V i n i f i c a t i o n Incidence de différentes techniques d’utilisation des levains malolactiques sur la qualité des vins rouges par Vincent Renouf(1), Marie-Laure Murat(2), Stéphane La Guerche(2), Virginie Moine(1) (1) Laffort - BP 17, 33072 Bordeaux (2) Laboratoire Sarco, filiale du groupe de recherche Laffortt - BP 40, 33072 Bordeaux La prévention de ces déviations débute lors des fermentations. Pour les gérer efficacement, les vinificateurs disposent désormais de levures et de bactéries sélectionnées particulièrement performantes. Ces levains permettent d'achever les fermentations dans de bonnes conditions, ce qui n'est pas toujours le cas avec la microflore indigène. De plus, l’inoculation massive d’une souche sélectionnée permet de contrôler la diversité microbienne et de limiter le développement de germes d’altération. Des travaux ont montré que plus la FML est rapide à se déclencher, plus le risque Brettanomyces était minimisé (Renouf et al., 2005). Par conséquent, le développement de levains malolactiques performants présente un avantage considérable. Pour que le bénéfice soit optimal, le stade de l’inoculation bactérienne doit être raisonné. Différentes options sont possibles. La plus communément utilisée est l'inoculation séquentielle qui consiste à ajouter le levain malolactique à l’écoulage, après une période de macération post-fermentaire. Cette pratique reproduit l’évolution naturelle de la flore indigène et intègre une période de macération entre les deux fermentations, étape essentielle pour l'extraction des composés phénoliques du marc (Vivas, 2007). En revanche, il est évident que la période de latence entre les deux fermentations laisse un vide microbiologique toujours propice au développement des B. bruxellensis particulièrement active dès la fin de la FA (Renouf et al., 2006). Sur ce constat, une deuxième alternative a été envisagée : l'ajout du levain malolactique vers la fin de la FA, à une densité de 1010. Cette technique est qualifiée de co-inoculation tardive. En maintenant une population sélectionnée dominatrice et active durant toute la vinification, la co-inoculation permet une monopolisation du milieu vis-à-vis des germes d’altération pour un déclenchement de la FML en fin de macération. Il est important de rappeler ici que l’activité levurienne durant la FA conduit à la production d’éthanol mais également à l’accumulation d’autres composés inhibiteurs des bactéries. De nombreux travaux ont été réalisés afin de mieux appréhender les interactions entre levures et bactéries. Si certains composés doivent encore faire l’objet d’études (des composés de nature azotée ont été récemment suspectés par les travaux de Nehme et al., 2009), le rôle inhibiteur des acides gras à courte et moyenne chaînes est connu depuis de nombreuses années (Lonvaud-Funel et al., 1988). Le taux de survie des bactéries sélectionnées diminue donc au fur et à mesure de l’avancée de la FA. Afin d’y remédier, il est possible d’ajouter le levain malolactique aussitôt après le départ en FA : c’est la co-inoculation précoce. Lors de l’encuvage, la LSA (Levure Sèche Active) est ensemencée, puis le lendemain ou le surlendemain (en fait, 24 heures après le départ en FA), les bactéries sont inoculées. Le but de cet article est de présenter ces différentes techniques d’utilisation des levains malolactiques au travers de divers essais en vinification en rouge. Les aspects cinétiques, microbiologiques et œnologiques sont détaillés afin d’illustrer les avantages de ces techniques innovantes de gestion efficace de la FML. C A H I E R T E C H N I Q U E Résumé : La fermentation malolactique est une étape clé de la vinification. Pour mieux la maîtriser, l'utilisation de levains malolactiques est de plus en plus fréquente. Dans ce travail, trois stades différents d’ensemencement bactérien ont été testés : aussitôt après levurage (co-inoculation précoce), vers la fin de la fermentation alcoolique (à 1010 de densité, co-inoculation tardive), et après l’écoulage (inoculation séquentielle). Les cinétiques