Constance RENARD Formation théorique Les mutations de la France au XIXe siècle Introduction La France a hérité des siècles précédents, une population nombreuse, majoritairement catholique et rurale, une tradition de centralisme, des élites riches, cultivés et sociables. Mais la rupture révolutionnaire et la reconstruction napoléonienne (1789-1815) ont entraîné l’émergence de nouveaux principes politiques et de nouvelles références collectives (dont la croyance au progrès), la diffusion de certains comportements privés, un renforcement des pouvoirs de la bourgeoisie. La France au XIXe siècle fut très largement à l’image de ce double héritage : paysanne et bourgeoise, peuplée et malthusienne, bien pensante et libérale. Les phénomènes nouveaux constatables au XIXe siècle, urbanisation et industrialisation, développement des classes moyennes et apparition d’une classe ouvrière, sont très importantes pour comprendre les mutations de ce siècle. C’est l’originalité et l’instabilité de sa vie politique qui singularise le pays des coups d’Etat et des révolutions (1830, 1848, 1851, 1870-1871). Une première étape correspond à la monarchie censitaire (18151848), quand seules les élites votent, légifèrent et gouvernent, mettant en place un parlementarisme. Ensuite vient un temps d’apprentissage difficile (il se fait à travers trois régimes différents et n’empêche pas l’explosion des dernières révolutions sanglantes de notre histoire) mais assorti de mutations décisives de l’opinion publique (la fin de la reconquête catholique, la dissociation de l’idée républicaine d’avec la Terreur). En 1877, avec l’arrivée au pouvoir des « opportunistes », la République s’installe définitivement, accélérant le déclin des forces qui lui avaient été hostiles pendant la plus grande partie du XIXe siècle (église, noblesse, droite monarchiste) et renforçant, en particulier par l’école, le sentiment qu’ont les français d’appartenir à une communauté humaine. I. Evolution de la démographie française 1. Situation démographique au début du XIXe siècle La baisse du taux de natalité est incontestable : alors que ce taux était de l’ordre de 36%o dans la décennie 1780, il n’est plus que de 33%o entre 1816 et 1820, puis de 28%o entre 1836 et 1840. La mortalité reste relativement élevée en raison de la médiocrité du niveau de vie : crise économique de 1846-1850, choléra de 1855, misère de la guerre et du siège de 1870. Le taux de mortalité infantile tend même à remonter au temps du second Empire La tuberculose connait une forte poussée, qui lui vaut l’appellation : « le mal du siècle ». Les effets du vieillissement concernent surtout la seconde moitié du siècle et la croissance de la population reste relativement forte puisqu’on passe de 27 millions d’habitants à 32 millions d’habitants. Elle est particulièrement sensible dans les campagnes : il y a encore en 1846, 76% de ruraux dans la société française. Cette surcharge explique la multiplication des migrations saisonnières, vers la ville, la faible consommation industrielle d’une population paysanne. La croissance urbaine est relativement lente. Les villes du premier XIXe siècle, comme du XVIIIe siècle, sont d’ailleurs marquées par une forte surmortalité. L’hygiène est insuffisante partout, même chez les élites. Le problème essentiel, celui qu’Haussmann chercha à régler à Paris, réside dans l’adduction de l’eau et dans l’évacuation des eaux usées. 2. Crise démographique Elle se fait sentir à partir de 1875. Si le second Empire marque un palier dans la chute du taux de natalité (autour de 26%o), il n’empêche que le contrôle des naissances est favorisé à terme par l’exode rural. Il n’empêche aussi que la population vieillit précocement : dès 1850, la part des plus de 60 ans dépasse les 10%. A la fin des années 1870, la France gagne à peine plus de 2 millions d’habitants. La natalité recule à nouveau, dû à l’individualisme républicain, les progrès de l’esprit de calcul et de prévoyance et la propagande néo-malthusienne délibérée d’inspiration anarchisante. La mortalité, longtemps stationnaire, ne diminue sensiblement qu’à partir de la fin du siècle. Cette amélioration finale est largement due à la révolution pastorienne : les vaccins se multiplient et les médecins savent désormais enrayer les pathologies pulmonaires, digestives ou infantiles. Malgré tout, le vieillissement démographique est évident. Le nombre des inactifs s’accroit pas rapport à celui des actifs, qui reste stable. L’appel à la main d’œuvre est rendue nécessaire, d’où cette vague d’immigration essentiellement européenne au début du XXe siècle. II. Evolution sociale de la population française au cours du XIXe siècle. 