1963-2013 Cinquantenaire F a c u l t é d e M é d e c i n e & DE P H AR M A C IE d e G r e n o b l e Grenoble, son université & ses facultés de médecine et de pharmacie Destins partagés Jean-Jacques Sotto « La médecine comme la maladie, est si intimement liée à la vie des hommes que son histoire se confond forcément avec l’histoire générale. » Arthur Bordier - 1896 Directeur de l’école de médecine et de Pharmacie de Grenoble Sommaire - 300 à 1789 Les bâtisseurs de remparts et de digues, précurseurs des pionniers de l’industrie et de la science 5 à 26 -300 - 1030 : La naissance romaine et le haut Moyen-Age 1030 - 1347 Grenoble, capitale princière des dauphins 1347 - 1789 : Grenoble, au cœur de l’histoire du royaume de France Les guerres Grenoble face aux adversités : Peste et inondations La vie publique et les bâtisseurs de la cité La deuxième Université 1542 -1567 : renaissance et fin Les hôpitaux compensent la faillite universitaire Les prémisses de l’explosion économique et culturelle au 19ème siècle 5 7 11 11 15 17 20 22 24 1789 - 1939 : L’expansion économique de Grenoble et le réveil de l’université 27 à 42 La Révolution française et l’épopée napoléonienne Cent cinquante ans de transformation et d’évolution de Grenoble L’expansion économique de Grenoble La guerre de 14-18 accélère l’expansion industrielle de Grenoble Création d’une nouvelle université en 1806 La formation médicale Transfert des hôpitaux à La Tronche 27 28 31 34 36 39 41 1939 - 1970 : Epilogue Grenoble vers son destin de métropole internationale 43 à 51 La deuxième guerre mondiale et ses glorieux lendemains Les heures de gloire de l’Université scientifique et des sciences dures L’Université, moteur de l’expansion industrielle Enfin la faculté de médecine et de pharmacie Les vertus de la cité grenobloise, fil conducteur de son histoire 43 45 47 48 51 La faculté de médecine et de pharmacie de Grenoble, indissociablement liée à l’université Joseph Fourier, a hérité de son passé et au-delà de l’histoire tumultueuse de Grenoble et du Dauphiné. Elle a légué à ses ressortissants les vertus fondamentales de pugnacité, de créativité et d’ouverture avec une propension à la rébellion et au non conformisme qui l’ont parfois desservie dans ses soutiens mais qui lui ont permis d’être souvent à l’avant-garde des évènements marquants de l’histoire et de la science. Il est étonnant qu’une petite ville de garnison, fortifiée et fermée sur ellemême par enceintes concentriques jusqu’au milieu du 19ème siècle, devienne une métropole accueillante et ouverte sur le monde, de renommée internationale en moins d’un siècle. Il est non moins étonnant qu’en dépit des calamités innombrables et des adversités constantes qu’elle a subies, elle ait pu rebondir, à chaque fois avec encore plus d’énergie et de détermination. Des noms successifs lui ont été donnés depuis Cularo, bourgade gauloise habitée par les Allobroges ; Gratianopolis, ville fortifiée romaine en 381 ; Gragnovol qui témoigne de l’adoption du vocable franco-provençal en 1178 ; Grenoble en 1347 au moment du « transport » du Dauphiné au royaume de France et en l’honneur du fils ainé du roi de France qui prend le titre de Dauphin. Par la suite, pour caractériser ses malheurs successifs, elle fut dénommée « Gronoblo malherou » en 1740 par le poète François Blanc et illustrée un siècle plus tard par Diodore Raoult et aussi Grelibre sous la révolution pour remplacer le suffixe noble par libre. Il est probablement vain de vouloir expliquer la réussite grenobloise à travers les péripéties de son histoire mais il est passionnant de découvrir une ville avec un passé aussi riche et avec si peu de vestiges apparents. Par rapport à beaucoup d’autres villes qui ont su garder la mémoire de leur histoire, peu d’édifices prestigieux ont été construits à Grenoble, probablement par crainte des inondations si fréquentes et destructrices. Mais aussi beaucoup de constructions ont été sciemment détruites pour rebâtir sans cesse la cité, ce qui fait penser que Grenoble a la tentation de faire table rase de son passé pour se tourner résolument vers son avenir. Jean-Jacques Sotto Septembre 2013 p i o n n i e r s d e l’ i n d u s t r i e e t d e l a s c i e n c e -300 à 1789 Les bâtisseurs de remparts et de digues, précurseurs des pionniers de l’industrie et de la science -300 à 1030 : La naissance romaine et le haut Moyen Age Cularo était une petite bourgade gauloise dont les premières allusions remontent à -300 avant J-C. Elle suscita l’intérêt des romains pour pénétrer dans les Alpes et en contrôler les accès en vue de conquérir le sud de la Gaule. 4 Au tout début de notre ère, elle devient un lieu de passage entre l’Italie et Vienne, capitale gallo-romaine, pour transporter troupes et marchandises via la Maurienne et Montgenèvre. Un port (de la Madeleine) sur l’Isère permet le transport par voie fluviale. Elle acquiert le statut de vicus. Puis elle devient ville fortifiée avec la première enceinte romaine sur la rive gauche de l’Isère, sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximin (284-293). Il s’agit d’une première muraille de 9 m de haut, 4,5 m d’épaisseur et longue de 1,5 km dont il ne reste que d’exceptionnels vestiges. Elle délimite un territoire de 9 hectares. Cette enceinte lui donne le statut de cité et elle abrite alors une garnison romaine. L’empereur Gratien (359-383) donne à la Cité le nom de Gratianopolis et lui attribue le titre d’évêché. La première mention d’un évêché à Gratianopolis est attestée en 381 avec comme évêque Domin 1er. 5 Les voies de communication entre Vienne et l’Empire romain. Un des rares vestiges de l’époque romaine, rue Lafayette. L’Empereur Gratien à l’origine du nom de Gratianopolis. p i o n n i e r s d e l’ i n d u s t r i e e t d e l a s c i e n c e Domin 1er et ses successeurs s’intituleront “Princes de la ville” jusqu’à la Révolution de 1789. Ils ont joué un rôle clé dans la vie de la cité y compris ultérieurement dans le domaine universitaire et hospitalier. Ils seront ainsi souvent en conflit avec les autorités laïques de la cité et du royaume des Francs. Ainsi en 660, le roi mérovingien Clotaire III prenant ombrage de l’influence de l’évêque Fergus, commanditera son assassinat. 1030-1347 Grenoble, capitale princière des dauphins Les comtes d’Albon : fondateurs du Dauphiné C’est une période cruciale de l’histoire de Grenoble et du Dauphiné qui se déroule en toute indépendance de la France au temps de la dynastie des rois Capétiens. L’archevêque de Vienne qui régnait alors sur une vaste région Bourgogne Alpes et vallée du Rhône, cède en 1030, la Savoie au comte Humbert aux Blanches Mains et le sud Viennois au comte Guigues 1er d’Albon. 6 Plan de Cularo et de ses remparts en 300. Au cours du haut Moyen Age (450 à 1030), l’identité de la région autour de Gratianopolis va se dessiner. L’une d’entre elles va pourtant émerger, celle des comtes d’Albon, et donner son identité au Dauphiné. Les terres qui donneront naissance plus tard au Dauphiné et qui s’étendent sur les actuels départements de l’Isère, de la Drôme et des Hautes Alpes, ont acquis un semblant d’unité à la suite du partage de l’héritage de Charlemagne au traité de Verdun en 843. Pendant cette période, la cité a participé au rayonnement du christianisme avec comme objectif de bâtir des édifices religieux (églises funéraires, crypte Saint-Oyand) et de se défendre, grâce à ses remparts, contre les vagues successives d’assaillants germaniques, lombards puis sarrazins. Mais cette région reste très diverse au plan géographique et culturel, car on y parle deux langues : le provençal et le francoprovençal. Elle l’est aussi en terme de suzeraineté car gérée de façon disparate par des ecclésiastiques très puissants et des seigneurs issus des grandes familles locales laïques, au pouvoir morcelé. Elle fut parfois soumise comme en 443 au royaume des Burgondes mais toujours défendant avec acharnement l’intégrité de la cité. On peut dire que ce furent des siècles creux pour la bourgade de Gracianopolis, étrangère à l’histoire des Francs. Pendant ce demi-millénaire, elle a gardé une population stagnante de quelques centaines de citadins. Depuis le berceau d’Albon, près de Saint Marcellin, les comtes vont s’ériger en famille princière. Ils étendent leurs territoires vers l’est et prennent Gratianopolis comme capitale de leur comté. Il prendra en 1285 le nom de Dauphiné, relevant de la lontaine autorité du Saint Empire romain germanique fondé en 1157. Le sud viennois, future province du Dauphiné. Cette période faste verra l’accroissement de la ville qui comptera 4 500 habitants. La construction de nouveaux remparts par extension de l’enceinte romaine en 1218 et 1288, fera gagner 6 hectares à la cité. Plus tard en 1338, il sera bâti une enceinte de 800 m sur la rive droite de l’Isère autour du futur quartier Saint-Laurent. De nombreux bâtiments seront construits : collégiale Saint-André, cathédrale et église Saint-Hugues accolées entre 1228 et 1237, palais Delphinal en 1345. Il ne reste que très peu de vestiges de ces premières constructions. Ils localisent cependant les édifices qui seront, en grande partie, reconstruits sur les mêmes emplacements. 7 CAPITALE PRINCI È RE DES DAUP H INS Humbert II Comte d’Albon, fondateur du pouvoir administratif et de la première université Gratianopolis. A gauche la collégiale Saint-André, quartier des dauphins et à droite l’Evêché, quartier des évêques. 