Hommes et femmes musiciens : une partition sexuée
En France, l’existence du Ministère pour la parité et l’égalité — et du service du droit des
femmes et de l’égalité qui y est rattaché —, dénote bien la présence encore patente de
discriminations sexuelles et la volonté des pouvoirs publics de lutter contre celles-ci. Comme
l’ont montré de nombreuses études sociologiques, elles traversent l’ensemble du monde
social, de la sphère publique à celle du privé.
L’entrée massive des femmes dans le travail salarié n’a pas remis en cause les fondements de
la division sociale et sexuée des rôles mais les a seulement déplacés : c’est « la permanence
malgré le changement
». En outre, dans cette division, les femmes occupent des positions
hiérarchiquement inférieures à celles des hommes, légitimant ainsi la domination masculine.
L’analyse de certains milieux du monde professionnel de l’art vient corroborer la persistance
de cette domination. Dans deux articles, Hyacinthe Ravet
et Marie Buscatto
portent leur
attention sur de telles discriminations parmi des mondes de la musique tout à fait différents.
Ces deux approches sont complémentaires : Hyacinthe Ravet traite des conditions de
possibilités — structurelles et individuelles — de la féminisation des musiciens d’orchestre.
Elle examine ensuite les positions différenciées et hiérarchisées entre hommes et femmes,
pour enfin poser la question de la relation entre féminisation et dévalorisation de la
profession. Marie Buscatto, dans une approche interactionniste, tente d’expliquer comment,
sur un terrain mixte se (re)joue une partition sexuée conduisant à une hiérarchie des positions
et à la permanence de la domination masculine, mettant en exergue trois processus sociaux
qui les engendrent et les légitiment.
Féminisation de la profession : facteurs socio-historiques et microsociologiques de la
professionnalisation des femmes musiciennes.
Dans le cas des chanteuses de jazz, Marie Buscatto ne détaille pas les conditions socio-
historiques de l’entrée des femmes dans cet univers mais, il semble qu’elle ne soit pas récente.
En outre, alors que le jazz est un monde d’hommes (la plupart des instrumentistes sont des
hommes), les chanteurs sont d’abord des femmes. Et surtout, les chanteuses sont situées aux
échelons inférieurs de la renommée et de la valeur musicales.
Quant aux musiciennes d’orchestre, Hyacinthe Ravet dégage plusieurs moments de la
féminisation de la profession. Entre une présence proscrite (jusqu’au 20e siècle) et une
présence tolérée ensuite — sans toutefois pouvoir escompter un quelconque avenir de carrière
(hormis certains cours privé pour les filles de la bourgeoisie) —, il y a donc à peine 40 ans
que s’est produite l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail, concomitante au
développement des structures institutionnelles (essor des conservatoires de régions).
Autrement dit, ce n’est qu’au moment où il y a eu une forte demande, voire une pénurie de
recrutement, que les femmes ont pu avoir accès à la profession. De plus, comme dans
plusieurs enquêtes consacrées aux filles ou aux femmes inscrites récemment dans des bastions
masculins, il est à constater qu'outre les facteurs socio-historiques, certains facteurs
individuels entrent en jeu. Ainsi, l’investissement familial dans la scolarité des filles, le
soutien parental et des enseignants, la confiance en soi, l’existence de figure féminine pouvant
servir de modèle et une éducation égalitaire dans le cas de fratrie mixte — où les stéréotypes
En référence à l’expression « permanence dans le changement » utilisée par Pierre Bourdieu dans : Bourdieu,
P., La domination masculine, Paris, Seuil, Liber, 1998, p. 98.
Ravet, H., « Professionnalisation féminine et féminisation d’une profession : les artistes interprètes de
musique », Travail, genre et sociétés, n°9, avril 2003, pp. 173-195.
Buscatto, M., « Chanteuse de jazz n’est point métier d’homme. L’accord parfait entre voix et instrument »,
Revue française de sociologie, n°44-1, 2003, pp. 35-62.