion de Londres n´est pas un péage optimal, comme défini par la théorie, puisque son montant ne varie pas en fonction du degré de congestion de la zone. Il est cependant possible de calculer un péage qui maximiserait le surplus économique pour ce péage de zone, avec un tarif fixe, invariable selon le degré de congestion. Lorsqu’ils abordent le bilan économique du péage, le point le plus détaillé de leur argumentation, les auteurs concluent que ce bilan est en dessous de la zone optimale, définie d´après un modèle économique. Ils ont porté en abscisse le volume de trafic en véhiculeskilomètres et, en ordonnée, le coût unitaire par véhicule-kilomètre. Sur cette base, ils ont tracé la courbe de la demande, définie comme la demande d’utilisation par rapport au coût d’utilisation, soit la valeur du temps employé plus les coûts de carburants et autres. Ils ont également tracé la courbe d’offre, soit le coût individuel par km pour les usagers de la voiture, ainsi que celle du coût social, qui prend en compte les externalités, c´est-à-dire les Coûts et bénéfices pour les automobilistes dans la zone à péage de Londres Avec ses 22 km2, la zone soumise au péage n’occupe qu’une petite surface de l’agglomération. coûts qu´un automobiliste cause aux autres lorsqu´il se trouve en congestion. L’intersection de ces courbes délimite un triangle de gain économique pour une congestion résiduelle. En effet, soulignent les auteurs, réduire la congestion ne signifie pas arriver à une congestion nulle, comme certains le postulent naïvement. Un péage optimal serait celui qui permet d´internaliser totalement le Représentation du “péage optimal” par rapport au gain économique. Ce tableau permet de comparer le montant perçu avec les bénéfices économiques du système. Le ratio actuel est de 2,4. Le ratio optimal serait de 2,9. La différence provient en partie de la non prise en compte de la demande de voirie. Situation Avant Utilisation voirie(1000 véh.*km) Vitesse s (km/h) Temps par km (minutes) Situation Situation présente optimale 1 390 14,3 4,2 1 160 16,3 3,6 1 055 18,5 3,2 Coût individuel I (euros/véh.*km) Coût Social S (idem) Péage (idem) Coût marginal de congestion (idem) 1,61 3,38 1,77 1,36 2,39 0,56 0,46 1,28 2,09 0,81 - Coûts de Congestion (1000 euros/jour) Bénéfices (idem)* Montant perçu (idem) Coûts de perception (idem) Bénéfices nets 296 - 24 272 650 689 - 417 296 854 689 - 393 Source : Calculs propres. * Les bénéfices pour les usagers des bus, amélioration de la fiabilité et amélioration de l’environnement ne sont pas inclus. CONTACT AUTEUR [email protected] Modèle modifié. & RECHERCHES SYNTHÈSES coût de congestion. En outre, insistent-ils, les coûts de collecte du péage doivent être amputés des bénéfices de réduction de la congestion. Le bilan entre les coûts économiques de mise en place du peáge dans le centre de Londres et les bénéfices pour les divers utilisateurs (automobilistes, utilisateurs des autres modes de transport, effets environnementaux) est négatif. Les bénéfices générés par une augmentation de la vitesse et une diminution de la congestion correspondent à ce qui avait été prévu. Cependant, les coûts de perception du péage sont bien plus importants. Ce bilan pourrait être d´autant plus défavorable si l´on considère les valeurs de temps considérées dans les études économiques en France, proposées par le rapport Boiteux. Les auteurs concluent que le montant perçu a un rapport de 2,4 par rapport aux bénéfices économiques du système, alors qu’à l’idéal il devrait être de 2,9. “Ceci veut donc dire que les usagers payent un prix deux à trois fois supérieur à ce qu’il reçoivent comme bénéfice de la réduction de la congestion”. Une autre conclusion porte sur le coût même de la congestion. Il correspond à peine à 0,2 % du PIB de la zone, bien inférieur à ce que pouvait avoir estimé la CE dans son livre blanc, en général 2 % du PIB. L’étude de faisabilité du péage (rapport Rocol) prévoyait un gain annuel de 100 millions de livres. Les revenus nets s’élèvent à 68 millions pour 2003-2004. Cet écart s’explique aussi par des événements inopinés, comme la fermeture d’une ligne de métro pendant plusieurs mois dans la zone péagère. Par ailleurs, le contrat de délégation entre Tfl et Capita Business service qui a assuré la maîtrise d’œuvre du projet a été renégocié au bout de six mois à la suite d’incidents techniques et de péages contestés. La municipalité a accordé une large palette de tarifs réduits ou de dérogations, pour des raisons sociales ou écologiques. Sur 324 000 entrants, il y a seulement 170 000 personnes qui doivent payer le plein tarif et sur ce nombre, on compte 108 000 payeurs effectifs. Bref, entre les exemptés et les contrevenants, un entrant sur trois paye. La batterie de caméras située aux 203 points d’accès de la zone rendra-t-elle aux Britanniques leur civisme légendaire ? ■ Plus vite, plus dégagé, avec plus d’autobus. Les londoniens trouvent des avantages à se déplacer dans un hyper-centre, si exigu soit-il, où l’on circule plus vite et où il est plus facile de prendre l’autobus. Pour les auteurs, il s’agit d’un gain psychologique qu’il conviendrait d’évaluer. C haque jour, 60 000 automobiles de moins entrent dans la zone péagère. La vitesse y a augmenté de 30 %, passant de 14,3 à 16,7 km/h en moyenne. La réduction des gaz à effet de serre y est de 34 % ce qui représente une économie de 0,4 millions d’euros par an. Les gains environnementaux sont estimés à 4,9 millions d’euros par an. Le report modal est important : 50 à 60 % des usagers de la voiture se sont reportés sur un autre mode de transport, ce qui représente toutefois seulement 2 % de l’ensemble des transports en commun du Grand Londres. Ce chiffre n’a pas été pris en compte dans le calcul économique des auteurs, car les transports publics sont subventionnés. L’offre d’autobus, autre volet du plan de déplacement adopté par la municipalité, a augmenté de 20 %. Dans la zone et hors zone, six nouveaux itinéraires ont été créés, des lignes ont été prolongées et les bus de nuit sont plus nombreux. 