Focus Sous la direction de Philippe Rousselot Hématologie 2008 ; 14 (2) : 112-5 Syndromes myélodysplasiques avec délétion du bras long du chromosome 5 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Myelodysplasic syndromes associated with 5q- deletions Emilie Frisan1 Franck Viguié2 François Dreyfus1 Michaëla Fontenay1 1 Institut Cochin, Département d’hématologie, Université Paris-Descartes, Inserm U567, IFR118, CNRS UMR8204, Hôpital Cochin, Paris <[email protected]> 2 Service d’hématologie biologique, Hôtel-Dieu, Paris L es délétions interstitielles du bras long du chromosome 5 [del(5q] sont des anomalies cytogénétiques fréquemment rencontrées au cours des syndromes myélodysplasiques (SMD) (12 %), des leucémies aiguës myéloblastiques (LAM) secondaires à un SMD ou des SMD et LAM secondaires à une chimiothérapie ou à une radiothérapie (40 %). Elles sont beaucoup moins fréquentes chez les patients porteurs d’une LAM de novo (5-7 %). Dans les LAM secondaires, elles peuvent être associées à d’autres anomalies cytogénétiques telles que les del(7q) et del(17p) ou à des anomalies complexes de pronostic défavorable. Il existe deux entités : – le syndrome 5q- indolent, caractérisé par une anémie et une dépendance aux transfusions de globules rouges, la présence de mégacaryocytes hypolobés, un faible de risque de transformation ; – les hémopathies myéloïdes (anémies/cytopénies réfractaires avec excès de blastes ou LAM) avec del(5q) de pronostic défavorable. L’identification des gènes impliqués dans la physiopathologie de ces deux entités est le but de travaux récents publiés par les équipes de Todd R. Golub dans Nature [1] et d’A.Thomas Look dans Nature Medicine [2]. Le syndrome 5q- Hématologie, vol. 14, n° 2, mars-avril 2008 doi: 10.1684/hma.2008.0237 112 Ce syndrome a été défini en 1974 par cytogénétique conventionnelle [3]. Il est caractérisé par un défaut prédominant de croissance et de maturation de la lignée érythroïde. La lignée granuleuse est préservée et la dysplasie des mégacaryocytes n’empêche pas la production des plaquettes. Ce syndrome répond remarquablement bien au traitement par un analogue du thalidomide, le lénalidomide [4]. La région commune de délétion du syndrome 5q- est une région de 1,5 Mb située en 5q32-5q33.1 contenant 40 gènes entre le marqueur D5S413 et le gène GLRA1 [5]. Aucune délétion bi-allélique ou mutation n’a été identifiée sur ces gènes. Cette observation suggère un effet d’haplo-insuffisance, c’est-à-dire que la perte d’une seule copie est nécessaire et suffisante pour qu’apparaisse le phénotype caractéristique du syndrome. Parmi ces gènes, 33 sont exprimés dans les progéniteurs CD34+ normaux et certains (SLC36A1, G3BP, ATOX1, CSF1R, RPS14, PDGFRB, TNIP1, SPARC et ANAX6) ont une expression nettement diminuée chez les patients [6]. L’équipe de Golub a développé une stratégie systématique d’inhibition de l’expression des 40 gènes par shRNA (short hairpin RNA) introduits par transfert lentiviral dans des cellules CD34+ normales. Seule la construction ciblant RPS14 reproduit le phénotype du syndrome 5q- avec un défaut de l’érythropoïèse prédominant sur celui de la mégacaryopoïèse. L’invalidation partielle du gène RPS14 inhibe l’expression des Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. transcrits érythroïdes, un profil transcriptionnel qui correspond à celui des patients del(5q) répondeurs au lénalidomide [7]. L’hypothèse d’un effet d’haplo-insuffisance est confirmée chez les patients qui ne portent ni mutation ou délétion cryptique bi-allélique du gène, ni perte d’expression du transcrit, ce qui exclut la possibilité d’une inactivation bi-allélique de RPS14. Enfin, la surexpression par vecteur lentiviral de RPS14 dans les progéniteurs CD34+ de patients porteurs d’un syndrome 5q- restaure l’expression des transcrits érythroïdes et la différenciation. Le gène RPS14 code pour un composant de la sous-unité ribosomale 40S. La biogenèse des ribosomes requiert 4 ARN ribosomaux (ARNr), et au moins 80 protéines différentes dont l’ARN polymérase I et des ribonucléoprotéines nucléolaires. L’ARNr 18S, composant de la sous-unité 40S est produit à partir d’un pré-ARNr de 30S. L’invalidation du gène RPS14 chez S. cerevisiae ou l’inhibition de RPS14 par shRNA dans la lignée érythroïde humaine TF-1 induit une augmentation du ratio 30S/18S et une apoptose. Chez les patients SMD avec délétion 