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L’HOMME À LA RECHERCHE DE NOUVEAUX MONDES
L’Homme
à la recherche
de nouveaux mondes:
une nouvelle
révolution
copernicienne?
Sylvie Vauclair
Astrophysicienne, Université Paul Sabatier
Auteur de « La Terre, l’Espace et au-delà »,
(préface Hubert Reeves), éditions Albin Michel, 2009
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L’année mondiale de l’astronomie commémore les 400 ans de la première
lunette astronomique de Galilée, donc aussi, peut-on dire, de la « révolution
copernicienne ». Même si la lunette existait déjà depuis quelque temps, Galilée
eut l’idée originale de la pointer vers le ciel et d’étudier ainsi les objets célestes. Il
découvrit des montagnes sur la Lune, des taches sur le Soleil, des satellites autour
de Jupiter, il découvrit aussi que la planète Vénus n’apparaissait pas toujours
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ronde mais présentait des « phases », autant d’observations qui allaient dans le
sens logique d’une Terre planète, tournant autour du Soleil comme les autres,
selon le modèle de Copernic.
Il y a quarante ans, l’Homme marchait sur la Lune pour la première fois.
Quelle évolution ! Nous vivons une époque exceptionnelle, où pour la première
fois de toute son histoire l’humanité quitte son berceau, soit en personne, soit en
envoyant des instruments et des robots qui renvoient eux-mêmes vers la Terre les
informations récoltées. Les conséquences sont énormes. Est-ce comparable à la
révolution copernicienne, ou même peut-être encore plus bouleversant ?
La « révolution copernicienne » et au-delà
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La « révolution copernicienne », ce fut la compréhension que la Terre n’est
pas le centre du monde, la Terre est une planète qui se déplace dans l’espace, la
Terre fait partie du ciel, la Terre et le Ciel, c’est pareil. À l’époque, de telles idées
étaient très difficiles à accepter. Et pourtant, elles « étaient dans l’air » depuis
bien longtemps. Déjà au temps de la Grèce antique, environ 300 ans avant JC, un
philosophe, Aristarque de Samos, avait émis l’idée que peut-être la Terre tournait
autour du Soleil plutôt que l’inverse. Mais les esprits n’étaient pas préparés à
accepter une telle déduction.
La raison principale qui a conduit à cette révolution, c’est l’observation du
mouvement des planètes dans le ciel. La planète Mars se déplace tranquillement
au cours de l’année par rapport aux constellations, mais quelquefois elle revient
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un tout petit peu en arrière pour repartir ensuite dans le même sens. C’est une
observation évidemment impossible à expliquer si Mars tourne autour de la Terre
d’un mouvement circulaire uniforme. Trouver des raisons possibles pour ces petits
retours en arrière est bien difficile si la Terre est le centre du monde. En revanche,
si le Soleil est au centre, et si la Terre est elle-même une planète, alors c’est facile
à expliquer : il s’agit uniquement d’un effet géométrique. En raison de leurs
périodes orbitales différentes, on peut avoir l’impression depuis la Terre qu’une
planète retourne en arrière pour repartir ensuite dans la direction originale.
Ce fut une révolution énorme car les sociétés européennes étaient totalement
imprégnées de la philosophie d’Aristote, selon laquelle la Terre, qui se trouvait au
centre du monde, était le siège à la fois du bien et du mal, ainsi que du changement, alors que le monde céleste, au-delà de la lune, était parfait et immuable. Il
est intéressant de constater à quel point les idées d’Aristote ont influencé la religion chrétienne à l’époque du Moyen-Age et au-delà.
