La gestion systématique s`attaque à l`a

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Enquête
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du 1er au 14 avril 2016 / N°
Primes de risque alternatives
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La gestion systématique
v Depuis
les années 90
aux Etats-Unis
et les années
2000
en Europe,
les ETF se sont
imposés
sur la gestion
passive
v Aujourd’hui,
de nouveaux
produits
marchent
sur les platesbandes de la
gestion active
en exploitant
les primes
de risque
alternatives
par franck joselin
@FranckJoselin
+ E-MAIL [email protected]
D
epuis quelques mois, alors que l’environnement des actions reste très
incertain et que le niveau des taux
n’encourage pas à se positionner massivement sur cette classe d’actifs, des offres ont vu
le jour, mises en avant par plusieurs gestionnaires,
et semblent trouver un écho positif de la part des
investisseurs. Ce sont les solutions élaborées avec
des primes de risque alternatives, appelées aussi risk
premia. Sous ce nom se cachent des techniques de
gestion dont l’objectif est de capter des primes de
risque – sur les actions, mais aussi sur d’autres actifs
comme les taux ou le monétaire – décorrélées de
l’évolution des marchés.
Si ces solutions ont d’abord été plutôt dédiées aux
institutionnels, elles sont aujourd’hui proposées aux
banquiers privés et, bientôt, aux conseillers de gestion
de patrimoine. Iéna Venture, la filiale d’incubation
de La Financière de l’Echiquier – une structure bien
connue de ces derniers –, vient d’ailleurs de prendre
25 % du capital d’Eraam, une société de gestion alternative aujourd’hui spécialisée sur ces stratégies de
primes de risque.
En une vingtaine d’année, la gestion d’actifs s’est
fractionnée entre les pourvoyeurs de bêta (l’exposition
au marché dans son ensemble) à bas coût – via les
ETF, fonds indiciels cotés – et les gérants pourvoyeurs
d’alpha, parfois capables, moyennant des frais de gestion plus élevés, de procurer une surperformance sans
rapport avec l’évolution des indices. Or, c’est à cette
catégorie de gestionnaires que s’attaquent aujourd’hui
les primes de risque alternatives qui s’affichent
comme une manière d’extraire à l’aide d’algorithmes
– et donc potentiellement à moindre coût par rapport
aux gérants d’alpha – une performance qui n’est pas
liée au bêta.
Bases classiques. Si le terme de primes de risque
alternatives apparaît dans la gestion depuis quelques
années seulement, cela fait bien plus longtemps que
les professionnels des marchés les observent, les analysent et essaient de les capter. « Tous les investisseurs,
de manière implicite ou explicite, exploitent les primes
de risque. Elles sont aussi vieilles que l’investissement »,
déclare Cyril Lureau, responsable des stratégies Risk
Premia chez Eraam.
La prime de risque la plus connue – qui n’est, elle,
pas qualifiée d’alternative – est la prime de risque
actions, c’est-à-dire la performance supplémentaire
sur le long terme qu’apporte un investissement en
actions comparé à un investissement, moins risqué,
en emprunts d’Etat de bonne qualité. « Elle a notamment été mise en lumière lors des travaux effectués par
William Sharpe dans les années 60, lorsqu’il a défini
le modèle d’évaluation des actifs financiers (Medaf ou
CAPM, pour capital asset pricing model) à partir
des travaux sur la diversification effectués par Harry
Markowitz quelques années plus tôt », explique Luc
Dumontier, directeur du pôle Factor Investing à La
Française Global Investment Solutions.
Du facteur statistique à la prime. Mais rapidement, dès les années 70, les chercheurs ont voulu
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s’attaque à l’alpha
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Plus tard, toujours dans les années 90, d’autres facteurs de risque ont été mis en avant comme « l’effet
momentum », consistant en une surperformance, sur
une période donnée, des titres ayant le mieux performé lors de la période précédente, ou, au contraire,
une sous-performance des titres ayant le moins bien
performé auparavant (3) (4).