8 C’est aussi une première organisation de la vie publique. Les comtes prennent le titre de dauphin et en adoptent l’emblème en 1133. L’autorité sur la cité sera partagée entre les dauphins, princes d’Albon dont le quartier se situera autour de la collégiale Saint-André et les évêques, princes de la ville, résidant dans l’évêché autour de la cathédrale. ville, notamment destinés à collecter l’impôt et garantissant les droits des habitants. C’est ainsi qu’ils obtiennent de l’empereur Frédéric 1er du Saint Empire romain germanique un atelier monétaire commun. Mais leur entente aura des hauts et des bas. Les comtes bâtissent aussi les premiers hôpitaux sur les rives de l’Isère : la Madeleine (1090) sur la place des Cordeliers (actuellement place de Bérulle), Saint-Antoine (XIème siècle) au niveau du Quai Perrière et SaintJacques (1329) rue du pont de Saint Jaime (actuellement rue de Lorraine). Ce furent des institutions religieuses, aujourd’hui disparues, destinées au soulagement de la misère. Les dauphins élaborent une charte des libertés pour les habitants. Ils mettent en place un processus démocratique par l’élection de 4 consuls représentants de la Comtes d’Albon : Guigues V – Jean I – Humbert I Jean II et Béatrix – Guigues VI Ceci conduit à un conflit avec l’évêque et à une rébellion, place du mal conseil (place aux herbes actuellement), avec irruption dans l’évêché. Cet incident provoque la fuite momentanée de l’évêque. Ces droits seront ainsi maintenus et confirmés plus tard par Louis XI. Comte d’Albon et dernier des dauphins, Humbert II, a joué un rôle essentiel pour l’essor et l’identité de la ville. Son œuvre sera malheureusement anéantie par deux évènements : la ville de Grenoble est ravagée par la peste, et lui-même ruiné par le prix des Croisades. Inspiré par la cour de Naples où il avait séjourné, il initie la première université de Grenoble, créée en 1339 par une bulle du Pape Benoit XII en Avignon. La mort dramatique de son fils unique, le laisse sans héritier. Il est alors contraint en 1347 au “transport” du Dauphiné vers le Royaume de France par le traité de Romans pendant le règne de Philippe VI. Par ce “transport” sans transaction financière, Humbert II confie au roi de France la province du Dauphiné pour la gérer. En contrepartie, le roi remboursera les dettes immenses que le comte avait contractées. Pour attirer étudiants et “professeurs”, il pratique une politique d’ouverture et de facilitation avec rémunération et protection privilégiée des étudiants. Cette université est créée sur la base d’un studium de droit : droit canon, droit civil (sept professeurs), arts (un professeur) et médecine (sans enseignant). En contre-partie, il fait venir de Palerme un médecin célèbre, Pantufle, qui transmettra son savoir. En paralèlle à cette création universitaire déterminante, la quatrième en France après Montpellier (1180), Paris (1200) et Toulouse (1229), il créera le conseil delphinal en 1337, base du futur parlement et la chambre des comptes en 1340, siège des affaires financières. C’est un statut ambiguë, car le Dauphiné appartient à la couronne mais n’est pas rattaché au royaume. Cette ambigüité perdurera pendant plus de quatre siècles avec l’extinction progressive des prérogatives de la province : disparition du pouvoir des familles nobles et des privilèges fiscaux, obligation de la langue française et surtout remise en question du pouvoir politique et juridique du parlement qui comme on le verra, est à l’origine de la révolte à Grenoble, prémisse de la Révolution de 1789. 239 ans de période noire pour l’université C’est le début d’une longue période noire de deux siècles où l’université s’éteint mais ne disparaît pas. Néanmoins, il restera de cette période faste la vocation universitaire et juridique de Grenoble. 9 Grenoble au cœur de l’histoire du royaume de France • 1347-1789 Les guerres Sous le règne des rois de France et jusqu’à la Révolution française, cette période représente celle de la formation des territoires français. Elle est animée par des guerres incessantes dont la finalité essentielle est celle de l’hégémonie du royaume de France vis-à-vis de ses grands rivaux européens conduisant à l’annexion ou à la soumission de nouveaux territoires. Humbert II, comte d’Albon, transmet ses pouvoirs au Roi de France Philippe VI le 16 juillet 1349. 10 L’évêché, quartier des évêques, “princes de la ville”. Place Saint André, quartier des dauphins. C’est ainsi qu’au gré des victoires et des défaites, des alliances et des pactes, furent rattachés au royaume de France : la Bretagne, le Calaisis et les Trois Evêchés du nord, l’Alsace, la Lorraine, les Dombes, la Franche Comté et la Corse pour constituer le territoire national. A la France d’aujourd’hui et à la veille de la révolution il ne manquera que la Savoie et Nice. Cette période est aussi marquée par les conflits religieux entre l’Eglise catholique et les adeptes de la Réforme. Dans la première moitié du 16ème siècle, ils diffusent le luthérianisme en Prusse et dans une grande part de l’Europe du nord. Le calvinisme s’implantera à Genève et dans le sud de la France ce qui engendrera les guerres de religion en France où l’église catholique restait dominante. L’époque est aussi fortement influencée par la dimension coloniale avec la découverte et l’exploitation du nouveau monde à partir de 1492. Ces conquêtes ont fortifié l’Espagne et le Saint-Empire romain germanique de Charles Quint au détriment de la France tant au plan politique qu’économique. La ville fortifiée en 1600, le pont sur l’Isère et la collégiale Saint-André. Plus tard, la rivalité économique et coloniale entre l’Angleterre et la France consacrera, après la guerre de 7 ans et le traité de Paris (1763), l’hégémonie de l’Angleterre en Amérique du Nord et en Inde et l’humiliation de la France. Le bilan de cette époque est contrasté. Il est positif en terme de constitution territoriale, conférant à la France un territoire reconnu et limité par les frontières naturelles que sont le Rhin, l’océan Atlantique, les Pyrénées, la mer Méditerranée les Alpes et le Jura. Il est positif également en terme d’identité nationale par l’évolution d’une mosaïque de pouvoirs vers une allégeance à la royauté puis vers une administration commune. C’est ainsi que naît la conscience d’une nation française qui prendra sa plénitude au 19ème siècle. Il est désastreux en terme d’influence extérieure et de participation aux empires coloniaux Il est catastrophique en terme sociologique avec de longues périodes de ruines et de misère où toutes les amorces de prospérité se soldaient par de nouvelles calamités, guerres ou catastrophes naturelles qui ont fait le lit de la Révolution française de 1789. 11 Dans ce contexte mouvant de guerres et de remembrements territoriaux, Grenoble et le Dauphiné ont montré une grande stabilité politique et une fidélité au royaume de France, contrairement à beaucoup d’autres territoires. Concernant l’implication de Grenoble dans les évènements de l’histoire, deux périodes sont à distinguer : • La première de 1347 à 1610, où Grenoble a été très impliqué dans les conflits qui ont souvent dévasté la région. Cette période se situe sous le règne des Valois et le début de celui des Bourbons jusqu’à Henri IV. • Au cours des deux siècles suivants et jusqu’à la Révolution, la cité a été relativement épargnée car les enjeux se situaient davantage au nord et à l’est. Les guerres de religion en Dauphiné 1562-1590 Trois ans seulement après le Traité de paix de Cateau-Cambresis en 1559, les guerres de religion vont déchirer pendant trente ans, Grenoble et le Dauphiné. Déclenchées en 1562 par le massacre d’une soixantaine de protestants à Wassy en Champagne par le Duc de Guise, la réplique dans le Dauphiné est immédiate. Hector Pardaillan, seigneur de la Motte Gondrain, militaire violent et borné est assassiné à Valence. François de Beaumont, dit le “Baron rouge”, s’autoproclame lieutenant général du Dauphiné et, rallié aux huguenots, s’empare de Grenoble. Il saccage les édifices religieux et étend ses exactions sur toute la population. Il est destitué en 1564 par le prince de Condé, chef des calvinistes. Bertrand de Gorde, mandaté par Catherine de Médicis, prend alors le contrôle du territoire. Homme modéré, il refuse les injonctions de Charles IX du massacre des huguenots. Néanmoins une dizaine d’entre eux sont pendus et leur chef Charles Dupuy de Montbrun, décapité sur la place du mal conseil en août 1572, à l’époque du massacre de la Saint-Barthélémy. François de Bonne de Lesdiguières : le pacificateur 12 Le troisième épisode des guerres de religion est marqué par l’épopée de François de Bonne de Lesdiguières, originaire de Champsaur et nommé chef des huguenots. Il conquiert les villes des Hautes-Alpes et, après un premier échec à Grenoble, finit par prendre la ville le 13 décembre 1590, après trois semaines de siège sur les hauteurs de la future bastille. Les berges de l’Isère et le pont de bois. Les guerres d’Italie 1494-1559 Les historiens s’accordent à affirmer l’inutilité de ces guerres destinées à la conquête des Etats italiens : Milan, Naples, Venise et opposant la France à l’Empire hispano-germanique de Charles Quint en particulier. Charles VIII, Louis XII, François 1er, Henri II passent avec leurs troupes par Grenoble et y laisseront leurs traces. Si les guerres d’Italie furent un échec politique, elles auront une influence considérable dans le domaine culturel et artistique de la Renaissance. Sa prise de pouvoir sur Grenoble se déroule sans exaction. Elle correspond, à la fin des guerres de religion et aux premières années du règne d’Henri IV qui assoit son autorité et le soutient en le nommant gouverneur de Grenoble en mars 1591. Homme politique avisé, il prêche la tolérance et la réconciliation huit ans avant l’Edit de Nantes, promolgué en 1598. Lieutenant général du Dauphiné en 1597, il se convertit au catholicisme en 1622 et il est nommé connétable de France, le dernier de l’histoire de France. Au cours de son mandat, il recevra triomphalement les visites d’Henri IV en 1600 et de Louis XIII en 1622. Son œuvre à Grenoble fut considérable et elle changera le cours de l’histoire de la ville. 