Au Moyen-Âge, les planètes (astres errants) étaient au nombre de sept,
incluant la Lune et le Soleil : dans l’ordre la Lune, Mercure, Vénus, le Soleil, Mars,
Jupiter, Saturne, et enfin le firmament, sphère céleste portant les étoiles. Cette
suite des planètes est à l’origine des jours de la semaine : le Soleil étant reconnu
comme particulier, on comptait les planètes en commençant par la première, puis
on sautait à la première après le Soleil. Retour à la deuxième puis la deuxième
après le Soleil, etc. Ce qui donne : Lune, lundi, Mars, mardi, Mercure, mercredi,
Jupiter, jeudi, Venus, vendredi, Saturne, samedi, puis le jour du Soleil et du
Seigneur, Dimanche, Sunday, Sonntag.
Les planètes avaient des muses attitrées : il y avait en tout neuf muses, ce qui
permettait d’en attribuer sept pour les planètes, une pour la Terre (Thalie, muse
de la comédie) et une pour le firmament (Uranie, muse de l’Astronomie). Elles
avaient aussi chacune une note de musique, ce qui représentait les sept notes de la
gamme de Pythagore (la Terre, immobile, ne bénéficiait pas de notes car la
musique était associée au mouvement). La révolution copernicienne a donné un
coup de pied dans ce bel édifice : la Terre a cessé d’être le centre du monde pour
laisser sa place au Soleil.
L’image de l’Univers aujourd’hui
Nous sommes à présent bien au-delà de l’image copernicienne du monde. Il a
fallu attendre le début du XXe siècle pour comprendre que le Soleil est une étoile
semblable aux autres, sans caractéristique particulière autre que d’héberger la
planète Terre dans son sillage, planète qui nous concerne tout particulièrement !
Le Soleil fait partie des 200 milliards d’étoiles qui constituent la Voie Lactée,
notre Galaxie. Il n’en est pas le centre, mais se trouve plutôt vers la périphérie. Il y
a des milliards de milliards de galaxies comme la nôtre dans l’Univers.
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Il s’agit donc d’un grand saut qui va beaucoup plus loin que ce que l’on avait
découvert à l’époque de Copernic. Le Soleil n’est pas le centre du monde. Avec
les autres étoiles qui lui sont proches, il tourne autour du centre galactique, avec
une vitesse d’environ 250 km par seconde. De plus, comme pour toutes les étoiles,
il se superpose un mouvement particulier à ce mouvement d’ensemble. Quand la
Terre fait un tour complet, en une année, autour du Soleil, celui-ci s’est déplacé
dix fois plus vite dans la Galaxie. On est très loin de l’image d’une Terre qui décrit
une ellipse et revient au même endroit au bout d’un an. Dans la Galaxie, la trajectoire de la Terre ressemble plus à un gigantesque tire-bouchon très étiré vers
l’avant. Elle ne repasse jamais au même endroit.
Le système solaire, naissance et disparition
La représentation du système solaire a elle-même beaucoup évolué depuis le
modèle copernicien. Si je pose la question : « qu’est-ce que le système solaire ? »,
on me répondra sans doute « un ensemble de planètes qui tournent autour du
Soleil ». Mais en réalité, le système solaire, c’est beaucoup plus que cela. Il faut
l’imaginer comme un immense disque constitué de milliards de petits objets, qui
s’étend presque jusqu’aux étoiles les plus proches. Il est entouré d’une sorte de
halo sphérique, les « nuages de Oort », réservoir de comètes. Les orbites des planètes se situent à l’intérieur de ce disque.
Il y a environ trois ans, l’Union Astronomique Internationale a déclaré que
Pluton n’était pas une vraie planète, mais seulement une planète naine. Cet événement a beaucoup frappé le public, alors que pour les astronomes professionnels, l’importance n’était pas très grande. Pluton a été retiré de l’ensemble des
planètes car il n’est pas unique : il y a beaucoup d’objets célestes qui, comme lui,
tournent autour du Soleil sur une orbite semblable. Pluton n’en est qu’un parmi
d’autres. Fallait-il tous les considérer comme des planètes, ou bien redonner à
Pluton la place qu’il aurait toujours dû avoir, celle d’un petit objet parmi d’autres ? La communauté a choisi la voie de la raison. Le plus intéressant dans cette
affaire, ce sont les réactions du public. Il est difficile d’accepter de modifier ce que
l’on a appris à l’école. Et pourtant c’est ainsi que la science évolue.
