Économie rurale
Agricultures, alimentations, territoires
299 | 2007
Enjeux internationaux et institutionnels des signes de
qualité et d'origine
Dominique Vermersch, L’éthique en friche
Éditions Quæ, Coll. Update Sciences et Techniques, Paris - 2007 – 118 p.
Raphl Larrère
Édition électronique
URL : http://
economierurale.revues.org/247
ISSN : 2105-2581
Éditeur
Société Française d'Économie Rurale
(SFER)
Édition imprimée
Date de publication : 6 juillet 2007
Pagination : 84-85
ISSN : 0013-0559
Référence électronique
Raphaël Larrère, « Dominique Vermersch, L’éthique en friche », Économie rurale [En ligne], 299 | Mai-juin
2007, mis en ligne le 13 novembre 2009, consulté le 05 octobre 2016. URL : http://
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NOTE DE LECTURE
loppement des pays industrialisés aussi
peu équitable pour les hommes que désas-
treux pour l’environnement. Le sixième
chapitre (intitulé « Clonera ? clonera
pas ? ») insiste sur « l’indétermination
éthique » à laquelle se trouvent confron-
tés tous ceux qui s’appliquent à évaluer
des situations aussi complexes que celles
que nous offrent les innovations issues
des recherches techno-scientifiques. C’est
dans son dernier chapitre que DV, pour-
suivant la solution qu’il a préconisée pour
sortir de l’indétermination éthique au
sujet du clonage (il s’agit de « rouvrir la
boite de Pandore relative à l’idée de fina-
lités présentes dans la nature) en appelle
à considérer la nature comme « une ins-
tance morale », une « nature inspiratrice
de sagesse humaine ».
Lorsque Dominique Vermersch dans les
premiers chapitres de son ouvrage s’inscrit
en faux contre l’universalisme de l’éco-
nomie, il critique la naturalisation du
social (et de la morale sociale) sous la
forme d’une soumission aux « lois » du
marché. Un marché qui a acquis, dans la
conception du monde qui s’est imposée
aux pays occidentaux, une transcendance
jadis réservée à Dieu. Étrangement, dans
le dernier chapitre (intitulé « La terre vue
du ciel »), il déplore que la modernité,
une fois qu’elle a clairement distingué
entre l’être et le devoir être, n’a plus cher-
ché d’inspiration morale dans la nature. Il
nous invite à retrouver cette « sagesse du
monde » des penseurs grecs et romains et,
de fait, en appelle (tout en s’en défen-
dant) à une naturalisation de la morale.
Il y aurait donc une mauvaise naturalisa-
tion de l’éthique sociale – celle qui accorde
une transcendance au marché –, et une
bonne – celle qui reconnaît la transcen-
dance de la nature. C’est que le marché
n’est qu’un mécanisme résultant des inter-
actions entre humains, alors que la nature
cette « demeure éthique », est harmonie
et que derrière les finalités que l’on y
peut découvrir et la « sagesse » dont on
doit s’inspirer, il y a celle du Créateur.
Dominique Vermersch
L’éthique en friche
Éditions Quæ - Collection Update Sciences et Techniques
Paris, 2007, 118 p., 26
L
e titre même de cet ouvrage avertit le
lecteur : il ne s’agit pas d’un livre uni-
versitaire, plus ou moins ennuyeux pour le
profane, mais d’un manifeste vigoureux.
Un manifeste qui « convie à une pause »
réflexive. S’il s’était d’ailleurs agi d’une
œuvre académique, il eut été pour le
moins osé (et, au pire, franco-français) de
choisir un tel titre, tant la philosophie
morale et l’éthique appliquée ont connu
tout au long du XXesiècle, aux USA,
comme dans bien des pays européens
(Allemagne, Royaume-Uni, Danemark,
etc.), d’importants développements. Mais
il est vrai que, jusqu’à ces dernières
années, l’Université française avait laissé
l’éthique en jachère (en dépit de Ricoeur).
C’est la raison pour laquelle il m’a semblé
plus conforme au statut de cet ouvrage de
fournir une impression globale que d’en-
trer dans des détails techniques destinés,
ici à approuver, là à développer, ailleurs à
contester, les arguments de l’auteur.
