Documents dappoint au cours dHistoire des idées politiques (Antiquité au XVIIe siècle)
André Fazi, 2016-2017
Série n° 3
Document n° 1 : Saint Thomas dAquin, La somme théologique, I-II, 1269-1270, n° 105.
Deux points sont à observer dans la bonne organisation du gouvernement dune cité ou dune nation. Dabord que tout le monde
participe plus ou moins au gouvernement, car il y a là, selon le deuxième livre des Politiques, une garantie de paix civile, et tous
chérissent et soutiennent un tel état de choses. Lautre point concerne la forme du régime ou de lorganisation des pouvoirs; on
sait quil en est plusieurs, distinguées par Aristote, mais les plus remarquables sont la royauté, ou domination dun seul selon la
vertu, et laristocratie, cest-à-dire le gouvernement des meilleurs, ou domination dun petit nombre selon la vertu. Voici donc
lorganisation la meilleure pour le gouvernement dune cité ou dun royaume: à la tête est placé, en raison de sa vertu, un chef
unique ayant autorité sur tous; puis viennent un certain nombre de chefs subalternes, qualifiés par leur vertu; et cependant la
multitude nest pas étrangère au pouvoir ainsi défini, tous ayant la possibilité dêtre élus et tous étant dautre part électeurs. Tel
est le régime parfait, heureusement mélangé de monarchie par la prééminence dun seul, daristocratie par la multiplicité de
chefs vertueusement qualifiés, de démocratie enfin ou de pouvoir populaire du fait que de simples citoyens peuvent être choisis
comme chefs, et que le choix des chefs appartient au peuple.
Et tel fut le régime institué par la loi divine. En effet, Moïse et ses successeurs gouvernaient le peuple en qualité de chefs uniques
et universels, ce qui est une caractéristique de la royauté. Mais les soixante-douze anciens étaient élus en raison de leur mérite
(Dt 1, 15): "Je pris dans vos tribus des hommes sages et considérés, et je les établis comme chefs"; voilà lélément daristocratie.
Quant à la démocratie, elle saffirmait en ce que les chefs étaient pris dans lensemble du peuple, (Ex 18, 21): "Choisis parmi
tout le peuple des hommes capables etc."; et que le peuple aussi les désignait (Dt 1, 13): "Présentez, pris parmi vous, des
hommes sages." Lexcellence des dispositions légales est donc incontestable en ce qui touche à lorganisation des pouvoirs.
Document n° 2 : Saint Thomas dAquin, De Regno, chap. VI, 1266.
Saint Pierre, en effet, nous enseigne dêtre respectueusement soumis non seulement aux maîtres bons et modérés, mais aussi
à ceux qui sont difficiles (I Pierre II, 18) : "Cest, en effet, une grâce, si, pour rendre témoignage à Dieu quel quun supporte des
afflictions qui latteignent injustement." Cest pourquoi, alors que beaucoup dempereurs romains persécutaient la foi du Christ
dune manière tyrannique, et quune grande multitude tant de nobles que dhommes du peuple se convertissaient à la foi, ceux
qui sont loués ne le sont pas pour avoir résisté, mais pour avoir supporté avec patience et courage la mort pour le Christ, comme
il apparaît manifestement dans lexemple de la sainte légion des Thébains. Et lon doit juger quAioth a tué un ennemi, plutôt
quun tyran, chef de son peuple. Cest aussi pourquoi on lit dans lAncien Testament (IV, Rois XIV, 5-6) que ceux qui tuèrent
Joas, roi de Juda, furent tués, quoique Joas se fût détourné du culte de Dieu, et que leurs fils furent épargnés selon le précepte
de la loi.
Il serait, en effet, dangereux pour la multitude et pour ceux qui la dirigent, si, présumant deux-mêmes, certains se mettaient à
tuer les gouvernants, même tyrans. Car, le plus souvent, ce sont les méchants plutôt que les bons qui sexposent aux risques
dactions de ce genre. Or le commandement des rois nest habituellement pas moins pesant aux méchants que celui des tyrans,
parce que selon la sentence de Salomon (Prov. XX, 26) : "Le roi sage met en fuite les impies." Une telle initiative privée
(praesumptio) menacerait donc plus la multitude du danger de perdre un roi quelle ne lui apporterait le remède de supprimer
un tyran.
Cest lautorité publique qui doit supprimer le tyran
Mais il semble que contre la cruauté des tyrans il vaut mieux agir par lautorité publique que par la propre initiative privée de
quelques-uns.
