JLL Capital Markets 2016 Financements immobiliers : l’âge de raison ? Executive Summary • L’évolution récente de la réglementation bancaire est la conséquence directe de la crise financière née en 2007 de l’éclatement d’une bulle immobilière aux Etats-Unis. Cette bulle fut alimentée par la baisse des taux directeurs, par le développement d’une finance toujours plus structurée et par une vive spéculation immobilière. • Le marché du crédit immobilier des 10 dernières années a connu 4 phases : la constitution d’une bulle jusqu’en 2007, son éclatement en 2007-2008, une ère « glaciaire » jusqu’en 2012, et un dégel depuis. Les emprunteurs ont aujourd’hui adopté une meilleure discipline, le levier n’étant plus le catalyseur du TRI mais un instrument normal de gestion. • Au cours de cette période, la réglementation bancaire s’est progressivement approfondie. Alors que le régulateur s’était essentiellement concentré sur le risque de crédit, il en est venu à s’intéresser aux risques opérationnels ainsi qu’au risque de liquidité. • On assiste en outre à la convergence des réglementations entre institutionnels, banques et assurances, qui produit parfois des effets miroirs : le coût du financement s’est renchéri pour les banques, s’est amoindri pour les assureurs. • Bien qu’elle vise à éviter les emballements de cycle, la réglementation peut avoir des impacts pro-cycliques, par exemple quand elle s’inspire du ratio LTV (Loan-to-Value) à l’octroi du crédit et non sur la foi d’une moyenne de long terme. • La situation actuelle se distingue du scénario de 2007 en raison de taux faibles, d’une réglementation du crédit plus contraignante et d’un marché immobilier qui n’est pas sur-offreur. • Ces mouvements tectoniques ont favorisé l’émergence de nouveaux acteurs du financement, dont les ambitions et les pratiques découlent directement de l’évolution prudentielle. Les emprunteurs doivent savoir naviguer et manœuvrer dans ce nouveau paysage, en dressant notamment la cartographie des écueils, et en recourant aux bons capitaines. Marché des financements : la situation de 2016 n’est pas celle de 2006 La dynamique des marchés de l’investissement et de la baisse des taux de rendement immobiliers depuis 2 ans rappellent les deux années qui ont précédé la crise de 2007-2009, qui a trouvé son origine dans le marché des financements résidentiels américains et dans un contexte d’abondance de crédit. Sur le marché de la dette immobilière, 2016 est-elle comparable à 2006 ? 3 grandes causes sont communément admises au krach de 2007 : • Une forte baisse des taux directeurs à partir de 2002, en particulier aux Etats-Unis, pour relancer l’économie suite à l’éclatement de la bulle internet. Cette politique de taux bas a été suivie par une remontée à partir de 2006 qui a contribué à déstabiliser les emprunts aux Etats-Unis. croissance de plusieurs pays suite au Brexit ne laissent pas présager de remontée des taux directeurs en Europe à court terme. Rien ne laisse anticiper une hausse brutale des taux directeurs comme en 2006 et tout laisse penser que les banques centrales réagiraient plus rapidement qu’en 20052006. • Le marché des financements s’est notablement re-régulé suite à la crise des « sub-prime » (directive Bâle III pour les banques et Solvency II pour les assurances, crash tests bancaires etc). Les excès de facilité ont disparu sur l’octroi des prêts et les ménages, soumis à un environnement peu favorable en termes de prise de risque (chômage etc), sont plus prudents. • Il reste encore un potentiel de création de valeur, à la fois via les loyers et la compression de la prime de risque, alors que cette dernière était négative en 2007. • Une politique très accommodante aux Etats-Unis en matière d’octroi de prêts immobiliers qui a débouché sur les financements « sub-prime ». • Une fièvre spéculative portée par le report vers l’immobilier de fonds sortis des marchés boursiers suite au krach des valeurs technologiques et par une mécanique d’anticipation de hausse des valeurs par les acteurs. Ces trois éléments cumulés ont résulté en une hausse considérable des prix, notamment sur le marché du logement. Aujourd’hui, si l’on analyse la situation, les similitudes existent mais les divergences sont plus importantes : • Les taux directeurs sont faibles en raison d’une économie atone. Les banques centrales sont très attentives à la situation et prêtes à relever leurs taux si nécessaire, comme l’a fait la banque centrale américaine (Fed) fin 2015. Si une reprise économique