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La formation d’une étoile entourée d’un disque de gaz et de poussières, susceptible d’évoluer en planètes, est un phénomène courant dans l’espace. Tout se
passe dans ces grands nuages de gaz que l’on appelle des nébuleuses, comme par
exemple la nébuleuse d’Orion. Ces grands nuages sont très mouvementés, ils sont
le siège d’ondes de chocs, de turbulences parfois supersoniques, et ils tournent,
comme tout ce qui se trouve dans les galaxies. Lorsqu’un nuage qui tourne se
condense sous l’effet d’une compression locale, il prend naturellement la forme
d’un disque avec un renflement au centre. Par la suite, la partie centrale enfle et
devient sphérique. Elle s’échauffe dans ses régions centrales, et peut éventuellement atteindre des températures de fusion nucléaire. Elle se stabilise alors et
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devient une étoile. Pendant ce temps, dans le disque, les particules s’entrechoquent et s’agglomèrent. Elles forment des petits cailloux et rochers qui à leur tour
peuvent se coller entre eux comme des boules de neige, à l’occasion de chocs.
Ainsi, finalement, peuvent se former des planètes.
Le XXe siècle a permis des observations impossibles auparavant, grâce à la
conquête spatiale. Les scientifiques ont à présent construit des instruments capables d’observer la naissance d’étoiles avec leur disque autour. L’observation doit
se faire en rayonnement infrarouge, car les jeunes étoiles entourées de leur cocon
ne se révèlent pas dans les longueurs d’ondes des rayonnements visibles à l’œil. Il
faut donc envoyer ces instruments dans l’espace, à bord de satellites, car la plupart
des rayons infrarouges sont arrêtés par l’atmosphère.
Un autre apport fondamental, c’est l’informatique. Avant les premiers ordinateurs, il était impossible de résoudre les équations qui régissent la structure
interne des étoiles. Par ailleurs l’informatique permet des expériences numériques. On donne à l’ordinateur les conditions initiales d’un objet, par exemple
une nébuleuse galactique, les lois physiques qui le régissent, les événements qui le
perturbent, et on laisse l’ordinateur travailler comme si l’expérience se produisait
réellement. Ainsi, il est possible de représenter directement les naissances
d’étoiles. On remarque l’importance des effets collectifs : les étoiles ne se forment
pas seules. Elles sont nombreuses à se former en même temps, et subissent des
collisions dont dépend leur avenir. C’est ainsi que s’est formé le système solaire,
voici quatre milliards et demi d’années, avec le Soleil au centre, les planètes en
orbite, et le reste du disque qui ne s’est pas transformé en planètes tout autour
(ceintures de Kuiper) ou au milieu (ceinture d’astéroïdes).
Une autre découverte importante et récente, c’est que les planètes ne se
situent pas toujours à l’endroit où elles ont été formées au départ. Elles effectuent
des migrations vers l’étoile ou au contraire vers l’extérieur. Dans le système
solaire, Jupiter et Saturne ont bougé, la première vers l’intérieur, la seconde vers
l’extérieur. Et puis les « petits corps » du système solaire ont beaucoup voyagé.
Les comètes par exemple, qui se situent loin vers l’extérieur dans les nuages de
Oort, se sont formées beaucoup plus près du Soleil et ont été éjectées dans les
débuts du système solaire. À présent, leur orbite est parfois perturbée et elles
peuvent revenir près du Soleil. Il se produit alors un dégazage des roches qui
conduit aux queues caractéristiques.