Une fois ces facteurs de risque identifiés par la
recherche académique, les gérants ont alors voulu
capter les primes de risques qui y étaient associées.
« Lorsqu’un risque est identifié statistiquement, c’est un
facteur de risque. Lorsqu’il est rémunéré, cela devient une
prime de risque. Cette dernière peut donc être intégrée dans
un portefeuille », explique Nicolas Gaussel, directeur
des gestions de Lyxor Asset Management.
aller plus loin que ce modèle théorique impliquant
que le rendement d’un actif est fonction du taux sans
risque et de son bêta, c’est-à-dire de sa sensibilité à
l’évolution du marché dans son ensemble. Cela a
été par exemple de cas en 1972 de Robert Haugen et
James Heins (1) qui ont constaté que le rendement
des actions n’était pas forcément proportionnel à leur
risque, posant ainsi les jalons de la prime liée à la
faible volatilité de certains titres (low volatility).
Dans les années 90, Eugene Fama et Kenneth
French montrent à leur tour que certaines observations empiriques prévalent sur la théorie. Ils ont
ainsi démontré que d’autres facteurs de risque que
celui lié au marché dans son ensemble pouvaient
exister (2). Leurs études concluent en effet que les
petites sociétés surperforment les grandes et que, de
la même manière, les actions value, c’est-à-dire présentant le ratio de prix sur le total du bilan (P/B, pour
price to book) le plus bas ont aussi structurellement
tendance à faire mieux que les valeurs de croissance.
Rémunération d’un risque réel. Mais bien
qu’assimilées sous ce terme, toutes les primes de
risque ne sont pas de même nature. Certaines correspondent réellement à un risque supplémentaire
que prend l’investisseur. C’est par exemple le cas pour
celle liée à la taille de la société. Intuitivement, il peut
paraître normal qu’un investisseur qui se positionne
sur une petite capitalisation, dont le développement
reste incertain, soit mieux rémunéré sur le long terme
qu’un investisseur se positionnant sur une grande
valeur – même si tous les professionnels ne sont pas
d’accord sur la pertinence de cette prime de risque
(lire l’encadré). D’une certaine manière, l’investissement value peut aussi correspondre à un risque réel
car une société sous-évaluée peut avoir de bonnes
raisons de l’être et peut donc le rester pendant des
années (ce phénomène est bien connu des gérants
value et est appelé value trap, le piège de la value),
voire faire faillite.
Anomalies. Il existe aussi, sur les marchés, des
primes liées non pas à un risque pris par l’investisseur – même si elles sont aussi assimilées aux primes
de risque alternatives –, mais plutôt à des anomalies
de marché. Elles sont parfois appelées par les professionnels « primes de style », même s’il n’existe pas
de consensus sur ce terme et que tous n’adoptent pas
cette dénomination. La prime liée au momentum fait
par exemple partie de cette catégorie. « La prime de
momentum n’est pas liée au sous-jacent de l’instrument
financier considéré mais dépend simplement au fait qu’il
soit coté », remarque Nicolas Gaussel. Luc Dumontier
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estime, pour sa part, que cette prime peut s’expliquer
« par un biais comportemental des investisseurs qui n’intègrent que graduellement l’information dans les prix ».
Cette prime n’est pas la seule à exploiter les biais
comportementaux. Certains gérants profitent ainsi
du fait que les investisseurs ont tendance, pendant
les phases de stress des marchés, à vendre plus rapidement les valeurs qui affichent une plus-value et à
conserver celles qui affichent toujours des moinsvalues (c’est, en finance comportementale, ce qui est
appelé le biais de disposition). Il est aussi possible de
profiter, au contraire, de la surréaction des marchés
à court terme face à une mauvaise nouvelle affectant
une valeur, ou une sous-évaluation des conséquences
à long terme d’une nouvelle qui paraît n’avoir aucune
conséquence sur le moment.
