Utilisations viables des ressources naturelles africaines pour le

Utilisations viables des ressources naturelles africaines pour le développement durable :
défis éthiques
Par Christophe Kwami DIKENOU
Université de Lomé, B.P. 1515 Lomé-TOGO, [email protected]
Résumé
Le souci éthique de l’utilisation viable des ressources naturelles va croissant dans le monde. Il
est particulièrement important pour l’Afrique de se doter de compétences éthiques eu égard à
la dégradation et à la destruction rapide des ressources naturelles du continent.
Notre communication a pour objectif d’analyser la crise écologique en Afrique et de faire
l’état du nouvel esprit éthique de l’environnement contemporain afin de situer les voies
d’intervention qu’offre aux universités ce nouveau printemps de l’éthique de l’environnement
et du développement
Mots clés : Afrique, crise écologique, éthique de l’environnement
Summary
The ethical concern for viable use of natural resources is continually increasing in the world.
It is particularly important for Africa to be endowed with ethical skills regarding the
degradation and the quick loss of the natural resources of the continent.
The objective of our speech is to analyse the ecological crisis in Africa and to show the state
of contemporary environmental ethics in order to show how to integrate the teaching of
environmental ethics in african universities.
Key words : Africa, ecological crisis, environmental ethics
Introduction
Depuis les origines, il existe une interaction entre l’homme et l’environnement. Ce qui
caractérise fondamentalement, à cet égard, la société contemporaine est l’accélération de la
dégradation et de la destruction des ressources naturelles. Ces problèmes sont souvent groupés
sous l’expression de « crise écologique ».
Cette crise a, selon les philosophes de l’environnement, une cause morale : le non-respect de
la nature. De cette racine culturelle s’est développée une conception technico-économico-
utilitaire des ressources naturelles. Cette conception ne reconnaît que les valeurs
économiques, écologiques et sociales de la nature comme guides de l’agir humain vis-à-vis de
celle-ci. Les philosophes et éthiciens de l’environnement ont mis en évidence les limites de
cette conception et la nécessité d’harmoniser le respect des valeurs économiques, écologiques
et sociales de la nature avec la reconnaissance et le respect de la valeur intrinsèque de cette
dernière.
Les pays africains ont très peu tiré profit de ces réflexions philosophiques et éthiques. Notre
communication a pour but de faire l’état du nouvel esprit éthique de l’environnement
contemporain et de situer les voies d’intervention qu’offre, pour les universités africaines ce
nouveau printemps de l’éthique de l’environnement et du développement.
I. La crise écologique
Les ressources naturelles peuvent être subdivisées en deux groupes distincts : les ressources
non renouvelables constites de matières premières minérales et les ressources
renouvelables constituées de ressources biologiques, de l’eau et du sol. L’éthique de
l’environnement se limite aux ressources naturelles renouvelables. Son extension aux
ressources minérales n’est pas encore très développée.
I.1. La biodiversité
Les valeurs économiques, écologiques et sociales de la biodiversité africaine sont importantes.
En effet, l’utilisation des ressources de la biodiversité (zoocénose et phytocénose) constitue le
pilier de léconomie africaine, de la survie et de la prospérité de la population du continent.
Ces ressources servent à l’alimentation, à la construction de maisons, à la fabrication de
vêtements. Elles constituent des matières premières pour la production de biens manufacturés.
Pourtant quatre grandes menaces pèsent sur la biodiversité africaine à savoir la perte
d’habitats naturels, l’extinction des espèces, l’invasion par des espèces étrangères (non
indigènes) et le manque de reconnaissance des droits à la propriété et des connaissances de la
population locale.
La dégradation et la perte d’habitats naturels.
