Le ginkgo biloba et les autres thérapies complémentaires Parce qu'il augmente le débit sanguin dans les artères et les capillaires ainsi que dans le cerveau, on allègue que le gingko biloba est efficace dans le traitement des affections liées à une diminution du débit sanguin cérébral, surtout chez les personnes âgées. Comme pour tous les médicaments, il faut toutefois évaluer les bienfaits potentiels de cette herbe médicinale en regard des risques potentiels liés à son utilisation. par Peter Lin, M.D. L Le Dr Lin est directeur médical du Health and Wellness Centre de l'Université de Toronto, à Scarborough en Ontario. es ventes d'herbes médicinales et de remèdes à base de plantes connaissent une véritable explosion en Occident depuis quelques années. Pour la population générale, le terme « herbe » est synonyme de « naturel », laissant supposer que les herbes médicinales sont sans effet indésirable. Les gens sont également convaincus que les remèdes à base de plantes (ou produits de phytothérapie) provoqueront exactement les effets décrits sur les étiquettes, sans savoir si ces produits ont été mis à l'épreuve ou homologués conformément à la Loi sur les aliments et les drogues. Pourtant, en cette époque de « conscientisation » du consommateur, les professionnels de la santé et les non-spécialistes devraient se poser quelques questions. Quelles sont les preuves à l'appui de ces allégations? Quels sont les inconvénients de ces produits? Si une herbe médicinale est efficace et n'entraîne pas d'effets indésirables, pourquoi son usage n'est-il pas généralisé? Nous essaierons ensemble de répondre à ces questions. Qu'est-ce que le gingko biloba? Le gingko biloba est un arbre originaire de la Chine, où il existe depuis des milliers d'années, et un des arbres les plus anciens de la planète. Cet arbre produit un fruit qui porte une graine en son centre. À l'origine, l'extrait de gingko était préparé à la fois à l'aide de cette graine et des feuilles de l'arbre. Aujourd'hui, l'extrait de gingko biloba que l'on retrouve partout est préparé uniquement à partir des feuilles. La préparation uniformisée, appelée « EGb 761 », contient des glucosides de gingko-flavonol et des lactones terpéniques (6 %), comme les gingkolides A, B, C, J et le bilobalide1. L'engouement de la population générale pour le ginko biloba est attribuable aux allégations selon lesquelles le gingko biloba améliore la concentration et la mémoire. Parce que le gingko biloba contient plusieurs composés, ses effets sont divers, à savoir : Effets antioxydants. Les effets antioxydants du gingko biloba expliqueraient les mécanismes par lesquels La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001 • 9 cette plante protège les neurones du stress oxydatif. Effets vasodilatateurs. Le gingko biloba contribue à augmenter le débit sanguin, et ses effets ont été étudiés chez des patients atteints de maladie vasculaire périphérique. Effets antiplaquettaires. Le gingko biloba exercerait également une activité antiplaquettaire. Compte tenu de cette gamme d'effets bénéfiques, on a utilisé le gingko biloba pour soulager diverses affections, notamment l'insuffisance cérébrale, les acouphènes, le vertige, la claudication et la démence. Quelles données cliniques justifient le recours au gingko biloba dans la démence? En 1997, Le Bars et ses collaborateurs ont mené une étude de grande envergure sur les effets du gingko biloba, et les résultats ont été favo- le Geriatric Evaluation by Relative's Rating Instrument (GERRI) et le score au sujet de l'impression clinique globale de changement (CGIC). L'analyse menée selon le principe de l'intention de traiter a montré que les patients du groupe EGb ont présenté un score ADAS-Cog plus élevé de 1,4 point par rapport aux sujets du groupe placebo (p = 0,04) et un score GERRI plus élevé de 0,14 point comparativement au groupe placebo (p = 0,004). L'analyse des données évaluables a révélé que 27 % des patients traités par l'EGb ont présenté une amélioration d'au moins quatre points du score ADAS-Cog, par rapport à 14 % des sujets dans le groupe placebo (p = 0,005). De son côté, le score GERRI a été amélioré chez 37 % des patients du groupe EGb, par rapport à 23 % des sujets dans le groupe placebo (p = 0,003). Enfin, les Les médecins doivent donc évaluer les effets bénéfiques potentiels en regard des effets indésirables des agents qu'ils prescrivent. Si un agent produit des bienfaits modestes sans entraîner d'effets indésirables marquants, il vaut la peine de l'utiliser. rables2. Cette étude a produit certaines données démontrant les effets bénéfiques de cette plante sur la mémoire. Les auteurs de l'étude d'une durée de 52 semaines ont évalué et comparé la préparation EGb 761 (120 mg par jour) au placebo chez des patients atteints de la maladie d'Alzheimer ou de démence vasculaire. Au total, 309 patients ont été recrutés, mais seulement 202 ont présenté des résultats évaluables après 52 semaines de traitement. Les principaux paramètres étaient le score sur l'échelle d'évaluation de la maladie d'Alzheimer et la souséchelle d'évaluation de la fonction cognitive (ADAS-Cog), le score avec scores CGIC ont été semblables dans les groupes EGb et placebo. Ces résultats ont donc montré que la prise d'EGb avait influé favorablement sur la performance cognitive et sur le fonctionnement social, bien que ces changements aient été, au mieux, modestes. Effets indésirables Il est évident que la plupart, sinon tous les produits ayant des propriétés médicinales, entraînent des effets indésirables. Les médecins doivent donc évaluer les effets bénéfiques potentiels en regard des effets indésirables des agents qu'ils prescrivent. Si un agent produit des 