Qu’adviendra-t-il par la suite ? Le Soleil n’est pas éternel, pas plus que les
autres étoiles. Il lui reste cinq milliards d’années à vivre. Ensuite, il deviendra une
belle nébuleuse. Son cœur actuel se refroidira petit à petit et donnera une toute
petite étoile appelée « naine blanche » pendant que ses régions périphériques
enfleront et engloberont toutes les orbites actuelles des planètes. Tout ceci se passera lentement, tranquillement. En revanche, les étoiles plus grosses que le Soleil
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explosent à la fin de leur existence, en quelques heures. Ce sont les supernovae.
Elles sont le siège de réactions nucléaires violentes qui transforment la matière.
Ensuite, cette matière est dispersée dans la Galaxie et donne naissance à d’autres
étoiles, entourées de leur disque. Sans ces processus nucléaires, nous ne pourrions
pas exister aujourd’hui sur la Terre : le nuage d’origine, d’où ont émergé le Soleil
et le disque qui a donné naissance aux planètes, dont la Terre, contenait déjà les
éléments dont nous sommes faits.
Exoplanètes : il y a quelqu’un ?
Le Soleil est une étoile comme les autres, et il a des planètes. Il était donc
logique de penser qu’il existait des planètes autour d’autres étoiles. La première
de ces « exoplanètes » a été découverte en 1995, et aujourd’hui on en connaît plus
de 350.
Les planètes tournant autour d’autres étoiles ne peuvent pas être observées
directement, sauf exceptions. Dans la plupart des cas, le rayonnement de l’étoile
est trop fort pour permettre de distinguer une petite planète à côté. On utilise
donc surtout des méthodes indirectes pour les détecter. Il s’agit d’étudier l’influence sur l’étoile de l’existence d’une ou de plusieurs planètes tournant autour
d’elle. On utilise deux méthodes principales. La première consiste à détecter le
petit mouvement de l’étoile dû à la planète. En effet, si une planète tourne autour
d’une étoile, il ne faut pas imaginer l’étoile fixe. En réalité, ce sont la planète et
l’étoile qui tournent toutes les deux autour de leur centre de masse. Même si le
mouvement de l’étoile est faible, on peut l’observer et en déduire la masse de la
planète, sa distance à l’étoile et son orbite.
La deuxième méthode est le transit : si une planète passe devant son étoile,
elle en cache une partie. Ainsi, lorsqu’on observe la lumière de l’étoile, on la voit
diminuer pendant tout le temps de passage de la planète, puis augmenter de nouveau. Pour des raisons pratiques, cette deuxième méthode est plutôt utilisée
depuis l’espace, avec des instruments à bord de satellites, alors que la première est
utilisée depuis des observatoires au sol.
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Ainsi le système solaire n’est pas unique : il existe de nombreux systèmes multiplanétaires dans l’espace. On estime actuellement qu’environ dix pour-cent des
étoiles devraient posséder des planètes. Parmi toutes ces planètes, existe-t-il des
planètes comme la nôtre ? Y a-t-il de la vie ailleurs ? Encore récemment, cette
question relevait plutôt de la science-fiction. À présent, c’est devenu une vraie
démarche scientifique. Comment détecter la présence éventuelle de vie ? Depuis
que l’on peut voir la Terre de l’espace, il est possible de reconnaître dans son
rayonnement les signatures de la vie. Le rayonnement de la Terre n’est rien d’autre que le rayonnement solaire, réfléchi par ses surfaces solides après avoir traversé l’atmosphère. Ainsi, on y découvre des absorptions caractéristiques dues au
gaz carbonique, à la vapeur d’eau et à l’ozone, alors que, dans le rayonnement de
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Mars et Vénus, on remarque le gaz carbonique, mais ni eau ni ozone. On peut
donc espérer détecter éventuellement ces signatures de la vie sur d’autres planètes, qui sait ?
Et l’Homme dans tout ça ?
Revenons à la révolution copernicienne. Elle est à présent complètement
dépassée. Non seulement la Terre tourne autour d’une petite étoile banale. Non
seulement la Galaxie contient deux cents milliards d’étoiles comme la nôtre, non
seulement des milliards de galaxies semblables existent dans l’Univers, mais en
plus il y a des planètes autour d’un grand nombre de ces étoiles. Nous vivons un
nouveau vertige qui exige une nouvelle élaboration de la pensée humaine.
