
dans les études scientifiques, lesquelles devraient se situer
plus sur le versant pragmatique que sur le versant explica-
tif [24]. L’application de recommandations à un patient
donné ne dispense pas d’évaluer les risques et bénéfices
potentiels du traitement sur ce patient [30]. La HAS s’est
penchée sur le problème de l’efficacité des recommanda-
tions [31] et souligne que la plupart des travaux s’y réfé-
rant montrent une disparition rapide de leur impact à
l’arrêt des interventions de diffusion. Il faut en effet que les
médecins concernés par une recommandation connais-
sent son existence, soient en accord avec le message
proposé et acceptent d’ajuster leur comportement en
conséquence [32]. Les formations continues sont un bon
moyen pour faire changer les médecins, mais l’enseigne-
ment de la médecine factuelle aux étudiants reste le plus
sûr moyen d’adapter le comportement des futurs méde-
cins. Si, d’après la HAS [31], certaines recommandations
ne sont suivies d’aucun effet, dans d’autres cas, des chan-
gements notables de plus de 50 % ont été observés.
De l’EBM en matière de prise
en charge de la douleur chronique
À propos des difficultés des études cliniques
a) Curieusement, si les critiques abondent à l’encontre
des publications concernant la prise en charge des dou-
leurs chroniques [11, 17, 33, 34], au point que de nom-
breuses modalités thérapeutiques quotidiennement utili-
sées semblent dénuées de toute efficacité d’après les
revues systématiques – il est important de retenir qu’elles
peuvent être efficaces mais qu’il manque d’informations
pour le prouver –, les auteurs de méta-analyses et de
revues soulignent rarement une authentique difficulté de
la pratique quotidienne, à savoir celle de la précision des
cadres nosographiques et de la sémiologie. S’il est facile,
d’après les critères de l’International Headache Society, de
différencier une migraine sans aura d’une migraine
accompagnée, il est beaucoup plus délicat de définir, en
termes cliniques et surtout physiopathologiques, un low
back pain,unfailed back syndrome ou une authentique
fibromyalgie. Il paraît pourtant évident que c’est le dia-
gnostic précis qui conditionne la ou les modalité(s) théra-
peutique(s).
b) Un certain nombre de connaissances concernant le
fonctionnement des voies nociceptives (sensibilisation,
activation de contrôles inhibiteurs d’origine nociceptive),
le rôle de « manipulations » mentales telles que l’hyp-
nose, ou l’efficacité potentielle de médicaments sont
issues d’études réalisées chez des volontaires. Or nul
volontaire n’est indemne de douleurs antérieures, d’où
une appréhension au cours de l’expérimentation. Si l’anti-
cipation d’une douleur a parfois en clinique les mêmes
effets que la douleur elle-même, elle a un rôle identique
dans l’expérimentation [35].
c) La subjectivité de l’expérience douloureuse est à
l’origine de deux difficultés dans la réalisation d’études
cliniques :
–La première concerne les critères d’évaluation de
l’effet d’un traitement. En matière de douleur aiguë,
comme par exemple la douleur postopératoire, les choses
sont assez simples puisqu’à partir de valeurs chiffrées
obtenues sur une EVA on peut calculer différents indices
(SPID = somme des différences d’intensité douloureuse ;
TOTPAR = somme des mesures de soulagement) qui
s’avèrent fiables. D’autres critères plus pertinents mérite-
raient cependant d’être pris en compte, comme le degré
de soulagement, évalué dans 87 % des études, le LOCF
(last observation before remedication over all remaining
time points) qui n’est relevé dans pratiquement aucune
étude, d’après une revue d’estimation de qualité faite en
2004 [36]. Le problème est plus complexe dans la douleur
chronique, multifactorielle, où de multiples échelles sont
proposées pour évaluer les différentes composantes : quel
est alors « le chiffre » ou la combinaison de variables qui
permet de juger de l’efficacité ? À partir de quel pourcen-
tage de réduction y a-t-il bénéfice ? Quels sont les objec-
tifs que vise la prise en charge des patients souffrant de
douleurs chroniques : le retour au travail pour une lom-
bosciatalgie chronique ? Le délai d’action d’un triptan
dans une crise de migraine, ou la disparition des épisodes
douloureux [37] ? Ces difficultés ont conduit à la préconi-
sation du choix judicieux, adapté au contexte des diffé-
rentes populations de patients douloureux, des critères à
évaluer au cours des essais thérapeutiques [38]. Si l’éva-
luation correcte de la douleur et de ses composantes pose
déjà problème chez le patient communicant, la situation
est encore plus difficile chez les patients à fonctions cogni-
tives perturbées, comme par exemple certains cancéreux
[39], ou les sujets âgés chez lesquels, malgré toutes les
recommandations et propositions d’amélioration, l’éva-
luation reste mal faite [40].
–La seconde concerne la réticence à utiliser un pla-
cebo chez des patients qui souffrent, dans des situations
où il n’y a pas « d’étalon-or » thérapeutique. L’idéal, pour
une modalité thérapeutique à propos de laquelle on sou-
haite avoir des informations pertinentes, est de la compa-
rer à la fois à un placebo et à un traitement de référence
[11]. S’il est une croyance aussi ancienne que la méde-
cine, c’est bien celle de l’efficacité du placebo, efficacité
qui vient polluer les essais cliniques. Une revue systéma-
tique concernant l’efficacité du placebo comparé à
l’absence de traitement – en d’autres termes, l’application
des méthodes de la médecine factuelle – conclut qu’il n’y
a pas de « preuves » de l’efficacité des placebos [41] !
L’effet placebo n’est que la résultante de multiples facteurs
tenant à la fois au patient et au thérapeute. Amanzio et al.
[42] ont montré de façon élégante que la connaissance par
le patient de l’usage éventuel d’un placebo – ce qui est le
cas dans les essais cliniques où le patient est informé du
mt, vol. 13, n° 1, janvier-février 2007 33
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