La biodiversité,
Quelques notions pour en comprendre les enjeux,
à partir d’une conférence de Jean-Marie Pelt
(Rencontre UPEDD du 5 février 2008).
Petit rappel : qu’est-ce que la biodiversité ?
C’est le Sommet de la Terre à Rio en 1992 qui a popularisé ce terme de biodiversité.
La biodiversité, ou diversité du vivant, est composée par l’ensemble des organismes
vivants et par les relations qu’ils entretiennent avec leurs milieux de vie. Au sens large,
ce mot est quasiment synonyme de vie sur terre.
Actuellement on recense 1,8 millions d’espèces vivantes connues sur terre, dont environ
270.000 plantes fleuries, un million d’insectes, 10.000 oiseaux ...
Mais selon les scientifiques, cela ne représenterait qu’une infime partie de la biodiversité
existante … à peine plus de 15% d’après certains !
Pour les seules bactéries, on estime qu’il existerait entre 600.000 et 6 millions d’espèces,
pour seulement 7300 espèces identifiées !
Or, ce patrimoine s’érode ; nous sommes entrés dans la 6e extinction des espèces
vivantes.
Selon l’UICN (union mondiale pour la nature), un mammifère sur quatre, un oiseau sur
huit, un tiers des amphibiens sont en danger, et 70 % des espèces végétales se portent
mal.
Si cette extinction s’avère particulièrement rapide, néanmoins il est très difficile d’en
estimer la vitesse du fait de notre connaissance parcellaire du Vivant.
Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que le rythme des disparitions s’accélère, et pour
donner un ordre d’idées, qu’il serait de 10 à 100 fois plus rapide que les rythmes
d’extinction naturelle.
La durée de vie normale d’une espèce étant d’un à dix millions d’années, seuls une
connaissance pointue et un suivi très fin sur le long terme permettraient de savoir si elle
est menae ou disparue. Or ce type d’étude, qui nécessiterait une méthodologie
extrêmement lourde et complexe à mettre en place, n’existe pas encore. Nous devons
donc pour l’essentiel nous en tenir à des hypothèses, reposant sur des molisations et
des extrapolations de relevés effectués sur le terrain.
Par ailleurs, le manque d’intérêt pour la nature dite ordinaire1 a eu pour conséquence que
ce n’est que très récemment que nous avons commencé à remarquer la disparition
progressive d’espèces végétales ou animales communes dans notre environnement
quotidien (fleurs des champs, passereaux communs …) …
Quelles sont les causes majeures de ces extinctions ?
Il est indéniable qu’elles ont des causes anthropiques directes. Depuis les années 1990,
l’empreinte écologique2 de l’homme dépasse en effet les capacités de reconstitution des
écosystèmes.
Parmi les principales causes de perte de biodiversité, nous retiendrons :
-La destruction ou dégradation de certains biotopes : milieux humides, massifs
coralliens, déforestation généralisée (en Asie, en Afrique subsaharienne, dans
l’Amazonie, …) ; A titre d’illustration, si nous considérons que les 2/3 des
espèces connues vivent dans les zones tropicales, la destruction de leurs forêts
met donc en péril toute la chaine écologique qui s’y trouve, dont nombre
d’espèces endémiques.
-Le recours intensif aux pesticides et herbicides.
-La surexploitation de certaines ressources vivantes : plantes sauvages récoltées
pour leur usage médicinal ou cosmétique sans tenir compte de leur rythme de
renouvellement, surexploitation des ressources halieutiques et méthodes de pêche
industrielle prédatrices (forte proportion des prises rejetées car non
économiquement rentabilisables), exploitation forestière non contrôlée …
Conséquences de la perte de biodiversité.
Quelle est l’importance de la baisse de la biodiversité ? Quel est son impact ?
Finalement il faut reconnaitre qu’on ne sait pas grand-chose, que ses conséquences sont
difficilement mesurables !
En effet, la nature ayant par principe horreur du vide, quand une niche écologique se vide
car une espèce disparait, elle est immédiatement occupée par une autre espèce ! La chaine
va continuer, mais elle sera différente, ses équilibres seront perturbés, et l’écosystème
sera irrémédiablement modifié.
Par exemple, si une graminée donnée disparait d’une chaine écologique, peu importe
pourquoi ici, cela peut entrainer la régression de certaines populations d’insectes d’une
1 Par opposition à certaines espèces emblématiques qui retiennent toute l’attention des chercheurs et du
public.