fermentaires ont été étudiées et un suivi microbiologique a été réalisé afin d’évaluer l'influence de ces techniques sur les populations de levures Brettanomyces bruxellensis. Enfin, pour mesurer l’impact de chaque pratique sur les qualités du vin, certains marqueurs qualitatifs ont été quantifiés et des analyses sensorielles ont été réalisées. L’ensemble de ces expérimentations démontre clairement l'intérêt d’une inoculation précoce en bactéries sélectionnées, du point de vue des cinétiques fermentaires et de la prévention du risque Brettanomyces. Les analyses chimiques et sensorielles réalisées sur vins finis prouvent que ces pratiques respectent les exigences œnologiques des praticiens. Aucun impact négatif sur l’extraction des composés phénoliques ainsi que sur la qualité aromatique des vins n’a été observé. Mots clés : fermentation malolactic, co-inoculation, qualité du vin, Brettanomyces. Abstract: Malolactic fermentation is a key stage of the winemaking. In order to a best management, the use of malolactic is more and more used. In this work, the bacteria inoculation has been tested at three different stages: just after the yeasting (early co-inoculation), towards the end of the alcoholic fermentation (late co-inoculation) and after the devatting (sequential inoculation). Fermentative kinetics have been studied and microbiological monitoring was made to evaluate the influence of these techniques into the populations of the Brettanomyces bruxellensis yeast. Then, to compare the impacts of the different techniques on the wine quality, some qualitative markers have been scored and sensorial analyses were realized. These experiments demonstrate the interest of early inoculation of selected bacteria in point of view of fermentative kinetics and also to prevent the development of Brettanomyces. The chemical and sensorial analyses have demonstrated these practices are also respectful of sensorial properties. Keywords: malolactic fermentation, co-inoculation, wine quality, Brettanomyces. Introduction La vinification repose sur l’intervention de nombreux microorganismes, principalement les levures durant la fermentation alcoolique (FA) et les bactéries durant la fermentation malolactique (FML). En plus de la production d'alcool et de la baisse d’acidité, de nombreux métabolites microbiens sont, en partie, responsables des qualités du vin. Dans certains cas, des micro-organismes indésirables peuvent se développer et altérer le vin. Cela est particulièrement le cas des Brettanomyces bruxellensis (Renouf et al., 2007), qui produisent des phénols volatils (Suarez et al., 2007). Certaines bactéries lactiques indigènes peuvent aussi être préjudiciables, notamment par la production d'amines biogènes (Lucas et al., 2008). R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E 1. Matériel et Méthodes 1.1. Matériels : Échantillons de vins et souches de levures et de bactéries utilisées Les essais ont été réalisés en 2007 et 2008 dans différentes appellations de la région bordelaise et de la vallée du Rhône. Trois souches de levures ont été utilisées : l’Actiflore F33, la Zymaflore RX60 et la 2 A O Û T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 N ° 2 3 7 Vinification Zymaflore F15 (Laffort) (20 g / hL). Les LSA ont été réhydratées en présence d’un préparateur spécifique, le Superstart (Laffort) (30 g / hL). Les bactéries lactiques utilisées sont la Lactoenos SB3 et la Lactoenos 450 PreAc (Laffort) (1 g / hL). La SB3 est une souche à inoculation directe. Elle nécessite une simple réhydratation dans de l’eau minérale (20° C) pendant quelques minutes avant l'inoculation au vin. La 450 PreAc est une bactérie à phase d'acclimatation préparée dans un mélange d’eau et de vin en présence d'un préparateur (Energizer, Laffort), 12 heures avant l’inoculation. l’écoulage, lors d’un remontage en circuit fermé. Pour les inoculations séquentielles et les FML indigènes, les vins sont maintenus entre 18° C et 20° C. Une fois la FML terminée, les vins sont sulfités (entre 2 et 3 g/hL) et conservés séparés pour le