Plus de 211 millions d’hectares de forêt ont disparu depuis 1970 soit 30 pour cent de
leur superficie d’origine. Sur la même période, les terres cultivées ont augmenté de 36
millions d’hectares, soit 21 pour cent(…). Au cours des 30 dernières années, la
principale mesure prise face aux menaces de perte d’habitats naturels a été
d’augmenter le nombre et l’étendue des zones protégées.1
Selon la Banque mondiale chaque pays devrait atteindre l’objectif de protection fixé à 10 pour
cent du territoire national.
Disparition d’espèces. La disparition rapide des espèces animales et végétales africaines est
essentiellement due à la perte des habitats, à la chasse illégale, à l’exploitation à des fins
commerciales ou dicinales et au commerce national et international. Selon l’UICN 126
espèces animales ont disparu de la faune africaine, 2018 espèces sont menacées de disparition,
123 espèces végétales ont disparu et 1771 autres sont menacées de disparition2.
Les conséquences sociales de cette disparition sont inquiétantes. Car l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) estime à 80 pour cent le nombre des populations rurales et urbaines qui se
soignent et soignent leur tail avec des plantes médicinales. La disparition des espèces a un
impact négatif sur la biocénose, les communautés locales et sur le développement économique
de l’Afrique tant à court et à long termes.
La principale mesure prise face à la disparition des espèces est d’inciter les pays africains à
adhérer et à appliquer les conventions telles que la Convention sur le commerce international
des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CCIEM). Il y a aussi comme
mesure complémentaire la réintroduction d’espèces et de culture de végétaux ex situ dans des
milieux adaptés.
Espèces étrangères envahissantes. L’introduction non maîtrisée d’espèces animales et
végétales comme la perche du Nil (Lates nilotica) et la jacinthe d’eau (Eichornia crassipes) est
à l’origine de disparition d’espèces indigènes, d’obstruction de cours d’eau et de modification
des régimes hydrologiques. Bref, l’introduction non maîtrisée d’espèces étrangères entraîne
un appauvrissement de la biodiversité autochtone par prédation, concurrence ou étouffement.
1 PNUE, L’avenir de l’environnement en Afrique. Le passé, le présent et les perspectives d’avenir, Nairobi,
PNUE, 2002, p.56-57. Nous citerons, dans le reste de l’article, ce document ainsi : PNUE, L’avenir de
l’environnement africain.
2 UICN, Liste rouge 1997 des espèces végétales menacées, Gland, UICN, 1977. Disponible sur
http://www.uncp-wcmc.org.uk
Parmi les principales mesures adoptées par les Etats africains comptent le contrôle des
importations d’espèces étrangères, l’arrachage des espèces à la main ou leur destruction par
des moyens mécaniques ou chimiques et enfin la lutte biologique.
Connaissances indigènes et droits de propriété. Le manque d’investissement dans la recherche
et le développement des connaissances et pratiques positives indigènes en matière de
biodiversité entraîne la méconnaissance des possibilités d’exploitation viable et commerciale
de la biodiversité au profit des Etats africains et des populations autochtones dépositaires
d’origine de ces connaissances.
Pour pallier ce problème, des Conventions internationales ont été adoptées comme la
Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et
tribaux (1989), la Convention sur la diversité biologique (1992) reconnaît la valeur des
connaissances traditionnelles en son article 8 (j). Suite à ces conventions, des efforts sont
entrepris dans la plupart des pays africains pour mieux faire participer les populations
autochtones à des projets de développement de façon à intégrer leurs connaissances à ces
projets particulièrement dans le cadre du programme de la Banque mondiale relatif aux
connaissances indigènes en Afrique.
I.2 Les forêts africaines
Les forêts et les zones boisées jouent un rôle essentiel dans la survie et la prospérité des
populations africaines : elles fournissent la nourriture pour les individus et le bétail, les
plantes dicinales, les matériaux de construction et le combustible. Elles ralentissent
l’érosion des sols, régule le climat et jouent un rôle important dans les activités socio-
économiques.
