Daniel BOYARIN, Le Christ juif, A la recherche des origines, Cerf, 2013 (190 p., 19 €) POUR ALLER PLUS LOIN… Dossier de réflexions pour les catéchistes : « Aujourd’hui, tout le monde, chrétien ou non-chrétiens, considère normal de se référer à l’être humain Jésus comme à un juif, mais je voudrais faire ici un pas de plus. Je souhaiterais nous amener à réaliser que le Christ aussi – le Messie divin – est un juif. La christologie, à savoir les premières idées sur le Christ, est aussi un discours juif et ne fut pas du tout un discours antijuif, du moins avant longtemps. Beaucoup d’Israélites au temps de Jésus attendaient un Messie qui serait divin et viendrait sur terre dans la forme d’un humain. Les pensées sous-jacentes fondamentales à partir desquelles la Trinité et l’incarnation se sont développées étaient présentes dans le monde même où Jésus est né et dans lequel les évangiles de Marc et de Jean ont été écrits » (p. 17-18). La thèse est posée en introduction. Quels sont les éléments qui instruisent ce dossier ? Premier dossier sur les « titres » messianiques de Fils de Dieu et Fils de l’Homme en mesurant leur incidence sur la christologie des évangiles. « Toutes les idées sur le Christ sont anciennes. La nouveauté, c’est Jésus » (p. 121). En effet, en Jésus, la figure du Fils de l’Homme est accomplie, contrastant avec bien des annonces en Israël de la venue pour la fin des temps d’un Messie sauveur (cf. par ex. le livre de Daniel). Avec Jésus, le salut de Dieu est à l’œuvre. Si le Messie Fils de l’Homme existait dans le judaïsme (cf. p. 55), la prérogative divine de Jésus n’est pas seulement « fonctionnelle » (cf. p. 69), en lien avec sa mission. Elle est liée à son être de Fils éternel de Dieu (« ontologique »). Voilà pourquoi Jésus ne fait pas qu’annoncer le salut (comme un prophète), il le manifeste et le rend présent par son « autorité » (cf. Mc 2, 5 sv.) comme l’annonçait le prophète Daniel (Dn 7). Jésus incarne les caractéristiques du Fils de l’Homme, non qu’il les ait reçues en apanage, mais parce qu’elles lui sont naturelles et il les met au service des « petits », au service de la victoire de la vie. Ainsi Jésus vient-il accomplir la Loi et sa position vis-à-vis du sabbat (cf. Mc 2, 23) en dit principalement le sens ultime : le sabbat est fait pour la vie de l’homme, pour que l’homme vive dans une juste relation avec son créateur et non pour le contraindre de l’extérieur. « Jésus revendique aussi la Seigneurie sur le sabbat » (p. 85). Deuxième dossier sur les prescriptions alimentaires. P. Luc Mellet – SNCC Page 1 Loin de marquer une rupture avec la Loi, la pratique de Jésus par rapport aux prescriptions alimentaires ne vise pas à les « abolir », comme si elles étaient superflues ou désuètes. « Jésus mangeait casher » et ses disciples aussi ! Mais il en dévoile le sens profond, il les « accomplit ». « Il ne rejette pas les lois et les pratiques de la Torah, mais au contraire il les défend » (p. 138). Il défend la juste compréhension de la Loi et des pratiques rituelles. Ainsi Mc 7 (observance des lois alimentaires et de la cacherout) n’inaugure pas la séparation entre juifs et chrétiens, mais reflète une controverse à l’intérieur même du judaïsme de l’époque. Ici, Jésus prend position (cf. pp. 130-141) dans le débat contre un courant pharisien qui voulait étendre les règles de la pureté alimentaire au-delà de ce que prescrit le Lévitique (Lv 11-15). Jésus défend la valeur des Ecritures contre les arguments religieux Daniel BOYARIN, Le Christ juif, A la recherche des origines, Cerf, 2013 (190 p., 19 €) identitaires du parti pharisien. « Si les pharisiens prétendent que la nourriture peut contaminer, il s’agit d’un changement dans la Loi » (p. 142). Daniel BOYARIN aborde donc, fondamentalement, le