suivi analytique dans des conditions identiques (contenant, température…). Les dénombrements de populations sont réalisés sur milieux de culture sélectifs (Renouf, 2006). Des identifications par PCR quantitative (Coulon et al., 2009) sont réalisées pour l’espèce B. bruxellensis. La présence des souches sélectionnées de levures et de bactéries est contrôlée par des méthodes moléculaires : PCR delta pour les levures et électrophorèse en champ-pulsé pour les bactéries. Les analyses chimiques courantes : acidité totale, acidité volatile, TAV, SO2 libre et total, sucres réducteurs, intensité colorante et IPT (Intensité des Polyphénols Totaux) sont réalisées selon les recommandations de l’OIV (2008). L’acide-L-malique est mesuré par méthode enzymatique. Les phénols volatils : 4-vinylphénol, 4-vinylgaïacol, 4-éthylphénol et 4-éthylgaïacol sont analysés par SBSE/GC/MS. Les acides gras à courte et moyenne chaînes sont analysés par GC/FID, les composés du bois par SBSE/GC/MS et les composés phénoliques en déterminant le Degré de Polymérisation moyen (DPm) et le pourcentage de galloylation par HPLC. Les tanins totaux sont mesurés par la méthode de Bate-Smith (1973) et les anthocyanes libres par celle de Ribereau-Gayon et Stonestreet (1965). Les vins obtenus ont fait l’objet de tests triangulaires et descriptifs réalisés par des sujets entraînés (œnologues, techniciens, etc.) pour comparer les différentes modalités. 1.2. Méthodes : Protocoles de vinification Dans tous les cas, les essais comparatifs des différents itinéraires œnologiques : co-inoculation précoce, co-inoculation tardive, inoculation séquentielle et FML indigène sont réalisés sur des lots homogènes de vendanges répartis en contenants de volume identique dès l’arrivée au chai des raisins. Dans tous les essais, les LSA sont ensemencées à l’encuvage. Aucune macération initiale à froid n’est réalisée. Suivant la teneur du moût, un apport d’azote assimilable est mis en œuvre en deux fois : un premier ajout de Thiazote® (Laffort) a lieu à l’encuvage, le second est réalisé sous forme de DAP après une perte de 30 points de densité. Au total, l’objectif est d’avoir une teneur en azote assimilable d’au moins 200 mg/L. Suivant les essais, les fermentations sont réalisées à des températures comprises entre 26°C et 30°C, jamais au-delà. En co-inoculation précoce, les bactéries sont ajoutées 24 heures après le départ en fermentation. En co-inoculation tardive, l’inoculation a lieu à 1010 de densité. Dans les deux cas, les bactéries sont introduites sous le marc sans remontage ni brassage, l’homogénéisation des bactéries dans la masse du vin s’effectuant naturellement par l’activité fermentaire. L’apport d’O2 est stoppé transitoirement durant les 12 heures qui suivent l’ensemencement bactérien. Ensuite, le travail du vin est repris selon les habitudes de la cave. Enfin, les bactéries en co-inoculation profitent de la température clémente de la FA. Après la fin de la FA, le vin n’est pas chauffé, l’inertie des températures suffisant à maintenir une température clémente aux bactéries. Lors des inoculations séquentielles, les bactéries sont ajoutées après 2. Résultats Le Tableau 1 présente les paramètres physicochimiques des moûts étudiés. Les modalités qui semblent les plus hostiles à la FML sont les moûts B et F (les plus riches en sucres) et les moûts D et E (les plus acides). C A H I E R Tableau 1 : Paramètres des moûts étudiés T E C H N I Q U E 1.3. Méthodes : Analyses microbiologiques, chimiques et sensorielles R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E 3 A O Û T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 N ° 2 3 7 Figure 1 : Nombre moyen de jours nécessaires pour atteindre la fin de la FML La Figure 1 illustre les différences de délai de FML obtenues avec les différentes techniques d’inoculation. Bien évidemment, le gain de temps est optimal en co-inoculation précoce. En effet, avec cette technique, la FML débute avant que la FA ne soit totalement achevée (Figure 2). En co-inoculation tardive, les cinétiques diffèrent. Dans