13 Grenoble épargnée par les guerres pendant plus de deux siècles Grenoble face aux adversités : Peste et inondations A la fin des guerres de religion, au cours des deux siècles suivants et jusqu’en 1789, Grenoble fut épargné par les guerres et n’eut pas à pâtir des combats lointains : guerre de 30 ans (1618-1648), guerre de dévolution (1667-1668), guerre de Hollande (16761678) et guerre de succession d’Espagne (1701-1714). Cette longue période de plus de quatre siècles fut surtout pour Grenoble, celle des catastrophes naturelles qui ont parfois Trois aspects cependant méritent d’être soulignés en termes sociopolitiques sur cette longue période de 200 ans : La suppression des états provinciaux par le cardinal de Richelieu. Elle équivaut à la fin des libertés politiques du Dauphiné, notamment sur la répartition de l’impôt. La révocation de l’édit de Nantes. En 1685 Louis XIV révoque l’Edit de Nantes établi par Henri IV. Plus de 3000 protestants, soit le cinquième de la population, émigrent vers la Suisse et le nord de l’Europe. Ce départ des élites stoppera net le développement de la cité, alors en plein essor. La guerre de succession d’Espagne à la fin du règne de Louis XIV. Cette guerre aura un impact indirect sur la ville de Grenoble. En effet, le traité d’Utrecht (1713-1715) qui mettait fin aux velléités avec l’Espagne et l’Angleterre, consolidait les frontières du territoire français. La France, ne disposant plus de bastions avancés, eut le souci de protéger ses frontières à l’est. 14 La peste En 1348, la peste entamait en Europe son troisième cycle de pandémie, après celui de l’antiquité et du haut Moyen Age. Il s’étalera à Grenoble sur presque deux siècles jusqu’en 1530. A la fin du règne d’Humbert II, elle entraine famine et ruine décimant des milliers de personnes et faisant fuir les autres. Ce fléau fut attribué aux juifs dont 74 furent jugés, condamnés à mort et périrent sur le bucher, ce qui ternit l’œuvre de Humbert II si productive par ailleurs. La peste est ainsi la cause principale de l’extinction de la première université. Par la suite, le Dauphiné étant annexé au royaume de France, les épidémies vont se succéder accentuant encore les méfaits des guerres et des inondations. La maisonLesdiguières, futur hôtel de ville de Grenoble. La porte de Bonne, entrée de la garnison. Grenoble, Ville de garnison Ainsi, les troupes militaires qui jusque-là ne faisaient que passer, notamment pendant les guerres d’Italie, se localisent à Grenoble qui devient alors, comme Besançon et Briançon, une ville de garnison. Une école d’artillerie s’installe en 1720. La caserne de Bonne est construite en 1730 renouant ainsi avec le statut de ville de garnison, 1300 ans après la disparition de la garnison romaine. Les terrains du Polygone, récemment sécurisés vis-à-vis du Drac, servent de terrains d’entrainement et plus tard de garnison. Quelques milliers de soldats s’installent et donnent à la ville de Grenoble une grande bouffée d’oxygène en relançant l’activité économique. anéanti la ville et nécessité des efforts considérables pour les surmonter. La dernière épidémie en 1528, fut aussi dramatique que la première, interrompant toute activité et en particulier la construction du nouvel hôpital pendant huit ans. 15 La vie publique et les bâtisseurs de la cité Les inondations Elles avaient déjà détruit de nombreuses fois le pont de bois qui traversait l’Isère depuis l’époque romaine. Au cours du siècle qui suivit “le transport” du Dauphiné au royaume de France (13471447) et qui correspond grosso-modo à la guerre de Cent Ans, Grenoble fut administrée par les Dauphins du royaume qui se désintéressèrent de la cité. En 1219, une inondation catastrophique dévasta la ville faisant plus de 3000 morts soit plus de 50% de la population. Trois ans plus tôt, un énorme éboulement dans la vallée de la Romanche avait créé un immense lac en amont, interrompant pour quelque temps le cours de la rivière. Le barrage s’est ensuite rompu et des milliers de tonnes d’eau ont déferlé par le Drac vers Grenoble. Cette vague de plus de 20 mètres est remontée vers l’Isère à contrecourant, formant un lac dans le Grésivaudan qui se vida à son tour par un effet de balancier. 16 Ils déléguaient leur pouvoir à un gouverneur souvent corrompu. Une foire se tenait dans la ville, et les portes étaient fermées en bloquant la population. Aucune construction n’est retrouvée antérieure à cette date hormis la crypte Saint Laurent et quelques résidus de murailles. Cette catastrophe est à l’origine du symbole du serpent et du dragon qui représente la lutte entre les deux rivières. Aujourd’hui, la fontaine du lion terrassant le serpent, au bas de la montée de Chalmont, commémore ce symbole. C’est une époque de stagnation au cours de laquelle le sentiment dauphinois va se renforcer à travers les rudes épreuves. Les réalisations sont essentiellement portées par les évêques et les consuls (représentants de la bourgeoisie), la noblesse ayant émigré vers les lieux de bataille contre l’Angleterre et ses alliés. On assiste à l’édification des tours de Premol au sud des remparts en 1350 et de l’Isle à l’est en 1381 (seul édifice persistant aujourd’hui). Elles sont essentiellement destinées à la protection contre les brigands et à l’édification d’une enceinte autour du couvent des Jacobins. Les rues commencent à être pavées et les premiers endiguements du Drac à être tentés. Une première voie, à travers la montagne, est tracée sur la rive droite de l’Isère. 17 La tour de l’Isle, un des dernier vestiges des remparts. Grenoble et ses fortifications. A gauche, le Drac n’est pas encore canalisé. Louis XI, Le renouveau A la suite d’un éboulement, un grand lac naturel se forme dans la vallée de la Romanche en 1216. Trois ans plus tard, le barrage cède, une énorme vague submerge la ville. Par la suite, il n’y eut pas moins de 150 inondations graves avec parfois 5 m audessus de l’étiage en 1778 détruisant ponts et bâtiments riverains. La dernière eut lieu en 1859. Sur ces 600 ans écoulés depuis 1219, cela représente une inondation grave tous les 4 ans. Un véritable renouveau aura lieu avec l’avènement du dauphin Louis, futur roi Louis XI, qui administra Grenoble de 1447 à 1456. le vieux conseil delphinal en parlement du Dauphiné, le troisième en France, faisant passer la cité au statut de capitale provinciale. Même s’il n’y séjourna que par intermitence. Son œuvre reste principalement socioéconomique. Il pratique une politique d’ouverture, faisant revenir les banquiers juifs et attirant les artisans étrangers. En termes de constructions, il engage celles du palais des Dauphins et du Fort Rabot sur la colline. Parallèlement la population croit jusqu’à 10 000 habitants et Grenoble devient le centre industriel et agricole de la province ainsi qu’un carrefour important entre la république de Gênes, le Duché de Savoie et les villes de la vallée du Rhône. Il confirme la charte des libertés établie en 1226 par les dauphins d’Albon. Il réforme la fiscalité et transforme Au cours des décennies qui ont suivi, on assiste à une nouvelle récession importante de la cité, ravagée par la peste, les inondations, les brigands et le début des guerres d’Italie. Pierre Terrail de Bayard connu sous le titre de Chevalier Bayard qui fut un grand chef de guerre pendant les campagnes d’Italie, fut nommé lieutenant général du Dauphiné en 1515. Il trouva la ville dans un piteux état avec une population réduite à 4 000 habitants. De façon moins connue, il exercera une activité considérable pour l’aménagement de la ville : digues, égouts, début du détournement du Drac. Il fera la chasse aux brigands et soutiendra les pauvres et les pestiférés. Directement impliquée dans les guerres d’Italie, Grenoble bénéficiera des retombées de la Renaissance, notamment dans le domaine de l’imprimerie. La première fut installée par Etienne Forest en 1490, peu de temps après la découverte de Gutenberg en 1446. On peut penser que cela participa à la vocation ultérieure de Grenoble pour la papeterie. L’œuvre de Lesdiguières 1543-1626 18 François de Bonne de Lesdiguières va accomplir, à l’issue des guerres de religion, une œuvre considérable pour la cité : démolition de l’enceinte romaine et début de construction de la citadelle près de la Tour de l’Isle, achèvement des fortifications de la rive droite de l’Isère avec le Fort de La Bastille, édification de murailles escarpées entre la porte Saint-Laurent et la Porte de France. Il organise le centre-ville avec la place de la grenetterie. Il entreprend des travaux gigantesques pour que le Drac ne se déverse plus dans la plaine par la digue Marcelline depuis le Pont de Claix. Il engage enfin le début de construction de l’hôtel Lesdiguières (ancienne mairie de Grenoble) et le couvent de Sainte-Marie-d’en-Haut. Il construit une deuxième enceinte de la ville, concentrique à la première et augmente ainsi sa surface de 36 hectares (1591-1606). Grenoble au 16ème siècle. Les grandes allées d’arbre préfigurent le futur cours Jean Jaurès. Dans le prolongement de son action et jusqu’à la fin du 17ème siècle, de nombreuses constructions seront érigées : Edifices religieux : Couvents, collèges et monastères dont persistent aujourd’hui les églises Sainte-Marie-d’en-Bas et Saint Louis. Extension des remparts, enceinte Créqui en 1675 englobant le nouvel hôpital, puis constructions de poudrières sous la conduite de Vauban en vue de la protection de Grenoble vis-à-vis de la Savoie (Frontière des Alpes). Pendant le 17ème et 18ème siècle, à l’abri des campagnes militaires de Louis XIII, Louis XIV et Louis XV, Grenoble bénéficiera d’une grande prospérité économique avec l’essor de la ganterie et l’exportation des gants vers les Etats-Unis. En même temps se développe l’artisanat de l’ébénisterie (Hache) et la faïencerie à La Tronche. Poursuite de l’endiguement du Drac, 1665-1686 avec le canal Jourdan rectiligne et le cours Saint-André (futur cours Jean-Jaurès) parallèle, servant de digue supplémentaire. Cependant au fil du temps, cette prospérité accroit les injustices, notamment fiscales par les fermiers généraux, alors que l’accroissement de la population (22 000 habitants en 1789) attise les tensions. Une seconde partie des travaux se déroulera un siècle plus tard en 1778 à la suite du déluge de la Saint Crépin pour repousser le confluent du Drac et de l’Isère en angle aigu. C’est cette position qui délimite le polygone scientifique actuel. La maison Lesdiguières avec le pont sur l’Isère et sa tour, détruits aussi par une inondation. François de Bonne de Lesdiguières la justice, des finances et de la police qui appliqueront quelques années plus tard, la réforme de la taille en 1634, obtenue sous Louis XIII par le Tiers état pour une plus grande justice fiscale. Parallèlement sous Lesdiguières se mettent en place des réformes administratives avec la création des intendants en charge de Cette opposition des ordres est révélée par les actions de Louis Mandrin et de sa bande de brigands en 1753 qui se disait justicier en dépouillant les riches pour soulager les pauvres. Il fut pris et roué vif à Valence en mai 1755 mais il restera une légende dans l’esprit du peuple. 