u' est-ce que c'est que ces Chinois qui viennent manger Main jaune sur Bel Là-haut, l'Asie monte à l'assaut. Restaus, boutiques, supermarchés : l'envahisseur achète tout. Et les Turcs, lesjuifs tunisiens, les Arabes, les Noirs, qui avaient fini par s'entendre, devront se battre Belleville, le barrage contre le Pacifique, c'est la pâtisserie Seguin, rue du Jourdain. Le long de la rue de Belleville, l'Asie monte à l'assaut de la colline, magasin par magasin. Un beau matin, on voit des Chinois accrocher des enseignes en idéogrammes ou en caractères thaïs sur des boucheries chevalines, des quincailleries, des salons de coiffure, des bistrots qui appartenaient au vieux Belleville. Une marée qui fait peur. « Je me suis toujours bien entendu avec tout le monde, avec les malfrats, avec les Arabes, avec les juifs, dit un flic du quartier. Mais les Chinois, je n'ai rien de commun avec eux. je n'ai rien à leur dire et ils n'ont rien à me dire. Nous ne les intéressons pas. Ils viennent tout juste déposer plainte lorsqu'on leur vole leur bagnole. » Ce qu'on reproche surtout aux Asiatiques, ce n'est pas tellement leur vitalité commerciale c'est d'être différents, de vivre dans un monde hermétique, d'être lisses, sans histoire. Des gens qu'on ne voit jamais dans un commissariat. Ce que Jean Seguin reproche aux Chinois, c'est d'apporter avec eux la Chine. Jean Seguin est l'héritier d'une longue dynastie de pâtissiers. En 1934, son père, Marcel Seguin, est embauché dans cette maison fondée en 1887. En 1945, il épouse la fille de la patronne et en 1946 naît Jean Seguin. C'est beau comme une pièce montée. Aujourd'hui, sous le plafond rococo d'époque, Jean Seguin défend le secteur Pyrénées-place des Fêtes contre le péril jaune. Il a créé un comité d'animation dont le but principal est de permettre à des Européens de racheter les fonds de commerce vendus par leurs propriétaires vieillissants. Pour empêcher le Yang-tseu-kiang de franchir la rue des Pyrénées et d'arriver rue du Jourdain. A Belleville, la géographie est devenue folle. Jean Seguin a regroupé une centaine de A 56 LE NOUVEL OBSERVATEURINOTRE ÉPOQUE commerçants dans une sorte de société secrète pour riposter aux triades qu'il imagine derrière chaque restaurant chinois. Il explique que c'est difficile : « Il faut obtenir un crédit des banques, ce qui est toujours très long, alors que les Chinois ont leur propre système bancaire et apportent l'argent cash. En plus, certains de nos adhérents vendent leurs commerces à des Chinois sans oser nous le dire. Bientôt, notre quartier deviendra chinois et nous n'aurons plus de clients parce que les Chinois achètent chinois. » Pour M. Seguin, la Chine est un monstre qui étouffe le petit commerce de ses tentacules. De l'autre côté de la rue, il y avait un fleuriste qui a plié bagage sans crier gare et a vendu à une Chinoise. « L'ancien propriétaire était un fleuriste, il créait des bouquets. Cette darne n'est qu'une marchande de fleurs. C'est une baisse de qualité pour notre quartier. Remarquez, cette dame est très gentille. Elle a adhéré à notre comité et elle paie ses cotisations. » Les Chinois se faufilent partout, même dans les associations antichinoises. En bas, la bataille est perdue. Samedi soir, la sortie du schabbat. Aux Lumières de Belleville, sur le boulevard, Freddy prépare la kemia ; il découpe les concombres et les radis. Derrière le bar, un serveur barbu en kipa noire qu'on appelle le rabbin. Dehors les « Tunes » prennent le frais sur le seuil de leurs magasins. Il y ales mammas qui papotent, les jeunes qui flirtent et les gosses qui courent, la kipa en bataille. C'est encore le Tunis des années 50, le boucher qui s'engueule avec le marchand de -