L'EXPÉRIENCE PAULINIENNE D'UNE IDENTITÉ EN TENSION
Camille Focant
Editions du Cerf | Revue d'éthique et de théologie morale
2012/HS - n°271
pages 143 à 164
ISSN 1266-0078
Article disponible en ligne à l'adresse:
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http://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2012-HS-page-143.htm
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Pour citer cet article :
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Focant Camille, « L'expérience paulinienne d'une identité en tension »,
Revue d'éthique et de théologie morale, 2012/HS n°271, p. 143-164. DOI : 10.3917/retm.271.0143
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L’EXPÉRIENCE PAULINIENNE D’UNE IDENTITÉ...
REVUE D’ÉTHIQUE ET DE THÉOLOGIE MORALE  N 271  SEPTEMBRE 2012  P. 143-164
Camille Focant
L’EXPÉRIENCE PAULINIENNE
D’UNE IDENTITÉ
EN TENSION
Il n’est pas facile de parler de l’identité d’un personnage du
passé. Ce l’est d’autant moins quand les sources à son propos
sont éclatées, ce qui est le cas pour Paul. Daniel Marguerat a bien
mis en scène cet éclatement en parlant de trois pôles de la
réception paulinienne ¹. Le premier est le pôle « biographique »
où sont racontés les hauts faits de Paul, le héraut de l’Évangile :
les Actes des Apôtres et, sous une forme plus hagiographique,
les Actes apocryphes de Paul en sont les témoins. Dénommé
« canonique », le deuxième pôle concerne les traces documen-
taires laissées par Paul lui-même, ses écrits ; il s’agit de lettres
occasionnelles rassemblées progressivement en collection, ce qui
présage de leur inscription dans le canon du Nouveau Testament.
Enfin, il y a le pôle « doctoral » où « Paul est invoqué comme
le docteur de l’Église, dont on imite les sentences dans des lettres
pseudépigraphiques (Colossiens, Éphésiens, 2 Thessaloniciens,
Pastorales) ² ». C’est un anachronisme, mais un anachronisme
tenace ³, de ne donner valeur dans la recherche historique qu’au
1. Cette typologie est due à Daniel MARGUERAT, « L’image de Paul dans les Actes des
Apôtres », dans Michel BERDER (éd.), Les Actes des Apôtres. Histoire, récit, théologie.
XX congrès de l’Association catholique française pour l’étude de la Bible (Angers
2003), Paris, Éd. du Cerf, « Lectio Divina » 199, 2005, p. 121-154. Elle a été reprise dans
la dissertation doctorale d’Odile FLICHY, La Figure de Paul dans les Actes des Apôtres.
Un phénomène de réception de la tradition paulinienne à la fin du I siècle, Paris,
Éd. du Cerf, « Lectio Divina » 214, 2007, p. 44.
2. Daniel MARGUERAT, « L’image de Paul dans les Actes des Apôtres », p. 133.
3. On en trouve une illustration récente dans l’article d’Ève-Marie BECKER, « Auto-
biographisches bei Paulus. Aspekte und Aufgaben », dans Eve-Marie BECKER, Peter
PILHOFER (éd.), Biographie und Persönlichkeit des Paulus, Tübingen, Mohr Siebeck,
« Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament » 187, 2005, p. 67-87 : « Der
historische Wert autobiographischer Aussagen für die Rekonstruktion der paulinischen
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deuxième de ces trois pôles de réception synchrones et parallèles.
La filière des lettres, celle de l’écrivain polémiste, doit être lue
en parallèle avec les filières biographique et doctorale ; elle n’est
pas la base à partir de laquelle on peut juger les deux autres.
Dans cet article, je procéderai en trois points. Je rappellerai
d’abord brièvement la triple culture de Paul qui souligne
d’emblée la complexité du personnage. J’examinerai ensuite ce
qu’on appelle parfois sa conversion et que j’appellerais plus
volontiers son grand retournement lorsqu’il se trouve à l’extrême
de l’identité fermée sur le chemin de l’identité meurtrière. Je
montrerai que le moteur de la conversion n’est pas d’ordre
spéculatif ou idéologique. Ce n’est pas non plus la conséquence
d’un mal-être psychologique, d’une culpabilité rampante de Paul.
C’est plutôt un renversement des évidences à partir de la prise
de conscience des conséquences pratiques terribles de la voie
où il était engagé : tuer le déviant, l’hérétique, au nom du respect
de la Loi. Ce qui va entraîner une forme de dégoût profond
vis-à-vis de ce qu’il considérait auparavant comme des avantages.
Enfin, j’esquisserai les conséquences de ce parcours sur le plan
théologique et sociologique. Paul reste-t-il dans la continuité du
judaïsme de son temps, dans la logique du nomisme de l’alliance ?
Si oui, quel changement y apportent la révélation de Jésus-Christ
et sa foi en lui ? Reste-t-il un monothéiste conséquent ?
LA TRIPLE CULTURE DE PAUL
Quand on cherche à préciser l’identité de quelqu’un, les
premiers éléments qui viennent à l’esprit sont : son nom, son
lieu de naissance et de résidence, sa langue d’expression, sa
profession, éventuellement sa religion. Puis on peut raffiner
davantage. Pour l’homme au double nom qu’est Shaoul Paulos,
ce point de départ est d’emblée complexe. Il est tributaire d’une
double, voire triple culture. Comme l’écrit Stanislas Breton au
départ de son magnifique petit livre sur saint Paul :
Suite note 3
Biographie ist in der Paulus-Forschung zwar grundsätzlich kaum umstritten » (p. 85).
Ce premier pôle est ainsi moins perçu comme un aspect de la réception paulinienne
que comme ayant immédiatement valeur historique, pratiquement sans discussion.