2 Empreinte écologique : c’est la mesure de la pression qu’exerce l’homme sur la nature. Elle s’exprime en
surface (ha) productive nécessaire pour répondre à la consommation de ressources et aux besoins
d’absorption des déchets produits d’un individu ou d’une population donnée. Cependant cet outil ne prend
pas en compte la pression sur la ressource en eau, ni sa pollution provoquée notamment par l’activité
agricole.
espèce particulière, qui se nourrissaient majoritairement de son pollen, et qui faute de
nourriture en quantité suffisante, vont voir leur population décroitre.
Or ces insectes constituaient l’essentiel de la nourriture d’un petit rongeur ; lequel va
exercer sur la population décroissante d’insectes une pression trop forte, pour assurer la
survie de sa propre espèce.
Résultat : le rongeur va accélérer la disparition des insectes et provoquer la fragilisation
de sa propre espèce par manque de nourriture.
Donc, soit le rongeur va migrer vers une nouvelle source de subsistance et quitter son
biotope d’origine, soit il va s’adapter à un autre mode d’alimentation (mais le phénomène
d’adaptation des espèces est très lent, donc il y aura d’abord diminution du nombre
d’individus de l’espèce, puis augmentation de ceux qui auront su s’adapter), soit sa
population va décroitre et s’éteindre par manque de nourriture et/ou par appauvrissement
de son patrimoine génétique si sa population est isolée.
Enfin, dans notre exemple volontairement très simplifié, la raréfaction de notre rongeur
va provoquer un déséquilibre des prédateurs supérieurs dont il constituait la nourriture …
Ainsi, en simplifiant au maximum le fonctionnement d’une chaine trophique, nous
constatons que la disparition d’une espèce va provoquer d’autres disparitions par ricochet
et bouleverser les équilibres de l’intégralité de la chaine.
C’est pour cela que la perte de biodiversité est grave, et en même temps difficile à
mesurer et à suivre.
On a remarqué que les capacités de remplacement d’espèces dans un milieu sont
étonnantes, mais en même temps elles vont provoquer des modifications d’interactions et
d’équilibres. Et plus le nombre d’espèces dans un écosystème est important, plus il sera
dynamique, car il sera moins « sensible » aux variations quantitatives d’une espèce
donnée.
Nécessité de protéger.
Il est devenu impératif de mettre en place des politiques de protection de la biodiversité.
Mais la mise en place de tels outils se heurte à notre vision des espèces : les considérons
nous comme utiles, sans intérêt ou nuisibles ?
Ainsi nous avons tendance à considérer la biodiversité sous l’angle de notre interprétation
de la pertinence ou non de la présence de certaines espèces individualisées, oubliant le
principe d’écosystèmes complexes et en interconnections.
Une personne de l’assistance a du reste posé cette question bien dérangeante à Jean-
Marie Pelt : si l’on parvient aisément à comprendre le rôle de chaque espèce et les
interactions qu’elle entretient au sein de son écosystème avec les autres, où se situe
lhomme dans cette chaine ? Quel rôle la nature lui a-t-elle assigné, quil a à ce point
tourné à son seul profit ?
Difficile question en vérité … Même s’il peut nous sembler évident, en regard de la
dégradation de l’Environnement et du climat que les activis humaines ont provoqué
essentiellement depuis ces 150 dernières années, que si l’homme n’était pas là … la
Nature ne s’en porterait que mieux !
Toujours est-il que nous sommes là, et notre devoir aujourd’hui est de réparer les dégâts
que notre espèces a occasionnés et de protéger la biodiversité au delà de toute
considération anthropocentriste !
Autre point de réflexion important : comment concevons-nous la biodiversité ?
En effet, selon notre façon d’envisager la biodiversité, les méthodes de protection et leurs
finalités vont différer.
Christian Lévêque, écologue, estime que nous devons être capables de protéger des
milieux en s’adaptant à leurs changements ; il rappelle que la biodiversité est un concept
en permanente évolution, entre espèces émergeantes et espèces en déclin. Nous devons
donc accepter cette donnée, sous peine de fragiliser davantage une biodiversité déjà à la
fois fortement altérée et anthropisée.
A vouloir cantonner la biodiversité dans des espaces clos protégés, on risque de la figer,
de créer des sortes de musées à l’intérieur desquels on va arrêter le temps, en totale
opposition avec la notion même de vie.
