Au-delà du buzz, le portrait complexe des convertis à l`islam.

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Au-delà du buzz, le portrait complexe des convertis à l'islam.
Qui sont les convertis à l'islam ? Leur nombre dans les rangs du jihad inquiète, mais gare à
l'effet de loupe médiatique, trompeur. Des spécialistes tentent d'esquisser le portrait de ces
nouveaux musulmans aux visages multiples et aux voies assez impénétrables. Selon les
autorités, les filières jihadistes vers la Syrie recrutant en France comporteraient au moins 20%
de convertis, nés dans des familles de culture non musulmane. Une proportion très supérieure
à la part de musulmans de fraîche date dans l'islam de France: sur quatre à cinq millions de
fidèles - une estimation faute de statistiques religieuses -, les convertis sont évalués à au moins
50.000, probablement plus près de 100.000, par les spécialistes.
Les candidats français au jihad© AFP S.Ramis/P.PIzarro/A.Bommenel
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Au-delà du buzz, le portrait complexe des convertis à l'islam.
Certaines radicalisations rapides ont fait les gros titres, comme celle de Maxime Hauchard,
jeune Normand devenu l'un des bourreaux du groupe Etat islamique (EI), ou dernièrement du
Burundais Bertrand Nzohabonayo, l'agresseur de policiers à Joué-les-Tours. « Il ne faut pas
forcément voir dans le converti un blond aux yeux bleus... On note pas mal de conversions de
personnes d'origine antillaise, haïtienne, d'Africains chrétiens »
, remarque Bernard Godard, bon connaisseur du paysage musulman français.
Le politologue Franck Frégosi relève « un nombre important » de nouveaux musulmans optant
« pour une voie intégraliste de
l'islam, étant entendu que tous les salafistes ne sont pas favorables au combat armé »
. Pour Bernard Godard, ce salafisme souvent quiétiste et non jihadiste, c'est en partie
« l'islam qui séduit les musulmans nés en France: on va tout de suite à la source, on veut être
authentique. Il y a là une oumma (communauté des croyants, NDLR), virtuelle peut-être, où les
convertis ne se distinguent pas des autres musulmans. »
« Mini-typologie »
A partir du terrain à Marseille, le sociologue Loïc Le Pape tente une « mini-typologie » des
conversions, où le basculement jihadiste est très minoritaire. La voie mystique, ancienne, séduit
des profils plutôt intellectuels et continue à alimenter des confréries soufies comme la
marocaine Boutchichiya - à laquelle est affiliée le rappeur Abd al Malik - ou l'algérienne
Alawiyya, mais semble en recul. Les conversions dites matrimoniales perdurent, notamment
parce qu'une musulmane ne peut théoriquement épouser un non musulman. Loïc Le Pape note
également des conversions par affinité: des jeunes ayant vécu dans des quartiers avec des
musulmans, parfois séduits autant par
« une ambiance »
- notamment pendant le ramadan - que par une doctrine, mais aussi des personnes intéressées
par la théologie musulmane ou la veine orientaliste de la culture islamique.
« Toutes les voies se mélangent un peu, les conversions sont autant relationnelles que
rationnelles. La question qui reste est: que vient-on chercher dans l'islam? », estime Franck
Frégosi. Le père Jean Courtaudière y réfléchit en Seine-Saint-Denis, où il a accompagné une
trentaine de familles catholiques dont un enfant s'est converti.
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« Ceux que je connais ne sont pas en rupture ou en errance. Quelques-uns ont des copains
musulmans, la majorité ont cherché leur chemin seuls, par internet, sensibles à l'argument
musulman selon lequel le Coran étant le dernier livre révélé par Dieu, il est forcément celui qui
détient la plus grande part de vérité »
, expose ce délégué diocésain pour les relations avec l'islam.
« Une voie qui compte »
Le prêtre espère approfondir « le dialogue avec les amis musulmans ». Lesquels peinent
parfois à se positionner au sujet des convertis, s'agaçant face à certains
« néosalafistes »
qui
« s'érigent en gardiens du dogme et en viennent à frapper d'anathème ceux qui sont nés dans
la religion »,
selon Franck Frégosi, ou manquant d'informations et de contacts avec eux.
« Très peu de mosquées disposent d'une structure d'accueil des convertis »,
déplore Mohammed Moussaoui, président d'honneur du Conseil français du culte musulman
(CFCM). La conversion n'est régie par aucune prescription, sinon celle de réciter la profession
de foi, la
« shahada »
(« Il n'y a de Dieu qu'Allah et Mohammed est son prophète »),
devant deux témoins.
« Il est important que le croyant soit accompagné par un imam au-delà de la +shahada+ »,
insiste Mohammed Moussaoui,
« des radicaux ont compris que certains convertis sont des proies faciles, dont la connaissance
de l'islam reste superficielle. »
Pour l'ex-président du CFCM, cependant, « bon nombre de personnes sont devenues
musulmanes sans le crier sur les toits et vivent leur religion de façon sereine »
.
« L'islam aurait tout à gagner à ce que les convertis puissent participer à la gestion du culte
musulman, davantage qu'aujourd'hui. »
. Franck Frégosi confirme que
« le converti peut avoir du mal à trouver sa place »
en France, où demeure
« une captation de la représentation de l'islam par des blédards (issus des pays d'émigration,
NDLR) ou des apparatchiks ».
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Et
« dans le contexte d'une islamophobie décomplexée, il peut être perçu comme traître à son
groupe »,
ajoute l'universitaire.
Mais aujourd'hui la figure du converti attire la lumière, bien au-delà de l'actualité du jihad. « C'ét
ait la partie la moins visible de l'islam, on va maintenant avoir des études en France sur le
sujet »,
s'enthousiasme le chercheur.
Photo principale: Selon les autorités, les filières jihadistes vers la Syrie recrutant en France
comporteraient au moins 20% de convertis© AFP/Archives Miguel Medina
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