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André Fazi, 2016-2017
Dabord sil est du droit dune multitude de se donner un roi, cette multitude peut sans injustice destituer le roi quelle a institué
ou réfréner son pouvoir, sil abuse tyranniquement du pouvoir royal. Et il ne faut pas penser quune telle multitude agisse avec
infidélité en destituant le tyran, même si elle sétait auparavant soumise à lui pour toujours, parce que lui-même, en ne se
comportant pas fidèlement dans le gouvernement de la multitude, comme lexige le devoir dun roi, a mérité que ses sujets ne
conservassent pas leurs engagements envers lui.
Document n° 3 : extraits des 95 thèses de Martin Luther (1517)
28. Assurément, sitôt que largent résonne dans la caisse, le gain et la cupidité augmentent. Mais le salut que peut accorder
lÉglise consiste dans la grâce de Dieu.
32. Seront éternellement damnés avec ceux qui les enseignent, ceux qui pensent que des lettres dindulgences leur assurent le
salut.
43. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui donne aux pauvres ou prête aux nécessiteux fait mieux que sil achetait des
indulgences.
45. Il faut enseigner aux chrétiens que celui qui voyant son prochain dans lindigence, le délaisse pour acheter des indulgences,
ne sachète pas lindulgence du Pape mais lindignation de Dieu.
59. Saint Laurent a dit que les trésors de lÉglise sont ses pauvres. En cela il a parlé le langage de son époque.
66. Les trésors des indulgences sont des filets avec lesquels on pêche maintenant les richesses des hommes.
67. Les indulgences dont les prédicateurs vantent et exaltent les mérites ont le très grand mérite de rapporter de l’argent.
82. Pourquoi, disent-ils, pourquoi le Pape ne délivre-t-il pas dun seul coup toutes les âmes du Purgatoire, pour les plus justes
des motifs, par sainte charité, par compassion pour leurs souffrances, tandis quil en délivre à linfini pour le motif le plus futile,
pour un argent indigne, pour la construction de sa basilique ?
86. Et encore : pourquoi le Pape nédifie-t-il pas la basilique de Saint-Pierre de ses propres deniers, plutôt quavec largent des
pauvres fidèles, puisque ses richesses sont aujourdhui plus grandes que celles des plus gros richards ?
Document n° 4 : Martin Luther, À la noblesse chrétienne de nation allemande (1520)
On a inventé que le Pape, les Évêques, les gens des monastères seraient appelés état ecclésiastique, les Princes, les Seigneurs,
les artisans et les paysans létat laïque, ce qui est certes une fine subtilité et une belle hypocrisie. Mais personne ne doit se
laisser intimider par cette distinction, pour cette bonne raison que tous les Chrétiens appartiennent vraiment à létat
ecclésiastique, il nexiste entre eux aucune différence, si ce nest celle de la fonction, comme le montre Paul en disant (I Cor.
12), que nous sommes tous un seul corps, mais que chaque membre a sa fonction propre, par laquelle il sert les autres, ce qui
provient de ce que nous avons un même baptême, un même Évangile et une même foi et sommes de la même manière
Chrétiens, car ce sont le baptême, lÉvangile et la foi qui seuls forment létat ecclésiastique et le peuple chrétien. Ce que fait le
Pape ou lÉvêque, lonction, la tonsure, lordination, la consécration, le costume, différent de la tenue laïque, peuvent transformer
un homme en cagot, ou en idole barbouillée dhuile, mais ils ne font pas le moins du monde un membre du sacerdoce ou un
chrétien. (...)
Ils prétendent être seuls maîtres de lÉcriture, encore que, leur vie durant, ils ne létudient jamais, ils sarrogent lautorité exclusive
et nous font accroire par des paroles impudentes que le Pape ne peut se tromper dans le domaine de la foi, quil soit méchant
ou bon, mais ils ne peuvent pas apporter à ceci le moindre commencement de preuve. De là vient que le droit canon renferme
tant de lois hérétiques et antichrétiennes, voire antinaturelles, il nest pas besoin den faire mention, car du moment quils croient
que le Saint-Esprit ne les abandonnera pas, aussi ignorants et mauvais quils puissent être, ils senhardissent au point de
transformer en articles de loi leurs moindres caprices. Et dans ces conditions, en quoi la Sainte Écriture serait-elle nécessaire et
même utile ? Brûlons-là et contentons-nous des seigneurs ignares de Rome qui possèdent l’Esprit Saint, alors que seuls les cœurs
purs peuvent le posséder. (...)