semblait s’amorcer en Zone Euro ces derniers mois, les révisions à la baisse des perspectives de © paris pao Pour comprendre le marché actuel du financement immobilier, un rappel historique paraît nécessaire. • 2003 - 2006 : émergence de la bulle Suite au krach des valeurs technologiques, les capitaux se reportent vers l’immobilier, considéré comme plus sécurisé. En parallèle, la Fed abaisse fortement ses taux directeurs pour relancer l’économie. A cela s’ajoute une politique de prêts immobiliers très accommodante aux Etats-Unis avec un système d’endettement à taux variable. De nombreux ménages américains, qui profitent de ce modèle d’emprunt avec des taux très faibles les premières années, se retrouvent dans l’incapacité d’honorer leurs mensualités lorsque les taux augmentent au cours des années suivantes. La crise américaine contamine l’Europe à partir du mois d’août 2007, les banques reconnaissant leur incapacité à évaluer leurs pertes liées aux « sub-prime ». La Banque Centrale Européenne (BCE) réagit immédiatement en ouvrant une ligne de crédit à faible taux (96 milliards d’euros). Des produits financiers structurés (CDO), adossés à des prêts « sub-prime », sont mis en place et diffusés à l’ensemble des acteurs financiers (hedge funds, banques de réseau, assureurs). En immobilier tertiaire, une forte concurrence apparaît entre les banques pour prêter et prendre des parts de marché. Les ratio Loan To Value (LTV), soit la part empruntée sur le prix total de l’actif, atteignent des niveaux élevés. Des prêts structurés complexes sont mis en place. Les marges des banques diminuent. Ce modèle alimente également la machine spéculative à partir de 2005 sur le marché parisien. • Mars 2007 - septembre 2008 : éclatement de la bulle En 2006, un effet ciseau se crée avec, d’une part, le durcissement de la politique monétaire américaine (hausse du taux directeur), et d’autre part l’arrêt de la hausse des prix. Le marché bascule dans les prémices de la crise. En 2007, en raison de la hausse des taux et de la structure même des prêts immobiliers résidentiels, des défauts massifs d’emprunteurs « sub-prime » se déclenchent. La valeur des obligations adossées à ces prêts « sub-prime », qui ont été diffusés auprès des plus grands investisseurs et banques. © Dominionart • De septembre 2008 à 2012 : l’ère glaciaire Deux périodes dans la crise qui suit les « sub-prime » : la crise bancaire et du secteur privé immédiatement après l’éclatement de la bulle (2008-2009) suivie par la crise de la dette publique en Europe (2010…). La crise des « sub-prime » connaît son apogée en septembre 2008 avec la nationalisation de FANNIE MAE et FREDDIE MAC, le rachat de banques en difficulté (MERRILL LYNCH rachetée par BANK OF AMERICA) et la faillite de LEHMAN BROTHERS le 15 septembre suite au refus du gouvernement de les garantir car « too big to fail » … La crise des « subprime » se transforme en crise financière et bancaire. L’ensemble des marchés boursiers dévisse très fortement - la perte subie par les actionnaires entre fin 2007 et fin 2008 est estimée à 20 000 milliards de dollars. La crise bancaire se généralise, devient globale et entraîne des mouvements de concentration dans le monde entier avec des rachats de banques et de sociétés d’assurances. En septembre–octobre 2008, les gouvernements et banques centrales annoncent des plans de sauvetage du secteur financier : structures de défaisance, baisse des taux directeurs, garanties étatiques pour éviter le « bank run » etc. La crise des banques va entraîner ultérieurement de nouvelles directives pour renforcer leur bilan (Bâle III). Les gouvernements doivent de nouveau intervenir début 2009 pour sauvegarder les banques qui ont annoncé des pertes importantes. Les banques se retrouvent dans l’incapacité de prêter suite à la dégradation de leur bilan (pertes, provisions à passer). Ce « credit crunch » entraîne l’économie et la crise pour le secteur non financier. Le marché immobilier se retrouve sans ressources financières ou presque : seuls les actifs très « core » sont financés, les montants de prêts sont limités, obligeant les investisseurs à regrouper plusieurs banques au sein de club deals pour se financer. Durant cette période, seuls des investisseurs fonds propres – assureurs, SCPI, OPCI – animent le marché français de l’investissement en immobilier d’entreprise. © jeff gynane La fin de l’année 2009 est marquée par la crise de la dette souveraine grecque. Le pays, qui revoit à la hausse sa prévision de