Par conséquent, la réponse qu’il propose par rapport aux problèmes des espèces
invasives, est plus mitigée que celle de nombreux autres écologues.
Il estime plus utile de sintéresser au contrôle de la prolifération notamment à la
pullulation d’espèces autochtones provoquée par des perturbations d’équilibre dans des
écosystèmes – et de la nuisance de certaines espèces, plutôt qu’à l’éradication
systématique de toutes les espèces considérées comme invasives.
Jean-Marie Pelt partage la crainte de Christian Lévêque, en ce qui concerne le risque de
fabriquer une nature totalement artificielle, d’où son engagement pour la défense de la
nature ordinaire, commune, pour la réhabilitation de plantes abusivement qualifiées de
« mauvaises herbes » (J-M Pelt est botaniste de formation), mais en revanche il est
beaucoup plus circonspect en ce qui concerne la montée des espèces invasives.
Entre 2002 et 2006, le nombre d’espèces invasives a augmenté de 50 %. Toutes ne
constituent pas une nuisance, certaines s’insèrent dans des niches écologiques vides, mais
d’autres viennent menacer des organisations d’écosystèmes stables et posent des
problèmes.
Mais le réchauffement climatique a des conséquences autrement plus dramatiques sur la
biodiversité :
Le réchauffement climatique, outre le fait quil modifie la répartition des espèces en
favorisant notamment une remontée vers le nord, créé des perturbations sur les modes de
vie (avancement des périodes de reproduction, de floraison, de fructification), qui seront
autant de facteurs supplémentaires de pression sur les milieux.
Selon les experts du GIEC, 35% des espèces mondiales pourraient disparaitre à cause du
changement climatique.
Il y a donc bien urgence à agir …
De quels outils ou méthodes disposons nous pour protéger la biodiversité ?
Nous pouvons créer des parcs, des espaces de protection (espaces NATURA 2000 par
exemple), des trames ou corridors verts pour lutter contre la fragmentation de territoires
et créer des axes de circulation des espèces pour favoriser les échanges inter et intra-
spécifiques, constituer des banques pour préserver des semences anciennes (cf. la banque
de semences des principales cultures vivrières du monde qui seront conservées à partir de
février 2008 dans une grotte artificielle souterraine constituée comme une sorte de
congélateur géant de 5200 m3 au Spitzberg, en Norvège – projet réalisé sous l’égide de
l’ONU).
Nous disposons d’organisations telles que l’Union Mondiale pour la Nature (UICN),
chargée de la surveillance d’espaces et de la publication annuelle d’un livre rouge de
suivi des espèces menacées.
La région Ile de France vient de se doter d’une agence régionale pour la nature et la
biodiversité, « Natureparif «, dont l’objectif sera de collecter, organiser et centraliser les
informations concernant l’étude de la biodiversité, pour en améliorer la connaissance et la
protection. Car actuellement on constate que la biodiversité des villes tend à devenir plus
riche que celle des campagnes, notamment parce que les villes sont moins polluées par
les pesticides.
Nous pouvons attribuer une contre-valeur financière aux services gratuits que nous
fournit la nature :
-pour sensibiliser le grand public à cette idée de coût environnemental,
-pour intégrer ces coûts écologiques dans les coûts de production des biens et
services marchands,
-et pour établir une échelle d’indemnisation des coûts environnementaux
occasionnés, dans le cadre de l’application du principe du payeur-polleur.
Par exemple on considère que chaque promeneur en forêt coûte entre 0,15 et 0,30€ à la
société tant pour la gestion de la forêt (exemple : aménagement et entretien de chemins)
que pour la réparation des dommages occasionnés.
Le sort de l’homme et de la nature sont donc intimement et inexorablement liés.
L’espèce humaine, par ses activités prédatrices (chimie, industries, agriculture
productiviste), a dégradé l’environnement et le climat ; la première conséquence que nous
commençons à subir est le réchauffement climatique, accompagné d’un ensemble de
dérèglements en cascade.
Il est donc nécessaire de réconcilier durablement l’homme et la nature, pour qu’il
retrouve place en son sein et abandonne le modèle destructeur de l’homme prométhéen
qui a prévalu jusqu’ici, et pour qu’enfin l’humanité assume sa responsabilité majeure qui
consiste à réparer les dégâts commis et à veiller à la conservation des milieux.
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