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D É B A T S
30
MARDI 4MARS 2008
LA LIBRE 2
Face à face - SPIRITUALITÉS
Cesreligieuxbalayentdevantleurporte
A l’instar du “fils rebelle”, le judaïsme possède certains textes
violents ou méprisants. Que faire ? Les rabbins enseignent de
passer de la lecture littérale à la lecture éthique, de bon sens.
Trouvons aux textes une signification sage pour notre époque.
Rabbin David MEYER
Enseignant et écrivain
Co-auteur et initiateur du livre “Les Versets doulou-
reux” (voir encadré)
MIRA PRIMAULT (ST. LLB)
Il y a beaucoup de passages écrits
dans les textes que les rabbins, très
intelligemment, ont su manipuler,
tourner et retourner dans toutes les
directions, de manière à créer cette dis-
tance et à utiliser leur bon sens et leur
sens de responsabilité pour ne pas mettre
le sens littéral du texte en application. Le
cas le plus connu se trouve dans un pas-
sage du livre du Deutéronome (21,18-21).
Il s’agit du cas du “fils rebelle”. Il est dit :
“Si un homme a un fils libertin et rebelle,
sourd à la voix de son père comme de sa
mère et qui, malgré leurs corrections, per-
siste à leur désobéir, alors […] tous les ha-
bitants de la ville le feront mourir à coups
de pierres”. Voilà pour ce qui est “écrit” ou
pour ce que l’on pourrait nommer “l’auto-
rité de l’Ecriture”. Mais la tradition rabbi-
nique a enseigné à ce sujet que la lapida-
tion du fils rebelle n’est bien évidemment
pas ce que le texte veut que nous fassions.
Le texte possède une tout autre significa-
tion, nous disent-ils, de sorte qu’on ne
met, heureusement, jamais son fils à
mort ! Pour arriver à cela, les rabbins uti-
lisent les règles d’herméneutiques et d’in-
terprétation du texte – règles humaines –
afin de se distancier de la lecture littérale.
Nous avons bien là une opposition entre
une lecture “éthique” de ce verset et une
lecture “littérale”. C’est l’éthique qui l’em-
porte. Ce n’est pas l’éthique du XXIesiècle,
mais c’est celle du bon sens. Alors là où il y
a “douleur” dans le texte et dans la tradi-
tion juive (1), c’est là qu’il faut se deman-
der : pourquoi y a-t-il d’autres versets qui
sont aussi révoltants que celui sur le fils
rebelle et pour lesquels, malheureuse-
ment, la traduction juive semble avoir ac-
cepté tel quel le sens littéral, sans prendre
ses distances ? Il me semble que c’est cela
le travail qu’il faut faire sur l’autorité du
texte et sur la réflexion que l’on doit avoir
pour essayer d’aller de l’avant. […]
Qu’il s’agisse de la Torah, de la Bible, du
Talmud ou de tout autre texte de notre
tradition, il faut parfois avoir le courage
d’envisager des solutions et des interpré-
tations radicales qui nous permettront
peut-être de transformer certains ensei-
gnements du mépris en enseignements de
l’estime. N’oublions pas qu’une religion
telle que le judaïsme ne se vit de façon
authentique que si nous reconnaissons
notre devoir de trouver aux textes une si-
gnification utile et sage pour notre vie et
notre époque. La religion juive n’est cer-
tainement pas du domaine de l’intoucha-
ble, figée dans une aura mythique des
temps anciens.
1. “[…] tu effaceras la mémoire d’Amalek de dessous le
ciel” (Deutéronome, 25, 17-19) ou “Et l’on appliqua
l’anathème à tout ce qui était dans la ville, hommes et
femmes, jeunes et vieux, jusqu’aux bœufs, aux brebis et aux
ânes, tout périt par l’épée”. (Josué 6,21)
Les propos repris dans cette page sont tirés du livre “Les
versets douloureux”, Lessius, 2008
L’islam s’est construit au VIIesiècle avec des invectives envers
les comportements religieux des juifs et chrétiens et des
dispositions réglant leur statut dans une cité musulmane.
Libérons le discours coranique de son moment historique.
