Utilisations viables des ressources naturelles africaines pour le développement durable : défis éthiques Par Christophe Kwami DIKENOU Université de Lomé, B.P. 1515 Lomé-TOGO, [email protected] Résumé Le souci éthique de l’utilisation viable des ressources naturelles va croissant dans le monde. Il est particulièrement important pour l’Afrique de se doter de compétences éthiques eu égard à la dégradation et à la destruction rapide des ressources naturelles du continent. Notre communication a pour objectif d’analyser la crise écologique en Afrique et de faire l’état du nouvel esprit éthique de l’environnement contemporain afin de situer les voies d’intervention qu’offre aux universités ce nouveau printemps de l’éthique de l’environnement et du développement Mots clés : Afrique, crise écologique, éthique de l’environnement Summary The ethical concern for viable use of natural resources is continually increasing in the world. It is particularly important for Africa to be endowed with ethical skills regarding the degradation and the quick loss of the natural resources of the continent. The objective of our speech is to analyse the ecological crisis in Africa and to show the state of contemporary environmental ethics in order to show how to integrate the teaching of environmental ethics in african universities. Key words : Africa, ecological crisis, environmental ethics Introduction Depuis les origines, il existe une interaction entre l’homme et l’environnement. Ce qui caractérise fondamentalement, à cet égard, la société contemporaine est l’accélération de la dégradation et de la destruction des ressources naturelles. Ces problèmes sont souvent groupés sous l’expression de « crise écologique ». Cette crise a, selon les philosophes de l’environnement, une cause morale : le non-respect de la nature. De cette racine culturelle s’est développée une conception technico-économicoutilitaire des ressources naturelles. Cette conception ne reconnaît que les valeurs économiques, écologiques et sociales de la nature comme guides de l’agir humain vis-à-vis de celle-ci. Les philosophes et éthiciens de l’environnement ont mis en évidence les limites de cette conception et la nécessité d’harmoniser le respect des valeurs économiques, écologiques et sociales de la nature avec la reconnaissance et le respect de la valeur intrinsèque de cette dernière. Les pays africains ont très peu tiré profit de ces réflexions philosophiques et éthiques. Notre communication a pour but de faire l’état du nouvel esprit éthique de l’environnement contemporain et de situer les voies d’intervention qu’offre, pour les universités africaines ce nouveau printemps de l’éthique de l’environnement et du développement. I. La crise écologique Les ressources naturelles peuvent être subdivisées en deux groupes distincts : les ressources non renouvelables constituées de matières premières minérales et les ressources renouvelables constituées de ressources biologiques, de l’eau et du sol. L’éthique de l’environnement se limite aux ressources naturelles renouvelables. Son extension aux ressources minérales n’est pas encore très développée. I.1. La biodiversité Les valeurs économiques, écologiques et sociales de la biodiversité africaine sont importantes. En effet, l’utilisation des ressources de la biodiversité (zoocénose et phytocénose) constitue le pilier de l’économie africaine, de la survie et de la prospérité de la population du continent. Ces ressources servent à l’alimentation, à la construction de maisons, à la fabrication de vêtements. Elles constituent des matières premières pour la production de biens manufacturés. Pourtant quatre grandes menaces pèsent sur la biodiversité africaine à savoir la perte d’habitats naturels, l’extinction des espèces, l’invasion par des espèces étrangères (non indigènes) et le manque de reconnaissance des droits à la propriété et des connaissances de la population locale. La dégradation et la perte d’habitats naturels. Plus de 211 millions d’hectares de forêt ont disparu depuis 1970 soit 30 pour cent de leur superficie d’origine. Sur la même période, les terres cultivées ont augmenté de 36 millions d’hectares, soit 21 pour cent(…). Au cours des 30 dernières années, la principale mesure prise face aux menaces de perte d’habitats naturels a été d’augmenter le nombre et l’étendue des zones protégées.1 Selon la Banque mondiale chaque pays devrait atteindre l’objectif de protection fixé à 10 pour cent du territoire national. Disparition d’espèces. La disparition rapide des espèces animales et végétales africaines est essentiellement due à la perte des habitats, à la chasse illégale, à l’exploitation à des fins commerciales ou médicinales et au commerce national et international. Selon l’UICN 126 espèces animales ont disparu de la faune africaine, 2018 espèces sont menacées de disparition, 123 espèces végétales ont disparu et 1771 autres sont menacées de disparition2. Les conséquences sociales de cette disparition sont inquiétantes. Car l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à 80 pour cent le nombre des populations rurales et urbaines qui se soignent et soignent leur bétail avec des plantes médicinales. La disparition des espèces a un impact négatif sur la biocénose, les communautés locales et sur le développement économique de l’Afrique tant à court et à long termes. La principale mesure prise face à la disparition des espèces est d’inciter les pays africains à adhérer et à appliquer les conventions telles que la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CCIEM). Il y a aussi comme mesure complémentaire la réintroduction d’espèces et de culture de végétaux ex situ dans des milieux adaptés. Espèces étrangères envahissantes. L’introduction non maîtrisée d’espèces animales et végétales comme la perche du Nil (Lates nilotica) et la jacinthe d’eau (Eichornia crassipes) est à l’origine de disparition d’espèces indigènes, d’obstruction de cours d’eau et de modification des régimes hydrologiques. Bref, l’introduction non maîtrisée d’espèces étrangères entraîne un appauvrissement de la biodiversité autochtone par prédation, concurrence ou étouffement. 1 PNUE, L’avenir de l’environnement en Afrique. Le passé, le présent et les perspectives d’avenir, Nairobi, PNUE, 2002, p.56-57. Nous citerons, dans le reste de l’article, ce document ainsi : PNUE, L’avenir de l’environnement africain. 