1. Les ruraux La France au début du XIXe siècle est très majoritairement paysanne. La Révolution a même accru la population des ruraux dans la population globale. Les campagnes ont un poids politique considérable, mais sont très inégalitaires. Au sommet de la société rurale, on trouve les grands propriétaires encore souvent nobles. Leurs relations avec leurs fermiers, leurs métayers, leurs journaliers, sont empreintes de paternalisme. Les bourgeois ruraux peuvent jouer un rôle d’intermédiaire culturel et politique. Une barrière symbolique très importante sépare cependant ces propriétaires non-exploitants de tous ceux qui travaillent la terre de leurs mains, et des artisans du village. Les plus modestes d’entre les paysans ont très peu de biens propres et travaillent donc pour autrui, comme métayers ou comme ouvriers agricoles, les fermiers bénéficiant pour leur part d’une condition et de revenus bien supérieurs. La paysannerie française réussit assez bien à préserver ses intérêts dans le cadre du nouveau régime à partir de 1870. Elle a su résister à l’attraction urbaine, avec le soutien de l’état. La société rurale reste contrastée. Les petits exploitants fournissent les principales victimes de la conjoncture de la fin du XIXe siècle, tandis que le nombre de salariés agricoles diminuent. La vie de tous s’est modernisée. Le niveau culturel des ruraux s’améliore sensiblement en raison de la politique scolaire des républicains. Alors que la moitié des français ne parlaient pas français vers 1863, le nombre des français non francophones a littéralement fondu entre 1880 et 1914. L’école de la République a joué ici un rôle éminent, en imposant une norme culturelle exigeante et en valorisant l’utilité de l’instruction. Les moyens de communication se sont améliorés en favorisent de leur coté le désenclavement commercial et culturel. 2. La condition ouvrière Il s’agit avant tout du compagnon ou de l’apprenti, c'est-à-dire le salarié qualifié de l’artisanat urbain lié à la bourgeoisie républicaine. C’est lui qui participe aux révoltes politiques et aux mouvements sociaux de la monarchie de Juillet, qui affirme l’existence d’une classe ouvrière solidaire et qui réclame pour elle les promesses non tenues de la Grande révolution. La question de la pathologie sociale est, elle, soulevée à propos des nouvelles formes du travail industriel, c'est-à-dire, des « fabriques » et de leur main d’œuvre hétérogène, peu qualifiée et sans défense (en particulier de femmes et d’enfants). Les ouvriers offrent un groupe social aux limites floues du coté de l’artisanat comme du coté de la paysannerie. D’un coté, il y a l’ouvrier traditionnel, qu’il soit typographe, horloger, mécanicien, ou ébéniste, mobile, fort, conscient de sa qualification, très politisé et adepte du repos hebdomadaire, et de l’autre coté, le journalier, homme de peine sans qualification qui ne vend que sa force musculaire, sans oublier l’ouvrier du coton, travaillant en usine, ni les dentellières ou les brodeuses rurales, travaillant à domicile et que menace la concurrence des productions mécanisées. A la fin du second Empire, l’expression des tensions sociales est favorisées par le droit de grève (1864). Entre 1868 et 1870, les conflits se multiplient, l’organisation ouvrière se renforce, les ouvriers se battent désormais résolument pour un meilleur partage des profits. 3. Les classes moyennes On y trouve tous ceux qui ne sont ni notables, ni paysans, ni ouvriers, ni domestiques : soit les petits commerçants et petits artisans, les petits fonctionnaires, les membres de professions libérales, toutes catégories qui ne veulent pas être du peuple tout en en sortant, et sont soucieux de leur respectabilité. Cet univers, travaillé par le sentiment de sa précarité et la peur de la déchéance, offre le spectacle d’une réelle hétérogénéité statutaire et culturelle, qui explique sa variabilité politique. 