Le gingko biloba et les autres thérapies complémentaires

La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001 • 9
Les ventes d'herbes médicinales et
de remèdes à base de plantes con-
naissent une véritable explosion en
Occident depuis quelques années.
Pour la population générale, le terme
« herbe » est synonyme de « natu-
rel », laissant supposer que les herbes
médicinales sont sans effet indési-
rable. Les gens sont également con-
vaincus que les remèdes à base de
plantes (ou produits de phytothéra-
pie) provoqueront exactement les
effets décrits sur les étiquettes, sans
savoir si ces produits ont été mis à
l'épreuve ou homologués conformé-
ment à la Loi sur les aliments et les
drogues. Pourtant, en cette époque de
« conscientisation » du consomma-
teur, les professionnels de la santé et
les non-spécialistes devraient se
poser quelques questions. Quelles
sont les preuves à l'appui de ces allé-
gations? Quels sont les inconvénients
de ces produits? Si une herbe médici-
nale est efficace et n'entraîne pas
d'effets indésirables, pourquoi son
usage n'est-il pas généralisé? Nous
essaierons ensemble de répondre à
ces questions.
Qu'est-ce que le gingko biloba?
Le gingko biloba est un arbre origi-
naire de la Chine, où il existe depuis
des milliers d'années, et un des arbres
les plus anciens de la planète. Cet
arbre produit un fruit qui porte une
graine en son centre. À l'origine,
l'extrait de gingko était préparé à la
fois à l'aide de cette graine et des
feuilles de l'arbre. Aujourd'hui,
l'extrait de gingko biloba que l'on
retrouve partout est préparé unique-
ment à partir des feuilles. La prépara-
tion uniformisée, appelée « EGb
761 », contient des glucosides de
gingko-flavonol et des lactones ter-
péniques (6 %), comme les gingko-
lides A, B, C, J et le bilobalide1.
L'engouement de la population
générale pour le ginko biloba est
attribuable aux allégations selon
lesquelles le gingko biloba améliore
la concentration et la mémoire.
Parce que le gingko biloba
contient plusieurs composés, ses
effets sont divers, à savoir :
Effets antioxydants. Les effets
antioxydants du gingko biloba expli-
queraient les mécanismes par lesquels
Le ginkgo biloba et les autres
thérapies complémentaires
Parce qu'il augmente le débit sanguin dans les artères et les capillaires ainsi que dans le
cerveau, on allègue que le gingko biloba est efficace dans le traitement des affections liées à
une diminution du débit sanguin cérébral, surtout chez les personnes âgées. Comme pour
tous les médicaments, il faut toutefois évaluer les bienfaits potentiels de cette herbe
médicinale en regard des risques potentiels liés à son utilisation.
par Peter Lin, M.D.
Le Dr Lin est directeur médical du
Health and Wellness Centre de
l'Université de Toronto, à
Scarborough en Ontario.
cette plante protège les neurones du
stress oxydatif.
Effets vasodilatateurs. Le gingko
biloba contribue à augmenter le débit
sanguin, et ses effets ont été étudiés
chez des patients atteints de maladie
vasculaire périphérique.
Effets antiplaquettaires. Le
gingko biloba exercerait également
une activité antiplaquettaire.
Compte tenu de cette gamme
d'effets bénéfiques, on a utilisé le
gingko biloba pour soulager diverses
affections, notamment l'insuffisance
cérébrale, les acouphènes, le vertige,
la claudication et la démence.
Quelles données cliniques
justifient le recours au
gingko biloba dans la démence?
En 1997, Le Bars et ses collabora-
teurs ont mené une étude de grande
envergure sur les effets du gingko
biloba, et les résultats ont été favo-
rables2. Cette étude a produit cer-
taines données démontrant les effets
bénéfiques de cette plante sur la
mémoire. Les auteurs de l'étude d'une
durée de 52 semaines ont évalué et
comparé la préparation EGb 761
(120 mg par jour) au placebo chez
des patients atteints de la maladie
d'Alzheimer ou de démence vascu-
laire. Au total, 309 patients ont été
recrutés, mais seulement 202 ont
présenté des résultats évaluables
après 52 semaines de traitement. Les
principaux paramètres étaient le
score sur l'échelle d'évaluation de la
maladie d'Alzheimer et la sous-
échelle d'évaluation de la fonction
cognitive (ADAS-Cog), le score avec
le Geriatric Evaluation by Relative's
Rating Instrument (GERRI) et le
score au sujet de l'impression cli-
nique globale de changement
(CGIC).