2 UICN, Liste rouge 1997 des espèces végétales menacées, Gland, UICN, 1977. Disponible sur http://www.uncp-wcmc.org.uk Parmi les principales mesures adoptées par les Etats africains comptent le contrôle des importations d’espèces étrangères, l’arrachage des espèces à la main ou leur destruction par des moyens mécaniques ou chimiques et enfin la lutte biologique. Connaissances indigènes et droits de propriété. Le manque d’investissement dans la recherche et le développement des connaissances et pratiques positives indigènes en matière de biodiversité entraîne la méconnaissance des possibilités d’exploitation viable et commerciale de la biodiversité au profit des Etats africains et des populations autochtones dépositaires d’origine de ces connaissances. Pour pallier ce problème, des Conventions internationales ont été adoptées comme la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail relative aux peuples indigènes et tribaux (1989), la Convention sur la diversité biologique (1992) reconnaît la valeur des connaissances traditionnelles en son article 8 (j). Suite à ces conventions, des efforts sont entrepris dans la plupart des pays africains pour mieux faire participer les populations autochtones à des projets de développement de façon à intégrer leurs connaissances à ces projets particulièrement dans le cadre du programme de la Banque mondiale relatif aux connaissances indigènes en Afrique. I.2 Les forêts africaines Les forêts et les zones boisées jouent un rôle essentiel dans la survie et la prospérité des populations africaines : elles fournissent la nourriture pour les individus et le bétail, les plantes médicinales, les matériaux de construction et le combustible. Elles ralentissent l’érosion des sols, régule le climat et jouent un rôle important dans les activités socioéconomiques. La couverture forestière totale en Afrique était estimée à près de 650 millions d’hectares en 2000, soit l’équivalent de 17 pour cent de la couverture forestière mondiale et environ 22 pour cent de la surface totale de l’Afrique. La région possède 14 types différents de forêts dans des climats tempérés et tropicaux.3 L’immense valeur économique, sociale, culturelle et environnementale des forêts africaines est compromise par la déforestation et la dégradation forestière. En 1999 (…) 10,5 pour cent des forêts d’Afrique avaient disparu entre 1980 et 1995 (…). Plus de 50 millions d’hectares de forêts ont disparu entre 1990 et 2000, soit un taux de déforestation moyen de presque 0,8 pour cent par an sur cette période. En conséquence, la disponibilité des ressources forestières par tête est passée de 1,22 ha/personne en 1980 à 0,74 ha/personne en 1995.4 Les mesures prises pour une gestion et une protection durables des forêts et zones boisées sont avant tout d’ordre institutionnel, juridique et administratif : l’Organisation africaine du bois (OAB) a été créée en 1976. Elle a élaboré des principes, des critères et des indicateurs de gestion forestière durable en partenariat avec le « Forest Stewardship Council (FSC) » et l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT). I.3. 3 Eau douce5 PNUE, L’avenir de l’environnement en Afrique, p.131. PNUE, op.cit. p.133-134 5 Dans le cadre de la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST), l’UNESCO dispose d’une réflexion très intense sur l’éthique de l’eau douce. 4 L’eau douce est indispensable à tous les êtres vivants. La disponibilité de l’eau douce est inégale sur le continent : l’Afrique occidentale et centrale connaissent des précipitations plus importantes que l’Afrique du Nord, la Corne de l’Afrique et l’Afrique Australe. « La disponibilité moyenne d’eau par personne en Afrique est de 5720m3/habitant/an, comparée à une moyenne mondiale de 7600m3/habitant/an. »6 En Afrique la nappe phréatique constitue la source principale d’eau douce pour un grand nombre de personnes. En Algérie, par exemple, plus de 60 pour cent et en Libye, 95 pour cent de toutes les ponctions en eau sont issus des nappes phréatiques… L’Algérie, l’Egypte, la Libye, Maurice, le Maroc, l’Afrique du Sud et la Tunisie ont recours à de l’eau désalinisée afin de répondre à leurs besoins.7 Malgré l’importante valeur de cette denrée, non seulement sa disponibilité demeure une contrainte majeure, mais encore sa qualité est une préoccupation croissante. Les principaux problèmes liés à la qualité de l’eau douce sont : l’eutrophisation des lacs et des retenues, la pollution des nappes phréatiques, la dégradation des zones humides. La contamination des lagunes, des lacs, des rivières et des zones humides non seulement a des conséquences négatives sur l’équilibre naturel de ces écosystèmes, mais encore elle est source de maladies hydriques. Parmi les mesures prises pour améliorer l’accès aux ressources en eau douce et à une eau potable de qualité, on peut citer, au niveau international, la Décennie Internationale de l’eau potable et de l’assainissement sous l’égide des Nations Unies (1981-1990). La vision africaine de l’eau (2000) souligne le besoin de changement d’attitude concernant l’approvisionnement et la consommation en eau. Le principe « pollueur-payeur » a été adopté dans le cadre de plusieurs politiques et législations nationales ainsi que des partenariats public-privé. En conclusion, l’accès à l’eau douce et l’amélioration de la qualité de cette dernière constituent toujours une question sociale importante malgré les efforts des pays africains. I.4. Le sol En Afrique, le sol et ses ressources ont une valeur économique, écologique et sociale considérable. En effet, la contribution de l’agriculture et de l’élevage à l’économie officielle, à la subsistance des populations et à l’emploi est importante. En 1990, le secteur agricole utilisait 68 pour cent de la population active des pays d’Afrique du Nord contre respectivement 9 et 25 pour cent pour l’industrie. En 1999, l’agriculture a rapporté plus de 64.484 millions d’USD à l’économie d’Afrique subsaharienne (soit 18 pour cent du PIB) et 26.188 millions d’USD à l’Afrique du Nord (soit 13 pour cent du PIB).8 Les principales cultures sont les céréales, le café, le cacao, le coton, les fruits, les noix et les graines, les huiles, le caoutchouc, les épices, la canne à sucre, le thé, le tabac et les légumes. En 2001, l’Afrique a assuré 67 pour cent de la production mondiale de cacao, 16 pour cent de la production mondiale de café et 5 pour cent de la production mondiale de céréales (…). L’élevage et les produits dérivés représentent environ 19 pour cent de la 6 PNUE, L’avenir de l’environnement en Afrique, p.157-158. Ibid. p.158. 8 PNUE, L’avenir de l’environnement en Afrique, p.190 7 valeur totale de la production agricole, sylvicole et halieutique de l’Afrique subsaharienne.9 Malgré les espoirs de croissance économique que peut susciter la production agricole grâce aux effets positifs sur l’industrie, les transports et les autres services, l’agriculture africaine voit ces 30 dernières années, ses gains annulés par la croissance démographique et l’accroissement de la demande alimentaire, l’extension, la dégradation voire la destruction des terres cultivées. Plus de 20 pour cent des terres végétalisées en Afrique sont considérées comme dégradées (…). Les zones les plus touchées se situent en lisière des déserts et le problème risque en toute probabilité de s’aggraver dans les 30 prochaines années, sous l’effet croisé de la pression démographique et d’une plus grande variabilité climatique.10 Les sécheresses périodiques ainsi que les méthodes culturales inappropriées sont des facteurs qui compromettent la conservation de la qualité des terres cultivées et leur productivité. La désertification, de son côté, diminue l’étendue des terres cultivables. Ainsi pour