5q, l’augmentation du ratio 30S/18S témoignerait donc d’une inhibition de la biogenèse des ribosomes [1]. Il est intéressant de faire le parallèle avec les insuffisances médullaires constitutionnelles prédisposant aux cancers, que sont l’anémie de Blackfan-Diamond (ABD), la dyskératose congénitale (DC), l’hypoplasie cartilagineuse (HHC) et le syndrome de Schwachman-Diamond (SDS). Plusieurs mutations de gènes impliqués dans la maturation des ARNr ont été décrites. La DC dans sa forme récessive liée à l’X est associée à une anomalie du gène codant la dyskérine 1 (DKC1), protéine nucléolaire s’associant aux ribonucléoprotéines. Le SDS et le HHC sont liés à des mutations de gènes SBDS et RMRP codant des protéines nucléolaires à activité endonucléasique. Enfin, l’érythroblastopénie constitutionnelle de Blackfan-Diamond, dont le phénotype ressemble à celui du syndrome 5q, est associée à des mutations hétérozygotes du gène RPS19 situé sur le chromosome 19q13.2 dans 25 % des cas, et plus rarement des gènes RPS24 ou RPS17 [8]. Les anomalies de biogenèse des ribosomes contribueraient au phénotype de ces anémies acquises et constitutionnelles. Pourquoi existe-t-il une atteinte spécificité de la lignée érythroïde alors que l’expression de RPS14 est ubiquitaire ? La question n’est pas résolue mais il est possible que les délétions mono-alléliques ne s’expriment que dans les cellules à renouvellement rapide telles que les cellules érythroïdes (2 x 1011 nouvelles cellules par jour). Cependant, il n’est pas exclu que la délétion mono-allélique d’autres gènes de la région 5q32-5q33.1 puisse contribuer au phénotype du syndrome 5q-. Les délétions 5q- associées aux SMD de haut risque et aux LAM secondaires Les anomalies 5q associées aux SMD avec excès de blastes ou aux LAM secondaires à une chimiothérapie concernent Hématologie, vol. 14, n° 2, mars-avril 2008 une région centrée sur la bande 5q31.1 dont les bornes sont très variables. Cette région s’étend sur environ 3.7 Mb entre le gène codant IL9 du côté centromérique et le gène codant UBE2D2 du côté télomérique [9-12]. Environ 28 gènes ont été identifiés dont IL9, TGFB1, TRPC7, CDC23, EGR1, HSPA9B, CTNNA1 et UBE2D2 parmi lesquels de possibles gènes candidats suppresseurs de tumeurs. Plusieurs gènes de la région de délétion ont été étudiés. EGR1 qui code pour un facteur de transcription à doigt de zinc pourrait être un gène suppresseur de tumeur. Les souris EGR1+/- développent des cancers hématopoïétiques, ce qui suggère un effet d’haplo-insuffisance [13]. HSPA9B/ mortalin/mthsp70/GRP78 code pour une forme mitochondriale des protéines de choc thermique de 70 kDa très conservée dans l’évolution et impliquée dans le transport, le repliement et l’assemblage des protéines dans la matrice mitochondriale. Chez le poisson zèbre, le mutant crimesonless (crs) de HSPA9B présente une dysplasie multilignée des progéniteurs hématopoïétiques liée à un défaut de maturation et à un excès d’apoptose [14]. De même, les mutations perte de fonction de la HSPA9B chez la levure et chez C. elegans induisent des anomalies morphologiques de la mitochondrie et la mort cellulaire. En revanche, il n’a pas été rapporté d’anomalies de l’hématopoïèse chez les souris invalidées pour le gène UBE2D2 qui code pour une E2 ubiquitine ligase. Selon l’équipe de Look, HSPA9B et UBE2D2 ne sont pas inactivés dans les cellules CD34+CD38-lin- de patients porteurs d’une hémopathie maligne à haut risque avec délétion mono-allélique 5q- confirmée par FISH. En revanche, le gène CTNNA1 qui code pour l’a-caténine a une expression diminuée de plus de 50 % dans les progéniteurs de type LTC-IC (long term colony-iniating cell) CD34+CD38CD123+lin- des patients avec del(5q), ce qui suggère que l’allèle résiduel est fonctionnellement inactif [2]. Dans la lignée HL-60 del(5q), l’expression de CTNNA1 est en effet éteinte par modifications épigénétiques (hyperméthylation de l’ADN et déacétylation des histones) du promoteur. La décitabine (agent déméthylant l’ADN) ou la trichostatine A (inhibiteur d’histone déacétylase) restaure l’expression de CTNNA1 et induit l’apoptose de cette lignée. Chez 2/3 des patients avec del(5q) étudiés, la perte d’expression de CTNNA1 est due à une hyperméthylation de l’ADN d’une région promotrice proche du site d’initiation de la transcription. Chez un tiers des patients, l’expression de CTNNA1 persiste, ce qui témoigne soit d’un syndrome débutant sous l’effet d’une haplo-insuffisance, soit de l’implication d’un autre gène. CTNNA1 est donc un potentiel gène suppresseur de tumeur qui peut être inactivé par délétion d’un allèle et par extinction épigénétique de la transcription de l’autre allèle. La perte d’expression de la protéine a-caténine perturberait l’adhésion des cellules souches clonales dans la niche hématopoïétique favorisant l’expansion du clone malin. 