L'analyse menée selon le principe
de l'intention de traiter a montré que les
patients du groupe EGb ont présenté
un score ADAS-Cog plus élevé de
1,4 point par rapport aux sujets du
groupe placebo (p= 0,04) et un
score GERRI plus élevé de 0,14 point
comparativement au groupe placebo
(p= 0,004). L'analyse des données
évaluables a révélé que 27 % des
patients traités par l'EGb ont présenté
une amélioration d'au moins
quatre points du score ADAS-Cog, par
rapport à 14 % des sujets dans le
groupe placebo (p= 0,005). De son
côté, le score GERRI a été amélioré
chez 37 % des patients du groupe EGb,
par rapport à 23 % des sujets dans le
groupe placebo (p= 0,003). Enfin, les
scores CGIC ont été semblables dans
les groupes EGb et placebo. Ces
résultats ont donc montré que la prise
d'EGb avait influé favorablement sur
la performance cognitive et sur le
fonctionnement social, bien que ces
changements aient été, au mieux,
modestes.
Effets indésirables
Il est évident que la plupart, sinon
tous les produits ayant des propriétés
médicinales, entraînent des effets
indésirables. Les médecins doivent
donc évaluer les effets bénéfiques
potentiels en regard des effets
indésirables des agents qu'ils pres-
crivent. Si un agent produit des
bienfaits modestes sans entraîner
d'effets indésirables marquants, il
vaut la peine de l'utiliser.
Même si l'étude clinique de
Le Bars a montré que les effets
indésirables étaient semblables dans
les deux groupes de patients, on
trouve dans la documentation
quelques études de cas de complica-
tions hémorragiques liées à la prise
de gingko biloba et attribuables aux
effets antiplaquettaires de cette
plante. En effet, un agent doté de pro-
priétés antiplaquettaires peut entraî-
ner une hémorragie spontanée
lorsqu'il est pris en monothérapie ou
il peut causer des complications
hémorragiques en accroissant les
effets d'autres antiplaquettaires ou
anticoagulants, notamment la war-
farine, l'acide acétylsalicylique
(AAS) ou les anti-inflammatoires
non stéroïdiens (AINS). Il importe
donc d'éviter ces associations
médicamenteuses.
Quelles sont les craintes au sujet
des effets du gingko biloba?
Comme il l’a été dit auparavant, on a
signalé plusieurs cas de complica-
tions liées à la prise du gingko biloba.
En voici quelques-unes.
Hémorragie. On a rapporté le cas
d'un homme de 56 ans qui a subi une
hémorragie cérébrale spontanée après
avoir pris régulièrement et de son
propre chef des préparations à base
de gingko biloba3.
Un autre cas est survenu chez un
patient qui avait subi une cholécystec-
tomie par laparoscopie. Ce patient a
présenté des complications hémorra-
giques après l'opération, possiblement
liées à la prise de gingko biloba4. À la
suite de ce rapport de cas, on a recom-
mandé fortement aux médecins de
demander à leurs patients s'ils
prenaient du gingko biloba et, le cas
échéant, de leur dire de cesser de
prendre cette plante médicinale au
moins une semaine avant l'interven-
tion chirurgicale.
10 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001
Les médecins doivent donc évaluer les effets
bénéfiques potentiels en regard des effets indésirables
des agents qu'ils prescrivent. Si un agent produit des
bienfaits modestes sans entraîner d'effets indésirables
marquants, il vaut la peine de l'utiliser.
La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001• 11
Convulsions. On craint également
les effets de l'ingestion de grandes
quantités de noix de gingko (graines
du gingko biloba). On a en effet vu le
cas d'une femme de 36 ans qui aurait
consommé de 70 à 80 noix de gingko
et qui a souffert de convulsions
généralisées quatre heures après avoir
mangé ces noix5. Il semble que cette
femme prenait le gingko biloba pour
améliorer sa mémoire. Elle n'avait
aucun antécédent de convulsions.