Profiter des contraintes des autres. Toujours
dans la catégorie des anomalies de marchés, ces dernières années, de nombreux gestionnaires ont voulu
mettre à profit les études académiques concluant à la
rémunération d’un risque lié aux valeurs les moins
risquées (prime low-risk) en construisant des portefeuilles à partir des titres les moins volatils. Alors
qu’en théorie, ces actions, moins risquées, devraient
procurer une performance moindre que les autres,
ce n’est parfois pas ce qui est observé dans la réalité.
Cette prime de risque peut être liée aux flux et aux
contraintes des investisseurs. Elle peut par exemple
s’expliquer, selon des gérants, par des biais observés
chez certains institutionnels.
« Les réglementations des banques et des compagnies
d’assurances limitent fortement la part d’actifs risqués
qu’elles peuvent intégrer dans leurs bilans. Pour palier cela
et garder une exposition aux marchés importante rapportée à la proportion d’actions qu’elles détiennent, elles ont
tendance à investir davantage sur des valeurs à fort bêta,
plus risquées car plus sensibles à l’évolution des marchés.
Ces dernières voient donc leurs prix artificiellement gonflés
– et donc leurs perspectives de rendement abaissées – par
rapport aux valeurs dont la volatilité se révèle structurellement plus faible », explique Cyril Lureau.
Récurrence. Qu’elles soient la conséquence de la
rémunération d’un véritable risque assumé par l’investisseur où d’une anomalie de marché, les primes
de risque alternatives, pour être qualifiées comme
telles, doivent être liées à des phénomènes récurrents
et qui s’expliquent très bien par des raisonnements
simples et rationnels. « Un gérant doit comprendre les
fondements qui sous-tendent l’existence des primes. S’il
anticipe que ces fondements vont perdurer à l’avenir, alors
il peut être assuré que la prime va subsister », déclare
Luc Dumontier. Même si parfois certains gérants
avouent sans mal qu’il est difficile de tout expliquer.
La prime liée aux « valeurs de qualité » (présentant la
Absence de consensus
Si les principales primes de risque
alternatives apparaissent
aujourd’hui bien identifiées,
leur classification reste encore
sujette à discussion, aussi bien
au niveau académique que
chez les gestionnaires. Certains
professionnels séparent les primes
de risque, rémunérant un risque,
des primes de style, constituant
une anomalie de marché (lire par
ailleurs).
Pour sa part, Cyril Lureau estime
que les primes de risque alternatives
peuvent se répartir en trois grandes
familles : celles liées à un risque
économique, celles liées à un risque
de carrière et celles liées à la peur
du levier. Le risque économique
est rémunéré par les primes
de risque en rapport avec la value.
« Les investisseurs n’aiment pas
porter les risques extrêmes,
donc les actions, les obligations
ou les devises très décotées
sont délaissées. Leur prix reflète
davantage de risque que ce
qu’elles comportent. Les acheter
et les couvrir finit donc par rapporter
à long terme. » Le risque de carrière
est, pour sa part, rémunéré par
les primes du type momentum.
« Lorsqu’un un équilibre
économique évolue à horizon
long terme, il faut d’abord
qu’il s’établisse un consensus
avant que tous les investisseurs ne
le prennent en compte, notamment
ceux qui doivent justifier leurs
prises de position auprès de leur
hiérarchie. » Enfin, la rémunération
du risque de levier se retrouve dans
les primes du type faible volatilité.
« Les valeurs à faible bêta sont
parfois peu demandées car elles
impliquent un effet de levier pour
procurer une espérance de gain
similaire à celle offerte par
les titres plus volatils. Or,
de nombreux investisseurs ne sont
pas prêts à assumer ce risque
de levier. C’est une des raisons pour
lesquelles le prix des titres décotés
ne reflète pas leur entière valeur. »
Une autre approche peut consister
à classifier les primes de risque
en fonction de leur comportement
statistique. C’est par exemple
ce que s’est attelé à faire Capital
Fund Management dans
ses publications académiques.