19 Louis Mandrin La deuxième université 1542-1567 : renaissance et fin C’est dans un contexte politique trouble, à cheval sur la fin des guerres d’Italie et le début des guerres de religion, que sera réactivée l’université sur les mêmes bases juridiques que la première, établies deux siècles auparavant. Son histoire déborde largement cette courte période d’exercice et s’intègre dans le conflit violent qui a opposé Grenoble à l’université de Valence. 20 Il prend naissance quand Louis XI, pourtant grand artisan du développement de Grenoble, décide en 1452 de créer une université à Valence. Ses raisons restent obscures et sa décision paradoxale, vu la situation politique et économique des deux villes. Elles relèvent probablement de considérations politiques pour contre balancer les pouvoirs juridiques du parlement et financiers de la chambre des comptes dans la capitale du Dauphiné. Elle relève aussi de la prééminence du pouvoir de l’évêché de Valence sur celui de Grenoble, Louis XI ayant eu le souci d’obtenir l’allégeance de l’évêque de Valence au pouvoir delphinal. Quoiqu’il en soit, cette décision aura de lourdes conséquences sur l’avenir universitaire de Grenoble jusqu’au début du 19ème siècle. Pourtant, c’est à l’initiative des juristes du Parlement et surtout de l’un d’entre eux, Pierre Buchet, que l’université de Grenoble sera réveillée de ses cendres. Le gouverneur François de Saint Pol l’officialisera en 1542 et obtiendra de Henri II le partage avec Valence des subventions et de la gabelle. Elle sera située au couvent des Cordeliers. Une hiérarchie universitaire est alors instaurée avec le chancelier qui est l’évêque, le recteur gestionnaire, le doyen qui détient le véritable pouvoir et le collège des agrégés. Pierre Buchet qui fut élu doyen et le restera jusqu’à la fin en 1567, organisa ses cours sur la même base que celle des autres universités de l’époque et à l’image de Valence qui fonctionnait ainsi depuis un siècle : droit civil, droit canon, arts et médecine. Mais elle se consacrera presqu’exclusivement à l’enseignement du droit. Valence fait disparaitre l’université de Grenoble A cette occasion une lutte sans merci eut lieu avec Valence pour les mannes financières du royaume et pour attirer les étudiants et les meilleurs professeurs venant d’Italie, du Portugal ou de France qui passaient souvent d’une ville à l’autre. Grand batailleur, Pierre Buchet fut vite confronté à des difficultés majeures : caisses vides, conflit avec les moines du couvent pour les locaux, inconstance des enseignants souvent non payés, expulsion des enseignants protestants dits “mécréants”. Tout s’écroule à la suite de la terrible épidémie de peste en 1564. Tous les efforts de Pierre Buchet furent vains. Valence sur la demande de l’évêque Jean de Montluc, très influent auprès de Catherine de Médicis, obtient en 1565 la réunion des deux universités sous la coupe de Valence. Il accuse l’université de Grenoble de mauvaise gestion et de protestantisme. Finalement l’université de Grenoble est carrément supprimée par Charles IX en avril 1565 et définitivement fermée deux ans plus tard après une violente bataille de procédure. Deux siècles de vide universitaire 1567-1806 Il s’ensuivit une longue période (239 ans) de vide universitaire jusqu’à l’époque napoléonienne. Elle ne fut cependant pas vide d’initiatives surtout au 18ème siècle où la suprématie de Grenoble s’affirmait avec la croissance de sa population (20 000 habitants) sa position de capitale du Dauphiné, siège du pouvoir parlementaire judiciaire et financier. L’industrie textile devenait florissante et on assistait à l’immigration de 200 familles nobles s’ajoutant aux 6000 bourgeois de la cité. Le taux d’alphabétisation était alors particulièrement élevé. universités en 1728 et 1732 par Gaspard de Fontanieu intendant du Dauphiné. Elle résista aussi à cinq tentatives de transfert entre 1738 et 1772, ceci bien que l’université de Valence soit réduite à une distribution de grades sans dynamique universitaire. Finalement la ville de Valence conservait une forte influence par son évêque et ses consuls alors que la royauté de son côté ne voulait rien changer car elle commençait à redouter le pouvoir grandissant de la société grenobloise. La nécessité du transfert de l’université à Grenoble devenait une évidence. Il était voulu par la noblesse et les élites dont les étudiants se rendaient à Orange pour leurs diplômes, tournant ainsi le dos à Valence. Les actions furent menées par le parlement et les intendants, mais Valence résista à deux enquêtes menées pour la réforme des La maison de Pierre Buchet, rue Chemoise. La place Saint André. 21 Les hôpitaux compensent la faillite universitaire Jusqu’au milieu du 16ème siècle, les hôpitaux nouvellement créés : Notre Dame-Hôtel Dieu en 1425 (rue Chenoise), de l’Ile ou des Infez en 1485 (sur le site de l’Ile verte) poursuivent leur mission d’asile pour soulager la misère des pauvres, des enfants trouvés, des femmes enceintes et des prostituées. Ces bâtiments seront désaffectés et disparaîtront à la suite de leur transfert vers l’hôpital général. 22 D’autres structures d’accueil-hospices seront créées ultérieurement, toujours dans des buts humanitaires : l’hôpital de la Providence (une maison de la rue Chenoise) ouvert en 1676 par l’abbé Lestellet qui mendiait lui-même pour nourrir ses pensionnaires. L’hôpital de la présentation (rue Neuve, Voltaire actuellement) créé par une fille du peuple, Catherine Raysson en 1700 pour les jeunes filles en bas âge abandonnées qui étaient nourries, logées et éduquées. En terme de santé, la peste crée un nouveau besoin d’isolement et de soins pour lesquels la chirurgie montre son utilité. C’est ainsi qu’elle est consacrée comme compétence hospitalière en 1485 avec mise en place d’un cursus de formation et d’un jury de validation. L’enseignement officiel de la médecine fait réellement son apparition en 1545 au moment du réveil de l’université. Il fait suite à un arrêt du parlement, ordonnant la réunion de tous les biens de tous les hôpitaux de Grenoble autour de l’hôpital Notre-Dame. Là encore, Pierre Buchet, parmi les six notables surintendants des pauvres qui administrent l’hôpital, demeure très actif pour stimuler l’enseignement. Cependant, la médecine reste enseignée dans l’hôpital hors de l’université. Il sera alors créé un collège de médecins, une société savante, un ordre professionnel contre les charlatans, une éthique médicale et un cursus de formation de six ans. Pendant la longue période de dormance de l’université, l’activité hospitalière devient très importante et l’organisation de la médecine suit cette trajectoire. D’abord en 1605 dans le cadre de l’hôpital Notre-Dame, il est instauré un statut pour les apothicaires, les séparant des épiciers, marchands de fer et barbiers. Puis en 1614, on regroupe les médecins, chirurgiens et apothicaires dans un corps de médecine impliqué dans l’organisation des soins et de l’enseignement. Dès 1620, cette corporation décerne le titre d’agrégé hospitalier destiné à qualifier les médecins. Ecole d’Anatomie. Projet du nouvel hôpital en 1627. Un nouvel hôpital, hors des remparts Sous l’impulsion de Lesdiguières, le maréchal de Créqui propose la construction d’un nouvel hôpital hors des remparts en 1627. Malheureusement, les calamités qui s’abattent sur Grenoble vont retarder sa construction jusqu’en 1638. Situé à l’emplacement de la rue de Belgrade actuelle, il gardera le nom d’hôpital Notre Dame et restera en fonction jusqu’au début du 20ème siècle. Sa gestion est confiée aux hospitaliers de Saint Jean de Dieu avec des ressources issues de la charité, mais aussi de la ville et du royaume. Elles fluctuent en fonction des périodes de grande misère, mais presque toujours l’hôpital général se trouvera endetté et son activité sera limitée aux pauvres et orphelins jusqu’à la révolution. Les charges d’enseignement de la médecine lui sont affectées. Parmi les réalisations, celles de la chirurgie sont les plus importantes : constitution d’un noyau de chirurgiens dont un professeur de chirurgie et un d’anatomie. Ce noyau représente l’ébauche d’une véritable école de chirurgie. En 1684, l’hôpital de la charité, créé au sein de l’hôpital général, engage une convention avec l’intendant Bouchut afin qu’il soit destiné aux malades militaires. C’est l’acte de fondation du futur hôpital militaire et une nouvelle aire d’activité chirurgicale pour les blessés de guerre. Feront suite en 1761 la pratique organisée privée de la chirurgie sous la responsabilité de religieux et enfin en 1771, sous l’impulsion de la laïcisation des instances, une école publique de chirurgie, associant les sagesfemmes, érigées en corporation en 1763 et instaurant un vrai cursus de spécialité : Recrutement par concours, attribution de bourses pour les plus démunis et cursus de trois à quatre ans supplémentaires. Dominique Villars, sorti de l’école de chirurgie, est un des meilleurs élèves. Il se consacrera ultérieurement à l’enseignement de la botanique en 1782. D’autres écoles de formation apparaîtront : accouchement en 1774 et anatomie en 1775. 