HISTOIRE
Interview
-
Spécialiste des écritures
sém
itiques
anciennes,
François
Déroc
he
est
professeur titulaire
de
la
première ch
aire
d'«
hi
stoire
du
Coran,
textes
et
trans
mission
»
au
Collège
de
France.
Vous venez defaire entrer
l'histoire du Coran
au
Collège de France.
En quoi était-il important
d'établir cette chaire?
Depuis le départ d'André Miquel,
titulaire de la chaire de langue
et
littérature arabes classiques -
et
en
dehors d'
Henry
Laurens, spé-
cialiste de l'histoire
contempo-
raine
-,
il
n'y avait plus depuis
près
de
vingt
ans
de
chercheur
arabisant au Collège de France.
Celui
-ci
a
donc
voulu
ouvrir
un
nouveau
chapitre
de
notre
connaissance de la civilisation
isla-
mique, au sein du nouvel Institut
des civilisations. La chaire « his-
toire
du
Coran,
texte
et
trans-
mission»
vient
ainsi
rejoin
dre
celle des milieux bibliques,créée
en
2009
. J'ai
l'honneur
de l
'i
nau-
gurer
en
tant
que spécialiste des
écritures anciennes, des
man
us-
crits arabes
et
de l'histoire du texte
coranique. Avec
cette
par
ticula-
rité de m'intéresser à l'évol
ut
ion
du texte
et
à
la
façon do
nt
il
a é
mis
par écrit, car
il
a traversé toute
une
série
de modificati
ons
qui
52
-Sciences
et
Avenir -novembre 2
015
- 825
PALÉOGRAPHIE
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Les p
lus
anciens corans
se trouvent en France
Une bonne
partie
des plus anciens corans (Vile-X' siècles)
sont
conservés à
la
Bibliothèque nationale de France, à
Paris. Dans les années 1805-1820, Asselin de Cherville, vice-
consul
en
Égypte a
en
effet
acheté des manuscrits précieux.
Après
sa
mort
au
Caire
en
1822,
sa
veuve, de retour en
France, les a vendus à
la
Bibliothèque royale, future BNF.
C'est ainsi que
la
France détient, avec la Turquie
et
la Russie,
l'une des plus importantes collections au monde.
FRANÇOIS DÉROCHE,
PALÉOGRAPHE
«
Le
Coran,
un
enjeu
pol
i
tique
dès
les
débuts
de
l'islam
»
Alors
qu'une
chaire
sur
le
Coran est créée
au
Collège
de
France, le
paléographe
François
Déroche
retrace
la
complexité
de
l'histoire
du
texte
sacré.
sont
le reflet des
changements
de l'attitude des gens vis-à-vis de
lui. C'est tout à fait extraordinaire.
Qu'est-ce
que
le
Coran l'
Il s'agit du livre sacré de l'islam,
un
texte
regroupant
les paroles
d'Allah
et
les «
révélations»
qui
auraient
été
faites
au
prophète
Muhammad, son messager. Son
nom
vient de la déformation du
mot
arabe
al
Qur'an
(
<<
la
récita-
tion
»)
, un
terme
probablement
d'origine syriaque signifiant«lec-
tionnaire », c'est-à-dire livre litur-
gique. Mais
il
faut distinguer le
texte du Coran lui-même, cristal-
._
-
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-
lisé au moment de la mort du pro-
phète
Muhammad
au
vu
esiècle,
des
versions
légèrement
pos-
térieures
que
possèdent
les
croyants. De la
même
façon que
l'on distingue la Bible des bibles.
Selon la tradition, la plus ancienne
version écrite du Coran aurait été
fixée
en
650, sous le règne d'Uth-
mân (644-656),
un
calife issu du
clan des Omeyyades, mais ce texte
n'est pas
complètement
parvenu
jusqu'à nous. Laversion que nous
connaissons aujourd'hui est issue
d'une sorte de « filtrage» effectué
par des savants musulmans entre
le Moyen Âge
et
le
XVI
e siècle
et
qui a conduit à l'idée qu'il n'existe
qu'un
texte
unique. Or, si
nous
remontons
aux
sources les plus
anciennes -ce qui
est
l'essence
même
de
mon
travail -
on
voit
bien
que
plusieurs versions
ont
été
en
compétition dès l'origine.
