Profil immunophénotypique des déficits immunitaires combinÃ

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Immuno-analyse et biologie spécialisée (2011) 26, 161—164
REVUES GÉNÉRALES ET ANALYSES PROSPECTIVES
Profil immunophénotypique des déficits
immunitaires combinés sévères au Maroc
Immunophenotyping of severe combined immunodeficiency in Morocco
O. El-Maataoui a, F. Ailal b,c, H. Naamane d, I. Benhsaien b,c, L. Jeddane b,c,
B. Farouqi a, A. Benslimane c, N. Jilali b,c, M. Oudghiri e, A. Bousfiha b,∗,c
a
Laboratoire d’immunologie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc
Unité d’immunologie clinique, service de pédiatrie, faculté de médecine et de pharmacie,
université Hassan II, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc
c
Faculté de médecine et de pharmacie, université Hassan-II, Casablanca, Maroc
d
Laboratoire d’histocompatibilité, Institut Pasteur, Casablanca, Maroc
e
Laboratoire de PGM, groupe immunologie, faculté des sciences - Aïn Chock, Casablanca, Maroc
b
Reçu le 5 février 2011 ; accepté le 18 avril 2011
Disponible sur Internet le 27 juillet 2011
KEYWORDS
Immunophenotyping;
Severe combined
immunodeficiency
(SCID);
Morocco
∗
Summary
Objective. — Severe combined immunodeficiency (SCID) is a group of disorders that leads to
early childhood death as a result of severe infections. High consanguineous rate in Maghreb,
from 19.9 % in Morocco to 22.6 % in Algeria, allow us to suggest a high prevalence of autosomal
recessive SCIDs.
Methods. — We analysed a series of 30 SCID, recruited on a 12 years period (1997—2008). Analysis
included a blood count, Immunoglobulins A, G and M dosage by Mancini’s radial immunodiffusion
and lymphocyte subpopulations count by flow cytometry.
Results. — On the 30 SCID, 19 were T− B− SCID and 11 T− B+ SCID. NK counts were available for
only 25 patients. Fourteen patients were T− B− NK+ , two were T− B− NK− , six T− B− NK+ and three
T− B+ NK− .
Conclusion. — Our results show a predominance of T− B− NK+ SCID in our series, probably due to
RAG1/2 deficiency. A molecular analysis is yet to be done to confirm this hypothesis.
© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (A. Bousfiha).
0923-2532/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.immbio.2011.05.002
162
MOTS CLÉS
Immunophénotypage ;
Déficit immunitaire
combiné sévère
(DICS) ;
Maroc
O. El-Maataoui et al.
Résumé
Objectifs. — Les déficits immunitaires combines sévères (DICS) sont un groupe de maladies qui
conduisent à une mortalité précoce chez les enfants, suite à des infections sévères. Le fort taux
de consanguinité au Maghreb, de 19,9 % au Maroc à 22,6 % en Algérie, nous permet de suggérer
une forte prévalence des formes autosomiques récessives au Maroc.
Patients et méthodes. — Nous avons analysé une série de 30 cas de DICS, colligés sur une période
de 12 ans (1997—2008). L’analyse incluait une numération de la formule sanguine (NFS), un
dosage des immunoglobulines A, G et M par immunodiffusion radiale de Mancini et une numération des sous-populations lymphocytaires par cytométrie en flux.
Résultats. — Sur les 30 cas, 19 étaient de phénotype T− B− et 11, T− B+ . La numération des cellules NK était disponible pour 25 patients. Quatorze patients étaient T− B− NK+ , deux étaient
T− B− NK− , six, T− B− NK+ et trois, T− B+ NK− .
Conclusion. — Nos résultats montrent une prédominance du phénotype T− B− NK+ dans notre
série, probablement liée au déficit en RAG1/2. Une analyse moléculaire sera nécessaire pour
confirmer cette hypothèse.
© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction
Les déficits immunitaires combinés sévères (DICS) représentent une variété de maladies génétiques, aboutissant
à un blocage de la différenciation des lymphocytes T et,
dans certains cas, des lymphocytes B et/ou des cellules
Natural Killer (NK) [1]. L’incidence des DICS est de 1 sur
100 000 naissances vivantes, mais cette dernière pourrait
être sous-estimée suite au décès précoce d’enfants avant le
diagnostic ou à un phénotype moins sévère non reconnu [2].