améliorer la qualité des terres cultivées et lutter contre la désertification, « les pays africains ont largement contribué à la création, en 1992, de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la sécheresse et la désertification (CNILD). (…) Depuis, la plupart des pays africains se sont attaqués à l’élaboration de plans d’action nationaux accompagnés de campagnes de sensibilisation des populations (…). Des plans d’action ont également été élaborés à l’échelle sous-régionale en Afrique du Nord sur l’initiative de l’Union du Maghreb arabe (UMA), en Afrique occidentale grâce au Comité permanent inter-Etat de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), en Afrique orientale avec l’Autorité intergouvernementale pour le développement (AIGD) et en Afrique australe avec la Communauté de développement de l’Afrique australe. »11 La dégradation et la destruction des sols entraînent des conséquences écologiques et sociales graves. Pour cela elles constituent incontestablement une question sociale cruciale qui doit être impérativement résolue. I.5. Environnements côtiers et marins Les ressources côtières et marines ont une valeur écologique, économique et sociale capitale au niveau local comme au niveau global. En 1997, l’ensemble des exportations africaines du produit de la pêche en mer a rapporté 445 millions d’USD(…). La pêche constitue également une importante source d’emploi, particulièrement dans les petites îles, telles que celles du Cap vert et des Seychelles, où plus du tiers des travailleurs agricoles sont employés dans le secteur de la pêche (…). Les activités de pêche artisanale constituent également une importante source de revenus pour les collectivités côtières et le poisson est une source importante de protéines pour de nombreuses populations africaines.12 La valeur économique des ressources des écosystèmes côtiers et marins entraîne la croissance démographique, l’expansion industrielle et le développement des infrastructures dans les 9 Ibid. Ibid. p.221. 11 Ibid., p.194. 12 Ibid., p.94. 10 zones côtières. Toutes ces activités exercent une pression sur les écosystèmes. Les principaux problèmes auxquels sont confrontés les pays côtiers sont : l’érosion côtière, la surexploitation des ressources et la pollution. « On estime par exemple qu’environ 40 pour cent des mangroves du Nigeria avaient disparu en 1980, en raison du déboisement à des fins de développement, de l’érosion du littoral et de l’augmentation de la salinité. »13 L’exploitation du corail et du sable, la retenue des cours d’eau continentaux contribuent à l’érosion du littoral. Ce dernier entraîne des déplacements de populations tout comme les inondations des zones de faible altitude. Ces inondations sont dues à l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques. Afin de réduire l’érosion côtière l’une des mesures adoptées par les pays côtiers est la gestion intégrée des zones côtières (GIZC). L’érosion du littoral est également combattue dans plusieurs pays par une gestion plus raisonnée des bassins hydrographiques, et l’utilisation des méthodes culturales plus respectueuses de l’environnement ainsi que des programmes de préservation des sols. Afin de garantir une exploitation durable des ressources côtières telles que le poisson, les crustacées et mollusques, des accords internationaux (entre différents pays africains, ainsi qu’entre les industries de la pêche d’Afrique et d’autres parties du monde) sont signés. Par exemple plusieurs pays africains ont signé la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) entrée en vigueur en 1994. Il faut remarquer que malgré l’existence des accords internationaux, les pays africains subissent toujours l’exploitation de leurs ressources par des flottes de pêche étrangères. Parmi les accords internationaux signés par les pays africains et qui sont relatifs à l’amélioration de la qualité des écosystèmes côtiers et marins, il y a la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL), la Convention régionale pour la préservation de l’environnement de la mer Rouge et du golfe d’Aden (Djedda), le Plan d’action méditerranéen de la convention de Barcelone, la Convention de Nairobi signée en 1985 et entrée en vigueur en 1996, et la Convention pour la coopération en matière de protection et de développement de l’environnement marin et côtier de la région d’Afrique occidentale et centrale (convention d’Abidjan). On envisage le renforcement et la révision des conventions d’Abidjan et de Nairobi. Si toutes ces mesures sont prises c’est en raison de la valeur écologique, économique et sociale des ressources côtières. I.6. L’atmosphère L’atmosphère est cruciale à la survie des êtres humains et des autres êtres vivants ainsi qu’à la communication par ondes. Outre sa capacité de fournir une source vitale d’oxygène, l’atmosphère terrestre est utile à l’homme sur beaucoup d’autres plans. Sans l’insolation et la distribution thermique produites par l’atmosphère, l’homme serait soumis à un changement de température radical jour et nuit, incompatible avec la survie. Sans l’atmosphère, les vibrations de son ne pourront pas être transmises ; la terre serait silencieuse. Il n’y aurait pas de climat, pas de pluies de printemps pour les récoltes et le gazon, pas de neige, pas grêle, pas de brouillard. Sans son bouclier atmosphérique, notre planète ne serait pas seulement bombardée lourdement par les météorites, mais serait également exposée à des radiations mortelles potentielles du soleil. En résumé, sans une 13 Ibid., p.95. atmosphère, la vie telle que nous la connaissons serait inexistante, et la surface de la terre serait aussi déserte que celle de la lune14 Quand bien même la valeur de l’atmosphère est si importante à la survie et au bien-être des êtres humains, l’air atmosphérique est pollué aussi bien ailleurs qu’en Afrique. L’air des centres urbains africains où se concentre la croissance industrielle est pollué par des émissions provenant des industries et des habitations ainsi que par des gaz d’échappement des véhicules. Par ailleurs dans les zones urbaines comme dans les zones rurales une autre source de pollution de l’air est la combustion domestique de bois, de charbon, de paraffine, de résidus agricoles et de déchets. Les conséquences sociales de la pollution atmosphérique sont importantes. Le CO réduit la capacité du sang de transporter l’oxygène, ce qui affaiblit la perception et la réflexion, ralentit les réflexes et cause les maux de tête, la somnolence, le vertige et la nausée. Cela peut aussi déclencher les crises cardiaques et l’angine chez les sujets atteints d’affections cardiaques, porter atteinte aux fœtus et aux petits enfants, et aggraver la condition des sujets atteints de bronchites chroniques, d’emphysémie et d’anémie. L’exposition à une haute dose de CO cause la perte de conscience, le coma et même la mort. Des particules suspendues aggravent les bronchites et l’asthme. Respirer ces particules pendant longtemps endommage les tissus pulmonaires, contribuant ainsi au développement de maladies respiratoires