Enfin, de la même manière que
leur classification n’est pas encore
consensuelle, la pertinence
de toutes les primes de risque
n’est pas toujours évidente
pour tous les acteurs de la gestion.
Par exemple, « la prime liée
aux petites capitalisations,
explique Cyril Lureau, ne fait
qu’amplifier les facteurs qui existent
dans les grandes capitalisations.
Les facteurs value, qualité
ou momentum, par exemple,
sont plus importants dans les petites
capitalisations. Mais pris seul,
le facteur petites capitalisations
n’est pas – ou peu – opérant ».
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génération de bénéfices et les conditions comptables
les plus stables), par exemple, « bien que difficilement
explicable, semble apporter de la valeur sur le long terme
en rémunération d’un risque significatif de pertes importantes, souvent au pire moment », note Nicolas Gaussel.
L’effet norvégien. Si la plupart des primes de
risque alternatives solides sont bien identifiées depuis de nombreuses années, pourquoi ces techniques
sont-elles mises en avant seulement aujourd’hui par
les gestionnaires ? Plusieurs raisons expliquent cet
engouement. En premier lieu, certaines études ont
déterminé que dans des gestions actives, une partie
du surplus de performance par rapport aux indices
de référence provenait en réalité de primes de risques
systématiques. Ainsi, en 2009, le gouvernement norvégien a mandaté les économistes Andrew Ang, William Goetzmann et Stephen Schaefer pour analyser
le rôle de la gestion active dans le Norwegian Government Pension Fund, le fonds souverain le plus important au monde, dont les actifs se montent aujourd’hui
à environ 800 milliards d’euros.
Or, dans leur étude, les économistes ont constaté
que dans « la gestion active (active returns), la différence
entre le rendement du fonds et son indice de référence,
explique seulement une petite fraction du rendement
total du fonds. De plus, ce petit composant est lui-même
substantiellement expliqué par l’exposition du fonds à des
facteurs systématiques (…) » (5). En clair, non seulement
la performance du fonds n’était que très peu liée à la
gestion active, mais cette dernière peut être expliquée
par des expositions à des primes de risque alternatives
qu’il est possible d’extraire sans faire appel à des techniques de gestion discrétionnaires.
Certains professionnels spécialistes de la gestion
systématique vont encore plus loin en estimant que
« l’étude sur le fonds de pension norvégien corrobore le fait
qu’en moyenne, les gérants ne battent pas les benchmarks
et que ceux qui les battent sont, en fait, exposés à des
primes de risque alternatives ». Ce qui n’est évidemment
pas l’avis des gérants actifs traditionnels – et de leurs
investisseurs.
Cette étude sur le fonds de pension norvégien a
provoqué un véritable électrochoc chez les institutionnels. Les investisseurs ont réalisé à cette époque que
leurs portefeuilles, bien qu’apparemment diversifiés,
restaient en fait largement exposés aux indices. « C’est
le cas pour les mandats des institutionnels, mais aussi
pour de nombreux fonds flexibles qui peuvent présenter des
corrélations très importantes avec les marchés d’actions »,
note Luc Dumontier.
Combattre l’incertitude. Depuis la publication
de cette étude, plusieurs éléments ont ensuite poussé les investisseurs à reconsidérer la construction
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de leurs portefeuilles. Ils ont en effet réalisé que la
contribution au risque des différentes classes d’actifs
se révélait bien différente des pondérations que cellesci représentent dans un portefeuille. « Dans un portefeuille constitué à 30 % d’actions et à 70 % d’obligations,
la contribution des actions au risque global du portefeuille
dépasse 85 %. Pour obtenir une parité des risques, il faudrait, au regard de ce qu’il s’est passé sur les marchés
ces quinze dernières années, un portefeuille constitué de
15 % d’actions et de 85 % d’emprunts d’Etat », explique
Luc Dumontier. Finalement, « avec les primes de risque
alternatives, les investisseurs cherchent une diversification
durable de leurs portefeuilles et des risques qu’ils supportent », déclare Etienne Rouzeau, directeur Investment Solutions chez Rothschild HDF Investment
Solutions.