statut christologique de Jésus. Jésus, Fils de l’Homme, est lui-même la source de la Loi, il en est donc l’exégète autorisé (cf. Jn 1, 18). Il ne cherche pas à abroger la Loi, mais à la remettre à sa place. La moralité de la vie est supérieure aux lois de pureté. « Jésus appelle à approfondir notre engagement authentique à pratiquer et intégrer la signification de la Torah » (p. 147). Troisième dossier sur la figure du Serviteur souffrant chez le prophète Isaïe et son actualisationréalisation plénière en Jésus, Messie crucifié. Partant de l’image centrale du Christ en Croix, l’auteur veut écouter aussi le chapitre 53 d’Isaïe. Nombreux sont les commentateurs qui différencient la lecture juive et chrétienne du Messie par le fait que pour les uns, il serait déjà venu (chrétiens) pour les autres, il resterait à venir (juifs). La messianité atypique de Jésus est alors comprise, après coup, grâce à la figure du Serviteur souffrant d’Isaïe (Is 53) archétype du Christ. Il fallait accepter le « scandale » de la croix ! Quel en est le sens lorsqu’on ne veut pas se résoudre à n’y voir qu’un échec (à vues humaines). « Voici la seule réponse possible : c’était la volonté de Dieu et celle du Messie lui-même qu’il soit flagellé, humilié et crucifié » (p. 154). Cette lecture prend appui sur « la théologie de la souffrance vicaire rédemptrice… en Is 53 » (p. 155). Alors, le messie annoncé par Isaïe « renvoie non au peuple d’Israël persécuté mais au Messie souffrant » (p. 155). Or, « la notion d’un Messie humilié et souffrant n’était pas du tout étrangère au judaïsme avant la venue de Jésus et elle est demeurée courante chez les Juifs postérieurement » (p. 156). « Plutôt que de faire du christianisme une invention nouvelle, il est tout aussi respectueux d’y voir l’un des chemins que le judaïsme a pris – un chemin aussi ancien dans ses sources que celui que les Juifs rabbiniques ont emprunté. Beaucoup de Juifs attendaient un Messie divino-humain, le Fils de l’Homme. Beaucoup ont accepté Jésus comme étant cette figure et d’autres, non » (p. 158). Dans une argumentation serrée (pp. 159-168), Daniel BOYARIN visite quelques grands textes messianiques de l’évangile de Marc (Mc 8, 27-38 ; 9, 11-13 ; 14, 61-62) et du livre de Daniel (Dn 7, 25-27). Il recueille que « Messie » et « Fils de l’Homme » sont deux termes équivalents, que Fils de l’Homme équivaut à un statut de divinité (un blasphème au regard du Grand prêtre) et que ce Fils de l’Homme sauverait les Juifs de l’oppression romaine et gouvernerait le monde en souverain. Finalement, les évangiles tirent de la Torah, par la méthode juive du commentaire midrashique (« manière de mettre en rapport des versets de la Bible avec d’autres versets de façon à déterminer leur signification », p. 173), le fait que le Fils de l’Homme doive subir de nombreuses souffrances (cf. p. 181). Ainsi conclue le professeur BOYARIN de son argumentation biblique : « le judaïsme de l’évangile était un mouvement juif messianique et l’évangile est l’histoire de ce Christ juif » (p. 182). Il est tenant de la cohérence biblique de la trajectoire messianique de Jésus. Il offre à son lecteur de découvrir ou de mieux percevoir les racines culturelles juives et l’enracinement biblique de la mission-vocation de Jésus. Tout catéchiste sera enrichi de cette lecture et nourri par les résultats de cette recherche courageuse. « Le christianisme était entièrement un mouvement juif messianique et l’évangile est l’histoire de ce Christ Juif » (p. 182). Il y a là de quoi développer la « connaissance et l’estime mutuelle » (Concile Vatican II, Nostra Aetate 4) entre chrétiens et juifs mais aussi auprès des personnes qui se nourrissent de la catéchèse de l’Eglise. P. Luc Mellet – SNCC Page 2 P. Luc MELLET, Directeur du SNCC