chronique, du cancer, des affections et mort voir prématurées […] Le dioxyde de sulfure cause la constriction des voies respiratoires chez les sujets atteints d’asthme. […] Les oxydes d’azote spécialement le NO2 peut irriter les poumons, aggraver l’état des sujets atteints d’asthme ou de bronchites chroniques. […]Plusieurs composés organiques volatiles (tels que le benzine et le formaldéhyde) et particules telles que le plomb, le cadmium, les PCB et le dioxine peuvent causer des altérations des problèmes de reproduction ou le cancer.15 La pollution atmosphérique a aussi des conséquences négatives sur l’économie Elle compromet la production agricole, l’élevage et la pêcherie. Elle détériore des matériaux. Le dioxyde de soufre, les oxydes d’azote, les PAN et particulièrement l’ozone endommagent directement les feuilles des plantes vivrières et des arbres lorsqu’ils pénètrent les pores de ces feuilles. L’exposition chronique des feuilles et des aciers aux polluants de l’air peut détruire la couche de cire qui aide à éviter la perte excessive d’eau et le dommage causé par les maladies, les pestes, les sécheresses et les gels. Une telle exposition touche aussi la photosynthèse et la croissance des plantes, réduit l’apport en nutriments, jaunit ou brunit les aciers ou les feuilles qui tombent par la suite. […] La pollution de l’air, souvent par l’ozone, menace aussi le haricot et l’arachide. […] La pollution de l’air détruit les peintures extérieures des véhicules, des maisons et détériore les matériaux de toiture. D’irremplaçables statuts en marbres, des immeubles historiques et des fenêtres en vitrail […] ont été piqués et décolorés par les polluants de l’air.16 Pour améliorer la qualité de l’air des mesures sont prises telles que des lois et directives régissant la qualité de l’air et la surveillance de la qualité de l’air ambiant. 14 Olivier S.,Owen Natural Resource Conservation, an Ecological Approch, New York ; Macmillan Publishing Co., Inc. 1980, p.556. 15 G. Tyler Miller, Jr., Living in the Environment, Belmont, Wadsworth Inc, 8th ed., 1994, p.581. 16 G. Tyler Miller, Jr., op.cit ., p.583. Il faut noter que la plupart des pays n’ont ni le personnel compétent, ni les ressources financières nécessaires pour faire appliquer convenablement les réglementations. Pour pallier ces écarts entre l’adoption de mesures réglementaires et leur mise en œuvre concrète et fournir des informations sur la pollution de l’air, des méthodologies et des bases de données, le réseau APINA (Air Pollution Impact Network for Africa) fut créé en 1998. La Banque mondiale, avec son initiative pour la propreté de l’air dans les villes d’Afrique subsaharienne, veut aider les pays concernés à supprimer progressivement l’utilisation de l’essence au plomb et à réviser leurs politiques de transport. Les pays africains devraient avoir accès aux technologies propres grâce au financement prévu par les mécanismes du Protocole de Kyoto. En conclusion, de l’analyse de tous ces problèmes environnementaux se dégage un certain nombre de leçons : si l’on s’occupe toujours de ces problèmes c’est parce qu’ils perdurent. La complexité des problèmes nécessite des apports pluridisciplinaires et la collaboration de plusieurs secteurs d’activité. On constate malheureusement que les pays africains n’ont pas encore suffisamment tiré avantage de l’apport de l’éthique de l’environnement, une composante de l’éducation environnementale. On a l’habitude d’entendre les Africains dire, avec condescendance, qu’en Afrique précoloniale on attachait une grande importance à l’éducation morale et que pendant des siècles, elle a été la base même de l’éducation dans les familles, les groupes d’âge et les camps d’initiation. Sans doute, cette éducation était utile à la société en ceci qu’elle développait chez les individus des vertus et contribuait à la cohésion sociale. Dans l’Afrique coloniale et moderne, l’éducation morale est la plus négligée, la conséquence est qu’on se plaint de la dissolution de la vie morale chez les jeunes, de la corruption et d’autres vices dans les secteurs professionnels. L’éducation et la formation en matière d’environnement ne doivent donc pas se réduire à la transmission de connaissances et de techniques de préservation et de conservation des ressources naturelles. Elles comportent un volet non négligeable : l’enseignement de l’éthique de l’environnement qui malheureusement demeure très peu développé dans les programmes d’enseignement. Quel est l’état des recherches et débats dans cette jeune discipline académique de l’éthique de l’environnement et quel profit l’Afrique peut en tirer? II. L’éthique de l’environnement L’éthique de l’environnement encore désignée par les termes d’éthique environnementale ou d’écoéthique est la branche de l’éthique appliquée qui a orienté l’éthique sur les relations entre les êtres humains et la nature ou l’univers matériel. On peut distinguer deux tendances dominantes dans l’analyse éthique des questions d’environnement : une première tendance s’intéresse avant tout aux problèmes concrets à gérer. L’approche épouse alors la forme d’une casuistique par laquelle il s’agit de prendre conscience d’un problème éthique, d’identifier les causes et les forces en question, de clarifier les enjeux et enfin de proposer des normes comme guides de l’action individuelle et collective en vue de résoudre le problème. Cette approche est celle qu’adoptent les institutions internationales gouvernementales voire non gouvernementales. Ainsi lors du Sommet du Millénaire des Nations Unies en septembre 2000, les dirigeants du monde entier se sont engagés au nom de leur pays respectif pour « certaines valeurs fondamentales [qui] doivent sous-tendre les relations internationales au XXIè siècle ». Parmi ces valeurs figurent le respect de la nature. Conformément au respect de la nature, la prudence doit prévaloir dans la gestion de toutes les espèces vivantes et de toutes les ressources naturelles, conformément aux principes du développement durable. C’est à cette condition que les richesses incommensurables que la nature nous offre pourront être préservées et léguées à nos descendants. Les modes de production et de consommation actuels contraires à toute durabilité, doivent être modifiés, dans l’intérêt de notre bien-être futur et celui des générations à venir.17 L’UNESCO, institution qui, dès sa création, a été revêtue de la mission éthique des Nations Unies, contribue, de son côté, au développement de standards éthiques pour guider les comportements vis-à-vis de l’environnement. La Division de l’éthique des sciences et de technologies est à pied d’œuvre pour élaborer et promouvoir à l’intention des Etats membres de l’UNESCO un ensemble de principes et de normes éthiques relatifs à l’environnement. Mais d’ores et déjà en conformité avec le mandat reçu des Etats membres (31 C/5) avec son organe consultatif la Commission mondiale d’éthique des connaissances scientifiques et des technologies (COMEST, l’UNESCO) a proposé une définition consensuelle pragmatique du principe de