Aujourd’hui, non seulement les investisseurs sont
conscients qu’ils doivent mieux diversifier les risques
mais, dans un environnement incertain aussi bien
sur les taux que sur les actions, ils recherchent de
nouvelles manières de pouvoir trouver du rendement
sur les marchés. Deux problèmes auxquels essaient
justement de répondre les gestionnaires de produits
permettant d’extraire les primes de risque alternatives.
Cycles. En se positionnant sur les différentes classe
d’actifs de manière traditionnelle, les investisseurs
sont exposés à leur évolution dans leur ensemble,
mais aussi à d’autres facteurs de risques alternatifs
qui ne sont corrélés ni entre eux, ni au marché. Se
pose alors la question de savoir si ces primes se révèlent stables dans le temps. Or, « de la même manière
que les actions peuvent connaître des périodes prolongées
de forte baisse, les primes de risque alternatives ont des
comportements cycliques, ce qui ne doit pas nécessairement conduire les remettre en cause tant que leurs fondements perdurent », constate Luc Dumontier. Ainsi,
les titres value ont fortement sous-performé les titres
croissance pendant la bulle internet des années 2000
et ils sont aussi à la peine ces dernières années.
Certaines primes de risque peuvent donc se révéler
très irrégulières. « La prime momentum est certainement celle qui a enregistré les pertes (drawdowns) les plus
importantes, estime Luc Dumontier. Lors de la crise de
2008, le portefeuille représentatif de cette prime s’est progressivement positionné à l’achat sur les valeurs défensives
et à la vente sur les valeurs cycliques au fur et à mesure de
la baisse des marchés. Mais lors du rebond des marchés
(à partir de la mi-mars 2009), la rotation sectorielle a été
si rapide que la prime momentum a perdu en quelques
semaines ce qu’elle avait mis des années à gagner. » Il
ne fait donc aucun doute, comme l’explique Nicolas
Gaussel, qu’« il y a des conditions de marché favorables
à certaines primes de risque et, à l’inverse, des périodes où
ces primes sont inopérantes, voire perdantes ».
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Diversification. S’il est possible d’extraire les
différentes primes de risque alternatives, prises
isolément, leur caractère parfois cyclique ne leur
garantit donc pas un rendement positif à court, voire
à moyen terme. Par ailleurs, comme sur les classes
d’actifs traditionnelles, il est très difficile d’essayer
d’anticiper leur évolution à court terme. C’est la
raison pour laquelle de nombreux produits qui
utilisent ces techniques diversifient les risques, les
actifs et les instruments utilisés, et donc les primes
auxquelles ils sont exposés. « Le but d’un fonds risk
premia est de combiner différents portefeuilles ayant
toutes les chances d’être décorrélés dans la mesure où
ils sont rémunérés pour porter des risques différents »,
estime Luc Dumontier. Cette diversification se révèle indispensable car, constate Etienne Rouzeau,
« toutes ces primes de risque ont comme point commun
de présenter un ratio de rendement rapporté au risque
(mesuré par le ratio de Sharpe) relativement faible. Et
seule une bonne diversification permet de l’augmenter
très significativement ».
Choix crucial des stratégies. Si les gérants
qui offrent des solutions élaborées avec des primes
de risque veillent à diversifier leurs portefeuilles,
ils ne doivent pas non plus tomber dans l’écueil
inverse qui consisterait à multiplier sans limite les
stratégies. Nicolas Gaussel rappelle ainsi que « John
Cochrane, de l’université de Chicago, estimait déjà, en
2011, que nous étions face à un zoo de facteurs de risqué
différents. Aujourd’hui, plus de 300 facteurs de risque
ont été recensés dans des articles universitaires, mais
ils sont loin d’être tous exploitables par les gérants ».