déficit public pour l’année à 12,5% contre 3,7% du PIB auparavant, voit sa note dégradée de A- à BBB+ en décembre. La crise gagne alors progressivement les pays périphériques de la zone euro : le Portugal et l’Espagne voient à leur tour leurs notes dégradées en avril 2010. En parallèle, un fonds de stabilisation européen est créé en mai pour stabiliser les marchés et éviter la contagion. Début 2011, l’Irlande annonce également des difficultés financières liées au soutien apporté par l’Etat au système bancaire. Les notes de la plupart des pays européens sont une nouvelle fois dégradées. La crise des dettes souveraines a mis en lumière l’excès d’endettement des états européens et la plupart des gouvernements lancent des politiques d’austérité : hausse d’impôts, baisse des allocations, perte de certains avantages etc. • Depuis 2012-2013, le dégel Le financement s’est assoupli ces dernières années ; les banques ont apuré leur bilan, de nouvelles normes ont été instaurées, des stress tests ont été mis en place. Progressivement, le marché de la dette hypothécaire évolue, porté notamment par les Pfadnbriefe allemands qui apportent des financements compétitifs sur les actifs sécurisés. En parallèle, les faibles rendements offerts par les différentes classes d’actifs, la place laissée par les banques traditionnelles et les changements réglementaires ouvrent la porte à de nouveaux canaux de financements en Europe tels que les fonds de dette et les assureurs, qui cherchent à placer leurs liquidités. Le marché se dégèle peu à peu avec une hausse progressive des LTV, une baisse des marges, une hausse du montant des crédits et un élargissement du spectre de risque. Mais les acquéreurs restent relativement prudents et sollicitent moins le crédit qu’avant la crise. Aujourd’hui, le système des financements immobiliers est revenu à un fonctionnement que l’on peut qualifier de normal et la dette est actionnée dans une approche de « bon père de famille » et non plus pour générer artificiellement du TRI. La crise de la fin des années 2000 a eu des impacts notables sur l’environnement règlementaire, les acteurs et sur les pratiques de marché, modifiant durablement le paysage des financements. Un changement du paysage réglementaire suite à la crise •Historique En France, l’octroi de crédit à titre habituel est une opération réservée aux banques et établissements de crédit. Ces acteurs sont soumis à la tutelle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Régulation (ACPR), qui a succédé à la Commission Bancaire, et qui supervise aujourd’hui tant les banques et établissements de crédit que les compagnies d’assurance et les mutuelles, reconnaissant ainsi l’interconnexion entre ces acteurs et la similitude des risques qu’ils encourent. L’ACPR est présidée de droit par le gouverneur de la Banque de France. • Les Banques Les banques opèrent sur le marché du crédit en allouant une épargne collectée auprès des particuliers (comptes à vue), en empruntant sur le marché interbancaire (généralement à 3 mois), en émettant des obligations (généralement souscrites par des compagnies d’assurances et autres investisseurs institutionnels) et en collectant des fonds propres sur le marché des actions. Les banques supportent à ce titre des risques comparables à ceux supportés par les fonds ouverts immobiliers, à savoir : • un risque de perte en capital, le risque de crédit • un risque de liquidité dans le cas où les déposants retireraient massivement leurs dépôts à vue ou bien si le marché interbancaire s’asséchait, dit aussi risque de transformation. Le rôle des banques centrales s’apparente à celui de prêteur en dernier recours lorsqu’un établissement n’a pas accès à la liquidité. Ce rôle s’est particulièrement manifesté au plus fort de la crise de liquidité des années 2008-09. Le financement auprès de la Banque Centrale Européenne (BCE) est soumis à un certain nombre de règles qui le rend plus ou moins accessible à chaque banque. Pour éviter le risque systémique ou de contagion à l’ensemble du secteur réglementé, compte tenu de l’imbrication des acteurs par le biais des marchés interbancaire (contagion aux autres banques) ou obligataire (contagion aux assureurs et mutualistes), la tutelle des prêteurs a régulièrement mis à jour son dispositif de supervision et de contrôle, visant notamment à ce que chaque intervenant dispose des fonds propres nécessaires à se prémunir contre le choc causé par la survenance massive d’un ou plusieurs risques. Dès 1988, la Banque des