précaution et a clarifié les possibles usages qu’on peut en faire.18 Dans le rapport de la première réunion des experts sur l’éthique de l’environnement, réunion organisée sous l’égide de la Division de l’éthique des sciences et des technologies les 23 et 24 septembre 2004, un certain nombre de principes s est dégagé et qui, une fois leur application objective mûrie, pourront être proposés aux Etats membres comme guides de l’agir environnemental. Il s’agit des principes éthiques de valeur intrinsèque, de valeur de la biodiversité, de durabilité, de justice intergénérationnelle, de justice environnementale, de ressources naturelles comme héritage commun.19 La Charte de la Terre qui, selon ses auteurs, incarne les espoirs et les aspirations de la société civile mondiale émergente, se veut un cadre éthique pour l’Agenda 21. Elle énonce des valeurs et principes devant guider les attitudes et comportements des être humains en vue d’un avenir durable. Il s’agit des principes éthiques de respect et de protection de la communauté de la vie, de l’intégrité écologique, de la justice sociale et économique, de la démocratie, de la non-violence et de la paix. La charte considère tous ces principes comme interdépendants et indivisibles. Leur respect constitue l’avenue normative pour résoudre les problèmes environnementaux.20 Enfin, dans le document de l’UICN, du PNUE et du WWF intitulé : Caring for the Earth : A Strategy for Sustainable Living, figurent des valeurs et principes d’une éthique de la durabilité. On peut y lire ceci : « Every life form warrants respect independently of its worth to people. Human development should not threaten the integrity of nature or the survival of other species. People should treat all creatures decently, and protect them from cruelty, avoidable suffering, and unnecessary killing. »21 En somme, la visée de l’analyse éthique des questions d’environnement qui s’intéresse avant tout aux situations concrètes avec l’intention de proposer des valeurs et principes comme guides de l’action environnementale est une forme de casuistique par laquelle il s’agit de 17 ONU, Objectifs du Millénaire pour le Développement, New York, ONU,2000, p.2 UNESCO, COMEST, Le principe de précaution, Paris, UNESCO, 2005 19 UNESCO , Report of the First Meeting of the Group of Experts on Environmental Ethics, Paris, UNESCO, 2004. 20 Disponible sur le site :http://www.chartedelaterre.org 21 IUCN, UNEP, WWF, Caring for the Earth. A Strategy for Sustainable Living, Gland, Switzerland,1991, p.14. 18 prendre une décision bien documentée et réfléchie dans une situation précise. Une seconde approche est celle qui, selon Marie-Hélène Parizeau, « élargit l’analyse éthique des questions environnementales à des dimensions plus réflexives ».22 Dans cette seconde approche, on peut distinguer deux courants : l’un anthropocentriste et l’autre non anthropocentriste. L’anthropocentrisme est la tendance anthropocentrée de l’éthique de l’environnement. Les tenants du courant anthropocentriste se fixèrent, selon Baird J. Callicott, le programme suivant : appliquer les théories éthiques modernes, par exemple les théories déontologiques ou utilitaristes, aux problèmes éthiques inédits suscités par les technologies de ce milieu de XXIè siècle. (…)il leur fallait montrer que la théorie morale moderne, sous sa forme classique, était incapable de fournir une réponse éthique à la mesure de la crise environnementale.23 Les défenseurs les plus remarqués de l’anthropocentrisme sont John Passmore24, Kristin Shrader-Frechte25. La visée de l’anthropocentrisme est de promouvoir la conservation des ressources naturelles en raison des intérêts que les êtres humains y ont. En clair, la conservation des ressources naturelles se justifie par les intérêts humains. Il s’agit des intérêts de l’individu dans l’égoïsme moral, et des intérêts de la personne humaine dans le personnalisme et des intérêts de tous les êtres humains dans l’humanisme. L’égoïsme moral sous-tend l’anthropocentrisme fort selon la terminologie de Bryan Northon alors que le personnalisme et l’humanisme sous-tendent l’anthropocentrisme modéré.26 L’anthropocentrisme fort, utilitaire est défendu par des économistes de l’école nordaméricaine du « no problem » dont le chef de fil est Julian Simon.27 L’anthropocentrisme fort perd du terrain et se corrige au contact des principes d’Adam Smith du « no harm »qui interdit de faire du mal, et du « self interest » selon lequel, chaque individu est libre d’agir dans son intérêt pourvu qu’il le fasse dans la justice.28 L’anthropocentrisme modéré, pour sa part, vise la promotion de l’intérêt personnel bien compris « enlightened self-interest »29. La compréhension et l’application du principe de 22 Marie-Hélène Parizeau, « Ethique appliquée », in Monique Canto-Sperber, (sous dir) Dictionnaire d’Ethique et de Philosophie morale, Paris, PUF, 3è édit. 20012, p.587. 23 John Baird Callicott, « Ethique de l’environnement », in Monique Canto-Sperber, op.cit. p.539. 24 John Passmore , Man’s Responsibility for Nature :Ecological Problems and Western Tradition, New York, Charles Scribners’, 1974. 25 Kristin Shrader-Frechte,(ed.) Environmental Ethics, Pacific Grove, Boxwood Press, 1981. 26 Bryan G. Norton « Environmental Ethics and Weak Anthropocentrism », in Environmental Ethics, vol 6, n°2, 1984, pp.131-148. 27 Julian Simon, The Ultimate Resource, Princeton, Princeton University Press, 1981. 28 Adam Smith, The Theory of Moral Sentiment, Indianapolis, Indianapolis Liberty Press, 1976, p.138. 29 Dans cette perspective, les personnes humaines ou les êtres humains, en prenant soin de l’environnement, ne font que prendre mieux soin d’eux-mêmes. Ont largement contribué à la clarification de ces idées les philosophes pragmatistes comme : Anthony Weston, « Beyong Intrinsic value : Pragmatism in Environmental Ethics » in Environmental Ethics,vol.7, n°4, 1985, pp.321-340. Robert C. Fuller, « American Pragmatism Reconsidered : William James Ecological Ethic », in Environmental Ethics, vol.14, n°2, 1992, pp.159-176. Hans Jonas, Le principe de responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Paris, Cerf, 1990. Le philosophe entend par le terme de la responsabilité en matière d’environnement, le respect des limitations rationnelles des pouvoirs du progrès de la technoscience. Hans Jonas, Une éthique pour la nature, Paris, Desclée de Brouwer, 2000. l’intérêt personnel bien compris impliquent des limitations à notre agir environnemental. Accepter des limites à nos actions s’applique concrètement dans les Etudes d’Impact Environnemental (EIE) comme le remarque Kristin Shrader-Frechte selon qui l’EIE n’est pas une simple question technique, mais requiert de l’évaluateur un état d’esprit que seul l’éthique de l’environnement peut lui procurer30. L’intérêt personnel bien compris vis-à-vis de la nature confère un sens pragmatiste à la notion de responsabilité en matière de conservation et de préservation des ressources naturelles. Car il implique le respect de la propriété d’autrui, la réparation des préjudices