10 • La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001 bienfaits modestes sans entraîner d'effets indésirables marquants, il vaut la peine de l'utiliser. Même si l'étude clinique de Le Bars a montré que les effets indésirables étaient semblables dans les deux groupes de patients, on trouve dans la documentation quelques études de cas de complications hémorragiques liées à la prise de gingko biloba et attribuables aux effets antiplaquettaires de cette plante. En effet, un agent doté de propriétés antiplaquettaires peut entraîner une hémorragie spontanée lorsqu'il est pris en monothérapie ou il peut causer des complications hémorragiques en accroissant les effets d'autres antiplaquettaires ou anticoagulants, notamment la warfarine, l'acide acétylsalicylique (AAS) ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Il importe donc d'éviter ces associations médicamenteuses. Quelles sont les craintes au sujet des effets du gingko biloba? Comme il l’a été dit auparavant, on a signalé plusieurs cas de complications liées à la prise du gingko biloba. En voici quelques-unes. Hémorragie. On a rapporté le cas d'un homme de 56 ans qui a subi une hémorragie cérébrale spontanée après avoir pris régulièrement et de son propre chef des préparations à base de gingko biloba3. Un autre cas est survenu chez un patient qui avait subi une cholécystectomie par laparoscopie. Ce patient a présenté des complications hémorragiques après l'opération, possiblement liées à la prise de gingko biloba4. À la suite de ce rapport de cas, on a recommandé fortement aux médecins de demander à leurs patients s'ils prenaient du gingko biloba et, le cas échéant, de leur dire de cesser de prendre cette plante médicinale au moins une semaine avant l'intervention chirurgicale. déterminer la plage des doses optimales. L'organisme humain ne fait pas de distinction entre un médicament et un produit de phytothérapie. L'un et l'autre sont reconnus et métabolisés de la même façon par l'organisme. Avant que les médecins puissent recommander le gingko biloba à leurs patients pour le traitement de la démence, cette plante médicinale devra être étudiée et mise à l'épreuve de façon rigoureuse, tout comme les médicaments de la médecine tradi- Convulsions. On craint également les effets de l'ingestion de grandes quantités de noix de gingko (graines du gingko biloba). On a en effet vu le cas d'une femme de 36 ans qui aurait consommé de 70 à 80 noix de gingko et qui a souffert de convulsions généralisées quatre heures après avoir mangé ces noix5. Il semble que cette femme prenait le gingko biloba pour améliorer sa mémoire. Elle n'avait aucun antécédent de convulsions. Interactions médicamenteuses. Les patients atteints de maladie d'Alzheimer sont âgés et, très souvent, ils prennent de nombreux médicaments, y compris de l'AAS. Tous les médicaments peuvent produire des interactions avec d'autres agents et ainsi entraîner des effets indésirables. L'ajout de gingko biloba à un schéma thérapeutique (qui inclut l'AAS par exemple) augmente un risque déjà élevé d'interactions médicamenteuses, surtout le risque de complications hémorragiques. Absence de réglementation. Malheureusement, les remèdes à base de plantes, tels que le gingko biloba, ne font pas l'objet d'une réglementation, c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire de démontrer leur efficacité ou leur innocuité pour les commercialiser. Les ingrédients et le processus de fa- brication ne sont pas soumis à des exigences particulières. La quantité des ingrédients actifs peut ainsi varier d'une préparation à l'autre et, dans certains cas, les substances contaminantes ne sont pas détectées dans le produit. effets bénéfiques sont marginaux, mais les risques sont bien réels. D'autres recherches devront être menées pour déterminer quel est l'ingrédient actif du gingko biloba. Cet ingrédient pourrait ensuite être purifié pour éliminer certains effets indésirables. Il faudrait également tionnelle. Les mêmes lois et règlements s’appliquent à tous les produits. En d'autres mots, les propriétés curatives d'un des plus anciens arbres du monde demeurent un mystère qu'il faudra élucider pour que le ginko biloba puisse être pris sans danger par les patients. Références 1. CLOSTRE, F. « Ginkgo biloba extract (EGb 761). State of knowledge in the dawn of the year 2000 », Ann Pharm Fr, vol. 57 (suppl. 1), 1999, p. 158-188. 2. LE BARS, P. L., KATZ, M. M., BERMAN, N. et al. « A placebo-controlled, doubleblind, randomized trial of an extract of Ginkgo biloba for dementia », JAMA, vol. 278, no 16, 1997, p. 1327-1332. 3. BENJAMIN, J., MUIR, T., BRIGGS, K. et al. « A case of cerebral haemorrhage - can Ginkgo biloba be implciated? », Postgrad Med J, vol. 77, no 904, 2001, p. 112-113. 4. FESSENDEN, J. M., WITTENBORN, W. et L. CLARKE. « Ginkgo biloba: a case report of herbal medicine and bleeding postoperatively from a laparoscopic cholecystectomy », Am Surg, vol. 67, no 1, 2001, p. 33-35. 5. MIWA, H., IIJIMA, M., TANAKA, S. et al. « Generalized convulsions after consuming a large amount of ginkgo nuts », Epilepsia, vol. 42, no 2, 2001, p. 280-281. Conclusion Même si le gingko biloba est doté de certaines propriétés bénéfiques (par exemple les effets antioxydants), la prise de cet agent entraîne encore un risque trop élevé. Les Les patients atteints de maladie d'Alzheimer sont âgés et, très souvent, ils prennent de nombreux médicaments, y compris de l'AAS. [...] L'ajout de gingko biloba à un schéma thérapeutique (qui inclut l'AAS par exemple) augmente un risque déjà élevé d'interactions médicamenteuses, surtout le risque de complications hémorragiques. La Revue canadienne de la maladie d’Alzheimer • Décembre 2001• 11