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Si le Pape agit contre lÉcriture, nous avons le devoir de porter assistance à lÉcriture, de le réprimander et de lobliger à obéir
(...). Cest pourquoi, quand la nécessité limpose et que le Pape est une source de scandale pour la Chrétienté, le premier qui se
trouve capable de le faire doit, en tant que membre fidèle de tout le corps, travailler à la réunion dun véritable concile libre, et
nul ne le peut aussi bien que ceux qui ont en main le glaive temporel, surtout du moment quils sont, comme les autres,
Chrétiens, prêtres, gens dÉglise, quils participent avec eux à tout le pouvoir et que leur fonction et leur activité quils tiennent
de Dieu doit sexercer librement sur quiconque, quand il est nécessaire et utile quelle sexerce (...).
Document 5 : Confession d’Augsbourg (1530), rédigée par Philippe Melanchton et
présentée à l’Empereur Charles Quint
Article 28. Du Pouvoir des Évêques
Anciennement on a beaucoup écrit sur le pouvoir des évêques, et plusieurs ont maladroitement confondu le pouvoir spirituel des
évêques et la puissance temporelle du glaive. Cette confusion a engendré de grandes guerres, des soulèvements et des émeutes.
Car les évêques, sous le couvert du pouvoir qui leur a été donné par Christ, ont non seulement introduit de nouveaux cultes, et
accablé les consciences au moyen de la « réservation de certains cas » et de lemploi brutal de lexcommunication; mais ils ont
même osé installer et destituer des rois et des empereurs selon leur bon plaisir. Ces pratiques criminelles ont été sévèrement
blâmées au sein de lÉglise chrétienne, il y a très longtempsjà, par des hommes réputés pour leur science et leur piété. Donc,
pour rassurer les consciences, nos docteurs se sont vus obligés de démontrer la différence qui existe entre le pouvoir spirituel et
le pouvoir temporel auquel appartient le droit du glaive et du gouvernement; et ils ont enseigné que les deux pouvoirs sont à
honorer avec vénération, à cause du commandement de Dieu, et quils sont à considérer comme les deux plus grands bienfaits
divins dont nous jouissons sur terre.
Les nôtres enseignent que le Ministère des Clefs, ou le Pouvoir des évêques, consiste, selon lÉvangile, de pardonner ou retenir
le péché et d’administrer les sacrements. […].
Ce Pouvoir des clefs, ou des évêques, ne peut être exercé que par le moyen de lenseignement et de la prédication de la Parole
de Dieu et par ladministration des sacrements, selon la vocation de chacun, soit en public, soit en privé. Car il sert, non pas à
conférer des biens matériels, mais des biens éternels, à savoir la Justice, le Saint-Esprit et la Vie éternelle. […]
Puisque donc le pouvoir de lÉglise, ou des évêques, confère des biens éternels, puisquil nest exercé que par le ministère de la
prédication, il ne gêne donc en rien le pouvoir civil et le gouvernement temporel. Car le gouvernement civil soccupe de toute
autre chose que de lÉvangile, puisquil protège, non pas les âmes, mais les corps et les biens des sujets contre la violence
matérielle, au moyen de lépée et des châtiments corporels.
Il faut donc se garder de mêler et de confondre les deux pouvoirs, le temporel et le spirituel. Car le pouvoir spirituel a la mission
particulière de prêcher lÉvangile et dadministrer les Sacrements. Il ne doit jamais empiéter sur un domaine autre que le sien.
Il ne doit pas établir ou destituer des rois ; il ne doit pas abolir les lois civiles, ni corrompre lobéissance due aux autorités ; il ne
doit pas simmiscer dans les affaires civiles, ni faire la loi au pouvoir temporel. Christ lui-même a dit, Jean 18, 36 : « Mon
royaume nest pas de ce monde ». Et aussi, Luc 12, 14: « Qui est-ce qui ma établi juge parmi vous? ». Et saint Paul, Phil. 3,
20 : « Notre cité à nous est dans les cieux ». Et 2 Cor. 10, 4 : « Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas
charnelles, mais elles sont puissantes par la vertu de Dieu pour renverser les machinations de lennemi et toute hauteur qui
sélève contre la connaissance de Dieu ».
Telle est la distinction que font les nôtres entre les fonctions des deux pouvoirs, et ils recommandent quon les honore tous les
deux comme le don le plus précieux dont nous jouissons sur terre.
Sil arrive que des évêques possèdent aussi le gouvernement temporel et tienne lépée, ce nest pas par droit divin ni en qualité
dévêques quils possèdent ce pouvoir, mais par droit humain, impérial, puisquils le tiennent des rois et des empereurs pour
ladministration civile de leurs possessions. Ces fonctions nont rien à voir avec le ministère de lÉvangile.
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