Règlements Internationaux (BRI), qui siège à Bâle, a édicté un corpus de règles définissant le montant et le type de fonds propres minimum requis pour exercer le métier de banque. Les accords de Bâle ont donné naissance au ratio Cooke (du nom du président de la BRI) qui dispose que les fonds propres doivent représenter 8% des encours de crédit. Certains encours sont assortis d’une pondération dérogatoire (0% pour les emprunts d’Etat, 50% pour les crédits hypothécaires à l’habitat, etc.). Avec la désintermédiation du crédit et la sophistication croissante des marchés de capitaux, de nouveaux accords dits Bâle II entrés en vigueur entre 2004 et 2008 intègrent désormais les risques de marché, et les risque opérationnels (défaillance des systèmes de paiement, erreur humaine, fraude, etc.). Ici encore, le président donne son nom au ratio : McDonough. Une évolution majeure des méthodes de calcul consiste à intégrer la notation externe dans le calcul des pondérations dérogatoires, ainsi qu’à introduire la sur-pondération de certains risques qui exigent davantage de fonds propres que 8%. A l’issue de la crise financière déclenchée par la débâcle des « sub-prime », les accords dits Bâle III (traduits en Europe par une directive datant de 2010, et progressivement mis en œuvre entre 2012 et 2019) intègrent pour la première fois le risque de transformation en exigeant que les établissements supervisés puissent faire face à un assèchement temporaire (un mois) ou durable (un an) du marché interbancaire ou à un retrait des déposants. Outre l’adéquation des fonds propres (pilier I de la réglementation), Bâle III impose également deux autres piliers au corpus de règles, à savoir des obligations de suivi du risque après l’octroi du financement (pilier II), et des obligations d’informations claires et transparentes (pilier III). • Assureurs et mutuelles Les assureurs et mutuelles exercent un métier miroir de celui de prêteur : ils collectent des primes dont ils devront restituer tout ou partie lorsque les risques assurés surviendront. Les primes sont donc investies dans l’attente de la fin des polices d’assurance. Historiquement, la réglementation des assureurs s’intéressait essentiellement à l’adéquation entre l’horizon d’investissement des primes et l’écoulement du paiement des sinistres, en déterminant la marge de solvabilité. Les fonds propres servaient à combler ladite marge. La nouvelle réglementation appelée Solvency II est née dans la vague de Bâle III et complexifie les règles de calcul des fonds propres en fonction du risque supporté en investissant le montant des primes encaissées. Comme pour Bâle III, l’exigence en fonds propres n’est qu’un des piliers de la réglementation, les deux autres s’inspirant de la réglementation bancaire (c’est-à-dire le suivi du risque, et l’obligation d’information). • Approche standardisée - Modèle interne Pour déterminer le risque de crédit, banques et assureurs peuvent opter pour une approche standardisée ou pour une notation interne. © Number1411 Dans l’approche standardisée, la réglementation opère une classification des risques et impose une grille impérative d’exigence de fonds propres. Dans l’approche fondée sur la notation interne, chaque établissement peut faire valider par la tutelle son propre modèle de calcul de fonds propres en fonction de ses bases statistiques. De façon schématique, pour chaque catégorie de risque, l’établissement calcule une probabilité de défaut, et estime la perte probable en cas de défaut. Pour ce dernier élément, l’existence de sûretés (hypothèques, cautions, garanties, gage-espèces, etc.) telles qu’il en existe en financement immobilier est bien entendu déterminante. Le besoin de fonds propres dérive de ces calculs, qui influencent directement la LTV, la durée, le profil d’amortissement ou encore la marge du prêt. • Buts recherchés La réglementation vise à améliorer la solidité financière des établissements régulés. Elle se veut par principe contra-cyclique afin que les activités financières ne participent pas à l’euphorie qui précède l’éclatement des bulles spéculatives. S’agissant du financement immobilier toutefois, on peut s’interroger sur la pertinence de l’approche standardisée qui postule notamment que l’exigence de fonds propres est déterminée par la LTV (loan-to-value, quotité de financement) et par la stabilité des revenus locatifs lors de la mise en place du crédit (IPCRE ou Income-Producing Real Estate). Ainsi le financement de la promotion est-il pénalisé (150% de fonds propres), ce qui voudrait dire que les promoteurs engagent systématiquement leurs opérations en haut de cycle. La réglementation actuelle pénalise ainsi le recours raisonné au financement lorsque les immeubles sont lancés en blanc en bas de cycle. De la même manière, la notion de LTV empêche le financement de la reprise en bas de cycle, et son application uniforme (qui exige autant de fonds propres à 30% qu’à 65%) empêche les établissements de diversifier leur risque en accumulant des prêts peu risqués (la fraction à 30% dans notre exemple). Une référence aux moyennes de long terme pourrait servir à corriger ces effets. •Perspectives Bien que la réglementation prudentielle soit la transcription de directives européennes, chaque banque centrale nationale demeure libre d’appliquer des critères plus contraignants. Ainsi la Rijskbank en Suède s’interroge-t-elle régulièrement sur l’opportunité de ralentir la hausse des prix des logements en augmentant de 30 à 50% l’exigence de fonds propres pour cette activité. En France, les professions immobilières ont récemment fait la connaissance d’un nouvel acteur, le HCSF (Haut Conseil à la Stabilité Financière), sous la tutelle du Ministère des Finances, qui détermine la politique macro-prudentielle et dont la mission consiste à prévenir le risque systémique du secteur financier. Il prend ses décisions en collaboration avec la Commission européenne, la Banque Centrale Européenne (BCE), le Comité Européen du Risque Systémique (CERS), l’Autorité Bancaire Européenne (EBA), et les autorités macro-prudentielles des autres Etats membres de l’Union européenne. Ses pouvoirs l’autorisent à imposer en tant que de besoin des coussins d’exigence en fonds propres, soit pour couvrir le risque systémique, soit pour exercer une action contra-cyclique. Le HCSF a publié en avril 2016 un bulletin dans lequel il s’interrogeait sur la survalorisation de l’immobilier en France, bulletin qui a suscité les réactions des professionnels et permis d’entamer un dialogue portant notamment sur la transparence du marché immobilier et de ses financements. Les acteurs Le contexte ainsi posé, il devient plus aisé de comprendre de quelle manière a évolué le paysage des acteurs du financement depuis la crise et leurs stratégies mises en œuvre en France. Nous en dressons le panorama par contribution décroissante aux montants financés dans l’hexagone. • Banques de réseau en France Principaux acteurs à l’échelle nationale, les banques de réseau françaises ont été fortement impactées par la prise en compte du risque de transformation, puisque les dépôts à vue constituent une ressource prépondérante à leur bilan. Leur capacité à développer une relation multi-produits (couverture de taux, gestion des comptes bancaires, traitement des flux, etc.) les amène à privilégier la clientèle récurrente et à analyser une opération de financement dans le cadre d’une relation commerciale globale, au-delà des mérites propres de l’immobilier à financer. Elles peuvent ainsi se montrer plus agressives dans ce contexte. • Banques hypothécaires allemandes Le deuxième grand groupe de prêteurs à l’immobilier est constitué par les banques dites « hypothécaires » qui se financent en grande partie en émettant directement des Obligations Foncières en France, ou de Pfandbriefe en Allemagne, de Cedulas Hipotecarias en Espagne, et désormais aussi de Covered Bonds au Royaume-Uni. Cet instrument combine la liquidité des obligations et la sécurité des hypothèques, puisque chaque émission obligataire est garantie par un portefeuille de crédits hypothécaires (ou de prêts aux collectivités locales, mais cela nous intéresse moins dans le cadre de cette note) juridiquement cantonné et échappant ainsi au risque de faillite de la banque émettrice. Pour ces acteurs, la qualité de l’immobilier financé, l’existence de sûretés hypothécaires, la gestion du risque de taux et de remboursement anticipé, sont les critères les plus pertinents de l’analyse. Or les assureurs sont depuis longtemps de fins connaisseurs du marché, puisqu’ils sont les premiers détenteurs d’immobilier en France. Il est donc logique que nombre d’entre eux aient cherché à capitaliser sur ces compétences pour développer une activité de crédit moins coûteuse en fonds propres. Certains ont développé des capacités en interne, d’autres ont choisi la route du financement indirect au travers de fonds de dette. Au plus fort de la crise financière, ces deux premiers groupes sont les seuls qui aient pu