Pourquoi ces versions anciennes
sont-elles méconnues l'
Posséder
une
version
écrite
du
Coran
a
été
un
enjeu
politique
dès les
débuts
de l'islam.
Or
la
L
..
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t.
découverte
en
1972
au
Yémen
des manuscrits
de
Sanaa, dissimu-
lés dans un plafond de la grande
mosquée, a
permis
de consta-
ter
la mise à l'écart de certains
textes:
il
s'agissait de pages pro-
venant de 926 corans datés des
vue
et VIlle siècles. L'édition cano-
nique
du
Coran telle que nous
la connaissons aujourd'hui date
de la fin du
IX
e
et
du
début
du
xe
siècle. Elle a
été
fixée
par
le
pouvoir abbasside après l'élimina-
tion des versions précédentes,
et
quiconque s'avisait
de
dire autre
chose était puni. Ce texte est ainsi
devenu une vérité définitive.
~
4,
••
L.a&t
-.
Page
d'un
coran
du
xe
siècle
(sourate
X,
verset
109)
en
style
coufique,
la
plus
ancienne calligraphie
arabe.
Ce
manuscrit
précieux est conservé
à
la
Bibliothèque
nationale de France.
li
l
Chiites
et
sunnites,
les deux principaux courants
de l'islam, s'appuient-ils
sur
le
même texte l'
À
l'heure
actuelle,
oui.
Mais
par
le
passé,
il y a
eu
dans
le
monde
chiite
une
tradition
de
contestation
du Coran,
même
si le
mot
est
un
peu
fort.
Pour
certains chiites, le Coran a été
manipulé
par
le
calife
Uth-
mân
au
moment
de
sa
trans-
cription,
et
cela
pour
éliminer
tout
ce qui pouvait
soutenir
les
droits d'Ali [quatrième calife de
l'islam (656-661)], le
premier
imam
pour
les chiites à la suc-
HISTOIRE
Interview
cession de Muhammad. Il existe
d'ailleurs certains traités qui por-
tent
sur ce que les chiites consi-
r
ent
comme une falsification
du
texte
coranique
par
le pou-
voir sunnite.
Sourates, versets, hadiths
...
Que recouvrent ces termes l'
Le Coran est divisé
en
sourates
qui sont des chapitres de tailles
différentes, organisés
par
lon-
gueur décroissante. Le premier
texte
étant
très court, la classi-
fication
débute
en
réalité avec
la sourate 2, fort longue, suivie
de
la
3,
moins
longue
et
ainsi
de suite,
jusqu'aux
toutes
der-
nières, les
113
et
114.
Ces textes
n'
ont
rien de chronologique. Les
sourates sont subdivisées
en
ver-
sets (ayat).
Quant aux hadiths,
il
s'agit d'un
tout
autre corpus.
Le
Coran ne
dit rien sur la vie quotidienne. Or
les musulmans souhaitaient être
guidés. Ils s'interrogeaient sur ce
qu'aurait fait ou non le prophète
dans telle ou telle circonstance.
C'est ainsi
qu'ont
été
créés les
hadiths,
dont
les croyants peu-
vent s'inspirer. Ils concernent la
vie matérielle
autant
que spiri-
tuelle.
Il
est intéressant de consta-
ter
que leur prise
en
compte est
plus importante que
le
Coran lui-
même, voire le contredit.
Quel travail d'historien vous
reste-t-il à accomplir?
Mes
recherches
suivent
deux
axes qui se
recoupent
en
partie. D'une part, la poursuite
de
mes
travaux
sur
l'histoire
du
Coran
et
sa
transmission
à
l'époque des premiers siècles de
l'islam,
et
d'autre part,
en
tant
que codicologue,
sur
l'histoire
des manuscrits.
La
forme, l'as-
pect matériel des codex, fait par-
tie de l'histoire de la diffusion
des textes anciens. On ne
peut
l'ignorer. _ Propos recueillis
par Bernadette Arnaud
~
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W 825- Novembre 2015 -Sciences
et
Avenir -S3
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