23 Les prémisses de l’explosion économique et culturelle du XIXème à Grenoble Au terme de cette longue période de plus de quatre siècles, transparait la vocation universitaire de Grenoble. Elle reste tout de même axée sur le droit et l’activité du Parlement, même si l’axe médical est volontairement privilégié ici. Grenoble, encore cantonnée dans ses fortifications et limitée dans ses actions par le vide universitaire administratif, laisse poindre son caractère inventif. Deux exemples sont significatifs : 24 Jacques de Vaucanson (17091782), mécanicien et génial inventeur d’automates se penche sur l’industrie de la soie (dévidage automatique des cocons) et du tissage en inventant le tour à charrioter, première machine à tisser. Cette invention a conduit au développement de l’industrie textile dans les années 1770-1790 par Claude Perrier qui applique les techniques d’impression importées de Chine. Ce développement renforce l’activité économique déjà prospère depuis le début du 18ème siècle (ganterie, ébénisterie et faiencerie). Déodat de Gratet de Dolomieu, éminent géologue (17501801), s’illustre pendant la campagne d’Egypte de Bonaparte et donnera plus tard son nom aux Dolomites. Sur le plan culturel, le goût des lettres et des beaux-arts se développe. Le théâtre est fondé en 1768. Monseigneur de Caulet, évêque de Grenoble de 1726 à 1771, est à l’origine de nombreuses initiatives culturelles. Sa remarquable bibliothèque a conduit, grâce à l’action du Docteur Henri Gagnon, grand père de Stendhal, à l’ouverture de la première bibliothèque publique en 1774. Il est aussi à l’origine de la création d’une société littéraire par les souscripteurs de son héritage. Elle deviendra académie delphinale en 1789. Enfin naît en 1774 la première gazette grenobloise “Les affiches du Dauphiné” . Inventions, industrie, culture, beaux-arts et communication ; c’est ainsi que se dessine déjà le socle du développement à venir de Grenoble. La machine à tisser de Vaucanson. 1789-1939 L’expansion économique de Grenoble et le réveil de l’université La Révolution française et l’épopée napoléonienne Dès 1788, Grenoble détonateur de la révolution Un mouvement sournois de révolte gronde dans les parlements de France depuis 1771. Sous prétexte de plus d’égalité vis-à-vis de l’impôt, un édit du roi porte atteinte au droit de remontrance des parlements provinciaux (doléances de la population) et au nombre de charges et d’offices du parlement. A Grenoble, avocats, greffiers et huissiers forment avec leur famille une communauté de 5000 personnes, soit le cinquième de la population. Le parlement s’insurge et déclare “traitres à la patrie” les magistrats qui accepteraient de siéger dans les nouveaux tribunaux. Albert de Bérulle premier magistrat, mène la révolte. Devant l’ordre du roi de destituer les magistrats, la population alertée sonne le tocsin le 7 juin 1788. Près de 10 000 personnes se réunissent en masse pour protéger le parlement. Faisant face au régiment d’élite du lieutenant général, la foule monte alors sur les toits et envoie une pluie de tuiles sur les soldats. Il y eut peu de victimes, car ordre fut donné de retirer les troupes pour éviter un drame. Cette journée historique se terminera par un feu de joie sur la place Saint André. 25 La journée des Tuiles à Grenoble le 7 juin 1788. Les édiles de Grenoble prennent le pas sur le mouvement et bravent l’interdiction de réunion. Un texte est adressé à Louis XVI pour la préservation des privilèges du parlement en province. Le mouvement s’amplifie et aboutira à la tenue des Etats Généraux de Grenoble à Vizille le 21 juillet 1788 avec les trois ordres : Noblesse, Clergé et Tiers-état. Un décret royal convoque alors les Etats Généraux du Dauphiné le 10 septembre 1788 à Romans et six jours plus tard, un autre décret convoque les Etats Généraux du Royaume à Versailles pour le 6 mai 1789. Grenoble entre dans l’histoire et Albert de Bérulle effectue un retour triomphal dans la cité en liesse. Grenoble soutient Napoléon et l’Empire Sous l’Empire, Grenoble va vouer un soutien inconditionnel à Napoléon qui la citera comme l’une des 36 bonnes villes de France. Plan de Grenoble en 1788 avec à gauche l’extension des remparts pour construire le nouvel hôpital. Conséquences de la Révolution 26 Si les conséquences de la Révolution furent considérables en France, trois évènements méritent d’être soulignés à Grenoble : Suppression des vieilles provinces fin 1789, le Dauphiné est divisé en 3 départements : Isère, Drôme et Hautes Alpes. Suppression des ordres religieux en février 1790 et fermeture des couvents impliqués dans la formation médicale et donc de l’école de chirurgie. Suppression des collèges de plein exercice et des facultés de théologie, de médecine, des arts et du droit, détruisant ainsi toute la structure universitaire du pays. Mais Grenoble garde une aura de ses actions de gloire. Jean-Joseph Mounier et Antoine Barnave sont ovationnés à Paris et les délégués du Dauphiné reçoivent une “standing ovation” dans la salle du congrès de Versailles. En hommage à la Révolution, le fort audessus de Grenoble confirme son nom de Bastille, baptisé sous Lesdiguières. En 1794, Joseph Chanrion, délégué à la convention s’oppose à l’envoi d’une commission révolutionnaire, évitant les exécutions en masse à Grenoble. Antoine Barnave sera élu maire, avant d’être jugé et condamné à mort pendant la terreur. Le parlement du Dauphiné est transformé en cours de justice. Le fait le plus marquant concerne le retour triomphal de Napoléon de l’île d’Elbe vers Paris. Le 7 mars 1815 à Grenoble, il reçoit un accueil triomphal de la population et, avec son soutien, il recrute des soldats et puise dans les armureries de quoi équiper cinq régiments. En parlant de Grenoble, il dira : « J’étais un aventurier ; dans cette ville je suis redevenu un souverain ». Cent jours plus tard, Waterloo brisa tout et les retombées de cet engagement napoléonien furent sévères pour Grenoble et son université. Parmi les épisodes, en mai 1816, le complot bonapartiste fomenté par le doyen de l’école de droit Jean-Paul Didier est réprimé. Il est condamné à mort et exécuté avec une vingtaine de complices. Pendant tout le 19ème siècle et pendant le premier tiers du 20ème siècle, Grenoble fut peu impliquée dans les mouvements insurrectionnels de la capitale, ni dans les combats des guerres franco-prussiennes. L’événement le plus marquant, pour la région, a été le rattachement de la Savoie à la France en juin 1860. La nouvelle fonction de maire est créée, remplaçant celle de consul. En mémoire de cette période glorieuse, la Fontaine aux trois ordres sera inaugurée en 1897 place Notre-Dame. Etats Généraux de Grenoble à Vizille le 21 juillet 1788. Napoléon est accueilli à la porte de Grenoble le 7 mars 1895. 27 La fin des hostilités se fera dans la liesse à Grenoble. Cette annexion aurait dû rendre caduques les fortifications et les ouvrages titanesques de la Bastille mais, après la guerre de 1870, la ville reste désignée comme une place forte de première classe en regard de sa proximité avec la frontière italienne. Cent cinquante ans de transformation et d’évolution de la ville de Grenoble Les fortifications se poursuivent C’est là toute la contradiction entre une ville confortée dans sa vocation de citadelle et de garnison et parallèlement dans sa mutation vers une ville ouverte industrielle et scientifique. Les réalisations militaires sont donc restées importantes au 19ème siècle. En 1815, après la destitution de Napoléon, Louis XVIII demande au général Haxo d’entreprendre de nouvelles fortifications en cascades sur la colline de La Bastille. Les précédentes fortifications construites par Lesdiguières disparaissent. En 1824, le fort de la Bastille et la citadelle Rabot sont construits pour abriter des casernes. Une nouvelle enceinte délimite l’actuelle place de Verdun. Plus tard (1879), une autre est érigée au sud (boulevard des fortifications) sur le tracé actuel des grands boulevards, en direction du Drac et du polygone. La présence militaire est renforcée avec quatre régiments d’infanterie ou d’artillerie et trois bataillons de chasseurs alpins ainsi que de nombreuses casernes. La gare de Grenoble dans les années 1900. Le chemin de fer arrive à Grenoble en 1858 28 L’évènement qui va bouleverser l’urbanisme de la ville est l’arrivée du chemin de fer et la construction de la gare en 1858. Cette révolution aboutira à la destruction de toutes les enceintes et fortifications de la ville (hormis celle de la Bastille). Place Victor Hugo et les grandes avenues qui ouvrent les ruelles du centre-ville vers les quais de l’Isère et vers la gare . Elles témoignent de la grande poussée vers l’ouest de Grenoble en faisant table rase des fortifications et notamment de l’hôpital général. Pourtant à l’époque, et paradoxalement, l’argument le plus convaincant pour que le plan ferroviaire initial adopte Grenoble comme destination fut celui d’une ville frontière fortifiée qui devait nécessairement être desservie. Cela conduira à l’annexion jusqu’au Drac des territoires appartenant aux communes de Seyssins, Fontaine et Saint-Martin-leVinoux. Il s’ensuivra les grands travaux de nivellement du Polygone et de la Porte de France (1848), d’aménagement et d’assainissement du cours Saint André (cours Jean-Jaurès) ce qui donnera l’actuelle superficie de Grenoble de 18,3 km². C’est ainsi qu’à partir des années 18801914 les grands chantiers d’ouverture et de communication ont donné au centre ville son visage actuel. Sous la conduite des maires bâtisseurs de l’époque s’ouvrent les grandes places de Grenoble : Place de la Constitution (place de Verdun) et les beaux bâtiments administratifs, militaires et universitaires qui l’entourent. Grenoble en 1887. En bas, les dernières lignes de fortifications Haxo. C’est aussi à cette époque que l’on bâtit les ponts si importants pour l’essor de la ville : 1828 pont du Drac, 1838 pont Saint Laurent et de l’ancien hôpital, 1893 pont de la Porte de France et surtout en 1899 le pont de l’Ile Verte qui a permis le transfert de l’hôpital général du centre-ville vers La Tronche. 