tous les essais de co-inoculation tardive réalisés, la FML ne se déclenche qu’une fois la FA achevée, généralement à la fin de la macération. Cette différence s’explique par le comportement des bactéries après l’inoculation. En co-inoculation précoce, dès leur inoculation, les bactéries semblent prêtes à se développer, tandis qu’en co-inoculation tardive, elles marquent une phase d’adaptation durant laquelle la population de bactéries reste toutefois élevée (environ 106 cell/mL) mais sans qu’il y ait immédiatement ni développement ni dégradation de C A H I E R T E C H N I Q U E Vinification Figure 2 : Courbe de FA ( R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E l’acide-L-malique. Cette latence laisse aux levures le temps d’achever la FA, et la FML ne se déclenche qu’après. L’explication de ce phénomène est peut-être la présence des acides gras à courte et moyenne chaînes et notamment l’acide octanoïque. En effet, ce dernier est un inhibiteur reconnu des bactéries lactiques (Lonvaud-Funel et al., 1988). Il est présent en faible quantité dans le moût en début de fermentation, puis est produit par la levure principalement en fin de fermentation. Donc, en co-inoculation tardive, les bactéries sont introduites dans un milieu qui contient plus d’acide octanoïque que le moût au début de la FA, mais tout de même moins que le vin après la macération post-fermentaire (Tableau 2). Finalement, la co-inoculation tardive respecte les deux séquences fermentaires classiques de la vinification : tout d’abord la fermentation alcoolique, la fermentation malolactique. Par rapport à l’inoculation . ) et de FML () de la co-inoculation précoce dans le moût A 4 A O Û T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 N ° 2 3 7 Vinification Tableau 2 : Évolution de la teneur moyenne en acide octanoïque dans le moût E de la modalité témoin (les écart-types sont calculés à partir des triplicatas réalisés) séquentielle, le premier avantage de la co-inoculation tardive est l’anticipation de la phase d’adaptation inhérente à l’utilisation de bactéries sélectionnées : ici les bactéries s’adaptent durant la fin de la fermentation alcoolique pour un déclenchement de la FML aussitôt après l’écoulage. Si la différence de cinétique est évidente entre la co-inoculation précoce et la co-inoculation tardive, ces deux techniques permettent toutes les deux un meilleur contrôle des levures Brettanomyces. En effet, dans les deux cas, les bactéries sélectionnées présentes à des niveaux de populations élevés monopolisent l’écosystème dès la fin de la FA. Les Brettanomyces ne peuvent donc pas se développer. À l’inverse, lorsqu’une période de vide microbiologique succède à la FA, les populations de Brettanomyces et les teneurs en phénols volatils sont systématiquement plus élevées. (Tableau 3). Concernant l’acidité volatile (Tableau 4) des vins finis, il est important de souligner que même si les bactéries sont introduites dans un milieu riche en sucres lors de la co-inoculation précoce notamment, elles ne produisent pas plus d’acidité volatile. Sur ce point, soulignons que la crainte de voir augmenter l’acidité volatile en introduisant précocement des bactéries sélectionnées dans le moût découle, en réalité, d’un amalgame avec la déviation bactérienne qualifiée de piqûre lactique, or les cas de piqûre lactique ne se produisent qu’en cas de : I) mauvais état sanitaire de la vendange, mauvaises conditions d’hygiène, sulfitage insuffisant, etc. ; II) non maîtrise de la FA : levurage tardif, à demi-dose ou inexistant, situation de carences pour les levures, chocs thermiques ; III) si des bactéries lactiques indigènes, généralement des lactobacilles se développent durant la FA. En assurant une gestion rigoureuse de l’hygiène et de la FA, il n’y a pas de risque de montée d’acidité volatile (AV) lors de l’inoculation d’un levain malolactique en début de FA. Les teneurs moyennes en AV ne sont pas plus élevées en co-inoculation qu’en inoculation séquentielle. En outre, l’AV est dans tous les cas moins importante en co-inoculation