Tout ceci a été rendu possible grâce à une symbiose entre la recherche fondamentale, c’est-à-dire la recherche d’une meilleure compréhension du monde qui
nous entoure et dont nous sommes issus, et la recherche appliquée, technologique,
qui consiste en applications pour construire des objets utiles à l’Homme. Sans
recherche fondamentale, pas de recherche appliquée. Sans les scientifiques qui
ont cherché à mieux comprendre ce qu’est la lumière, nous n’aurions pas de télévision, pas de communication instantanée par téléphone ou ordinateur, pas de
fours à micro-ondes, etc. Il est nécessaire de permettre à des « savant(e)s » qui
cherchent simplement à mieux comprendre le monde, sans idée préconçue, de travailler librement. Mais d’un autre côté, s’il n’y avait pas la recherche appliquée et
technologique, les chercheurs qui étudient les fondements du monde seraient bloqués. Les deux vont en symbiose. Sans technologie on n’avancerait pas dans la
recherche fondamentale.
Au cours du XXe siècle l’Homme a pour la première fois quitté sa planète. Il
est allé jusqu’à la Lune. Il a envoyé des instruments très loin dans l’espace, pour
étudier de près les planètes du système solaire, ou encore pour observer la Terre
ou le ciel depuis une région située au-delà de l’atmosphère. Certains de ces instruments spatiaux nous envoient des images de la Terre vue depuis l’espace lointain.
C’est extraordinaire. Imaginez Copernic ou Galilée qui, grâce à leur esprit logique
et leurs observations, avaient déduit que la Terre était une planète, revenant dans
notre monde actuel et observant cette planète comme un petit point bleu dans
l’immensité des cieux !
Il faut digérer ces informations et mener une nouvelle réflexion humaine,
sachant que nous ne vivons pas sur n’importe quelle planète, mais sur la seule de
toutes les planètes connues à posséder les conditions du vivant. Il a fallu beaucoup de conditions particulières, peut-être de coïncidences, pour que la vie ait pu
s’y développer. À présent, vue depuis l’espace, la finitude de la Terre nous apparaît brutalement. Notre planète est petite, et ses ressources sont limitées. Il est
fondamental de la préserver.
Une autre conséquence de la conquête spatiale, c’est la communication instantanée sur toute la planète. Il est à présent possible de téléphoner à une per-
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sonne aux antipodes sans aucun décalage, comme si elle se trouvait à côté. On
peut même la voir directement avec les webcams. L’humanité est reliée par un
réseau tout autour de la Terre, par-delà les frontières. Elle a un rôle immédiat à
jouer en tant que telle.
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Nous conjuguons à la fois la vision de la Terre depuis l’espace, l’évidence de sa
finitude, la connaissance de l’existence d’autres planètes, peut-être bientôt d’autres vies ailleurs. La communication est devenue instantanée, l’humanité toute
entière fonctionne en réseau. L’image de l’Homme est ainsi totalement différente
de celle qui prévalait au temps de Copernic, totalement différente du siècle dernier, et même d’il y a trente ans. Nous vivons une époque exceptionnelle. Cette
accélération des connaissances demande une nouvelle réflexion de l’humanité sur
elle-même. L’humanité n’est pas encore assez mûre, elle a besoin d’une prise de
conscience globale pour devenir responsable, pour devenir adulte. Peut-on appeler cela une nouvelle révolution copernicienne ?