15 à 20 % des anciens automobilistes utilisent maintenant, dans la zone à péage, le vélo, la moto ou pratiquent l’auto-partage. Le taux d’occupation des voitures a augmenté de 10 %. Les usagers ont gagné en moyenne 1,34 minute de transport par jour. ■ 15 à 20 % des anciens automobilistes utilise maintenant, dans la zone à péage, le vélo, la moto ou pratique l’auto partage. & RECHERCHES SYNTHÈSES Une position divergente : le commentaire de Charles Raux, du Laboratoire d’économie des transports. L’étude de Rémi Prud’homme et Juan Pablo Bocarejo propose un modèle d’évaluation qui permet à chacun, en bonne pratique scientifique, de vérifier et d’expérimenter la robustesse des conclusions non consensuelles de ces chercheurs. Pour ma part, j’ai mis en œuvre le modèle des auteurs, avec les données publiées par Transport for London, l’autorité organisatrice des transports de Londres. Les résultats de ce travail tiennent en trois points. - d’abord, les simulations montrent la grande sensibilité des résultats aux variations des vitesses entre avant et après la mise en œuvre du péage. - ensuite, il est raisonnable d’admettre, pour les automobilistes de cette zone, des valeurs de temps beaucoup plus élevées que celles en usage habituel à Londres. Il serait donc opportun d’intégrer la notion de fiabilité, ce qui inverserait les termes du bilan socio-économique. - enfin, des méthodes de collecte plus simples et moins coûteuses, comme celles utilisées en Norvège, permettraient de rendre le surplus nettement positif, même à des niveaux de péage moins élevés. Les imperfections éventuelles d’un système configuré en fonction d’objectifs locaux ne doivent pas conduire à reporter aux calendes grecques la mise en œuvre de ce principe dans d’autres villes. Le débat dépasse le seul exemple de Londres. ■ RECHERCHES ET SYNTHESES, rend compte, sous une forme journalistique, de travaux financés par la Drast (direction de la recherche et de l’animation scientifique et technique) du ministère chargé des transports, au sein du programme national Predit. Ce programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres soutient des projets dans le domaine des transports publics ou privés de voyageurs ou de marchandises, assurant par des modes de transports routiers, ferroviaires ou fluviaux, des déplacements en milieu urbain ou interurbain. Le Predit est organisé autour de groupes à vocation technologique ou socio-économique, dont les résultats donnent lieu à des documents de synthèses ou des expérimentations. NUMÉROS LES PLUS RÉCENTS : 17. “IVHW et Alzira, deux systèmes d’alerte passés au crible” 18. “Idées de ville en Italie” 19. “Le risque dans les transports en commun : loin des stéréotypes” 20. “Le stationnement en ville : une histoire riche en rebondissements” 21. “Élu local/sécurité routière : chronique de la sécurité routière dans un village provençal” 22. “Chronocity, le conteneur citadin de Chronopost : 1,3m3” et zéro pullution” 23. “De la connexion de lieux à la desserte géographique : les SIG” 24. “Le dirigeable peut-il transporter des avions ?” 25. “Microbus, le petit bus construit spécifiquement pour l’accessibilité urbaine.” 26. “Sécurité routière : des progrès fulgurants qui masquent des lacunes” 27. “Des idées pour les marchandises dans les villes d’Europe” 28. “Efficience des opérateurs de transports : quelques surprises” 29. “Ce qui ne se voit que sur la scène de l’accident” 30. “Cesser de conduire : un véritable deuil” UN SYSTÈME SIMPLE Les personnes voulant circuler dans l’espace à péage doivent payer 5 livres (8 depuis le deuxième semestre 2005) de 7 h à 18 h 30, sauf certains véhicules, ce qui facilite une évasion importante : motos, taxis, personnes handicapées, ont des tarifs réduits. Véhicules propres et électriques, services publics, voitures de dépannage, payent des forfaits annuels. Après 18h30 le péage passe à 10 livres. Le règlement se fait par Internet, téléphone, SMS, dans les stations-service, les bureaux de poste, les points de retrait de monnaie et certains commerces. Les résidents ne payent qu’une taxe forfaitaire annuelle de 10 livres, ce qui explique l’argument selon lequel il s’agit d’un péage qui profite aux riches. Les entreprises communiquent la liste de leur flotte habilitée à entrer dans la zone et les numéros d’immatriculation des véhicules. Aux points d’entrée, il n’y a pas d’obstacle physique (plots, barrières…). Des caméras identifient les numéros d’immatriculation et les comparent à la base de ceux qui ont déjà payé ou sont exemptés. Une nouvelle confrontation a lieu à minuit. L’amende de base est de 80 livres. Elle peut être réduite si le paiement est très rapide et majorée en cas de retard. Au bout de trois infractions, le véhicule est immobilisé. RECHERCHES ET SYNTHÈSES Responsable de publication : André Pény, responsable de la Mission transports Rédaction : Madeleine Melquiond Conception graphique : Gérard Casal Impression : MJ2 CONTACT EDITEUR @ [email protected] @ [email protected] @ http://www.predit.prd.fr Mission Transports - SG/DRAST/MTETM Tour Pascal B 92 055 La Défense cedex Téléphone : 01 40 81 14 30 Télécopie : 01 40 81 14 44