Et, à l’instar de toutes les techniques de gestion
lorsqu’elles se développent fortement, « il y a beaucoup d’effet de mode autour des primes de risque alternative, met en garde Etienne Rouzeau. Il faut donc
rester très exigeant quant à leur sélection dans les portefeuilles et veiller à ne pas y intégrer des anomalies de
marché passagères et qui n’ont que très peu de chances
de se reproduire ».
Gestion active. Les primes de risque alternatives
sont liées à la gestion systématique – par opposition
à la gestion discrétionnaire – et « sont le fruit d’un portefeuille qui bouge », relève un gérant. Cependant, si la
gestion est active, son horizon n’est pas forcément le
court terme. « Certaines primes de risque, comme celles
liées au suivi de tendance, se concrétisent après six à neuf
mois. A très court terme, les mouvements sur les marchés s’apparentent à du bruit statistique et ne sont pas
toujours significatifs. Sans compter que si les horizons
d’investissement sont très courts, les coûts de transaction
peuvent obérer tout ou partie de la performance de la
stratégie », déclare Etienne Rouzeau.
Une autre caractéristique des produits risk premia
est d’utiliser des techniques de gestion alternative.
« Pour être décorrélés, les portefeuilles représentatifs des
primes combinent simultanément des positions longues
(à l’achat) et des positions courtes (à la vente). Si ce
n’était pas le cas, la performance extraite ne serait pas
due à une prime alternative ‘pure’, mais elle serait aussi
liée à l’évolution du marché dans son ensemble, comme
dans le cas des produits smart bêta », explique Luc
Dumontier.
Nouvelle vague. Les offres élaborées à partir
des primes de risque alternatives n’en sont encore
qu’à leurs débuts, mais certains professionnels les
surveillent néanmoins de très près. « Nous vivons
aujourd’hui la seconde vague d’industrialisation de la
gestion. L’industrialisation du bêta est née avec la gestion
indicielle et l’industrialisation de l’alpha viendra des risk
premia, observe Cyril Lureau. Les primes de risques
alternatives vont bouleverser l’industrie de la gestion d’actifs. Et cela va prendre moins de dix ans. Les révolutions
industrielles vont de plus en plus vite. »
Aujourd’hui, les conditions sont réunies pour que
les stratégies de risk premia se développent. Elles ont
atteint une maturité du point de vue de la recherche
académique, répondent à un réel besoin des investisseurs aussi bien sur la diversification que la recherche
de rendement et n’ont pas à souffrir d’une image
dégradée comme cela a été – et est parfois toujours –
le cas pour les hedge funds.
Et si de nombreux professionnels s’interrogent
sur la capacité des primes de risque à procurer du
rendement lorsque leur utilisation se sera généralisée, ceux qui proposent ces produits répondent que
les primes de risque alternatives sont déjà exploitées
depuis toujours. Ce qui est nouveau, c’est simplement
la systématisation de leur extraction dans des produits
purs. Les gérants physiques pourvoyeurs d’alpha sont
loin de disparaître – et ce n’est pas souhaitable –, mais
d’ici à quelques années, peut-être moins, ils vont sans
aucun doute être mis sous pression par de nouveaux
produits aux tarifs plus proches de ceux des ETF que
des fonds traditionnels.
(1) Haugen, Heins, On the Evidence Supporting the Existence
of Risk Premiums in the Capital Market, 1972.
(2) Fama, French, The cross-section of expected stocks return,
Journal Of Finance, 1992.
(3) Jegadeesh,Titman, Returns to Buying Winners and Selling
Losers : Implications for Stock Market Efficiency, Journal
Of Finance, 1993.
(4) Carhart, On Persistence in Mutual Fund Performance, Journal
Of Finance, 1997.
(5) Ang, Goetzmann, Schaefer, Evaluation of active management
of the Norwegian Government Pension fund - Global, 2009.
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