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Débat
Animateur GREP - Lorsque nous avions préparé la soirée GREP sur le
darwinisme, je m’étais aperçu qu’il y avait eu une concentration remarquable
d’hommes et d’événements entre 1800 et 1865 : Malthus, Lamarck, Darwin,
Mendel… Et je viens de m’apercevoir qu’il en est de même avec Galilée : 10 ans
avant lui, on trouve deux Hollandais, les Jansen, qui ont inventé le microscope, ce
qui a permis à Van Loewenhoeck de s’enfoncer dans l’infiniment petit, avant que
Galilée, en 1609, grâce à sa lunette astronomique, s’enfonce dans l’infiniment
grand. Et au même moment, un nommé Blaise Pascal écrivait un texte sur « Les
deux infinis » : Que l’homme contemple la nature entière dans sa haute et pleine
majesté, qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette
éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’Univers, que la
Terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu’il
s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard
de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent… Tout le monde
visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en
approche… Que l’homme, étant revenu à soi, considère ce qu’il est au prix de ce qui
est ; qu’il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce
petit cachot où il se trouve logé, j’entends l’Univers, il apprenne à estimer la Terre,
les royaumes, les huées, les soi-même son juste prix. Qu’est-ce qu’un homme dans
l’infini ?
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Quel est ce minuscule et blafard point blanc visible sur
cette image prise depuis les parages de Saturne ? C’est la
Terre. Au début du mois de septembre 2006, alors qu’elle se
trouvait en orbite autour de Saturne, la sonde spatiale Cassini
a regardé en arrière, en direction de son ancien foyer.
Masquant l'éclat du Soleil en utilisant Saturne comme parasol,
Cassini a pu photographier un minuscule point lumineux, sur
la droite de l’image ci-dessus. Dans l’agrandissement visible en
insert en haut à gauche, on distingue une légère élongation due
à la présence de la Lune.
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Aujourd’hui cette question prend une ampleur nouvelle, avec les mots que
vous avez prononcés : nous ressentons un nouveau vertige. Face à ces milliards de
galaxies, et ces milliards d’autres planètes, que sommes-nous ? Pourtant, contrairement à vous peut-être, je ne pense pas que d’autres, ailleurs, partagent ce vertige,
je ne pense pas qu’il y ait de la vie ailleurs que sur la Terre, car nous sommes, à
travers l’évolution, le fruit d’une telle succession de hasards, depuis les collisions
cosmiques que vous avez évoquées jusqu’aux aléas de l’évolution darwinienne,
qu’il me paraît invraisemblable que cela ait pu se produire deux fois. Mais quand
bien même cette émergence de la vie et de l’intelligence se soit produite ailleurs,
comment pourrions-nous le savoir ? Aussi, je propose que nous revenions sur
Terre, et, comme l’ont fait les premiers astronautes, que nous imaginions, à travers
les images dont nous disposons de la planète bleue vue de l’espace, toute la finitude de notre Terre : sommes-nous prêts à la comprendre ?
Un participant - À propos de la constitution d’un disque planétaire, vous
avez parlé de l’effet d’une « onde de choc ». Dans le vide sidéral, quelle est la
nature de cette onde ? Est-ce électromagnétique ?
Sylvie Vauclair - Non, c’est une onde hydrodynamique, comme un avion qui
passerait le mur du son.
Un participant - Mais avant que cette onde de choc pénètre dans un nuage
de poussière, elle doit avoir parcouru des distances considérables dans le vide
quasi-absolu : comment peut-elle s’y propager ?
Sylvie Vauclair - Il s’agit d’ondes qui se créent et se propagent dans les nébuleuses. C’est immensément moins dense que l’air que nous respirons, mais cela
suffit pour que des ondes s’y propagent.
Un participant - Dans la fin de vie d’une étoile il y a des scénarios différents :
le soleil devrait finir en naine blanche, alors que d’autre explosent en supernovae ?
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Sylvie Vauclair - Oui, c’est une question de masse de l’étoile : les plus petites
(dont le Soleil) terminent leur existence calmement et deviennent naines
blanches, alors que les plus grosses explosent.
Un participant - Peut-on connaître le nombre de « générations de supernovae » qui se sont succédé depuis le big-bang pour en arriver à la composition
actuelle de l’Univers ?