4. Notables et bourgeois La France des années 1815-1848 a souvent été appelée la France des notables. C’est en effet le moment de notre histoire où les grands notables, (c'est-à-dire les principaux personnages d’un départements) détiennent tous les pouvoirs : pouvoir politique et administratif, pouvoir économique, pouvoir culturel. Les élites françaises sont toujours fort diverses. On distingue l’aristocratie de la grande bourgeoisie, la grande bourgeoisie des hauts fonctionnaires et des hommes d’affaires de la moyenne bourgeoisie provinciale, et celle-ci de la petite bourgeoisie boutiquière et intellectuelle. Les hauts fonctionnaires sont recrutés dans un milieu très parisien et très étroit, et voient leur condition encore améliorée par la faveur impériale. A partir de 1870, les élites traditionnelles sont dans une situation difficile. La noblesse a perdu, avec la crise agricoles de la fin du siècle, une grande partie de ses revenus et de son pouvoir économique. Elle a perdu, avec le passage à la République, une grande partie de son influence sur l’administration et, partant, de son rôle de patronage social. D’une façon générale, cependant, les élites sont en voie de déruralisation. La part des propriété diminue dans toutes les successions bourgeoises ou nobles au profit des valeurs mobilières. III. L’économie française L’économie et la société françaises connaissent des changements importants entre la crise du milieu du XIXe siècle et la grande dépression qui commence à faire sentir ses effets dans les années 1870 et qui durera jusqu’au tournant du siècle. Le second empire correspond en effet globalement à une époque de croissance et d’optimisme, malgré quelques crises conjoncturelles liées à la surproduction agricole (1857). 1. Facteurs de croissance et les lentes transformations de l’économie La France de 1815 reste essentiellement rurale: plus de 75% de ses habitants vivent à la campagne. Les modes de vie (sédentarité, autoconsommation) et de travail sont encore ceux du XVIIIe siècle. Tout au plus voit-on apparaître de nouvelles cultures comme la betterave (à partir de 1811) tandis que la pomme de terre continue à se diffuser dans tout le pays. Globalement il semble que la croissance de la production agricole suive celle de la population. Les crises de subsistance sont cependant toujours présentes comme en 1816 où de nombreux troubles ont lieu à cause du doublement du prix de l’hectolitre de blé entraînant une forte production de celui du pain. L’industrie connait un développement indiscutable sous l’Empire. L’ouverture du marché européen, la production contre les produits anglais à cause du blocus continental stimulent la métallurgie ou le textile. Mais après les progrès techniques restent limités. Ainsi, la machine à vapeur n’est que très exceptionnellement employée dans le tissage du coton. De même l’industrie métallurgique évolue peu. Les procédés ancestraux (fonte au charbon de bois) représentent la quasi-totalité de la production. La faiblesse du système bancaire est révélatrice de l’archaïsme d’une grande partie des circuits financiers. 2. Stagnation et Renouveau de l’économie française L’état de la IIIe République coûte relativement plus cher que celui du Second Empire. Les dépenses publiques passent de 10% à 15% du PIB entre 1855-1870 et 1895-1910,et les dépenses non liées restent globalement importantes. a) Le rôle de l’état Le rôle économique de l’état est limité, mais est présent dans la mise en place des infrastructures de transport. Il s’agit de remettre en état le réseau des routes royales et d’améliorer le réseau navigable, d’encadrer le politique ferroviaire française. L’état encourage l’épargne et l’agriculture. Il soutient les paysans par sa politique douanière, par sa politique de réseau des transports, par l’institution des comices agricoles en 1832. Un certain ruralisme d’Etat où entrent la peur des troublent urbains, des considérations hygiénistes, l’enracinement foncier des élites, se met en place pour longtemps. b) La révolution ferroviaire Vers 1848, la révolution ferroviaire n’en était qu’à sa phase initiale. En 1845, la France compte moins de voies ferrées que la Belgique et beaucoup moins que la Grande Bretagne. En 1846, les Rothschild lancent la Société des chemins de fer du Nord. Mais la situation se dégrade entre 1846 et 1851 : des actionnaires ne voyant rien venir des bénéfices rêvés, revendent leurs actions et provoquent une baisse des cours. Les compagnie manquent de capitaux et ralentissent leurs travaux. Cette crise qui manifeste par ailleurs les insuffisances du système français de crédit, entre en interaction avec une crise agricole et est à l’origine de la révolution de 1848. Mais les effets positifs de la révolution ferroviaire sur l’ensemble de l’activité économique se font sentir à partir de 1857 date à laquelle est votée une lois qui fixe le réseau ferroviaire français jusqu’à la deuxième guerre mondiale. L’état diminue le nombre de compagnie de chemin de fer. Il lance