La couverture forestière totale en Afrique était estimée à près de 650 millions
d’hectares en 2000, soit l’équivalent de 17 pour cent de la couverture forestière
mondiale et environ 22 pour cent de la surface totale de l’Afrique. La région possède 14
types différents de forêts dans des climats tempérés et tropicaux.3
L’immense valeur économique, sociale, culturelle et environnementale des forêts africaines
est compromise par la déforestation et la dégradation forestière.
En 1999 (…) 10,5 pour cent des forêts d’Afrique avaient disparu entre 1980 et 1995
(…). Plus de 50 millions d’hectares de forêts ont disparu entre 1990 et 2000, soit un
taux de déforestation moyen de presque 0,8 pour cent par an sur cette période. En
conséquence, la disponibilité des ressources forestières par tête est passée de 1,22
ha/personne en 1980 à 0,74 ha/personne en 1995.4
Les mesures prises pour une gestion et une protection durables des forêts et zones boisées sont
avant tout d’ordre institutionnel, juridique et administratif : l’Organisation africaine du bois
(OAB) a été créée en 1976. Elle a élaboré des principes, des critères et des indicateurs de
gestion forestière durable en partenariat avec le « Forest Stewardship Council (FSC) » et
l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT).
I.3. Eau douce5
3 PNUE, L’avenir de l’environnement en Afrique, p.131.
4 PNUE, op.cit. p.133-134
5 Dans le cadre de la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies
(COMEST), l’UNESCO dispose d’une réflexion très intense sur l’éthique de l’eau douce.
L’eau douce est indispensable à tous les êtres vivants. La disponibilité de l’eau douce est
inégale sur le continent : l’Afrique occidentale et centrale connaissent des précipitations plus
importantes que l’Afrique du Nord, la Corne de l’Afrique et l’Afrique Australe. « La
disponibilité moyenne d’eau par personne en Afrique est de 5720m3/habitant/an, comparée à
une moyenne mondiale de 7600m3/habitant/an. »6
En Afrique la nappe phréatique constitue la source principale d’eau douce pour un grand
nombre de personnes.
En Algérie, par exemple, plus de 60 pour cent et en Libye, 95 pour cent de toutes les
ponctions en eau sont issus des nappes phréatiques… L’Algérie, l’Egypte, la Libye,
Maurice, le Maroc, l’Afrique du Sud et la Tunisie ont recours à de l’eau désalinisée afin
de répondre à leurs besoins.7
Malgré l’importante valeur de cette denrée, non seulement sa disponibilité demeure une
contrainte majeure, mais encore sa qualité est une préoccupation croissante. Les principaux
problèmes liés à la qualité de l’eau douce sont : l’eutrophisation des lacs et des retenues, la
pollution des nappes phréatiques, la dégradation des zones humides. La contamination des
lagunes, des lacs, des rivières et des zones humides non seulement a des conséquences
négatives sur l’équilibre naturel de ces écosystèmes, mais encore elle est source de maladies
hydriques.
Parmi les mesures prises pour améliorer l’accès aux ressources en eau douce et à une eau
potable de qualité, on peut citer, au niveau international, la Décennie Internationale de l’eau
potable et de l’assainissement sous l’égide des Nations Unies (1981-1990). La vision africaine
de l’eau (2000) souligne le besoin de changement d’attitude concernant l’approvisionnement
et la consommation en eau. Le principe « pollueur-payeur » a été adopté dans le cadre de
plusieurs politiques et législations nationales ainsi que des partenariats public-privé.
En conclusion, l’accès à l’eau douce et l’amélioration de la qualité de cette dernière
constituent toujours une question sociale importante malgré les efforts des pays africains.
I.4. Le sol
En Afrique, le sol et ses ressources ont une valeur économique, écologique et sociale
considérable. En effet, la contribution de l’agriculture et de l’élevage à l’économie officielle,
à la subsistance des populations et à l’emploi est importante.