Dans des pays avec un taux élevé de consanguinité, comme
le Maroc (19,9 %) [3], l’incidence est présumée plus élevée. Plus de seize gènes différents ont été identifiés comme
responsables d’un DICS, dont quinze ont une transmission
autosomale récessive [4]. Toutefois, en Occident, les DICS
liés à l’X représente la forme la plus fréquente de la maladie. Contrairement aux groupes de DIP récemment décrits
qui semblent détériorer l’immunité aux infections primaires
sans compromettre l’immunité aux infections secondaires
et latentes [5], le pronostic des DICS est généralement
fatal avant l’âge de deux ans, en absence d’une greffe
de cellules souches hématopoïétiques. La numération absolue des lymphocytes et l’analyse par cytométrie en flux
représentent les outils clés du diagnostic pour identifier les
enfants atteints d’un DICS, et peuvent également nous guider dans l’identification du défaut génétique sous-jacent.
Nous rapportons ici les résultats du profil immunologique
des patients marocains atteints de DICS.
Méthodes
Cent quatre vingt seize patients avec un déficit immunitaire profond (DIP) ont été suivis à l’unité d’immunologie
clinique de l’Hôpital des Enfants de Casablanca, sur une
période de 12 ans (1997—2008). Les patients ont subi un
bilan paraclinique qui comprenait une numération de la
formule sanguine, un dosage des Immunoglobulines G, A
et M par immunodiffusion radiale et un phénotypage des
sous-populations lymphocytaires par cytométrie en flux
(FACSCalibur Becton Dickinson® ). Le critère d’inclusion pour
cette étude était une sérologie négative au VIH et une
lymphopénie CD3+ confirmée deux fois, comparée aux
valeurs normales pour l’âge [6]. L’immunophénotypage a
été réalisé sur sang total, avec des anticorps monoclonaux
dirigés contre les lymphocytes B (CD19, CD20), les lymphocytes T totaux (CD3), les lymphocytes T helper (CD4+
CD3 + ), les lymphocytes T cytotoxiques (CD3 + CD8 + ) et les
cellules Natural Killer (NK) (CD3—CD56 + CD16 + ). La classification adoptée est celle du comité d’expert des DIP de
l’International Union of Immunological Societies [4]. Les
analyses statistiques ont été réalisées avec le test exact de
Fisher.
Résultats
Parmi les 196 cas de DIP explorés dans notre étude, nous
avons diagnostiqué 30 DICS (15,3 %), issus de 29 familles non
apparentées. L’âge des patients était compris entre 17 jours
et 28 mois, avec une moyenne de huit mois ; 17 d’entre
eux étaient de sexe masculin (56,7 %). La consanguinité
parentale a été observée dans 75 % des familles (n = 22).
L’immunophénotypage des lymphocytes a montré que onze
patients présentaient un DICS T− B+ (36,7 %), dont huit
(72,7 %) étaient de sexe masculin. Dix-neuf patients avaient
un DICS T− B− (63,3 %), parmi lesquelles dix filles (52,6 %).
Des données sur les cellules NK étaient disponibles pour
25 patients. Parmi les 16 patients avec un DICS T− B− pour
lesquels les données sur les cellules NK étaient disponibles, quatorze patients (87,5 %) étaient T− B− NK+ , soit
sept filles et sept garçons. Deux patients (une fille et un
garçon) avaient un phénotype T− B− NK− (12,5 %) et aucun
des deux n’a montré de neutropénie associée. De plus,
neuf patients T− B+ ont subi l’analyse des cellules NK, et six
d’entre eux (66,7 %) présentaient un DICS T− B+ NK+ (quatre
garçons et deux filles). Trois patients (33,3 %) avaient un profil T− B+ NK− , soit deux garçons et une fille. Le dosage de
l’immunoglobuline G sérique a montré une moyenne d’IgG
sérique plus basse dans le groupe des DICS T− B− (3,7 mg/mL)
que dans le groupe des DICS T− B+ (8,47 mg/mL).
Discussion
Les DICS semblent relativement plus fréquent au Maroc
(15,3 % des DIP) qu’en Europe (5,91 %) [7]. L’âge moyen
au diagnostic était de huit mois dans notre série, ce qui
est légèrement plus élevé que dans d’autres séries : cinq
mois en Iran, quatre mois en France et six mois en Aus-
Déficits immunitaires combinés sévères au Maroc
Tableau 1
163
Phénotypes des déficits immunitaires combinés sévères au Maroc et dans la littérature.