causées à autrui, et à la nature, l’extension de la justice aux générations futures. Il y a même lieu de parler d’une justice internationale incontournable dans la résolution des problèmes environnementaux transfrontaliers. A côté du courant anthropocentriste, se développe le courant non-anthropocentriste qui étend la communauté morale aux êtres non humains comme les animaux, la biodiversité, les écosystèmes voire la biosphère. Dans le courant non anthropocentriste on peut distinguer le pathocentrisme, le biocentrisme et l’holisme. Le pathocentrisme. Cette doctrine étend les notions d’intérêt et de valeur intrinsèque aux animaux et partant attribue un statut moral à ces derniers. A la suite de Jeremy Bentham, John Stuart Mill et R. M. Hare, Peter Singer 31 pense que le critère qui confère aux animaux supérieurs un statut moral est la sensibilité conçue comme la capacité d’éprouver le plaisir et la douleur. Par conséquent, les animaux supérieurs ont le droit moral d’être épargnés de souffrances et douleurs inutiles. En raison du principe utilitariste de l’égale considération des intérêts, Peter Singer soutient que les intérêts des êtres sensibles (animaux et êtres humains) ne doivent souffrir d’aucune discrimination. L’extension de la communauté morale aux animaux supérieurs par Peter Singer est fermement critiquée par des philosophes comme Meredith Williams32 selon qui les êtres humains ont des intérêts qu’ils conceptualisent alors que les animaux ont des intérêts dont ils ne sont pas conscients. Stephen Clark33 n’est pas de cet avis. Pour lui, l’exigence morale de la réciprocité est suffisante pour fonder le statut moral des animaux sur leur sensibilité. En effet, compte tenu de la similitude de la constitution neuro-phynologique des êtres humains et des animaux supérieurs, il est possible que les premiers se représentent la douleur et le plaisir de ces derniers. Défendant, pour leur part, la cause des animaux, Tom Regan34 et Joêl Feinberg35 prônent le respect des droits des animaux fondés sur leurs intérêts et valeurs intrinsèques. Le but des défenseurs des droits naturels et moraux des animaux est de voir ces droits un jour codifiés dans les législations internationales et nationales. Dieter Birnbacher étend la notion de responsabilité aux générations à venir. Cf. Dieter Birnbacher, La responsabilité envers les générations futures, Paris, PUF, 1994. On peut lire avec intérêt à ce sujet d’Ernest Partridge (ed. by) Responsibilities to Future Generations. Buffalo. N.Y. Prometheris Books, 1981. Lori Gruen and Dale Jamieson (ed.), Reflecting on Nature, Readings in Environmental Philosophy, New York, Oxfor University Press, 1994, pp.201-240. 30 Kristin Shrader-Frechte, « Environmental Impact Assesment and the Fallacy of Unfinished Business », in Environmental Ethics, vol.4, n°1, 1982 ,pp.312-334. 31 Peter Singer, Animal Liberation, New York Review, 1975 (trad. fr., La libération animale, Paris, Grasset, 1998). 32 Meredith Williams, « Rights, Interestsn and Moral Equality », in Environmental Ethics, vol.2, 1980, pp.149161. 33 Stephen R. L. Clark, The Moral Stattes of Animals, Oxford, Clarendon Press, 1975. 34 Tom Regan, The case for Animal Rights, Berleley and Los Angeles, University of California Press, 1983. 35 Joel Feinberg, « Can animals Have Rights ? » in Tom Regan and Peter Singer (eds), Animal Rights and Human Obligations, Englewood Ckiffs, Prentice Hall, 1976. Somme toute, les partisans de la libération animale ont le mérite d’élargir la portée de l’éthique de l’environnement. S’il est universellement admis que dans la hiérarchie des vivants, l’homme occupe le sommet et que les animaux n’ont pas de droits absolus, il est aussi vrai que la reconnaissance des valeurs intrinsèques et intérêts des animaux indique des limitations à l’agir humain. Le biocentrisme. L’éthique de l’environnement centrée sur la vie ou biocentrée est défendue par des auteurs tels que Albert Schweitzer36, Paul Taylor37, Kenneth Goodpaster38, Holmes Rolston, III39, Laurence E. Johnson40, Alastair S. Gunn41. Parmi les biocentristes, Paul Taylor défend une tendance individualiste selon laquelle tout organisme vivant a une valeur intrinsèque pour autant qu’il est un « centre de vie téléologique ».On se retrouve par-là face à un égalitarisme écosphérique vivement critiquée par des penseurs comme Gene Spitler, William C. French et Louis G. Lombardi. Ces critiques ont conduit Taylor a revisité sa théorie et à reconnaître que les êtres humains ont le droit moral du tuer d’autres organismes vivants qui leur sont nuisibles ou utiles sans toutefois éteindre l’espèce. Soucieux de la survie des espèces, voir des écosystèmes, d’autres penseurs biocentristes comme Laurence E. Johnson et Alastair S. Gunn défendent un biocentrisme nonindividualiste mais holiste en ce sens que pour Lawrence Johnson, par exemple, les espèces et les écosystèmes sont assimilables à des organismes vivants qui maintiennent leur viabilité autour de leur « centre d’homéostasie »42 qui constitue leur valeur intrinsèque et intérêt principal. La possession d’intérêts n’est pas un critère suffisant d’attribution de valeur et de statut moral à une espèce ou à un écosystème selon Holmes Rolston III43 qui souligne que c’est la possession d’une fin en soi (telos) de chaque centre de vie à même de se reproduire qui lui confère une valeur intrinsèque et partant un statut moral. Il admet comme Goodpaster un biocentrisme modéré en reconnaissant la hiérarchie des formes de vie : « les formes de vie inférieures peuvent être sacrifiées pour celles qui lui confèrent une valeur intrinsèque et partant un statut supérieur »44. L’holisme. Comme le dit Aldo Leopold, fondateur de l’holisme écocentré, « l’éthique de la terre élargit simplement les frontières de la communauté [morale] de manière à y inclure le sol, l’eau, les plantes et les animaux ou collectivement, la terre »45. Cet ensemble est désigné par le terme de communauté biotique. Aldo Leopold énonce le principe fondateur de cette « éthique de la terre » comme suit : « Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver 36 Albert Scweitzer, Ma vie et ma pensée, Paris, Albin Michel, 1960. Paul Taylor, Respect for Nature : A Theory of Environmental Ethics, Princeton, N.J., Princeton University Press, 1986. 38 Kenneth Goodpaster and K.M. Sayre, (ed.), Ethics and Problems of the Twenty-First Century, Notre Dame, University of Notre Dame Press, 1979. 39 Holmes Rolston III, Environmental Ethics. Duties to and Values in the Natural World, Philadelphia, Temple University Press, 1988. 40 Lawrence E. Johnson, A Morally Deep World : An Essay on Moral Significance and Environmental Ethics, New York, Cambridge University Press, 1991 41 Alastair S. Gunn, « Why should we care about Rare Sepcies », in Environmental Ethics, vol.2, n°8, 1980, pp. 17-37 42 Lawrence E. Johnson, « Toward the Moral Considerability of Species and Ecosystems », in Environemental Ethics, vol. 14, n° 8, 1992, pp.145-157. 37 43 Holmes Rolston III, « Duties to ecosystem », in J.Baird Callicott (ed.), Companion to a Sand Country Almanach, Madison, The University of Wiscousin Press, 1987, pp.226-276. 