29 L’extension géographique et démographique de Grenoble L’expansion économique de Grenoble Le début du 20ème siècle verra se confirmer l’extension de la ville vers le sud et l’est et en 1920 l’adoption par la municipalité du déclassement des fortifications et du nouveau plan d’alignement de la ville. L’aménagement du boulevard des fortifications (1938) prendra le nom des trois maréchaux Foch, Viallet et Joffre. L’aéroport Grenoble Mermoz s’installe dans le sud de la ville, inauguré par Paul Cocat en 1936 ainsi que le stade vélodrome la même année et le téléphérique de la Bastille initié en 1934 par Paul Mistral est inauguré par son successeur Léon Martin. Les communes alentours s’étendent préfigurant l’agglomération grenobloise du 21ème siècle. Les inventeurs, initiateurs de l’essor industriel La démographie suit une courbe lentement progressive jusqu’en 1830, de 20 000 au moment de la révolution à 30 000, puis la croissance est plus rapide pour doubler à la fin du siècle (68 000) puis 100 000 au moment de la guerre de 1940. Le vrai “boom” démographique se fera après la guerre de 1940 au moment des trente glorieuses. La ville se sature rapidement à 160 000 habitants mais l’agglomération passe de 150 000 au moment de la guerre pour atteindre plus de 400 000 habitants aujourd’hui. Dans les cinquante dernières années, la population s’est renouvelée par tiers tous les dix ans. 30 Ils sont bien sûr la cause principale du développement de la ville et de sa dimension universitaire. En retour, les aménagements urbains sont à l’origine du creuset industriel notamment avec le raccordement au chemin de fer en 1858 qui crée un enchainement spectaculaire et amène la ville à la pointe du progrès. les universitaires mais aussi les pouvoirs publics locorégionaux qui ont soutenu cette grande proximité entre les hommes. C’est ainsi qu’à la fin du 18ème siècle, la bourgeoisie grenobloise (avocats, notaires, médecins) est rejointe par des négociants et des marchands préfigurant l’économie du lendemain. Cette mutation est à Grenoble plus qu’ailleurs la conséquence d’une collusion forte et souvent interpénétrée entre les pionniers industriels, les chercheurs et Cette activité économique, déjà inaugurée au 18ème siècle par l’industrie du tissage, suite aux inventions de Vaucanson, fut florissante au cours du 19ème siècle. L’industrie gantière Xavier Jouvin dépose en 1838 un brevet pour la découpe du cuir, et pour la mise au point des formes de mains en métal permettant d’obtenir 250 pointures. C’est l’âge d’or pour Grenoble. La ville bénéficie de cette découverte et la production des gants devient exclusive et fulgurante. En 1860, 112 fabriques emploient 32 000 ouvriers. Ils réalisent 400 000 paires de gants dont la moitié est exportée vers les Etats-Unis. “Si j’ai été assez heureux pour me créer une position exceptionnelle, c’est à l’ouvrier à qui je la dois, sans l’aide que j’en ai reçue et sans celle que j’en obtiendrai je croirais ma position illusoire ; par conséquent je crois plutôt acquitter une dette que faire un don.” Extrait d’une lettre de Xavier Jouvin au Commissaire Général de la Société des Gantiers de Grenoble. La population de Grenoble a fortement évolué après 1945 pour se saturer à 160 000 habitants, et au profit de l’agglomération qui compte aujourd’hui plus de 400 000 habitants. 31 L’industrie lourde C’est elle qui va faire la prospérité de la ville. La région de Grenoble a peu de matières premières (de la pierre, du bois et un peu Le développement de l’électricité de charbon) mais elle possède une énergie potentielle puissante, l’eau, qui fait tourner les moulins. Le besoin d’énergie représente le facteur primordial du développement industriel. Ce fut alors le miracle de l’énergie hydraulique qui naquit par une succession d’expériences : premiers essais fructueux, pour le ciment à Uriage (Régis Joya), pour les défibreurs du papier à Rioupéroux (Neyret) ou à Domène (Amable Matussière). Aristide Bergès (1833-1904) Il est le grand instigateur de ce qu’il appellera plus tard “La Houille Blanche” à l’exposition internationale de Paris en 1889. En 1869, il crée à Lancey une conduite forcée pour une turbine de son invention. Les conséquences technologiques, industrielles et universitaires de cette invention vont être fulgurantes. 32 Louis Vicat invente le ciment Papeterie Devant un aréopage de scientifiques, il établit en 1818 la loi de la fabrication du ciment artificiel et le principe de l’hydraulicité en exposant ses travaux sur les calcaires des parois autour de Grenoble. Elle émerge à Grenoble quand le bois remplace le chiffon dans la fabrication du papier et rejoint l’implantation de l’imprimerie depuis 1490. Congrès de la Houille Blanche. La Grande Halle est éclairée à l’électricité. Marcel Desprez, un ingénieur parisien, invente la dynamo en 1870. C’est lui qui l’amène à Grenoble pour tenter un transport de l’énergie électrique. En 1883, il réussit à la transporter de la halle aux grains jusqu’à Jarrie pour faire tourner à distance différentes machines. En 1898, il est créé la société anonyme de l’éclairage électrique de la vallée du Grésivaudan. En 1902, ces initiatives seront couronnées par le grand Congrès de la Houille Blanche organisé par Joseph Bouchayer. En 1827, ses méthodes sont appliquées et son fils Joseph Vicat construit en 1853 un groupe industriel implanté dans huit pays et employant 6100 personnes. Les premiers fours Héroult à Froges en 1890. Electrochimie Métallurgie Paul Héroult découvre en 1886 comment l’électrolyse se substitue à la chimie pour purifier et rentabiliser la production d’aluminium. Ceci conduira à un essor considérable de cette industrie notamment dans la vallée de la Maurienne. Son développement a été induit par le besoin de machines et d’installations électriques : Etablissements BouchayerViallet en 1870. 33 La guerre de 1914-1918 accélère l’expansion industrielle Au début du siècle dernier, la Grande Guerre est un véritable cataclysme pour la France. Pourtant, elle accélère l’expansion économique de Grenoble, loin du front. La ville est mandatée pour fournir énergie et matériel électrique, obus et explosifs, papier à cartouche et coton nitré, engrais et aussi nourriture pour les soldats. Ce dernier point conduira à développer plus tard l’industrie alimentaire : biscuits Brun, chocolats Cémoi, pâtes Lustucru, etc. 34 De nouvelles usines et des complexes chimiques se montent à Pont de Claix et à Jarrie, surtout liés à la production de chlore (utilisé pour les gaz de combat et plus tard pour le traitement industriel des polymères). Dans l’après-guerre, on assiste à une diversification et au développement de nombreuses entreprises : Neyrpic créée en 1917 par deux associés Neyret et Piccard, spécialisée en matériel et régulateurs hydrauliques, Merlin-Gerin créée en 1920 par Louis Merlin et Gaston Gerin. Elle spécialisée en matériel électrique et deviendra plus tard Schneider Electric. Paul Louis Merlin va jouer un rôle considérable à Grenoble. Outre son impact socioprofessionnel de première entreprise de la ville, il va rayonner au plan international avec de multiples succursales notamment en Chine. Il va créer des liens privilégiés avec l’université et ses directeurs Félix Esclangon puis Louis Weil. Tourisme et sport d’hiver Il fut rapidement un secteur essentiel de l’activité grenobloise. Henri Duhamel découvre en 1888 à Paris de curieuses planches étroites recommandées par un exposant suédois pour marcher sur la neige. Il les essaye sur une pente en les modifiant. Il fait rapidement des adeptes et garde le mot norvégien « ski ». En 1889, il mesure l’avenir touristique de cette nouvelle technique et un comité d’acteurs de la ville crée une association « Syndicat d’initiative dans l’intérêt de la ville de Grenoble et du Dauphiné ». Les sports d’hiver et le principe de l’office du tourisme viennent de naître en même temps. La première société française de ski est créée en 1896 « Ski club des Alpes ». Jean Pomagalski sera dans les années 1930 un pionnier pour le développement des remontées mécaniques : première remontée débrayable en 1936 à l’Alpe d’Huez. La section textile redémarre en 1927 avec la Viscose, créant plus de mille emplois et une nouvelle cité ouvrière à Echirolles. Ce fut enfin une nouvelle heure de gloire pour l’industrie grenobloise quand Paul Mistral organise en 1925 l’Exposition Internationale de la Houille Blanche et du Tourisme dont le site du parc Paul Mistral garde le souvenir. Les premiers ski d’Alain Duhamel. Activités culturelles et sociales Elles sont à l’avant-garde du progrès. Dès 1798 le musée de Grenoble est créé par Louis Joseph Jay, trois ans avant l’arrêté du 1er septembre 1801, stipulant la création de dépôts d’objets d’art dans 15 villes de France. Situé au départ dans l’Ecole Centrale (ex-couvent des jacobins, bientôt Lycée impérial et futur Lycée Stendhal), le musée sera transféré en 1872 dans un nouveau bâtiment place de la Constitution (place de Verdun). Avec le soutien de nombreux donateurs, viendront ensuite le musée archéologique en 1846 et le muséum d’histoire naturelle en 1851. Mais c’est avant tout, les initiatives mettant en valeur le progressisme grenoblois qui sont à noter : Création de la première mutuelle d’entraide des gantiers grenoblois en 1803, et leur future chambre syndicale. Affiches de l’exposition internationale de la Houille Blanche et du tourisme à Grenoble en 1925. Création de la première société mutualiste féminine en 1822 : système de prévoyance qui donnera naissance à la maison de la mutualité. Mise en place de la bourse du travail regroupant les activités des diverses chambres syndicales en 1894. D’autres initiatives verront le jour au siècle suivant : Manifestations syndicales. Elles sont massives en 1934. Elles sont parmi les mouvements qui conduiront à la victoire du Front Populaire deux ans plus tard. Elaboration de la charte de Grenoble au congrès de l’UNEF en 1946, base d’un nouveau syndicalisme étudiant en France. Création du premier planning familial de France en 1961. 