Législation
Article technique RFOE n°225, page 1
L
A
COUR
DE
JUSTICE
DES
COMMUNAUTÉS
CONFONDRAIT
-
ELLE
BIÈRE
ET
CHAMPAGNE
?
Maître Michel DESILETS
1. RÉSUMÉ DES FAITS
Un brasseur belge commercialisait des bières sous la marque
Malheur.
En 2001, il a produit et commercialisé une bière sous la dénomination
Malheur Brut Réserve
déclinant le processus d’élaboration inspiré de la
méthode de production du vin mousseux pour lui donner un caractère
exceptionnel.
Des documents publicitaires et des emballages indiquaient :
Brut Réserve
La première bière brut au monde
Bière blonde à la méthode traditionnelle
Reims – France
Champagnebier
Le CIVC et la Société Veuve Clicquot Ponsardin ont agi devant le
Tribunal de Commerce de Nivelles en Belgique, invoquant le caractère
trompeur et constitutif d’une publicité comparative illicite des mentions
employées.
La juridiction a distingué deux types de référence.
Tout d’abord, elle a interdit tout usage de l’indication méthode
traditionnelle, de l’appellation champagne, de l’indication de
provenance Reims France ainsi que les références aux vignerons de
Reims et d’Épernay et à la méthode de production du champagne.
Mais, ensuite, elle a admise les mentions BRUT, RESERVE, BRUT
RESERVE et la première BRUT au Monde.
Le brasseur belge a fait appel, renonçant au passage à l’usage de
l’appellation d’origine contrôlée Champagne.
Le CIVC et la Société Veuve Clicquot Ponsardin ont fait appel sur ce
point de l’autorisation des termes BRUT, RESERVE, BRUT RESERVE et
la première BRUT au Monde.
La cour d’appel de Bruxelles, préalablement à toutes décision, a alors
saisi la Cour de Justice des Communautés d’un recours en
interprétation.
La Cour de Justice des Communautés répond d’abord que la publicité
comparative peut faire référence à un type de produit et non
seulement à une entreprise ou à produit déterminé.
Elle affirme ensuite que faire référence à un type de produit sans
identifier son concurrent ou les biens offerts par celui-ci n’est pas
illicite et que les conditions de sa régularité doivent être examinées à la
lumière d’autres dispositions du droit national relatives à la protection
des consommateurs ou des entreprises concurrentes.
Enfin, la Cour de Justice des Communautés retient que n’est pas illicite
toute comparaison qui, pour des produits n’ayant pas d’appellation
d’origine, se rapporte à des produits bénéficiant d’une telle appellation.
Sur ce dernier point, la décision peut paraître choquante comme
réduisant à néant toutes les dispositions qualitatives et protectrices des
appellations d’origine.
Mais, une analyse plus fine, permet de faire la distinction entre ce que
dit la décision et ce qu’elle ne dit pas.
HISTOIRE BELGE : LA COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES
CONFONDRAIT-ELLE BIERE ET CHAMPAGNE ?
INTRODUCTION
Titre provocateur ou réalité, le juriste est songeur.
La Cour de Justice des Communautés (CJCE) dans son arrêt du 19 avril 2007 (affaire C-381/05, De Landtscheer SA/Comité Interprofessionnel du
Vin de Champagne, Veuve Clicquot Ponsardin SA) interprète la Directive 84/450/CEE comme permettant une publicité comparative entre un pro-
duit ne bénéficiant pas d’une appellation d’origine et des produits bénéficiant d’une telle reconnaissance.
2. CE QUE DIT LA DÉCISION
La Cour réaffirme le principe large de la publicité comparative.
Le texte n’admet que peu de restriction dans le souci d’informer tou-
jours davantage le consommateur (article 3 bis § 1 de la Directive).
Les seules limites imposées par la Directive sont de ne pas tromper le
consommateur et de ne pas fausser la concurrence.
C’est pourquoi la publicité comparative doit porter sur des biens ou
services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif.
