Daniel BOYARIN, Le Christ juif, A la recherche des origines, Cerf, 2013 (190 p., 19 €)
P. Luc Mellet – SNCC
identitaires du parti pharisien. « Si les pharisiens prétendent que la nourriture peut contaminer, il
s’agit d’un changement dans la Loi » (p. 142).
Daniel BOYARIN aborde donc, fondamentalement, le statut christologique de Jésus. Jésus, Fils de
l’Homme, est lui-même la source de la Loi, il en est donc l’exégète autorisé (cf. Jn 1, 18). Il ne cherche
pas à abroger la Loi, mais à la remettre à sa place. La moralité de la vie est supérieure aux lois de
pureté. « Jésus appelle à approfondir notre engagement authentique à pratiquer et intégrer la
signification de la Torah » (p. 147).
Troisième dossier sur la figure du Serviteur souffrant chez le prophète Isaïe et son actualisation-
réalisation plénière en Jésus, Messie crucifié.
Partant de l’image centrale du Christ en Croix, l’auteur veut écouter aussi le chapitre 53 d’Isaïe.
Nombreux sont les commentateurs qui différencient la lecture juive et chrétienne du Messie par le fait
que pour les uns, il serait déjà venu (chrétiens) pour les autres, il resterait à venir (juifs). La messianité
atypique de Jésus est alors comprise, après coup, grâce à la figure du Serviteur souffrant d’Isaïe (Is 53)
archétype du Christ. Il fallait accepter le « scandale » de la croix ! Quel en est le sens lorsqu’on ne veut
pas se résoudre à n’y voir qu’un échec (à vues humaines). « Voici la seule réponse possible : c’était la
volonté de Dieu et celle du Messie lui-même qu’il soit flagellé, humilié et crucifié » (p. 154). Cette
lecture prend appui sur « la théologie de la souffrance vicaire rédemptrice… en Is 53 » (p. 155). Alors,
le messie annoncé par Isaïe « renvoie non au peuple d’Israël persécuté mais au Messie souffrant » (p.
155). Or, « la notion d’un Messie humilié et souffrant n’était pas du tout étrangère au judaïsme avant la
venue de Jésus et elle est demeurée courante chez les Juifs postérieurement » (p. 156).
« Plutôt que de faire du christianisme une invention nouvelle, il est tout aussi respectueux d’y voir l’un
des chemins que le judaïsme a pris – un chemin aussi ancien dans ses sources que celui que les Juifs
rabbiniques ont emprunté. Beaucoup de Juifs attendaient un Messie divino-humain, le Fils de
l’Homme. Beaucoup ont accepté Jésus comme étant cette figure et d’autres, non » (p. 158). Dans une
argumentation serrée (pp. 159-168), Daniel BOYARIN visite quelques grands textes messianiques de
l’évangile de Marc (Mc 8, 27-38 ; 9, 11-13 ; 14, 61-62) et du livre de Daniel (Dn 7, 25-27). Il recueille
que « Messie » et « Fils de l’Homme » sont deux termes équivalents, que Fils de l’Homme équivaut à un
statut de divinité (un blasphème au regard du Grand prêtre) et que ce Fils de l’Homme sauverait les
Juifs de l’oppression romaine et gouvernerait le monde en souverain.
Finalement, les évangiles tirent de la Torah, par la méthode juive du commentaire midrashique
(« manière de mettre en rapport des versets de la Bible avec d’autres versets de façon à déterminer
leur signification », p. 173), le fait que le Fils de l’Homme doive subir de nombreuses souffrances (cf. p.
181).
Ainsi conclue le professeur BOYARIN de son argumentation biblique : « le judaïsme de l’évangile était un
mouvement juif messianique et l’évangile est l’histoire de ce Christ juif » (p. 182). Il est tenant de la cohérence
biblique de la trajectoire messianique de Jésus. Il offre à son lecteur de découvrir ou de mieux percevoir les
racines culturelles juives et l’enracinement biblique de la mission-vocation de Jésus. Tout catéchiste sera
enrichi de cette lecture et nourri par les résultats de cette recherche courageuse. « Le christianisme était
entièrement un mouvement juif messianique et l’évangile est l’histoire de ce Christ Juif » (p. 182). Il y a là de
quoi développer la « connaissance et l’estime mutuelle » (Concile Vatican II, Nostra Aetate 4) entre chrétiens
et juifs mais aussi auprès des personnes qui se nourrissent de la catéchèse de l’Eglise.
P. Luc MELLET, Directeur du SNCC