qu’en cas de FML indigène tardive. Au niveau des composés phénoliques (Tableau 4), les essais réalisés n’ont pas révélé de différences significatives entre les modalités de co-inoculation, d’inoculation séquentielle et de FML indigène. R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E 5 A O Û T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 N ° C A H I E R Tableau 4 : Exemples des valeurs d’acidité volatile et de composition phénolique obtenues (l’acidité volatile est mesurée en fin de FML, la structure phénolique des vins est analysée 5 mois après le sulfitage post FML) T E C H N I Q U E Tableau 3 : Teneurs en phénols volatils (µg/L) et population de B. bruxellensis (cell/mL) à la fin de la FML dans les différents essais 2 3 7 C A H I E R T E C H N I Q U E Vinification Tableau 5 : Dosage des composés du bois dans différents essais (valeurs moyennes de trois barriques provenant d’un même tonnelier) – Analyses réalisées 5 mois après le sulfitage post FML Les teneurs totales en tanins et anthocyanes libres, l‘IPT, le DPm et le pourcentage de galloylation ne diffèrent pas entre les témoins et les modalités co-inoculées. Ces résultats ne sont finalement pas surprenant puisque les durées de macération sont identiques et que seul varie le moment du sulfitage. Notons que ces analyses ont été réalisées quelques mois après le sulfitage post-FML. Pour les composés du bois (Tableau 5), les données obtenues conduisent à une interprétation similaire : il n’y a pas de différence significative entre les vins issus de co-inoculations et les vins de contrôles (vins témoins) lorsqu’ils sont passés dans des barriques neuves issues d’un même tonnelier. Finalement, lors des dégustations, les tests triangulaires n’ont pas permis de révéler de différences significatives entre les vins obtenus selon les différents procédés d’inoculation bactérienne. Néanmoins, les tests descriptifs ont laissé apparaître quelques différences notables. Premièrement, les vins fermentés avec la flore indigène et les vins inoculés tardivement présentaient des odeurs lactées et beurrées plus prononcées que les vins co-inoculés. Les odeurs lactées et beurrées proviennent du diacétyle produit à partir de l’acide citrique par les bactéries lactiques. Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette différence, soit les bactéries lactiques inoculées précocement disposent d’un milieu plus riche en nutriments, elles n’ont donc pas besoin de dégrader l’acide citrique et produisent moins de diacétyle. Soit la quantité de diacétyle produite est la même quel que soit le procédé, mais puisque en co-inoculation la production a lieu plus tôt lors de la vinification, le diacétyle est plus vite reconverti en acétoïne et 2,3-butanediol dont les seuils de perception sont nettement plus élevés que le diacétyle (4/5 mg/L pour le diacétyle contre plusieurs dizaines de milligramme pour l’acétoïne et le 2,3-butanediol). L’autre différence mise en évidence durant les dégustations est le rejet systématique par les dégustateurs des modalités indigènes lorsque celles-ci ont été contaminées par Brettanomyces. Par exemple, sur 17 dégustateurs, 13 ont rejeté le vin de la FML indigène du domaine D, probablement car celui-ci présentait lors de la dégustation, une teneur en 4-éthylphénol de 450 µg/L, alors que dans les vins co-inoculés, où le levain malolactique avait empêché les Brettanomyces de se développer, la teneur en phénols volatils était bien inférieure au seuil de perception (38 µg/L de 4-éthylphénol lors de la dégustation). R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E Discussion et Conclusions Afin que la FML ne soit plus un événement aléatoire de la vinification, mais une opération maîtrisée, l’emploi de levains malolactiques est de plus en plus pratiqué. Outre les travaux d’études génétiques et physiologiques des bactéries Oenococcus (Bilhère et al., 2009, Renouf et al., 2009) utiles pour sélectionner des bactéries de plus en plus performantes, des recherches doivent être menées pour optimiser l’emploi des bactéries