RÉSUMÉ
Dans le but de mesurer l’impact des normativités organisationnelles et professionnelles sur la
santé psychique des travailleurs sociaux, nous avons été amené à vérifier la validité de plusieurs
sources théoriques et empiriques servant à décrire les causes structuro-organisationnelles de la
souffrance psychique, les répercussions qui découlent des conditions de travail difficiles, voire
les moyens auxquels les travailleurs sociaux ont recours pour y faire face. Travailler comme nous
l’avons fait sur la relation entre l’organisation du travail et la santé psychique de professionnels
du secteur de la santé et des services sociaux nous a permis d’identifier et de mettre à l’épreuve
des constructions discursives communément admises en matière de souffrance au travail. En
effet, depuis la reconfiguration de l’action publique amorcée par la nouvelle gestion publique à la
fin des années 1980, la recension des écrits en Europe et en Amérique du Nord sur le sujet établit
des liens entre la managérialisation des services de santé et des services sociaux et l’émergence
de déterminants structuro-organisationnels capables d’interpeller à des degrés variables les
travailleurs sociaux sur ce qu’ils font, sur ce qui a de l’importance pour eux, sur les
responsabilités et les obligations qui sont les leurs dans leur travail, voire sur les activités
professionnelles qu’ils veulent offrir dans leur travail. En fournissant un type d’analyse qui
propose un point d’ancrage axé sur les normativités en collision et qui sont susceptibles de
produire de la souffrance psychique chez les professionnels, nous avons pu remettre en question
cet imposant présupposé théorique voulant qu’à cause de conditions de travail dites difficiles,
l’exercice de la profession est marquée par la souffrance chez tous les professionnels, pour les
mêmes motifs, et en même temps. Grâce à la participation de 1188 travailleurs sociaux en
provenance du Québec ou de l’Ontario, les résultats de cette recherche permettront d’alimenter
les débats en matière de souffrance au travail et, surtout, de faire ressortir l’importance de la prise
en compte des enjeux normatifs qui préoccupent les professionnels dans l’exercice de leur
fonction au sein des organismes du réseau de la santé et des services sociaux. Dont celui qui
réclame de ces derniers une attention particulière : la façon qu’ils ont ou auront de s’approprier
les objectifs visés dans leurs interventions et les conditions du rapport qu’ils veulent instaurer
avec celles et ceux qui font appel à eux pour atteindre un mieux-être, avec les organisations et la
société.
Mots clés : travailleuses sociales, travailleurs sociaux, souffrance psychique au travail,
souffrance morale au travail, faire-face, autonomie professionnelle, jugement professionnel, choc
des épistémès, nouvelle gestion publique.