35 Création d’une nouvelle université en 1806 Sa “re”naissance est chaotique au sortir de la Révolution française. Si on se remémore que l’activité reste dominée par le droit dans une ville de parlement (300 avocats pour 15 médecins en 1789), on conçoit que les directives données par les comités révolutionnaires soient apparues très dures. Ils décident de l’inutilité des écoles et des universités de droit pour une simplification des lois à la portée des citoyens. ville universitaire, lorsque l’école de droit est créée en 1805 en même temps que dans onze autres villes. Puis les relations de la ville avec l’Empire évoluant bien, l’université Impériale fut créée en 1806 et activée en 1808. En 1801, on voit la suppression des écoles centrales pour des lycées d’où le droit est exclu. Elle comprenait le droit, les lettres et les sciences, la médecine étant explicitement exclue de cette création. Dans cette nouvelle université, seul le droit eut une activité soutenue. Les lettres n’ayant pas d’activité significative, sa faculté fut supprimée en 1815 puis rétablie en 1847. Ces contraintes entrainent une levée de bouclier à Grenoble. Il faudra attendre les premières réformes napoléoniennes pour voir réapparaître à Grenoble le statut de Quant à l’université des sciences elle aura un départ prometteur grâce à l’œuvre de Joseph Fourier et des personnalités grenobloises marquantes de l’époque. 36 Joseph Fourier 1768-1830 Passionné de mathématiques, Joseph Fourier suit un cursus exemplaire à l’école royale d’Auxerre puis à l’école de l’an III (Ecole Normale Supérieure) pour être finalement nommé professeur à l’école polytechnique de Paris. Par ailleurs, il accomplira son rôle de préfet avec succès dans l’aménagement des voies de communications autour de Grenoble et dans l’assainissement du territoire. Après avoir suivi Napoléon lors de sa campagne d’Egypte, il est nommé préfet de l’Isère en 1802. Il participe activement à la renaissance de l’université scientifique effectivement mise en place en 1811. Ses travaux sur les “Mathématiques régissant la chaleur” et les outils mathématiques qu’il a élaborés : tels que les “intégrales” et la “transformée de Fourier” si utile en imagerie médicale moderne lui confèrent une grande renommée scientifique. Jean-François Champollion, génial inventeur du déchiffrage des hiéroglyphes, fut nommé, grâce à Joseph Fourier, professeur d’histoire à la toute nouvelle université en 1812. Son frère Jacques Joseph, professeur à la faculté des lettres, publia à la mort de son frère ses deux ouvrages majeurs sur l’égyptologie. Il aura en outre le mérite de valoriser la vie intellectuelle locale, de promouvoir l’Académie delphinale et de favoriser la carrière des frères Champollion. Un nouvel essor de l’université Malgré l’impulsion donnée par Joseph Fourier, l’université va demeurer latente jusqu’à la fin du 19ème siècle. Elle assiste passivement à l’essor industriel. Celuici va conduire à l’évidence du besoin de spécialistes pour le développement induit par les inventions du siècle. C’est sous la troisième république que l’université de Grenoble va être réactivée comme en témoigne la création d’une académie en 1879 regroupant les facultés de droit, de lettres et de sciences. A cette époque elle comptait 560 étudiants. François-Marie Raoult Eminente personnalité de la chimie, célèbre pour ses travaux sur la cryométrie, il occupe la chaire de chimie et de toxicologie de 1870 à 1901. Doyen de la faculté des sciences, il conduit la réorganisation universitaire en 1896. Paul Janet, pionnier de l’enseignement des sciences appliquées Cette période est symbolisée par l’ouverture en 1892 du premier cours public d’électricité naturelle par Paul Janet. Au début cette initiative fut rejetée par la faculté des sciences comme traitant d’un sujet bassement appliqué, mais elle est soutenue par le maire Stéphane Jay et elle aboutit en 1898 à la création de l’institut électrotechnique de Grenoble. 37 C’est alors une succession de créations conduites par des personnalités éminentes de la faculté des sciences, orientant l’enseignement et la recherche vers les spécialités industrielles de la région. Louis Barbillon, père de l’institut polytechnique de Grenoble Louis Barbillon va faire évoluer la structure vers l’institut polytechnique de Grenoble (IPG) en 1902. Il accueillera l’école française de papeterie en 1907, l’école d’électrochimie et d’électrométallurgie en 1921 et d’hydraulique en 1928. La formation médicale Proche de cette explosion industrielle et scientifique, la médecine a eu un parcours beaucoup plus chaotique, mais ses hommes ont su, le moment venu, saisir cette opportunité pour s’associer à cette démarche de progrès. Dès le lendemain de la révolution, la formation médicale qui était en grande partie aux mains des frères de Saint Jean de Dieu, est anéantie par le décret du 12 juillet 1790 qui retire aux religieux le droit d’enseigner la médecine. L’école de chirurgie René Gosse et Louis Merlin, la rencontre de l’université et de l’industrie René Gosse, élu doyen en 1927 et en même temps directeur de l’IPG en 1929, eut une action déterminante tant au niveau des interpénétrations avec l’industrie notamment avec Louis Merlin, qu’au niveau structurel pour l’obtention des moyens dédiés à l’université. 38 C’est grâce à sa détermination au sein de la municipalité de Paul Mistral et à son engagement politique avec le Front Populaire qu’il réussit à obtenir la construction de locaux universitaires près de la gare : école de papeterie et institut Joseph Fourier pour y héberger les mathématiciens et les physiciens qu’il souhaitait attirer. Ces locaux ne seront vraiment opérationnels qu’après la guerre de 1940, mais ils permettront d’accueillir les grands scientifiques qui feront ultérieurement la réputation internationale de Grenoble. Parmi les autres réalisations universitaires qui font aussi la spécificité de Grenoble, il faut souligner l’initiative de la faculté des lettres pour la création du comité de patronage des étudiants étrangers en 1897. Ce comité a contribué au développement du français et au rayonnement de Grenoble. Il donnera naissance au CUEFA (Centre Universitaire d’Education et de Formation des Adultes) qui accueille maintenant chaque année 3000 stagiaires. Il faut aussi souligner l’arrivée de Raoul Blanchard, jeune normalien qui occupera à Grenoble un poste de professeur de géographie en 1906. Il est à l’origine du développement de cette discipline et de la création de l’institut de géographie alpine. L’école de chirurgie disparaît donc en 1790, ce qui est cruellement ressenti par la municipalité et la population. C’est alors que dans un contexte de grande misère de l’hôpital général, le conseil d’administration se désigne lui-même comme responsable de l’enseignement. L’internat L’autre aspect de cette démarche ouvre la voie à une institution fondamentale pour la formation médicale de haut niveau : A Grenoble, l’Internat a été créé en 1794 selon le profil suivant : “Quatre élèves internes apprendront la chirurgie à l’hôpital”. Il sera officialisé par un décret napoléonien en novembre 1806. L’internat n’accordait que des cours pratiques de médecine, de chirurgie et de pharmacie en sélectionnant uniquement pour ceux qui se destinaient à la profession d’officier de santé : “Concours pour la classification des élèves parmi lesquels on en choisira trois qui seront nourris et logés aux dépens de l’hospice”. Malgré cette “faveur”, la médecine sera délaissée au moment de créer l’université impériale et la création d’une faculté lui sera refusée (il en existait six en France et Lyon n’en faisait pas partie). Napoléon avait donné à l’école une orientation militaire. Elle formait des L’Institut Joseph Fourier, construit en 1938. Cette volonté de renouer avec les missions universitaires de la médecine conduit à maintenir l’école de chirurgie. Elle a à sa tête le docteur Michal, chirurgien, aide major à l’hôpital militaire de Grenoble. Cette initiative sera confortée par un arrêté préfectoral en 1802. chirurgiens avec un bagage minimum pour les envoyer plus vite aux armées. L’école devenait alors, indigne de l’enseignement supérieur. Plus tard, en 1815, le décret instituant une faculté de médecine à Grenoble était accepté par l’empereur après son passage dans la ville au moment des cent jours. Il ne manquait que la signature. Hélas il y eut Waterloo, tout tomba à l’eau et pour 147 longues années ! Rancune oblige… Par la suite, l’internat sera pérennisé, mais pendant un siècle de façon très réduite et inconstante. Il deviendra réellement opérationnel au cours de la première moitié du 20ème siècle (5 à 10 lauréats par an) pour devenir le garant d’une formation élitiste, ouvrant la voie aux carrières hospitalières et universitaires. Sa spécificité fut d’éviter le protectionnisme local et de favoriser l’accès aux candidats de issus de toute la France. Cette politique a été bénéfique pour la diversité et la compétence des futures élites universitaires. 