44 Holmes RolstonIII, « Values in Nature », Environmental Ethics, vol. 3, n°2, 1981, p.123. 45 Aldo Leopold, A Sand of County Almanac : An Essay on Conservation from Round River, Oxford, Oxford University Press, 1981, p.204. l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est injuste lorsqu’elle tend à l’inverse. »46 Pour Aldo Leopold, les êtres humains ne sont que des citoyens d’une communauté biotique interdépendante. Ils doivent, par conséquent, respecter leurs « concitoyens » de la zoocénose, de la phytocénose et du biotope (hydrosphère et lithosphère), et la communauté en tant que telle. L’éthique de la terre est écocentrée et holiste. A partir des idées d’Aldo Leopold, John Baird. Callicott développe un holisme écocentriste « fort ». Pour lui, ce qui est important dans la communauté biotique, c’est l’unité organiciste du tout dans lequel un seuil minimal de diversité des espèces est requis pour l’équilibre et la viabilité de la communauté biotique tout entière. Callicott énonce le principe fondateur de l’holisme écocentriste comme suit : « Une chose est juste lorsqu’elle tend à perturber la communauté biotique sur une échelle de temps et d’espace normal. Elle est injuste quand il en va autrement »47 Dans l’holisme écocentriste ce qui fonde le statut moral de la communauté biotique est la notion d’équilibre naturel. L’holisme écocentriste n’insiste pas sur la place de l’homme dans la hiérarchie de la communauté biotique. C’est ce que l’holisme humaniste de Don E. Marietta Jr. tente de corriger. Celui-ci écrit à ce propos : Les obligations envers le système de la nature ne remplacent pas les devoirs envers d’autres personnes et d’autres êtres vivants ; les devoirs envers l’écosystème s’ajoutent aux autres devoirs. Accomplir de manière responsable ces différents types de devoir demande de nouvelles approches à l’éthique.48 Si ces débats à propos de l’éthique de l’environnement sont très animés dans les pays anglophones comme l’Australie, l’Angleterre et les Etats Unis d’Amérique, en France Michel Serres49, par analogie avec le contrat social de la philosophie politique du XVIIè siècle, propose le concept de contrat naturel et entend par-là qu’on doit contracter avec la nature par l’intermédiaire de ses représentants que sont les scientifiques. Ceux-ci comprennent le langage de la nature. Il s’agit pour les scientifiques d’inscrire la nature dans la politique tant d’un point de vue descriptif que normatif. Autant la nature donne à l’homme, autant ce dernier doit lui donner selon le principe de réciprocité. Somme toute, l’éthique environnementale du respect de la valeur intrinsèque qui est un bien en soi, s’inscrit dans le sillage des théories éthiques des valeurs et des normes qui commencèrent avec l’Ethique à Niccomaque d’Aristote.Dans ce livre le Stagirite écrit : « On peut distinguer deux sortes de biens : ceux qui sont des biens en soi et ceux qui ne sont des biens que relativement aux premiers. »50 Dans la perspective aristotélicienne, une chose est intrinsèquement bonne c’est-à-dire bonne en elle-même est nécessairement désirée en vertu de sa nature propre. C’est pourquoi l’agent moral peut s’imputer ce désir approprié au bien comme un ordre moral pour parler comme Paul Ricoeur. Ce n’est, certes pas le lieu de nous étaler sur les théories des valeurs51, mais signalons qu’elles se développèrent après Aristote dans les œuvres de Saint Augustin, Emile Durkheim, Franz Brentano, George E. Moore, Max Scheller, René Le Senne et Louis Lavelle. 46 Ibid p. 224-225. Baird J. Callicott, « Do Deconstructive Ecology and mental Sociobiology Undermine Leopold Land Ethics ? », in Environmental Ethics, vol.18, n°4, 1996, p.372. 48 Don E. Marietta, Jr., For People and the Planet. Holism and Humanism in Environmental Ethics, Philadelphia, Temple University Press, 1995, p.58. 49 Michel Serres, Le contrat naturel, Paris, Bourin, 1990 50 Aristote, Ethique à Nicomaque, 1094 a18-22, Paris, GF Flammarion et LGF-Livre de Poche, 1992. 51 On peut trouver une analyse plus poussée de la notion de valeur intrinsèque dans notre thèse de doctorat. Cf. Christophe Kwami Dikenou, Contribution à la promotion de l’éthique environnementale en Afrique, Thèse de Doctorat d’état, Université de Lomé, Lomé,2002, non publiée. 47 Nous voudrions faire comprendre que si les ressources renouvelables ont des valeurs économiques, écologiques et sociales, celles-ci sont, en définitive, fondées sur la valeur intrinsèque matérialisée par les propriétés et lois naturelles de ces ressources. L’homme a donc la capacité de reconnaître la valeur intrinsèque des choses et de s’imputer son respect comme une obligation morale. Enfin, l’éthique environnementale contemporaine ne cesse de susciter la prise de conscience, particulièrement en Occident, de la nécessité de changer les relations de l’homme à l’environnement en changeant la logique de l’immédiat, du profit et de l’égoïsme qui n’a ni mémoire des dégâts irréversibles causés à l’environnement dans le passé, ni considération pour un avenir durable. L’éthique de l’environnement offre là bas une base solide pour faire progresser les actions protectrices de l’environnement au niveau des individus et des Etats. Par exemple les valeurs et principes moraux codifiés dans les législations environnementales internationales tels que le respect de la nature, ont été réfléchies par des philosophes éthicistes occidentaux de l’environnement. Comment l’Afrique peut-elle s’approprier ces valeurs et principes voire proposer à la communauté internationale les siens propres s’il n’y a pas d’enseignement et de recherche en éthique de l’environnement sur le continent ? Comment les individus pourront-ils avoir une conscience environnementale s’il n’y a pas d’enseignement de l’éthique environnementale sur le continent ? III. L’enseignement de l’éthique dans les universités africaines. Les personnes qui auront la plus grande influence sur l’environnement – qu’elle soit positive ou négative- futurs responsables politiques et décideurs, ingénieurs, architectes, administrateurs dans les secteurs public et privé, médecins, juristes et enseignants, sans oublier les spécialistes de l’environnement- étudient tous à présent- à de rares exceptions près- dans les universités ou dans d’autres centres de formation de l’enseignement supérieur. Leur transmettre les connaissances et le savoir-faire relatifs à l’environnement susceptibles de le protéger et de l’aménager est littéralement une question de vie ou de mort pour notre seule et unique planète, la Terre.52 Si la nécessité d’une éducation et d’une formation des étudiants en matière d’environnement est universellement reconnue, il faut admettre qu’un enseignement véritablement orienté vers la solution des problèmes de dégradation et de destruction rapide des ressources naturelles africaines soulève la question fondamentale d’une prise de conscience des valeurs. A ce propos on peut lire avec intérêt ceci : Les relations qui se nouent