Ce livre de 113 pages est composé de sept
chapitres. Après avoir justifié son titre
(chapitre I) et remarqué fort justement
que la prolifération des références à
l’éthique ne signifie pas que celle-ci soit
prise au sérieux, Dominique Vermersch
(DV) consacre quatre chapitres à l’éthique
économique et sociale. Cela commence
par une reprise nuancée de la critique
illitchienne de la contre-productivité de la
société industrielle (chapitre II), se poursuit
par une critique des prétentions de l’éco-
nomie à dire la vérité de la totalité sociale
(chapitre III), puis par une analyse des
relations de compétition mimétique entre
l’éthique et la politique (chapitre IV). L’en-
semble culmine dans un remarquable cin-
quième chapitre, consacré à la politique
agricole qui a imposé le modèle de déve-
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NOTE DE LECTURE
En caricaturant à peine, le livre de DV est
un manifeste contre le veau d’or de notre
temps, le faux dieu auquel les libéralistes
ne cessent de sacrifier aussi bien la nature
que la dignité humaine. Et c’est un plai-
doyer en faveur du vrai Dieu, celui de la
Création qui, dans son infinie bonté, a
donné en partage à l’humanité une
nature harmonieuse (« nature en usu-
fruit, nature de don »).
Qui n’est pas religieux pourrait s’en tenir
là, mais ce serait à tort. D’abord, Domi-
nique Vermersch a parfaitement le droit
de contester une modernité qui a posé
que la nature est moralement neutre et
de chercher son inspiration dans la façon
dont les anciens (à l’exception d’Epicure et
de Lucrèce, dont la philosophie est anti-
religieuse) se réglaient sur la « sagesse
du monde ». Ensuite parce que l’éthique,
en tant que réflexion rationnelle sur l’ac-
tion, est matière à argumentation. Bien
qu’il insiste plutôt sur les intuitions
morales et sur la conscience éthique, DV
argumente et invite ainsi ses lecteurs à
lui opposer d’autres arguments. Enfin, sa
démarche le conduit à analyser finement
les rapports entre éthique, politique et
économie et à développer une critique
solide, originale et par bien des aspects
réjouissante du libéralisme économique.
Quant à l’interprétation tout à fait
convaincante des transformations de la
production agricole et à la critique de la
politique agricole des grands pays expor-
tateurs (le chapitre V), elles méritent à
elles seules l’achat du livre.
Le principal reproche que j’adresserais à ce
bref et percutant ouvrage est le mépris
dans lequel l’auteur tient les éthiques ani-
males, comme si s’interroger sur ce qu’il y
a à respecter chez l’animal (la sensibilité,
les états mentaux...) portait atteinte à la
dignité de l’homme, comme si l’homme
n’avait pas un corps animal.
Pour Dominique Vermersch, poser la proxi-
mité de l’homme et de certains animaux,
refuser que le propre de l’homme (et sa
supériorité cognitive) lui donne droit de ne
considérer les animaux que comme des
valeurs instrumentales et d’en disposer à sa
guise, conduit nécessairement à « la bana-
lisation, voire la réification de l’humain ».
Si l’on prend la question du clonage (cha-
pitre VI), on peut opposer à DV que le
respect de l’animal, en tant qu’être sen-
sible, fournit des arguments contre une
telle opération qui se traduit par une
masse (98%) d’avortements, d’animaux
morts-né et de jeunes non viables. Ces
arguments sont a fortiori valables pour
les hommes. Le souci de l’animal ne
menace en rien l’humain ; c’est la réifica-
tion des animaux qui, à l’inverse, peut pré-
parer les esprits à la réification de
l’homme. Il est vrai que les éthiques ani-
males, considèrent que l’homme est
parent du singe et n’a pas été créé à
l’image de Dieu. DV aurait pu néanmoins
s’y intéresser, en suivant une tradition
chrétienne qui, ébauchée chez Saint Tho-
mas d’Aquin, aboutit à Saint François d’As-
sises et à nos frères les oiseaux.
La principale vertu de l’ouvrage de Domi-
nique Vermersch est de montrer comment
une éthique économique et sociale (ter-
rain sur lequel il se place le plus volontiers
et avec le plus de bonheur) peut balayer
les discours moralisateurs des idolâtres du
marché. Ses lecteurs, et en particulier ceux
d’Économie Rurale y trouveront de quoi
stimuler leur réflexion. Peu importe que le
vent frais vienne d’une pensée religieuse,
c’est toujours un vent frais. Et c’est pour-
quoi bien que ne partageant pas les moti-
vations de Dominique Vermersch et sou-
vent en désaccord avec lui, j’ai toujours lu
ses textes avec plaisir et profit... et celui-
ci en particulier.
Raphaël LARRÈRE
INRA
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