rester actifs. • Fonds de dette • Banques de réseau en Europe Les banques à réseau européennes constituent un groupe un peu plus volatil et dont l’activité commerciale fluctue davantage avec le cycle du marché immobilier. Leur retour en force au cours des trois dernières années a contribué au tassement des marges. • Banques d’investissement Les banques de marché, d’origine et d’inspiration américaine, ont pour caractéristique principale une forte capacité de prise ferme en volume unitaire, mais aussi un besoin chronique de distribuer le risque après l’octroi du crédit. Elles ont reculé avec la crise financière qui a fermé le grand marché de la titrisation, mais elles reviennent à la faveur de la multiplication des nouveaux acteurs du financement, auprès desquels elles trouvent des débouchés, non plus en titrisation mais désormais en syndication. A partir de 2011, poussés par la demande de compagnies d’assurance désireuses de pratiquer le financement immobilier, certains gestionnaires ont bâti des stratégies de levée de fonds. Le droit français évoluait en parallèle pour autoriser la constitution de fonds de prêts à l’économie qui sont autorisés de façon dérogatoire à octroyer des prêts. L’exigence de fonds propres et la réglementation du crédit ou des assureurs s’appliquent alors à leurs souscripteurs. Comme on le constate, la crise a eu des effets notables de transformation du marché, de la réglementation et des acteurs. L’environnement est donc très différent de celui de 2006 et certains points d’attention méritent d’être soulevés. •Assureurs La réglementation Solvency II a produit des effets opposés à celle de Bâle III. Pendant que cette dernière renchérissait le coût du crédit bancaire en rehaussant les exigences de fonds propres, la première opérait en sens inverse, rendant la détention directe d’un patrimoine immobilier plus onéreuse pour les assureurs que l’octroi de crédit adossé au même immobilier… © xc Vade-mecum du financement Avec la multiplication des canaux du financement et la diversité accrue des intervenants, le besoin de coordination professionnelle s’est fait sentir. Depuis 2009, le Commercial Real Estate Finance Council (CREFC), né aux Etats-Unis, a ouvert un chapitre européen (baptisé sans surprise CREFC Europe). Au-delà d’être une instance de représentation et de dialogue avec les tutelles, le CREFC Europe s’est également emparé du sujet des « meilleures pratiques » et a rédigé un guide opérationnel vu du côté des prêteurs. Il nous a paru utile de souligner ici quelques éléments d’attention pour les emprunteurs. En outre, et pour que le prêteur dispose des hypothèques de manière absolument prioritaire par rapport à d’autres créanciers, l’emprunteur ne doit pas employer de salarié. Il aura donc recours à la gestion déléguée par le biais de contrats de property management et d’asset management. • Définition - Champ d’étude Nous nous attachons à ce que le marché désigne « financements immobiliers structurés », c’est-à-dire le financement hypothécaire d’une entité ad-hoc, sans recours envers ses associés ou actionnaires, dont l’activité est strictement limitée à la détention et à l’exploitation des biens financés. •Sûretés Par construction, une condition sine qua non du financement consiste pour l’emprunteur à donner une sûreté réelle sur les immeubles financés. Cette sûreté sera inscrite au registre des hypothèques et peut prendre plusieurs formes. S’il s’agit de financer l’acquisition d’un immeuble déjà construit, on pourra inscrire un privilège de prêteur de deniers en acquittant uniquement les frais d’acte (contribution de sûreté immobilière, anciennement salaire du conservateur, pour 0,05 %). Les frais d’acte seront les mêmes si l’on transfère, par subrogation, une hypothèque existante au nouveau prêteur. S’il s’agit d’inscrire une hypothèque postérieurement à l’acquisition, ou en complément d’une hypothèque existante, ou sur un actif en cours de construction, les frais d’acte sont majorés de la taxe sur la publicité foncière au taux de 0,715 %. Dans tous les cas, l’acte est notarié, des émoluments sont donc à prévoir pour rédiger le contrat de prêt. Il est usuel d’enregistrer l’hypothèque pour le capital emprunté majoré de 10% pour les intérêts et accessoires, parfois pour la couverture de taux. © isak55 • Achat de titres Lorsqu’on investit en achetant les titres d’une société propriétaire d’un immeuble, il faut s’interroger en amont sur la capacité d’endettement de la cible, la seule en mesure d’octroyer une