entre les êtres humains et leur environnement à travers l’histoire dépendent essentiellement des modèles de production et de consommation ainsi que des styles de vie que choisit une société pour satisfaire les besoins de ses membres. Cependant, à la base des styles de vie ou de questions connexes telles que l’organisation de la vie sociale ou la participation individuelle et collective à la prise de décisions se trouvent des systèmes de valeur, dont l’interprétation et l’application peuvent provoquer diverses incidences sur l’environnement. A cet égard, l’enseignement des valeurs a un rôle essentiel dans l’éducation environnementale(EE) : en effet, pour affronter les problèmes de l’environnement, il faut non seulement posséder les connaissances et les aptitudes appropriées, mais aussi adopter une attitude et un comportement nouveaux susceptibles d’entraîner la préservation et l’amélioration de la qualité de l’environnement. Ces transformations ne peuvent véritablement s’opérer que si la majorité des membres d’une société donnée 52 UNESCO, « L’éducation environnementale pour les étudiants de l’université », in Connexion, vol. XVI, n°3, 1991, p.1. adopte librement les valeurs appropriées qui constitueront le fondement d’une éthique servant de guide aux hommes dans leurs relations avec l’environnement. 53(Souligné par nous). Notre relation aux ressources naturelles suppose l’élaboration réfléchie et l’application responsable d’un système cohérent de valeurs éthiques, économiques, esthétiques, religieuses, etc. Primo, les personnes les mieux indiquées pour entreprendre l’enseignement de l’éthique sont les philosophes et les autres experts en sciences sociales et humaines spécialisés en éthique. Ils sont également les mieux placés pour entreprendre des recherches sur les cultures africaines dans le domaine de l’éthique. En effet, il est aujourd’hui reconnu que « l’éducation environnementale et sa composante éthique non seulement trouvent leur origine dans les cultures et les religions du monde, mais la solidité de leur développement exige qu’elles s’y enracinent fermement –en respectant comme il se doit les exigences des civilisations qui changent, évoluent et s’opposent »54. Secundo, le souci de l’enseignement de l’éthique de l’environnement à l’université doit viser en priorité les étudiants en « sciences, technologie et autres futurs experts et professionnels qui abordent directement des problèmes environnementaux (forestiers, biologistes, hydrologistes, écologistes, agriculteurs(…)ingénieurs, architectes, urbanistes)».55 En effet, la dégradation et la destruction de l’environnement sont directement ou indirectement liés à l’usage des sciences et des technologies. Les scientifiques font face à des problèmes éthiques de la durabilité et de responsabilité morale envers les générations futures. Pour être à la hauteur de leur responsabilité morale, la plupart des gens conviennent, aujourd’hui, de la nécessité d’une éducation à l’éthique destinée aux scientifiques. On peut lire à ce propos, dans la section 41 de la Déclaration sur la science et l’usage de connaissances scientifiques ceci : Tous les scientifiques devraient s’engager à respecter des standards éthiques élevés, et un code d’éthique, fondé sur des normes appropriées contenues dans les instruments internationaux sur les droits de l’homme, devrait être établi pour les professions scientifiques. La responsabilité sociale des scientifiques requiert qu’ils maintiennent des standards élevés d’intégrité scientifique et de contrôle de la qualité, qu’ils partagent leur connaissance, communiquent avec le public et éduquent la jeune génération. Les autorités politiques devraient respecter cette activité des scientifiques. Les cursus en sciences devraient inclure l’éthique des sciences ainsi qu’une formation en histoire, philosophie et impact des sciences 56. Dans Un agenda pour la science : un cadre d’action, on peut lire au point 71 ceci : L’éthique et la responsabilité de la science devraient être parties intégrantes de l’éducation et de la formation de tous les scientifiques. Il est important d’instiller à tous les étudiants une attitude positive envers la réflexion, la vigilance et la prise de conscience des dilemmes éthiques qu’ils peuvent rencontrer dans leur vie 53 UNESCO, « L’enseignement des valeurs de l’environnement. », in Connexion, Onzième année, n°3, 1986,p.1. UNESCO, « Une éthique environnementale universelle : but ultime de l’éducation environnementale », Connexion, vol. XVI, n°2, 1991, p.2 55 UNESCO, « L’éducation environnementale pour les étudiants de l’université », in Connexion, volXVI, n°3, 1991, p.1. 56 UNESCO, Déclaration sur la science et l’usage des connaissances scientifiques, Paris, UNESCO, 1991 54 professionnelle. Les jeunes scientifiques devraient en conséquence être encouragés à respecter et suivre les principes éthiques de base et les responsabilités de la science »57. Il est aujourd’hui universellement reconnu que les étudiants doivent acquérir la structure de l' argumentation normative et toutes les notions et distinctions indispensables afin qu' ils parviennent à prendre des décisions éthiques sensées en matière de conservation et de préservation de la nature. Comment l’Afrique peut-elle réussir une telle entreprise ? Nous pensons qu’elle peut la réussir si tous les Etats africains s’investissent avec enthousiasme dans le Programme d’éducation à l’éthique de l’UNESCO, et apportent leurs concours aux activités de cette organisation en matière d’éthique de l’environnement et de bioéthique en ce moment où un nombre grandissant d’autres pays du monde le font et en tirent profit. Dans bien des pays africains il y a une pénurie d’enseignants qualifiés pour des programmes d’éthique, c’est un défi pour la solidarité et la coopération internationale d’apporter le soutien nécessaire à l’Afrique. Il serait hautement apprécié et bénéfique pour notre continent que l’UNESCO, l’AUA (Association des Universités Africaines) et l’IRNA (Institut des Ressources Naturelles en Afrique) encouragent les universités africaines à intégrer l’enseignement de l’éthique. Conclusion Le souci éthique de l’utilisation viable des ressources naturelles africaines pour le développement est une question vitale pour le continent lorsqu’on sait que l’Afrique est expropriée de ces ressources naturelles d’une part et de l’autre que celles-ci connaissent une dégradation et une destruction rapide. Il est particulièrement important pour notre continent de développer les compétences éthiques de ses futurs décideurs et cadres que sont les étudiants des universités africaines. En Afrique où les économies nationales sont fortement tributaires des ressources naturelles, nous n’avons pas le choix, renforcer le souci éthique de l’utilisation de ces ressources et avoir de l’avenir ou ne pas le renforcer et ne pas avoir d’avenir du tout. BIBLIOGRAPHIE ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, 1094 a18-22, Paris, GF Flammarion et LGF-Livre de Poche, 1992. 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