Sylvie Vauclair - Ce n’est pas simple car la durée de vie des étoiles dépend
de leur masse : elles ne naissent pas toutes en même temps et ne terminent pas
non plus leur existence en même temps.
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Un participant - Y a-t-il dans notre environnement galactique des étoiles
géantes susceptibles d’exploser en supernovae (et de nous faire mal), et y a-t-il
une surveillance qui en est faite ?
Sylvie Vauclair - Il y a beaucoup d’étoiles géantes, mais les explosions ne
sont pas prévisibles à court terme !
Un participant - Les événements galactiques ne nous sont connus qu’avec le
délai imposé par le temps que met la lumière à nous parvenir. Quand ont eu lieu
les formations de planètes dont vous nous avez parlé ?
Sylvie Vauclair - Avec les moyens dont nous disposons actuellement, les exoplanètes que nous pouvons observer se situent en moyenne à 100 années lumière
environ de nous. Mais il y en a certainement de beaucoup plus lointaines. Ceci
étant, on peut déterminer l’âge des étoiles entourées de planètes : c’est de l’ordre
de quelques milliards d’années. Donc le temps de parcours de la lumière entre
elles et nous est négligeable dans cette affaire.
Un participant - Quand vous avez présenté votre simulation numérique,
vous avez dit que, finalement, le langage de l’astrophysique est fait d’équations
différentielles que l’on fait tourner sur des intervalles de temps donnés pour voir
ce qui peut se passer. Ainsi l’homme face à des phénomènes qui le dépassent largement et de plus en plus arrive à trouver un certain nombre de moyens intellectuels, physico-chimiques, biologiques, pour lire l’Univers : alors que l’homme
s’aperçoit qu’il est de plus en plus petit face à un Univers de plus en plus grand,
n’avez-vous pas l’impression qu’en tant que scientifique il devient de plus en
grand à son tour. C’est ce que pense Edgar Morin qui dit que l’homme tend cosmiquement vers zéro, mais tend anthropologiquement vers l’infini.
Sylvie Vauclair - C’est une jolie manière de le dire, mais l’infini me semble
excessif.
Un participant - La chose la plus fascinante est de se dire que le monde
n‘existerait pas sans l’homme, car nous sommes la seule conscience de l’existence
du monde.
Sylvie Vauclair - La seule ? Qu’en savez-vous ?
Un participant - Sur notre planète, pendant des milliards d’années, la vie s’est
limitée à de simples bactéries. S’il en est de même ailleurs, il ne sera peut-être pas
facile de détecter son existence. Alors vous nous avez dit que les astrophysiciens
recherchent pour cela la présence dans l’atmosphère des planètes de trois gaz :
l’eau, le gaz carbonique (ceci lié à la synthèse chlorophyllienne qui est au départ
de la vie), et l’ozone : ceci m’étonne, car je pensais que c’était un gaz plutôt
toxique.
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Sylvie Vauclair - C’est l’ozone qui nous protège des rayonnements cosmiques qui pourraient détruire toute vie débutante sur une planète : il ne pourrait
donc pas y avoir de vie sans une couche d’ozone stable
Un participant - On part donc de l’a priori que la vie ailleurs s’est développée de la même façon que sur Terre sur le plan métabolique. Or on peut très bien
imaginer des métabolismes basés sur le soufre et le SO2, au lieu du carbone et du
CO2. Je comprends donc que l’on cherche d’abord à retrouver ce qu’on connaît,
mais on passe peut-être à côté d’autres formes de vie
Sylvie Vauclair - Vous avez tout à fait raison. Mais comme il est difficile de
chercher ce qu’on ne connaît absolument pas, on commence par chercher ce qui
ressemble à ce que l’on connaît.
Un participant - inaudible
Sylvie Vauclair - Il dit que le débat est de savoir où nous emmène l’évolution
de la complexité, avec des marches de complexité plus grandes que celles d’une
vie humaine.
Un participant - On est là dans le domaine de la croyance !