113 La réponse au traitement par lénalidomide anomalies cytogénétiques est d’environ 20 % (dont 15 % de réponses complètes) dans une série de patients évalués par le Groupe francophone des myélodysplasies. L’équipe de Raza a entrepris de rechercher un profil transcriptionnel prédictif de la réponse au traitement. Les résultats publiés dans PLoS Medicine en février 2008 montrent que les patients répondeurs, qu’ils soient porteurs ou non d’une délétion 5q, ont une signature génique caractéristique d’un défaut de différenciation érythroïde HBA2, HBB, SPTA1, GYPA, GYPB, ALAS2, KLF1 [7]. L’expression de 4 gènes (SPARC, VSIG4, PP1C, TPBG) augmente dans les cellules érythroïdes normales et pathologiques de syndrome 5q-, cultivées en présence de lénalidomide [15]. SPARC, identifié comme gène suppres- Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Les hémopathies malignes avec del(5q) sont efficacement traitées par le lénalidomide. Dans la description initiale de la réponse au traitement dans un essai clinique de phase II, 45 % des patients ont une réponse cytogénétique complète après 6 cycles de traitement, 76 % ont une réduction des besoins transfusionnels et 67 % sont devenus indépendants des transfusions. Cependant, des neutropénies et/ou thrombopénies modérées ou sévères sont observées chez plus de 40 % des patients [3]. La réponse érythroïde au lénalidomide des patients porteurs d’une délétion 5q associée à d’autres IL9 TGFB1 MADH5 TRPC7 SPOCK HRNPA0 q11.2 TTID WNTBD q12 CDC23 q13 GFRA3 CDC25C q14 FAM53C q15 EGR1 q21 Joslin JM et al., 2007 ETF1 q22 HSPA9B q23 CTNNA1 Liu XT et al., 2007 MATR3 q31 UBE2D2 q32 CSF1R q33.1 PDGFRB TCOF1 q34 CD74 RPS14 q35 Ebert et al., 2008 NDST1 5q TNIP1 Pellagatti et al., 2007 SPARC ATOX1 GLRA1 114 Figure 1. Représentation schématique des zones communes de délétion du bras long du chromosome 5 dans les syndromes 5q- et les hémopathies myéloïdes à haut risque de transformation aiguë. Les gènes d’intérêt et les références bibliographiques sont indiqués par une flèche. Hématologie, vol. 14, n° 2, mars-avril 2008 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. seur de tumeurs dans plusieurs cancers est situé en 5q33.1. SPARC a des fonctions antiprolifératives, antiadhésives et pourrait être un médiateur des effets antiangiogéniques connus du médicament. La ré-expression de SPARC par le lénalidomide témoignerait de l’extinction du clone pathologique et de la sélection positive du clone normal. L’analyse cytogénétique confirme le plus souvent l’éradication du clone 5q- sous traitement et parfois l’émergence d’autres anomalies cytogénétiques. A ce jour, le mécanisme d’action du lénalidomide reste cependant imprécis. 4. List A, Dewald G, Bennett J, et al. Lenalidomide in the myelodysplastic syndromes with chromosome 5q deletion. N Engl J Med 2006 ; 355 : 1456-65. Conclusion 8. Liu JM, Ellis SR. Ribosomes and marrow failure : coincidental association or molecular paradigm? Blood 2006 ; 107 : 4583-8. Les travaux récents apportent des arguments forts pour la contribution d’un mécanisme d’haplo-insuffisance à l’émergence du syndrome 5q- et pour la nécessité d’une inactivation fonctionnelle d’un gène suppresseur de tumeur pour le développement d’une hémopathie myéloïde à haut risque de transformation en leucémie aiguë myéloblastique (figure 1). Bien qu’il y ait une région commune de délétion interstitielle, les points de cassure des délétions 5q sont éminemment variables d’un cas à l’autre et il n’y a pas de microdélétions infra-chromosomiques. Il est donc peu probable que ces maladies résultent de l’atteinte d’un seul gène, mais plutôt de l’intrication de plusieurs mécanismes complexes. ■ RÉFÉRENCES 1. Ebert BL, Pretz J, Bosco J, et al. Identification of RPS14 as a 5q- syndrome gene by RNA interference screen. Nature 2008 ; 451 : 335-40. 2. Liu XT, Becker MW, Jelinek J, et al. 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