des emprunts sur le marché français international dont il se porte garant. Les conséquences sont la construction de lignes de chemin de fer qui permettent de passer de 3000 km au début du IIe Empire à 18 000 km à la fin de l’Empire. Ceci a un effet entrainant sur toute l’industrie française (sidérurgie et métallurgie, industrie du bois). c) La révolution bancaire. L’état modernise les structures bancaires. On assiste à une extension de la banque de France crée par Napoléon premier (monnaie papier et métallique). Son capital a doublé pour stimuler la circulation de la monnaie. Elle a triplé pendant le IIe empire. Le crédit mobilier est crée en 1862, la société Générale en 1863. Les banques reposent sur l’actionnariat. Sont crées des banques de dépôts et des banques de prêts. L’utilisation du chèque commence à se généraliser. La circulation monétaire en est grandement facilitée. d) Les débuts de la révolution commerciale Le commerce extérieur ne connait pas de mutation au temps du second Empire : la marine marchande française reste très majoritairement composée de voiliers en 1870 ; les principaux produits d’exportation sont toujours les soieries et les vins. En revanche, elle connait croissance et progrès. Vers 1872, le pays réalise à l’exportation un chiffre d’affaires équivalent à 18% de son revenu national. Le commerce national dépend un peu moins des flottes étrangères, et les infrastructures portuaires s’améliorent. e) Marché intérieur et marché extérieur L’Etat privilégie avant tout la structure de la consommation intérieur. Le marché urbain, soutenu par l’exode rural, n’a pas pris le relais du traditionnel marché rural : l’amélioration du pouvoir d’achat se traduit par une augmentation des dépenses alimentaires. L’industrie lourde et les industries mécaniques se replient sur le marché extérieur. Les industries textiles, traditionnellement exportatrices, connaissent elles-mêmes des difficultés. Dans le mêmes temps, les importations industrielles augmentent rapidement. f) La révolution industrielle Les transformations de l’industrie se font vers 1860, moment où la montée en puissance de la technique française voit le jour. Les français améliorent mêmes certaines innovations britanniques, recherchant déjà l’économie d’énergie : mise eu point de locomotives consommant moins, procédé de la fonte à l’air chaud permettant d’économiser le charbon, récupération des gaz du haut fourneau. C’est le secteur métallurgique qui devient alors le meilleur. La fonte au coke remplace la fonte au charbon de bois. La production d’acier est grandement facilitée par la naturalisation du convertisseur BESSEMER (1856) qui simplifie la production. Le nombre et la puissance des machines à vapeur augmentent par trois dans la décennie 1850. L’usine, qui était encore une rareté au temps de la monarchie censitaire, s’affirme davantage. g) L’apogée de campagne et l’exode rural L’exode rural est dû à plusieurs facteurs. La crise de 1846-1849 est ici essentielle, la décadence de la manufacture dispersée devant la concurrence de la grande industrie, le rôle des migrations saisonnières, le rôle des chemins de fer, le rôle de l’amélioration de la productivité agricole. Les campagnes continuent à regrouper la majorité des français et la plus grande partie de la population active. IV. Conclusion La France a connu un XIXe siècle incontestablement original. Ayant expérimenté cinq régimes et stabilisé l’expérience républicaine, sa relative stabilité sociale fait qu’elle se retrouve en 1914, avec l’une des plus grosses paysanneries d’Europe occidentale. Son économie a progressé dans l’absolu, mais régressé par rapport à celles d’autres puissances (l’Allemagne ou les Etats-Unis). La France est en retard pour tout ce qui touche aux capacités productives, à la recherche industrielle, à l’armement lourd, à la législation sociale, mais elle est avance pour tout ce qui a trait à la citoyenneté, à l’intégration nationale, à l’art de vivre, à l’ouverture au monde. Le territoire, maillé par le chemin de fer, est presque entièrement maîtrisé. Socialement, la France offre des traits d’un grand archaïsme mais elle reste un Etat de premier plan. Chronologie du XIXe siècle Ier Empire Ière Restauration IIème République Bibliographie : • • • • « Historiquement correct », Jean Sévilla, édition de Chiré « Petite histoire de France », Henri Servien, édition Perrin « La France du XIXe siècle », Pierre Albertini, Hachette supérieur « De la monarchie à la République », Vincent Adoumié, Hachette supérieur