Sylvie Vauclair - Non. Il faut accepter de dire qu’on ne sait pas lorsque c’est
le cas. Vous savez que je suis agnostique, ce qui signifie que j’accepte de ne pas
savoir. Ce n’est pas de la croyance ! (on est bien là dans un débat du GREP !)
Un participant - L’Univers, d’après vous, a-t-il été créé, ou est-il le fruit du
hasard ?
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Sylvie Vauclair - Je ne peux pas répondre à cette question, et c’est une position très forte philosophiquement, ce n’est pas une fuite en avant ! L’agnostique
est quelqu’un qui est en recherche, qui sait qu’il y a des limites à ce qu’il sait, mais
qui ne veut pas s’inventer à l’avance des croyances concernant ce qu’il ne connaît
pas, il attend d’essayer d’en savoir plus. Je ne sais donc pas s’il y a une intelligence
qui a créé l’Univers, et à la limite ce n’est pas mon problème.
Un participant - Vous comprenez quand même la position de Trinh Xuan
Thuan ?
Sylvie Vauclair - Je le connais très bien, depuis 40 ans, mais lui est un bouddhiste convaincu et fervent. C’est un cas particulier. Les scientifiques sont aussi
des êtres humains, et il faut savoir s’ils parlent au nom de la science, ou en leur
nom propre. Il faut pouvoir distinguer entre discussions scientifiques et convicPARCOURS 2008-2009
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tions religieuses, car dans le monde scientifique on rencontre toutes les opinions
religieuses possibles. Mais les scientifiques, quand ils se parlent en tant que tels, se
comprennent très bien, au-delà des langages, des convictions, des traditions
locales, car le langage scientifique est universel. Mais il est aussi partiel, et ne permet pas d’aborder tous les sujets. Et quand on parle en tant que scientifique il
faut être très attentif à ne pas sortir du domaine de ce qui est reconnu scientifiquement.
Un participant - La première révolution copernicienne a fait que le monde
de la connaissance est devenu distinct du monde de la croyance
Sylvie Vauclair - Peut-être…
Un participant - J’ai entendu dire qu’il y a consensus de la communauté
scientifique sur le fait que l’expansion de l’Univers est en phase d’accélération :
est-ce que cela signifie que la théorie du big crunch est abandonnée, et que
l‘expansion de l’Univers sera infinie ?
Sylvie Vauclair - Oui, et ça fait déjà un certain temps que l’hypothèse de l’expansion infinie de l’Univers a pris le dessus. Pas seulement parce qu’on a découvert cette accélération de l’expansion, mais aussi à cause de la densité moyenne
de l’Univers, qui a été déterminée et montre le même résultat. Il y a donc consensus aujourd’hui pour dire qu’il y a eu un « big bang », que l’Univers est en expansion, et qu’il n’y aura pas de recontraction suivie d’un « big crunch », (l’inverse du
big bang). Comme l’a dit Hubert Reeves ce matin, la vérité dans ce domaine n’est
jamais définitive, mais de nombreuses observations indépendantes concordent
bien avec cette théorie. L’Univers devrait donc continuer à se refroidir et à se
dilater de façon illimitée et jusqu’à l’infini.
Un participant - Et où en sont les réflexions sur le fait que notre Univers est
unique ou s’il y a une multiplicité d’Univers ?
Sylvie Vauclair - C’est encore un autre et vaste sujet, et je vous propose de
vous reporter au dernier petit livre collectif « Hubert Reeves et ses amis : petite histoire de la matière et de l’Univers » (qui n’est pas cher), auquel une dizaine de
scientifiques ont collaboré (dont moi-même), et dans lequel ce sujet est traité…
Ceci est relié à la définition que l‘on donne de l’Univers, qui serait ici une bulle se
développant dans un autre espace, et il pourrait y avoir d’autres « bulles-univers »
comparables. Mais c’est une vaste question, et il faudra que le GREP organise
d’autres soirées pour en parler.
4 avril 2009
PARCOURS 2008-2009
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