sélectionnées. Nos essais ont étudié trois stades d’inoculation différents : la co-inoculation précoce, la co-inoculation tardive et l’inoculation séquentielle. Les objectifs de la co-inoculation, qu’elle soit précoce ou tardive, sont de favoriser l’implantation des bactéries en les introduisant dans un milieu plus favorable que le vin en fin de FA, mais également d’éviter la période de vide microbiologique qui existe après la FA, lorsque la FML tarde à se déclencher spontanément. Cette latence est préjudiciable car les Brettanomyces peuvent en tirer profit pour se développer et contaminer le vin. Nos essais démontrent tout l’intérêt de la co-inoculation précoce pour achever au plus vite la FML. En effet, avec cette technique, la fin de la FML se produit quelques jours seulement après l’achèvement de la FA. Cette stratégie est donc pertinente pour les vins de rotation rapide comme les primeurs où le gain de temps est essentiel. Si l’objectif est la prévention du développement des germes d’altération, la co-inoculation tardive convient également parfaitement. Les bactéries inoculées vers la fin de la FA monopolisent l’écosystème au détriment des Brettanomyces et la FML ne se déclenche qu’une fois la FA achevée, généralement au terme de la macération. La co-inoculation tardive permet de sécuriser un itinéraire œnologique plus traditionnel qui sépare les deux phases fermentaires tout en assurant la présence d’une flore sélectionnée dominatrice durant toute la vinification. 6 A O Û T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 N ° 2 3 7 Vinification Références bibliographiques Outre les effets sur le contrôle des altérations, il est important de rappeler que les techniques de co-inoculation présentent un réel intérêt économique : en introduisant les bactéries dans le vin en cours de FA, les bactéries disposent naturellement d’une température favorable à leur activité si bien qu’il n’est pas nécessaire de chauffer le vin, les frais énergétiques sont donc inexistants (Renouf et al., 2008). Bate-Smith E.C., 1973. Haemanalysis of tannins: the concept of relative astringency. Phytochemistry. 12, 907. Bilhere E., Lucas P., Claisse O. et Lonvaud-Funel A., 2009. Multilocus sequence typing of Oenococcus oeni: detection of two subpopulations shaped by intergenic recombination. Applied Environnemental Microbiology, 10.1128/AEM.02563-08 Ces essais ont également permis d’étudier l’impact des différentes techniques d’inoculation sur des paramètres œnologiques essentiels : l’acidité volatile, les composés phénoliques et les notes boisées. Bloem A., de Revel G., 2007. Fermentation malolactique en barriques, le rôle des bactéries lactiques dans la libération de l’arôme boisé. Revue des Œnologues, N°123, 25-27. En ce qui concerne, l’acidité volatile, l’inoculation de bactéries durant la FA n’induit pas d’augmentation lorsque celle-ci est parfaitement maîtrisée. La dégradation des sucres reste uniquement sous l’effet de la souche de levures sélectionnées et les bactéries lactiques s’orientent préférentiellement vers l’acide-L-malique sans aucune déviation. En ce qui concerne les composés phénoliques, même si les différences de cinétiques de FML engendrent des sulfitages plus au moins précoces, il est important de noter qu’après quelques mois d’élévage il n’y a pas de différence entre les vins co-inoculés et les vins témoins. Ce point est primordial car, bien évidemment, les composés phénoliques sont essentiels à la couleur et à la structure du vin (Saucier et al., 2004 ; Preys et al., 2006). Coulon J., Lonvaud-Funel A., 2009. La PCR quantitative : un outil pour détecter les Brettanomyces. Union Girondine des vins de Bordeaux. Janvier 2009, p24-26. Nos résultats démontrent donc que les praticiens peuvent recourir à la co-inoculation sans crainte de perte de couleur. De même, bien que des travaux aient clairement démontré le rôle des bactéries lactiques dans la révélation des arômes boisés lors des FML en barriques (Bloem et de Revel., 2007), il est important de bien relativiser la durée de la FML (quelques