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L’EXPÉRIENCE PAULINIENNE D’UNE IDENTITÉ...
Saül, devenu Paul après sa conversion, est un juif d’obédience
pharisienne ; un juif en contact, à Tarse sa ville natale, avec la
culture grecque ; un juif hellénistique qui assume, avec fierté, le
titre de citoyen romain. La confluence de ces trois facteurs m’a
paru d’une importance capitale. À mes risques et périls, je lui
accorde la valeur d’une idée régulatrice ou, si l’on préfère, d’une
hypothèse interprétative, dont la vraisemblance ne se dissocie pas
d’une fragilité qui l’expose à la contradiction ⁴.
Selon le même auteur, ces trois facteurs n’ont pas toujours la
même importance. Si l’héritage biblique et juif domine, par
exemple, dans les discussions sur le rôle de la Loi, la conception
paulinienne du cosmos est plutôt d’origine stoïcienne grecque,
tandis que le corps social de l’Église est pensé sous l’influence
de catégories romaines ⁵. Ce ne sont là que de grands accents
et on pourrait sans doute raffiner davantage. Mais il n’est ni
faisable ni utile de vouloir aller trop dans le détail sur cette voie.
Il suffit de reconnaître la complexité de la personnalité de Paul
de par ses origines mêmes. Je prends deux exemples de débats
de l’exégèse contemporaine qui illustrent bien ce phénomène.
En premier lieu, quel est le rôle de l’Écriture dans les lettres
pauliniennes ? Et d’abord, quelle Bible utilisait Paul ? En quelle
langue ? On s’accorde à dire qu’il s’agit essentiellement de la
Bible grecque telle qu’elle nous est connue par la LXX. Malgré
ses origines juives et son instruction aux pieds de Gamaliel
« strictement conforme à la Loi des ancêtres » (Ac 22, 3), il n’était
donc pas un adepte de la veritas hebraica. Cependant, non
seulement il raisonne souvent sur les Écritures et il les cite à de
nombreuses reprises, mais il y fait naturellement écho, comme
a tenté de le montrer Richard Hays ⁶. Dans une thèse de doctorat
récemment présentée à Louvain-la-Neuve, Louison Bissila Mbila
a soutenu que, au début de Romains, Paul s’inspirerait de la
structure d’Amos, et il croit pouvoir affirmer que « Paul pensait,
écrivait et parlait l’Écriture ⁷ ». Toutefois, on peut se demander
si la prégnance scripturaire sur Paul était si forte, lorsqu’on
constate qu’il est des lettres où Paul n’écrit pas en dialogue avec
4. Stanislas BRETON, Saint Paul, Paris, PUF, coll. « Philosophies », 1988, p. 5.
5. Stanislas BRETON, p. 5-6.
6. Richard B. HAYS, Echoes of Scripture in the Letters of Paul, New Haven, Yale
University, 1989.
7. Louison BISSILA MBILA, Juifs et Gentils face au jugement divin. Analyse intertextuelle
de Rm 1, 16-2, 29 et d’Amos (thèse non publiée), Louvain-la-Neuve, 2011, p. 74.
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l’Écriture et que celle-ci n’est pas non plus citée, par exemple
les lettres aux Philippiens et à Philémon. N’est-ce pas un indice
que cette posture de dialogue avec l’Écriture n’est pas si essen-
tielle dans la réflexion paulinienne, mais que l’Écriture est invo-
quée lorsqu’elle est de nature à convaincre les destinataires de
la pertinence des propositions de l’apôtre ?
En second lieu, dans des lettres où celui-ci argumente, à quelle
rhétorique a-t-il recours ? Les exégètes ont d’abord cherché du
côté de la rhétorique gréco-romaine telle qu’elle est connue par
Aristote, mais surtout Quintilien et Cicéron, et avec un certain
succès ⁸. À condition, bien entendu, de ne pas chercher à
retrouver chez Paul une application scolaire des règles rhéto-
riques. Mais son mode de penser et d’argumenter semble bien
découler d’une formation rhétorique classique. Toutefois, ce point
de vue est aujourd’hui contesté par les adeptes d’une influence
de la rhétorique biblique sur Paul ⁹. Les contours de cette rhé-
torique biblique sont cependant beaucoup moins définis dans la
mesure où l’on ne dispose d’aucun ouvrage théorique antique
sur le sujet. Elle est le résultat d’une reconstruction moderne
dont la pertinence est moins assurée. Certes, les raisonnements
de Paul sont teintés bibliquement, mais cela ne signifie pas qu’il
utilisait une méthode « rhétorique biblique ». Il n’empêche, la
complexité de son argumentation s’explique au moins partielle-
ment par sa double ou triple appartenance culturelle.
LE RETOURNEMENT
DES ÉVIDENCES
J’appelle ainsi ce qu’on intitule habituellement la conversion
ou la vocation de Paul. Rares sont, dans le Nouveau Testament,
les événements dont on a autant de versions. Luc le raconte à
trois reprises dans les Actes (9, 1-19 ; 22, 3-21 ; 26, 9-23). Plus
sobres, moins narratives, les évocations pauliniennes ne sont pas
moins nombreuses (Ga 1, 12-17 ; 1 Co 9, 1 ; 15, 8-9 ; Ph 3, 12).
8. Par exemple, Jean-Noël ALETTI, Comment Dieu est-il juste ? Clefs pour interpréter
l’épître aux Romains, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Parole de Dieu », 1991 ; ID., Saint Paul.
Épître aux Philippiens, Paris, Gabalda, 2005.
9. Roland MEYNET, Traité de rhétorique biblique, Paris, Lethielleux, 2007.
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