Séries
Maroc
(1997—2008)
Iran [10]
(1981—1999)
France [8]
(1972—2004)
Australie [9]
(1995—2001)
Europe [7]
(2005—2008)
Nombre DIP
Nombre de DICS (%)
Âge moyen
% des garçons
Consanguinité
DICS (+ comptage NK)
DICS T− B+ NK−
DICS T− B+ NK+
DICS T− B− NK−
DICS T− B− NK+
196
30 (13,3 %)
10 mois
56,7
75 %
25
3 (12 %)
6 (24 %)
2 (8 %)
14 (56 %)
non disponible
40
2 mois
60
80 %
27
7 (25,9 %)
8 (29,6 %)
1 (3,7 %)
11 (40,7 %)
non disponible
90
4 mois
61
—
84
38 (45 %)a
7 (8,3 %)
7 (8,3 %)
32 (38 %)
non disponible
24
6 mois
76,9
20,8 %
20
13 (65 %)b
1 (5 %)
4 (20 %)
2 (10 %)c
7430
439 (5,91 %)
—
—
—
237
93 (39,2 %)d
16 (6,8 %)e
45 (19 %)
83 (35 %)f
Différences significatives avec le Maroc : a p = 0,0002 ; b p = 0,0004 ;
immunitaire profond ; DICS: déficits immunitaires combinés sévères.
tralie [8—10]. Ces données suggèrent une méconnaissance
des DIP en général, et des DICS en particulier, dans notre
région. La proportion des mâles avec des DICS est plus faible
dans notre série (56,7 %) que dans d’autres [9]. Cela reflète
probablement une proportion plus importante de formes
autosomiques récessives au Maroc, du fait du taux plus élevé
de consanguinité dans la population générale (Tableau 1).
En concordance avec cette hypothèse, nous avons observé
une forte proportion de cas de DICS T− B− (63,3 %). Le phénotype T− B− NK+ est majoritaire (87,5 %), alors que dans la
série australienne, il ne comptait que pour 33,3 % des DICS
(p = 0,0017). En Iran, le taux était de 91,7 %. Tous ces phénotypes de DICS sont de transmission autosomique récessive
[4].
Les DICS T− B+ NK− comptent pour 65 % et 45 % des cas en
Australie et dans le registre français, respectivement. Au
contraire, seuls 12 % des patients présentaient un tel phénotype dans notre série. Dans des séries plus grandes, telles
le registre européen, la fréquence des DICS T− B+ NK− est de
39,2 %. Cela est certainement dû à la forte incidence du DICS
lié à l’X, qui est prédominant dans les populations occidentales, comme par exemple en France avec 22 cas (24,5 %)
[8] et en Australie avec 13 cas (50 %) [9]. Cette observation
confirme donc notre hypothèse. En effet, le pourcentage des
groupes de DICS à transmission exclusivement autosomique
récessive (T− B+ NK+ , T− B− NK+ et T− B− NK− ) est significativement plus élevé dans notre série qu’en Europe et Australie.
Parmi ces groupes qui ne présentent que des maladies à
mode de transmission autosomal récessif, les formes classiques qui n’ont ni lymphocytes T, ni lymphocytes B, mais
un taux normal de NK, sont les plus fréquentes dans la
série marocaine (56,0 %), alors qu’elles ne représentent
qu’environ 10 % en Australie (p = 0,0017). L’importance de
ce groupe (T− B− NK+ ) est probablement due au grand nombre
de patients avec un déficit en RAG1 et RAG2 (RAGD) dans la
population maghrébine. Une sensibilisation de notre population contre les mariages consanguins est nécessaire. De plus,
le groupe DICS T− B− est majoritaire, en particulier les DICS
T− B− NK+ , probablement suite à un grand nombre de déficits en RAG1 et RAG2. Toutefois, cette hypothèse nécessite
une étude moléculaire pour un diagnostic définitif. Peutêtre pourrons-nous trouver un effet fondateur au Maroc,
c
p = 0,0017 ;
d
p = 0,0078 ;
e
p = 0,0107 ;
f
p = 0,0497 ; DIP : déficit
comme ce fut le cas pour le déficit en complexe majeur
d’histocompatibilité de classe II [11], ce qui faciliterait un
screening en période néonatale et rendrait possible le diagnostic prénatal.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Remerciements
Dr. Brahim Takourt, laboratoire d’immunologie, CHU Ibn
Rochd, Casablanca, Maroc.
Dr. Capucine Picard, centre d’étude des déficits immunitaires, Necker Hospital, AP—HP, Paris, France.
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