semaines) sur un élevage de plusieurs mois en barriques. Nehme N., Mathieu F. et Taillandier P., 2009. Étude des interactions entre Saccharomyces cerevisiae et Oenococcus oeni : impact sur la réalisation de la fermentation malolactique en cultures séquentielles et en co-inoculation. Revue des Œnologues, N°131, 11-14. Preys S., G. M., Courcoux P., Samsona A., Fischer U., Hanafin M., Bertrand D., Cheynier V., 2006. Relationship between polyphenolic composition and some sensory properties in red wines using multiway analyses. Analytica Chimica Acta, 563, 126-136. Dans nos essais, après quelques mois d’élevage, les teneurs en composés du bois dans les vins co-inoculés étaient semblables à celles des vins témoins pour lesquelles les FML ont eu lieu en barriques. Concernant les notes boisées, la nature et l’origine du bois, la chauffe ainsi que le savoir-faire propre à chaque tonnelier, sont sans aucun doute des facteurs de variation plus importants que le déroulement de la FML au contact du bois, surtout lorsque le vin est destiné à un élevage relativement long. Renouf V., Gindreau E., Claisse O. et Lonvaud-Funel A., 2005. Microbial changes during malolactic fermentation in red wine elaboration. Journal International des Sciences de la Vigne et du Vin 39, 1-12. Renouf V., 2006. Description et caractérisation de l’écosystème microbien durant l’élaboration du vin, intéractions et équilibres. Thèse de doctorat. INP Toulouse, France. Des études devront être réalisées pour confirmer ces hypothèses. Les protocoles de co-inoculation précoce et tardive assurent donc un gain de temps et une sécurité fermentaire sans être préjudiciables à la qualité du vin fini. Bien au contraire lorsque les déviations microbiennes sont évitées, les vins obtenus sont plus appréciés des dégustateurs. Renouf V., Lonvaud-Funel A. et Coulon J., 2007. The origin of Brettanomyces bruxellensis in wines: a review. Journal International des Sciences de la Vigne et du Vin 41, 161-173. Renouf V., Gourraud C., La Guerche S., Murat M.L., Barona De La Fuente F. et Nunes P., 2008. Les différentes alternatives d’utilisation des levains malolactiques, aspects qualitatifs. Revue des Œnologues, N°129, 45-48. Nous poursuivons nos travaux afin d’élargir ces protocoles d’inoculation à d’autres cépages. Nous nous attacherons notamment à ceux réputés pour présenter des problèmes de stabilisation de la couleur lorsque le sulfitage a lieu trop précocement (pinot noir). Enfin, nous évaluerons l’intérêt de la co-inoculation dans les vins blancs où la FML est recherchée (chardonnay, vins effervescents, etc.). Renouf V., Cadet Vayssieres L., Claisse O. et Lonvaud-Funel A., 2009. Genetic and phenotypic evidence for two groups of Oenococcus oeni strains and their prevalence during winemaking. Applied Biotechnology and Microbiology 10.1007/s00253-008-1843-1. Ribérau-Gayon P. et Stonestreet E., 1965. Le dosage des anthocyanes dans les vins rouges. Bulletin of the Chemical Society 9, 2649-2652. Saucier C., Lopes P., Mirabel M., Guerra C. et Glories Y., 2004. Tannin-anthocyanin interactions: Influence on wine color. In ACS Symposium Series, Waterhouse, A. L.; Kennedy, J. A., Eds. 2004; Vol. 886, pp 265-273. Suarez R., Suarez-Lepe J.A., Morata A. et Calderon F., 2007. The production of ethylphenols in wine by yeast of the genera Brettanomyces et Dekkera: a review. Food Chemistry 102, 10-21. Vivas N., 2007. Les composés phénoliques et l’élaboration des vins rouges. Éditions Féret, France. R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E 7 A O Û T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 N ° 2 3 7 C A H I E R Lucas P., Claisse O. et Lonvaud-Funel A., 2008. High Frequency of Histamine-Producing Bacteria in the Oenological Environment et Instability of the Histidine Decarboxylase Production Phenotype. Applied Environmental Microbiology 74, 811-817. T E C H N I Q U E Lonvaud-Funel A., Joyeux A. et Dessens C., 1988. Inhibition of malolactic fermentation of wines by products of yeast metabolism. Journal of Sciences Food Agriculture 44, 183-191.