• Mai 2017 / 23
M. Lavoie. La gouvernance de leurs régimes d’assurance est
affectée par ces nouvelles thérapies très coûteuses. Si on ouvre
complètement les valves, ces traitements pourraient rendre les
régimes d’assurance inaccessibles. »
En 2014, le National Institutes of Health, une agence de
recherche du gouvernement des
États-Unis, enregistrait plus de
24 000tests de dépistage de plus de 5 000affections. Depuis, de
nouveaux tests sont constamment mis au point afin d’améliorer
les traitements. « Presque toutes les thérapies qui sortiront dans
les prochaines années seront des thérapies ciblées qui utiliseront
une forme ou une autre de marqueur ou de test génétique, croit
Jean-Michel
Lavoie. L’enjeu le plus important va être le contrôle
des prix, ajoute-t-il. Actuellement, le traitement le plus cher
coûte 700 000 $. La rentabilité est quasi impossible. Il n’y a
pas grand monde qui apporte 700 000 $ de valeur à l’économie
par année ! »
Des risques de discrimination ?
Du côté des assurés, les principales inquiétudes concernent les
possibles discriminations, puisque les tests génétiques peuvent
révéler que des personnes risquent un jour d’avoir besoin de
traitements ou de ne plus pouvoir travailler en raison d’une
maladie héréditaire.
Comment, dès lors, protéger les employés du risque que des
employeurs refusent de les embaucher ou que des assureurs
refusent de les assurer ? «
Selon le Code civil, les
Canadiens ont
l’obligation de dévoiler tous les renseignements qui sont
pertinents à l’évaluation des risques par l’assureur, explique
Mélanie Bourassa Forcier, directrice des programmes de droit et
politiques de la santé à la
Faculté de droit de l’Université de
Sherbrooke. Si une personne connaît son risque, elle est donc
obligée de le dire. L’assureur pourrait alors discriminer en
fonction du risque, c’ est-à-dire ajuster la prime selon le degré de
santé de la personne. »
Les enjeux éthiques et juridiques liés aux tests génétiques ont
entraîné l’adoption de mesures législatives dans de nombreux
pays. L’UNESCO a d’ailleurs demandé à tous les États de
légiférer pour éviter la discrimination génétique. Jusqu’à tout
récemment, aucune loi n’avait été mise en place au Canada,
contrairement à plusieurs pays comme la
France, les
États-Unis
ou le Royaume-Uni, pour s’assurer qu’il n’y ait pas de
discrimination liée à l’utilisation de l’information génétique.
« Le Canada affiche un important retard et c’est un problème,
constate
Mélanie
Bourassa
Forcier. Les médecins réalisent
d’ailleurs que c’est une limite à leur pratique. Les patients
hésitent à passer des tests génétiques de peur que les résultats
obtenus ne les pénalisent. Il est regrettable de voir des personnes
refuser de se soumettre à des tests génétiques alors qu’elles ont
hérité d’une mutation du gène BRCA1ou du gène BRCA2, par
exemple. Cela signifie qu’elles n’auront pas le suivi annuel
adéquat et qu’elles risquent de développer un cancer nécessitant
des traitements coûteux. »
Une loi qui ne fait pas l’unanimité
Alors qu’il était le seul pays du G7à ne pas avoir de protection
juridique contre la discrimination génétique, le
Canada a
finalement adopté le projet de loi S-201le 8mars dernier à la
Chambre des communes.
Celui-ci avait été déposé il y a quatre
ans par le sénateur libéral James Cowan, qui avait déclaré que les
données génétiques d’une personne sont personnelles et que
celle-ci doit donc pouvoir décider à qui elle souhaite
communiquer cette information et dans quelles circonstances.
Le projet de loi S-201n’a toutefois pas fait l’unanimité. Les
compagnies d’assurance ont fait valoir qu’il était inconstitutionnel
puisque les assurances et les contrats relèvent de la compétence
des provinces. Le gouvernement Trudeau a d’ailleurs annoncé,
trois jours après son adoption, qu’il demanderait l’avis de la Cour
suprême, ce qui pourrait retarder de plusieurs années sa mise en
application ou la faire mourir au feuilleton.
Le projet de loi en question vise principalement à condamner
la discrimination génétique de trois façons : interdire les tests
génétiques obligatoires pour obtenir un emploi, un contrat ou un
service ; interdire la divulgation des tests génétiques à des tiers
sans le consentement de la personne ; ne pas punir ceux qui
refusent de passer un test génétique ou de partager les résultats.
Au fil des mois, le projet de loi a suscité de nombreux débats.
Les assureurs s’y sont opposés, arguant qu’il pourrait y avoir des
abus de clients potentiels qui connaissent leurs risques de
développer une maladie grave. En janvier dernier, l’industrie
canadienne des assurances de personnes s’est engagée, au nom des
assureurs, « à ne pas demander ni utiliser les renseignements issus
de tests génétiques pour les propositions d’assurance vie de
250 000 $ ou moins, et ce, à compter du 1erjanvier 2018 ».
L’adoption du projet de loi
S-201ne garantit pas qu’elle sera
facile à appliquer. Le Dr Hamet croit cependant qu’il faut qu’une
loi protège les employés contre la discrimination par l’employeur.
« On ne peut pas persécuter des gens sur la base d’une
susceptibilité », dit-il.
Mélanie Bourassa Forcier est du même avis. « Ce n’est pas tant
de soumettre une personne à un test génétique qui pose
problème, mais ce qu’on fait avec les résultats de ce test. Le fait
que l’on puisse prendre en charge plus rapidement des gens qui
ont une susceptibilité de développer une pathologie importante,
c’est certainement bénéfique à long terme, tant pour l’assuré que
pour l’assureur et pour l’employeur. »
« Ce n’est pas tant de
soumettre une personne à
un test génétique qui pose
problème, mais ce qu’on fait
avec les résultats de ce test. »
- Mélanie Bourassa Forcier,
Université de Sherbrooke