En 1990, le secteur agricole utilisait 68 pour cent de la population active des pays
d’Afrique du Nord contre respectivement 9 et 25 pour cent pour l’industrie. En 1999,
l’agriculture a rapporté plus de 64.484 millions d’USD à l’économie d’Afrique
subsaharienne (soit 18 pour cent du PIB) et 26.188 millions d’USD à l’Afrique du Nord
(soit 13 pour cent du PIB).8
Les principales cultures sont les céréales, le café, le cacao, le coton, les fruits, les noix et les
graines, les huiles, le caoutchouc, les épices, la canne à sucre, le thé, le tabac et les légumes.
En 2001, l’Afrique a assuré 67 pour cent de la production mondiale de cacao, 16 pour
cent de la production mondiale de café et 5 pour cent de la production mondiale de
céréales (…). L’élevage et les produits dérivés représentent environ 19 pour cent de la
6 PNUE, L’avenir de l’environnement en Afrique, p.157-158.
7 Ibid. p.158.
8 PNUE, L’avenir de l’environnement en Afrique, p.190
valeur totale de la production agricole, sylvicole et halieutique de l’Afrique
subsaharienne.9
Malgré les espoirs de croissance économique que peut susciter la production agricole grâce
aux effets positifs sur l’industrie, les transports et les autres services, l’agriculture africaine
voit ces 30 dernières années, ses gains annulés par la croissance mographique et
l’accroissement de la demande alimentaire, l’extension, la dégradation voire la destruction des
terres cultivées.
Plus de 20 pour cent des terres gétalisées en Afrique sont considérées comme
dégradées (…). Les zones les plus touchées se situent en lisière des déserts et le
problème risque en toute probabilité de s’aggraver dans les 30 prochaines années, sous
l’effet croisé de la pression démographique et d’une plus grande variabilité
climatique.10
Les sécheresses périodiques ainsi que les méthodes culturales inappropriées sont des facteurs
qui compromettent la conservation de la qualité des terres cultivées et leur productivité. La
désertification, de son côté, diminue l’étendue des terres cultivables. Ainsi pour améliorer la
qualité des terres cultivées et lutter contre la désertification, « les pays africains ont largement
contribué à la création, en 1992, de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la
sécheresse et la désertification (CNILD). (…) Depuis, la plupart des pays africains se sont
attaqués à l’élaboration de plans d’action nationaux accompagnés de campagnes de
sensibilisation des populations (…). Des plans d’action ont également été élaborés à l’échelle
sous-régionale en Afrique du Nord sur l’initiative de l’Union du Maghreb arabe (UMA), en
Afrique occidentale grâce au Comité permanent inter-Etat de lutte contre la sécheresse dans le
Sahel (CILSS), en Afrique orientale avec l’Autorité intergouvernementale pour le
développement (AIGD) et en Afrique australe avec la Communauté de développement de
l’Afrique australe. »11
La dégradation et la destruction des sols entraînent des conséquences écologiques et sociales
graves. Pour cela elles constituent incontestablement une question sociale cruciale qui doit
être impérativement résolue.
I.5. Environnements côtiers et marins
Les ressources côtières et marines ont une valeur écologique, économique et sociale capitale
au niveau local comme au niveau global.
En 1997, l’ensemble des exportations africaines du produit de la pêche en mer a
rapporté 445 millions d’USD(…). La che constitue également une importante source
d’emploi, particulièrement dans les petites îles, telles que celles du Cap vert et des
Seychelles, plus du tiers des travailleurs agricoles sont employés dans le secteur de
la pêche (…). Les activités de pêche artisanale constituent également une importante
source de revenus pour les collectivités côtières et le poisson est une source importante
de protéines pour de nombreuses populations africaines.12
La valeur économique des ressources des écosystèmes côtiers et marins entraîne la croissance
démographique, l’expansion industrielle et le développement des infrastructures dans les
9 Ibid.
10 Ibid. p.221.
11 Ibid., p.194.
12 Ibid., p.94.
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