Soheib BENCHEIKH
Ancien grand mufti de Marseille.
Fondateur de l’Institut supérieur des sciences islami-
ques. Co-auteur des “Versets douloureux”
JOHANNA DE TESSIERES
La clé pour comprendre cette riva-
lité entre le judaïsme et le chris-
tianisme arabique d’un côté et, de
l’autre, l’esprit de conquête de la
jeune religion islamique se trouve dans
une approche historique et critique. […]
Ainsi Mohamed dans un élan spirituel et
civilisationnel a longtemps cru au soutien
des juifs arabes(1), appelés tantôt les Gens
du Livre, tantôt les Gens du Rappel, c’est-
à-dire ceux qui détenaient le savoir et les
Alliances face à une majorité de bédouins
qui ne les possédaient pas. […] Cet Arabe
hors du commun ambitionnait également
de ramener les chrétiens “égarés par la
philosophie grecque” vers la pureté origi-
nelle, le berceau judéo-chrétien. Les trois
premiers quarts du Coran, appelés les
“versets mecquois”, nous retracent ces
faits. C’est pourquoi, toutes les polémi-
ques et controverses avec les juifs et les
chrétiens (2) se trouvent cantonnées dans le
dernier quart de la révélation coranique, à
savoir “les versets médinois” plus tardifs
et certainement douloureux. […] Suite au
refus de ralliement des juifs et des chré-
tiens, Mohamed opta définitivement pour
une religion à part. S’instaura alors une
extrême méfiance à l’égard des tribus non
musulmanes, notamment juives […]
Mettre en évidence ces réalités histori-
ques, c’est aussi mettre en évidence la tem-
poralité du Coran comme de tout texte,
même révélé. Le défi est de chercher l’en-
seignement divin et de le dégager de son
réceptacle purement humain.
[…] le fanatisme est vraiment la mala-
die de l’âme. Agissant en bon médecin, je
ne m’autorise pas à lutter contre le malade
mais tout mon combat porte sur la mala-
die. La religiosité d’une bonne partie des
pratiquants musulmans s’apparente
aujourd’hui à un paganisme sacralisant le
texte à la place de Dieu inspirateur du
texte, et se concentrant sur le Messager au
lieu de le faire sur le Message. […] Que le
Coran soit l’excuse derrière laquelle se ca-
chent les extrémistes de tout bord n’est
pas une nouveauté. Hier déjà, la Bible a
servi à justifier les croisades sanglantes;
aujourd’hui c’est au nom du Coran que
sont perpétrés les plus ignobles massa-
cres. Ces extrémistes ne sont même pas
conscients de leur mauvaise foi, de leurs
interprétations archaïques des textes
mais ils se créent des illusions, consciem-
ment ou inconsciemment, pour asseoir
leur régime totalitaire.
1. “Ceux-là sont les hommes à qui nous donnâmes les
Ecritures et la sagesse et la prophétie […] Ceux-là ont é
dirigés dans le sentier droit. Suis donc leur direction […]
(Sourate 6, versets 89 et 90)
2. “Ceux des Enfants d’Israël qui ont mécru ont été maudits,
par la langue de David et de Jésus fils de Marie. parce qu’ils
désobéissaient. Et ils transgressaient, sans s’interdire entre
eux leurs actes blâmables. Combien est mauvais ce qu’ils
faisaient ! Tu verras beaucoup d’entre eux s’allier avec ceux
qui mécroient. Combien sont mauvaises leurs œuvres ! Dieu
s’est mis en colère contre eux ! Et dans le tourment, ils
demeureront éternellement. (Sourate 5, versets 78-80)
!Pui, Torah, Evangile et Coran contiennent des appels à la violence ou au mépris. Chaque communauté est in-
vitée au courage de l’autocritique, premier vers le dialogue.
REUTERS
Antijuif, l’Evangile de Jean ?
Déicides, les juifs ? Ainsi l’a
présenté la chrétienté.
Père Yves SIMOENS
Jésuite. Enseignant. Co-
auteur des “Versets dou-
loureux”
L
e dossier des tensions entre chré-
tiens et juifs dans l’Histoire n’est
plus à établir. Le livre de Jules
Isaac sur “L’Enseignement du
mépris” a porté ses fruits. La rencontre en-
tre son auteur et Jean XXIII aura eu pour
effet décisif la suppression de la prière
pour les juifs déicides, le Vendredi saint.
