2 I
Revue de littérature - Recommandation : l’éthique dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux
récentes du travail social
Dans un rapport publié en 20011, le
Conseil Supérieur du Travail Social (CSTS)
fait état, à parr de l’examen de la presse
sociale depuis 1994, d’un emploi accru
des termes d’éthique, de déontologie,
mais aussi de prise de risque et de res-
ponsabilité. Les résultats de cee analyse
permeent de supposer une montée en
puissance de certaines préoccupaons du
champ professionnel et notamment un
besoin accru de références et de repères
pour l’intervenon sociale.
L’hypothèse de travail du CSTS consiste
à relier cee montée d’une demande de
repères, supposée ou réelle, au contexte
sociopolique de son émergence et, en
parculier, aux évoluons et tendances
qui ont marqué les poliques publiques
et les posionnements professionnels en
France, dans les deux dernières décennies.
Il nous semble pernent, an d’introduire
ce travail de réexion, de mere en valeur
une sélecon, non exhausve, de facteurs
contextuels divers, répertoriés par plu-
sieurs auteurs2 et qui sont suscepbles de
nous éclairer dans la compréhension de
l’émergence d’une demande de repères
et références pour la praque dans le
champ social et médico-social.
Il s’agit, en parculier, d’explorer : la
spécialisaon et la bureaucrasaon de
l’acon sociale, les nouveaux méers et
la praque partenariale, l’émergence du
sujet et la contractualisaon de la prise
en charge des usagers ainsi que la judi-
ciarisaon des rapports sociaux.
La décentralisaon des poliques pu-
bliques, iniée dans les années 1980,
s’accompagne d’un processus progressif
de contractualisaon des rapports sociaux
entre l’Etat et ses unités administraves
locales. Ces deux phénomènes sont à
l’origine d’une modicaon importante
du rapport au méer dans le travail social
puisque une « augmentaon sensible du
temps passé en travail administraf » se
fait « au détriment d’une véritable inter-
venon sociale en faveur des usagers3 ».
Ce phénomène est constaté et ensuite
théorisé par la sociologie, qui commence
à disnguer le social de geson, lié au
déploiement de nouveaux disposifs et
s’accompagnant d’une monétarisaon et
d’une bureaucrasaon de l’acon, et le
social d’intervenon.
Le sociologue des professions et du travail,
Michel Autès, idene trois direcves de
transformaon du travail social4.
En phase avec les constats du CSTS, cet au-
teur disngue, de prime abord, un proces-
sus de segmentaon au sein des champs
professionnels du travail social qui assume
les formes d’une séparaon entre méers
du contact (front oce, d’après la sociolo-
gie du travail anglo-saxon) et méers de
la procédure (back-oce), de l’adminis-
traon du social. Or, si cee disncon a
toujours existé, elle s’arme aujourd’hui
dans une spécialisaon par méers dié-
rents de missions qui, auparavant, étaient
assurées par le même professionnel.
Dans une réalité de l’intervenon sociale
de plus en plus aecté par une logique
technocraque et gesonnaire, la spé-
cialisaon du méer trouve sa légimité
dans l’acquision de compétences tech-
niques qui viennent l’emporter sur la
priorité de la compétence relaonnelle
et du sens même de la mission5.
Cee deuxième direcve de transforma-
on du travail social entraîne directement
une troisième évoluon qui constue son
corollaire. Avec l’extension de la logique
marchande, on assiste à la montée d’un
déséquilibre dans la portée des termes de
la relaon de service, au détriment de la
« relaon » et au prot du « service ». Ce
qui veut dire que ce qui a toujours fait la
spécicité de la relaon de service au sein
du domaine social et médico-social, à
savoir la relaon, se voit aujourd’hui rem-
placé par des services dont l’objet serait
uniquement la réponse aux besoins, la
producon d’un résultat ecace et rapide,
prêt à être « consommé » par le public.
La logique de spécialisaon des méers
ainsi que la territorialisaon des poli-
ques d’intervenon constuent deux
facteurs majeurs de complexicaon du
travail social.
D’une part, « le déploiement de nou-
veaux types d’intervenons sociales (…)
dépose une nouvelle couche sédimen-
taire sur le millefeuille des méers «
sociaux ». Les acteurs professionnels (…)
perdent globalement en visibilité vis-à-
vis de leur propre situaon dans l’espace
social et en tant qu’acteur professionnels
organisés6 » .
D’autre part, la territorialisaon des poli-
ques sociales demande aux profession-
nels d’adopter une approche du travail
de plus en plus collecve ou communau-
taire7, en se faisant vecteurs d’une coo-
péraon territoriale. Dans cee perspec-
ve, la stratégie partenariale devient un
facteur central de l’intervenon social et
les acteurs locaux sont appelés à passer
d’une logique d’acon sociale à une dy-
namique de développement social local,
d’une « logique de guichet à une dyna-
mique de projet territorial8 ».
Partie I
1 CSTS. Ethique des praques sociales et déontologie des travailleurs sociaux. Rennes : Edion ENSP, 2001.
2 Pour approfondir cet aspect, voir les ouvrages de CSTS (2001), Rosenzcveig, Verdier (1998), Bouquet (2004).
3 CSTS. Ethique des praques sociales et déontologie des travailleurs sociaux. Rennes : Edion ENSP, 2001, p. 34.
4 Autès M., Les praques de médiaon au regard des évoluons contemporaines de l’acon sociale et du travail social, in « La médiaon sociale et culturelle : enjeux professionnels
et poliques », Actes du colloque européen, Saint-Denis : Profession Banlieue, 2001.
5 Pour cet aspect, voir aussi Sias M. Eca di una professione, Rivista di servizio sociale, 1998, n. 4, p. 51-61.
6 CSTS. Ethique des praques sociales et déontologie des travailleurs sociaux. Rennes : Edion ENSP, 2001, p. 37.
7 Ibidem, p. 34.
8 Cauquil G., Conduire et évaluer les poliques sociales territorialisées, Paris : Dunod, 2004.