Elle doit aussi comparer objectivement une ou plusieurs caractéristi-
ques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces
biens et services et ne pas tirer indûment profit de la notoriété atta-
chée à une marque, à un nom commercial ou à d’autres signes distinc-
tifs d’un concurrent ou de l’appellation d’origine du produit concurrent.
Toutefois, la directive prévoit explicitement que, pour les produits
ayant une appellation d’origine, elle se rapporte dans chaque cas à des
produits ayant la même appellation.
On comprend donc mieux ici pourquoi, avec malice, le brasseur a re-
noncé entre la première instance et l’appel à utiliser le terme Champa-
gne.
À défaut, la décision aurait été manifestement autre.
La Cour de Justice a pu, semble-t-il, considérer pour cette raison que la
publicité par des produits n’ayant pas d’appellation d’origine par com-
paraison avec des produits bénéficiant d’une appellation d’origine n’é-
tait pas illicite.
Maître Michel DESILETS
SCP Pegaz-Cevaer-Desilets
Barreaux de Lyon et Villefranche sur Saône
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Article technique RFOE n°225, page 2
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ELLE
BIÈRE
ET
CHAMPAGNE
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Maître Michel DESILETS
3. CE QUE NE DIT PAS LA DÉCISION
La Cour de Justice ne dit cependant pas que la publicité litigieuse,
même dépourvue de l’appellation Champagne, du fait de la restriction
des termes employés, est licite.
Elle affirme le principe suivant lequel
de facto
une telle comparaison
n’est pas illicite.
Cela signifie que la juridiction qui a posé la question préjudicielle à la
Cour doit apprécier, au regard du droit national qu’elle est en charge
d’appliquer, si cette publicité comparative qui, dans le principe n’est
pas illicite, est régulière.
En effet, tant le Règlement CEE n° 2081/92 du Conseil et, notamment,
son article 13, que les dispositions nationales, en l’espèce de droit
belge, protègent les appellations d’origine de toute utilisation commer-
ciale, trompeuse ou parasitaire, de même que toute usurpation, imita-
tion ou évocation, ou encore d’indication fausse quant à la provenance,
l’origine, la matière ou les qualités substantielles du produit.
Dès lors, sachant que la publicité comparative entre un produit d’ap-
pellation d’origine et un autre produit n’en bénéficiant est possible, il
importe d’analyser si la comparaison ne se fait pas en contradiction
avec les autres principes rappelés ci-dessus.
Il y a fort à penser que ces dispositions doivent conduire à interdire la
possibilité d’utiliser les termes employés par le brasseur belge.
En effet, il n’est pas concevable qu’une boisson différente d’une autre,
lui fut-elle substituable, et ne néficiant pas d’une appellation d’ori-
gine puisse être comparée à une autre boisson en bénéficiant ou lui
emprunter des éléments intrinsèquement liés à sa désignation, sa
composition ou son élaboration, principe même de sa reconnaissance
en appellation d’origine.
Il reste donc à attendre la décision sur le fond de la Cour d’Appel de
Bruxelles, en espérant qu’elle consacrera l’impossibilité pour une bière
d’emprunter des termes qualitatifs spécifiques au Champagne dont ce
dernier a tiré depuis plusieurs siècles sa notoriété.
À défaut, la situation serait extrêmement dommageable pour l’ensem-
ble du secteur des appellations d’origine qui pourrait être aisément
attaqué par des productions de marques non qualitatives mais écono-
miquement plus puissantes.
Certes, la jurisprudence à venir ne concerne pas directement le droit
positif français.
Toutefois, elle pourrait créer un fâcheux précédent et venir banaliser
un peu plus des productions souvent artisanales de qualité, faites pour
valoriser au mieux un produit naturel et son milieu d’obtention.
CONCLUSION
En conclusion, voilà encore une décision dont les conséquences sont difficilement mesurables qui semble s’appuyer davantage sur des considéra-
tions libérales et économiques que sur un strict respect du droit et des principes de protection des appellations d’origine par ailleurs constamment
réaffirmés par la Commission et le Conseil avec force.
Le consommateur, sujet de toutes les attentions, ne risque-t-il pas finalement de s’y perdre ?
Ce serait là un comble !
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