[…]
Mon texte fait état du dossier, en ce
qui concerne le quatrième évangile et
toute l’Ecriture sainte. La Shoah a mar-
qué un point de non-retour dans les dis-
cussions. Dans la tradition catholique, la
déclaration conciliaire “Nostra aetate”
sur les relations du christianisme au ju-
daïsme et aux autres religions est une
borne milliaire. Elle est cependant loin
d’avoir produit tous ses fruits […]. Pour
répondre à la question “qu’est-ce qui
oblige une lecture différente, en particu-
lier de l’évangile johannique ? (NdlR :
l’Evangile selon Jean a été historique-
ment interprété dans un sens antijuif,
voire antisémite)
(1)
. Je répondrais :
D’abord ma conscience morale
d’homme, de chrétien, de religieux jé-
suite, de prêtre catholique et de respon-
sable d’enseignement dans des institu-
tions de formation.”
A l’écoute et à la ré-
ception d’enseignements qui m’ont été
délivrés, je me suis souvent dit : “C
e n’est
pas juste; jamais je ne me permettrai de
répercuter cette version des réalités.
[…] J’essaie de faire ce que je peux pour
dire le moins mal ce que je crois et ce que je
pense, en comptant sur l’Esprit saint et
des amis pour m’aider. Je me suis permis
d’apporter un livre qui m’a intéressé, de
Marie Balmary, “Le Moine et la Psycha-
nalyse” (Albin Michel, 2005). Elle dit à un
certain moment :
“De deux personnes qui
se réfèrent à l’Evangile de Jean, il se peut
que le premier soir un inquisiteur cruel et
le second François d’Assise. Allez expli-
quer cela ! Ce qui rend les religions morti-
fères, ce n’est pas tant leurs textes que leur
mode de transmission, me semble-t-il.
Je
partage cette opinion. […] Mon souci est
celui d’une lecture de l’évangile johanni-
que affranchie de l’antisémitisme ou de
ferments d’antisémitisme qu’on lui im-
pute souvent. […] Clarifier la question
des “juifs” dans saint Jean m’a semblé
l’avenue qui m’était la plus accessible
pour essayer d’exprimer les interpréta-
tions susceptibles d’aplanir certaines dif-
ficultés réelles du dialogue. La clé, pour
ma part, est de revenir au Christ…
1. NdlR : dans le récit johannique de la Passion, Jésus est
arrêté par “des gardes fournis par les Pharisiens et les
grands-prêtres”, mais ce sont “les gardes des juifs” qui se
saisissent de Jésus. Le procès se déroule tout entier entre
Jésus, Pilate, Anne, Caïphe et les juifs qui crient : “A mort ! A
mort !” Manifestement, il s’agit de juifs qui sont à la solde des
grands-prêtres. Aujourd’hui le vocabulaire de Jean est
analysé cas par cas mais la chrétienté du Moyen Age et ses
croisades ont livré une lecture antisémite de Jean.
CE JEUDI 6 MARS
Débat à trois
à la Foire du livre
Se regarder dans le miroir
critique est le préalable
à toute confrontation
authentique avec l’autre,
estime David Meyer,
initiateur du livre “Les
Versets douloureux”. Jeudi
6 mars, cette confronta-
tion sera ouverte à qui
veut. Le juif rabbin David Meyer, le musulman
sunnite imam Soheib Bencheikh et le catholi-
que jésuite Yves Simoens seront réunis pour
faire “leur” autocritique et débattre avec le
public à la Foire du livre de Bruxelles. Nous
vous renvoyons aussi à la présentation de ce
nouveau livre dans notre supplément “Lire”,
vendredi 7 mars. 
La rencontre des trois coauteurs du livre “Les Versets
douloureux” sera animée par Jacques Scheuer le jeudi
6 mars 2008 à 20h à la Foire du livre de Bruxelles à
l’espace “Grand-Place”, Tour & Taxis. Rens. 02.739.34.93.
LESSIUS
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