sûreté réelle. Quel endettement existe avant l’acquisition ? Quels autres financements sont envisageables au niveau de la cible ? Quel est le rapport entre la valeur des titres et la dette existante ? Quels prêteurs pourraient financer le seul achat de titres et accepter d’être subordonnés à un créancier hypothécaire ? • Risque de Taux •Travaux Les intérêts sont généralement indexés sur le taux interbancaire (Euribor 3 mois). Les emprunteurs sont ainsi exposés à la hausse des taux, qu’ils ne pourront répercuter aux locataires au titre des baux… Les prêteurs exigent donc, même dans un environnement de taux accommodant, que les emprunteurs couvrent ce risque, par un cap ou un swap de taux. Le cap est une option qui plafonne le taux Euribor 3 mois. L’emprunteur doit payer une prime en une ou plusieurs fois. Le swap est un contrat d’échange, par lequel l’emprunteur reçoit des intérêts calculés sur Euribor 3 mois, et paie un taux fixe. L’emprunteur ne paie pas de prime. L’option reste toujours un actif au bilan de l’emprunteur, tandis que le swap peut devenir une dette additionnelle si les taux baissent pendant la durée du crédit. La valeur du swap (soulte) est due par l’emprunteur en cas de sortie anticipée, par priorité au crédit. Il a ainsi été difficile de revendre certains immeubles acquis pendant la période euphorique 2006-2007 à Londres et assortis de swap à 20 ou 25 ans, au motif que la soulte représentait jusqu’à 30% du capital restant dû !! La conclusion d’un swap est aujourd’hui rendue plus complexe du fait de taux d’intérêts négatifs. Les prêteurs ont tendance à imposer que, si le taux Euribor publié est négatif, il sera réputé égal à zéro. Cette disposition n’est pas reprise dans les contrats de swap, l’emprunteur peut donc être contraint de payer au titre du swap une somme qu’il ne retrouve pas dans le prêt. L’achat d’un instrument de couverture est aujourd’hui souvent accompagné d’un conseil en dérivés de taux. Pour les investissements value-add ou opportunistes, il est courant qu’une ouverture de crédit soit consentie à l’emprunteur pour mener à bien des travaux de remplacement ou de rénovation. Ici aussi la supervision du prêteur est scrupuleuse. Le plus souvent, il missionne un conseil qui valide les états d’avancement du chantier, les devis et les factures à honorer. Les discussions avec le prêteur portent sur les procédures à suivre, les délais d’instruction, la fréquence des tirages, etc. • Assurance des immeubles L’immeuble étant le seul recours du prêteur en cas de défaut, la police d’assurance est un point d’attention particulière pour les prêteurs. Les exigences usuelles quant à la qualité de l’assureur et la définition des risques assurés (3 ans de perte de loyers, sabotage, force majeure et terrorisme entre autres) sont assorties de clauses spécifiques sur la conduite à tenir en cas de sinistre : quote-part de surfaces détruites ou montant de sinistre qui oblige à rembourser, délai maximum de reconstruction, polices à souscrire pour le chantier, etc. • Cas des portefeuilles - Mutualisation du risque Lorsqu’on achète plusieurs immeubles avec un horizon de détention différent pour chaque actif, le prêteur souhaitera que le crédit soit sécurisé par l’ensemble des actifs et des flux. Pour éviter la dégradation de son risque après l’arbitrage des meilleurs immeubles, il prévoit en général que la vente d’un actif soit assortie d’un sur-remboursement, au-delà de la quote-part de crédit adossé aux actifs arbitrés. Ainsi la LTV décroît au fil des cessions. Si les immeubles sont détenus au travers de sociétés distinctes, la mutualisation du risque passera par des garanties croisées entre sociétés sœurs ou bien par une garantie de leur société holding. Dans ce contexte, les questions d’intérêt social et de sous-capitalisation devront être anticipées. À PROPOS DE JLL CAPITAL MARKETS JLL Capital Markets est un leader indépendant du conseil pour l’investissement dans l’immobilier commercial. Ses 1 200 collaborateurs accompagnent toutes sortes de clients bien au-delà de la simple transaction et proposent les services qui leur conféreront l’avantage lors de leurs investissements. Selon notre expérience, le fait de voir les choses sous plusieurs angles permet d’identifier de nouvelles opportunités. JLL combine l’expertise financière à l’accès aux capitaux mondiaux et à ses connaissances poussées de l’immobilier pour permettre à ses clients d’envisager les choses autrement. 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