Interactions médicamenteuses.
Les patients atteints de maladie
d'Alzheimer sont âgés et, très
souvent, ils prennent de nombreux
médicaments, y compris de l'AAS.
Tous les médicaments peuvent pro-
duire des interactions avec d'autres
agents et ainsi entraîner des effets
indésirables. L'ajout de gingko biloba
à un schéma thérapeutique (qui inclut
l'AAS par exemple) augmente un
risque déjà élevé d'interactions médi-
camenteuses, surtout le risque de
complications hémorragiques.
Absence de réglementation. Mal-
heureusement, les remèdes à base de
plantes, tels que le gingko biloba, ne
font pas l'objet d'une réglementation,
c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire
de démontrer leur efficacité ou leur
innocuité pour les commercialiser.
Les ingrédients et le processus de fa-
brication ne sont pas soumis à des
exigences particulières. La quantité
des ingrédients actifs peut ainsi varier
d'une préparation à l'autre et, dans
certains cas, les substances contami-
nantes ne sont pas détectées dans le
produit.
Conclusion
Même si le gingko biloba est doté
de certaines propriétés bénéfiques
(par exemple les effets antioxy-
dants), la prise de cet agent entraîne
encore un risque trop élevé. Les
effets bénéfiques sont marginaux,
mais les risques sont bien réels.
D'autres recherches devront être
menées pour déterminer quel est
l'ingrédient actif du gingko biloba.
Cet ingrédient pourrait ensuite être
purifié pour éliminer certains effets
indésirables. Il faudrait également
déterminer la plage des doses opti-
males.
L'organisme humain ne fait pas de
distinction entre un médicament et un
produit de phytothérapie. L'un et
l'autre sont reconnus et métabolisés
de la même façon par l'organisme.
Avant que les médecins puissent
recommander le gingko biloba à leurs
patients pour le traitement de la
démence, cette plante médicinale
devra être étudiée et mise à l'épreuve
de façon rigoureuse, tout comme les
médicaments de la médecine tradi-
tionnelle. Les mêmes lois et règle-
ments s’appliquent à tous les
produits. En d'autres mots, les pro-
priétés curatives d'un des plus anciens
arbres du monde demeurent un mys-
tère qu'il faudra élucider pour que le
ginko biloba puisse être pris sans
danger par les patients.
Références
1. CLOSTRE, F. « Ginkgo biloba extract
(EGb 761). State of knowledge in the
dawn of the year 2000 », Ann Pharm Fr,
vol. 57 (suppl. 1), 1999, p. 158-188.
2. LE BARS, P. L., KATZ, M. M., BERMAN,
N. et al. « A placebo-controlled, double-
blind, randomized trial of an extract of
Ginkgo biloba for dementia », JAMA,
vol. 278, no16, 1997, p. 1327-1332.
3. BENJAMIN, J., MUIR, T., BRIGGS, K. et al.
« A case of cerebral haemorrhage - can
Ginkgo biloba be implciated? », Postgrad
Med J, vol. 77, no 904, 2001, p. 112-113.
4. FESSENDEN, J. M., WITTENBORN, W.
et L. CLARKE. « Ginkgo biloba: a case
report of herbal medicine and bleeding
postoperatively from a laparoscopic
cholecystectomy », Am Surg, vol. 67,
no1, 2001, p. 33-35.
5. MIWA, H., IIJIMA, M., TANAKA, S. et al.
« Generalized convulsions after consu-
ming a large amount of ginkgo nuts »,
Epilepsia, vol. 42, no2, 2001, p. 280-281.
Les patients atteints de maladie d'Alzheimer sont âgés
et, très souvent, ils prennent de nombreux
médicaments, y compris de l'AAS. [...] L'ajout de
gingko biloba à un schéma thérapeutique (qui inclut
l'AAS par exemple) augmente un risque déjà élevé
d'interactions médicamenteuses, surtout le risque de
complications hémorragiques.
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