R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E A O Û T / S E P T E M B R E 2 0 0 9 N ° 2 3 7
C A H I E R T E C H N I Q U E
V i n i f i c a t i o n
Résumé : La fermentation malolactique est une étape clé de la
vinification. Pour mieux la maîtriser, l'utilisation de levains malolac-
tiques est de plus en plus fréquente. Dans ce travail, trois stades
différents d’ensemencement bactérien ont été testés : aussitôt
après levurage (co-inoculation précoce), vers la fin de la fermentation
alcoolique (à 1010 de densité, co-inoculation tardive), et après
l’écoulage (inoculation séquentielle). Les cinétiques fermentaires
ont été étudiées et un suivi microbiologique a été réalisé afin
d’évaluer l'influence de ces techniques sur les populations de
levures Brettanomyces bruxellensis. Enfin, pour mesurer l’impact
de chaque pratique sur les qualités du vin, certains marqueurs
qualitatifs ont été quantifiés et des analyses sensorielles ont été
réalisées.
L’ensemble de ces expérimentations démontre clairement l'intérêt
d’une inoculation précoce en bactéries sélectionnées, du point
de vue des cinétiques fermentaires et de la prévention du risque
Brettanomyces. Les analyses chimiques et sensorielles réalisées
sur vins finis prouvent que ces pratiques respectent les exigences
œnologiques des praticiens. Aucun impact négatif sur l’extraction
des composés phénoliques ainsi que sur la qualité aromatique des
vins n’a été observé.
Mots clés : fermentation malolactic, co-inoculation, qualité du vin,
Brettanomyces.
Abstract:Malolactic fermentation is a key stage of the winemaking.
In order to a best management, the use of malolactic is more and
more used. In this work, the bacteria inoculation has been tested at
three different stages: just after the yeasting (early co-inoculation),
towards the end of the alcoholic fermentation (late co-inoculation)
and after the devatting (sequential inoculation). Fermentative kinetics
have been studied and microbiological monitoring was made
to evaluate the influence of these techniques into the populations
of the Brettanomyces bruxellensis yeast. Then, to compare the impacts
of the different techniques on the wine quality, some qualitative
markers have been scored and sensorial analyses were realized.
These experiments demonstrate the interest of early inoculation
of selected bacteria in point of view of fermentative kinetics and
also to prevent the development of Brettanomyces. The chemical
and sensorial analyses have demonstrated these practices are also
respectful of sensorial properties.
Keywords: malolactic fermentation, co-inoculation, wine quality,
Brettanomyces.
Introduction
La vinification repose sur l’intervention de nombreux microorganismes,
principalement les levures durant la fermentation alcoolique (FA)
et les bactéries durant la fermentation malolactique (FML). En plus
de la production d'alcool et de la baisse d’acidité, de nombreux
métabolites microbiens sont, en partie, responsables des qualités
du vin. Dans certains cas, des micro-organismes indésirables peuvent
se développer et altérer le vin. Cela est particulièrement le cas des
Brettanomyces bruxellensis (Renouf et al., 2007), qui produisent des
phénols volatils (Suarez et al., 2007). Certaines bactéries lactiques
indigènes peuvent aussi être préjudiciables, notamment par la
production d'amines biogènes (Lucas et al., 2008).
Incidence de différentes techniques
d’utilisation des levains malolactiques
sur la qualité des vins rouges
par Vincent Renouf(1), Marie-Laure Murat(2), Stéphane La Guerche(2), Virginie Moine(1)
(1) Laffort - BP 17, 33072 Bordeaux
(2) Laboratoire Sarco, filiale du groupe de recherche Laffortt - BP 40, 33072 Bordeaux
La prévention de ces déviations débute lors des fermentations.
Pour les gérer efficacement, les vinificateurs disposent désormais de
levures et de bactéries sélectionnées particulièrement performantes.
Ces levains permettent d'achever les fermentations dans de bonnes
conditions, ce qui n'est pas toujours le cas avec la microflore indigène.
De plus, l’inoculation massive d’une souche sélectionnée permet
de contrôler la diversité microbienne et de limiter le développement
de germes d’altération. Des travaux ont montré que plus la FML est
rapide à se déclencher, plus le risque Brettanomyces était minimisé
(Renouf et al., 2005). Par conséquent, le développement de levains
malolactiques performants présente un avantage considérable.
Pour que le bénéfice soit optimal, le stade de l’inoculation bactérienne
doit être raisonné. Différentes options sont possibles. La plus com-
munément utilisée est l'inoculation séquentielle qui consiste à
ajouter le levain malolactique à l’écoulage, après une période de
macération post-fermentaire. Cette pratique reproduit l’évolution
naturelle de la flore indigène et intègre une période de macération
entre les deux fermentations, étape essentielle pour l'extraction
des composés phénoliques du marc (Vivas, 2007). En revanche,
il est évident que la période de latence entre les deux fermentations
laisse un vide microbiologique toujours propice au développement
des B. bruxellensis particulièrement active dès la fin de la FA (Renouf
et al., 2006).
Sur ce constat, une deuxième alternative a été envisagée : l'ajout
du levain malolactique vers la fin de la FA, à une densité de 1010.
Cette technique est qualifiée de co-inoculation tardive. En maintenant
une population sélectionnée dominatrice et active durant toute la
vinification, la co-inoculation permet une monopolisation du milieu
vis-à-vis des germes d’altération pour un déclenchement de la FML
en fin de macération.
Il est important de rappeler ici que l’activité levurienne durant la FA
conduit à la production d’éthanol mais également à l’accumulation
d’autres composés inhibiteurs des bactéries. De nombreux travaux
ont été réalisés afin de mieux appréhender les interactions entre
levures et bactéries. Si certains composés doivent encore faire l’objet
d’études (des composés de nature azotée ont été récemment suspectés
par les travaux de Nehme et al., 2009), le rôle inhibiteur des acides
gras à courte et moyenne chaînes est connu depuis de nombreuses
années (Lonvaud-Funel et al., 1988). Le taux de survie des bactéries
sélectionnées diminue donc au fur et à mesure de l’avancée de la FA.
Afin d’y remédier, il est possible d’ajouter le levain malolactique
aussitôt après le départ en FA : c’est la co-inoculation précoce.
Lors de l’encuvage, la LSA (Levure Sèche Active) est ensemencée,
puis le lendemain ou le surlendemain (en fait, 24 heures après le
départ en FA), les bactéries sont inoculées.
Le but de cet article est de présenter ces différentes techniques
d’utilisation des levains malolactiques au travers de divers essais
en vinification en rouge. Les aspects cinétiques, microbiologiques
et œnologiques sont détaillés afin d’illustrer les avantages de ces
techniques innovantes de gestion efficace de la FML.
1. Matériel et Méthodes
1.1. Matériels : Échantillons de vins et souches
de levures et de bactéries utilisées
Les essais ont été réalisés en 2007 et 2008 dans différentes appel-
lations de la région bordelaise et de la vallée du Rhône. Trois souches
de levures ont été utilisées : l’Actiflore F33, la Zymaflore RX60 et la
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