39 Nouveaux bâtiments de l’école de médecine et de pharmacie, rue Lesdiguières L’école de médecine et de pharmacie 40 Pour en revenir au parcours universitaire de la médecine, dans les suites de son effondrement post révolutionnaire, il reste balbutiant en 1820 quand un décret octroie à l’école publique de chirurgie (créée en 1771 et demeurée active par arrêté préfectoral en 1804) le titre d’école secondaire de médecine et l’intègre dans l’université. Elle ne bénéficiera d’aucuns moyens, ne fonctionnera pratiquement pas, tout au plus pour nommer des officiers de santé. En 1841, elle devient Ecole Préparatoire de Médecine et de Pharmacie. Cette création est purement formelle, car elle est assujettie à des conditions inaccessibles : financement de chaires, fonctionnement des laboratoires etc. qui ne peuvent pas être satisfaites par la municipalité, seule responsable de la structure. Les crédits seront votés par étapes, mais au fur et à mesure la législation se complique par les décrets de 1877 et 1885 réorganisant les études de médecine et de pharmacie. Les conditions d’exercice imposent de nouvelles charges à la municipalité qui refuse tout net de voter les crédits. L’école de Médecine. L’agitation gronde chez les étudiants et parmi les élites de la ville. C’est alors que sous l’impulsion du docteur Jules Girard et grâce à l’appui du nouveau maire Félix Poulat et du sénateur Edouard Rey, il est envisagé la construction de nouveaux locaux rue Lesdiguières. Ils seront adaptés aux derniers règlements des études pharmaceutiques (1885) et médicales (1893). Ils sont ouverts aux étudiants en 1894. Ils créent l’émerveillement à l’époque pour l’espace qu’ils donnaient aux nouvelles disciplines et aux enseignements. Un décret autorise alors l’école préparatoire à fonctionner dans la plénitude de ses droits : année préparatoire et les trois premières années de médecine ou de pharmacie. La section “officier de santé” est supprimée. L’école acquiert la personnalité civile mais elle est malheureusement assujettie à la tutelle de la faculté de Lyon qui supervise les examens et les diplômes, ce qui pèsera lourd contre son épanouissement ultérieur. Arthur Bordier, son directeur, donne alors une dimension scientifique à l’enseignement : physique, chimie, biologie et conforte la pratique de l’anatomie. Le transfert des hôpitaux à La Tronche Les locaux de l’hôpital hospice général vont progressivement se dégrader au cours du 19ème siècle. Les moyens en personnels sont réduits et en 1812 l’administration hospitalière sollicite la congrégation de Saint Thomas de Villeneuve à Aix en Provence pour assurer les soins. Les bâtiments délabrés conduisent à des travaux de rénovation en 1862. Les locaux sont partiellement démolis et les façades reconstruites, mais le projet s’est davantage préoccupé de l’esthétique que du confort et des soins. L’hôpital renferme alors 1400 lits et les services sont répartis en fiévreux, blessés, syphilitiques, maternité, crèche et hospice. Puis d’importants travaux ont lieu en 1891 : salles modifiées et aérées, aménagement des cours, apport de l’eau courante et de l’électricité. Malgré cela, l’hôpital reste inadapté aux besoins et au développement des sciences médicales. C’est ainsi que, sous la pression des mêmes acteurs politiques et médicaux à l’origine de la construction de l’école de médecine vont ouvrir de grands espaces et de nouvelles voies de communication dans la ville où va se réaliser le transfert des structures hospitalières à La Tronche. Ce qui germe dès 1881 est finalement décidé en 1890 après de nombreux atermoiements et négociations avec les autorités militaires très influentes à l’époque. Les locaux de l’hôpital général seront détruits et à leur place seront érigés l’hôtel Majestic, aujourd’hui disparu, et le bâtiment du Trésor Public. Une grande partie des terrains sera dédiée aux nouveaux axes urbains de communication. 41 Transfert de l’hôpital civil au nord de l’emplacement sur plus de cinq hectares à proximité de l’hôpital militaire. Les travaux débutent en 1909 et s’achèvent en 1913. Il est constitué d’une vingtaine de pavillons distribués symétriquement. Les quatre pavillons principaux : Canel, Brenier, Moidieu et Chissé seront surélevés entre 1932 et 1934. De nouvelles constructions se feront côté sud dénommées “Clinique des Sablons” en 1939 : pavillon Latreille, pédiatrie, ORL, urologie, puis après la guerre de 1940, les pavillons Calmette Guérin et Dominique Villard entre 1956-1958 et le pavillon Neurologie. Cet ensemble permettra la structuration des disciplines médicales, chirurgicales et biologiques et la configuration du futur CHU jusqu’à la construction de l’hôpital sud (1966-1968) et de l’hôpital Albert Michallon (1968-1974) Il sera aussi le territoire d’accueil des étudiants pour leurs stages parallèlement à l’enseignement théorique donné à l’école Lesdiguières. 42 Les bâtiments des hôpitaux de La Tronche. Le transfert se fera en plusieurs étapes selon une organisation pavillonnaire : Transfert au sud du territoire d’un groupe de pavillons érigés de 1894 à 1922, destinés aux vieillards, à l’asile et aux tuberculeux. Transfert de l’hôpital militaire, inauguré en 1910. Il devient une institution indépendante directement sous le contrôle de l’autorité militaire. Il deviendra beaucoup plus tard le centre de recherche des armées : CRESSA qui sera transféré à Brétigny sur Orge en 2004. Pendant cette période de mutation, l’influence militaire va s’estomper progressivement et la ville se tourner résolument vers d’autres objectifs. L’influence des maires successifs Elle fut cruciale pour le développement urbain, industriel, scientifique et médical de Grenoble. Parmi les plus déterminants, il faut citer : Edouard Rey (1881-88), Auguste Gaché (1888-96), Félix Poulat (1896), Stéphane Jay (1896-1904), Félix Viallet (1908-10), Nestor Cornier (1910-19), Paul Mistral (1919-32), Léon Martin (1932-35) et Paul Cocat (1935-44). 1939-1970 Epilogue Grenoble vers son destin de métrople internationale Le contexte historique est, bien sûr, celui de la guerre de 1939-1945 et des années qui ont suivi dénommées “les trente glorieuses”. C’est cette période qui a permis l’expansion économique, démographique et scientifique de Grenoble. La deuxième guerre mondiale et ses glorieux lendemains En juin 1940, la défense de la ville de Grenoble est assurée par le général Cartier lors de la bataille de Voreppe. Les troupes allemandes sont stoppées à temps par l’armistice, évitant ainsi à Grenoble de subir une occupation. La ville fait donc partie de la zone libre et jouit alors d’un grand calme loin des combats. Cette situation jouera un rôle crucial dans l’enrichissement social et démographique de Grenoble qui voit immigrer des populations du nord, d’Italie antifasciste, des espagnols républicains, des juifs, comme tous ceux qui se sentaient menacés. Parmi eux, des avocats, des médecins, des hommes politiques et surtout des scientifiques de haut niveau qui entraineront un essor considérable intellectuel et technologique. Après une période de calme et de soutien compréhensible à la politique du gouvernement de l’armistice, les grenoblois vont s’illustrer par une participation très active à la résistance et à la constitution des maquis environnants dès la fin 1941, avec une implication importante des élites universitaires et du monde médical. Parmi les grandes figures médicales de la résistance on peut citer les docteurs Léon Martin, Gaston Valois, Henri Butterlin, Jacques Giraud et tant d’autres qui ont fait l’honneur de la cité et de la région. A la suite du débarquement allié en Afrique du nord, les troupes italiennes investissent Grenoble en novembre 1942, puis les troupes allemandes en septembre 1943. Dès lors les manifestations, les attentats et les sabotages s’accentuent et conduisent à des répressions terribles. Grenoble paiera un lourd tribut à son engagement, en particulier lors de la Saint Barthélémy grenobloise en novembre 1943 et au massacre de jeunes résistants et d’une partie de la population en août 1944. Parmi les martyrs, le doyen René Gosse et son fils avocat furent assassinés par la milice en décembre 1943. Grenoble est évacué par les allemands le 22 août 1944, le jour où deux détachements français de parachutistes entrent triomphalement dans Grenoble par le cours Jean-Jaurès. L’occupation de Grenoble aura duré un peu moins d’un an, mais sera ressentie très douloureusement par la population. Le 5 novembre 1944, Le général De Gaulle vient remettre la médaille de l’ordre de la libération à la ville qui obtiendra le titre de capitale du maquis. 43 Les heures de gloire de l’université scientifique et des sciences dures 1940-1970 La presqu’île vers 1920, avec au premier plan, les terrains de manœuvre des militaires. Les maires poursuivent l’œuvre de leurs prédécesseurs 44 Par la suite, les maires successifs Léon Martin (2ème mandat 1945-1947 et 3ème mandat 1949-1959), Albert Michallon (1959-1965), Hubert Dubedout (19651983), Alain Carrignon (1983-1995) et Michel Destot (depuis 1995) poursuivront pendant les “trente glorieuses” et pendant la période de ralentissement économique qui suivra, l’œuvre fondamentale de leurs prédécesseurs pour le développement de la ville et de ses atouts scientifiques. L’urbanisme galopant finit de détruire enceintes, murailles et vestiges pour ne plus percevoir de son passé de ville fortifiée de garnison que quelques casernes qui disparaitront à leur tour dans les années 2000. Elles résultent en grande partie de l’arrivée à Grenoble d’éminentes personnalités scientifiques déplacées pendant la guerre et qui disposaient de locaux universitaires récemment construits par la volonté du doyen Gosse et inutilisés. Louis Néel en fut le grand artisan. Originaire de Strasbourg, il s’installe à Grenoble en 1940 après un court passage à Saint-Etienne et à Lyon. Il est accompagné de son élève Louis Weil. D’autres physiciens tels Noël Félici et Edwin Bertrand se fixent à Grenoble. Ce noyau va jouer un rôle capital en choisissant de rester à Grenoble après la libération alors que la physique se développait à Paris. Grâce à l’appui de Félix Esclangon à la tête de l’INPG et du doyen René Fortrat, tous deux physiciens, les “réfugiés” sont stabilisés et des postes de professeurs leur sont attribués. Puis des laboratoires entiers vont se délocaliser. Michel Soutif et son laboratoire de résonnance magnétique, sur l’initiative de Louis Néel, quitte l’ENS à Paris pour Grenoble en 1951 et bénéficie du soutien du CNRS pour la mutation de ses membres notamment Daniel Dautreppe. La presqu’île aujourd’hui avec le Synchrotron. Jean Kuntzmann, autre pionnier, met au point le premier calculateur analogique français en 1952, dans son laboratoire de mathématiques appliquées. Il crée un cours sur les techniques mathématiques de la physique. Soutenu par Louis Néel, cette association prémonitoire des mathématiques et de la physique, si elle a reçu en son temps l’opprobre des puristes mathématiciens, participe aux avancées fulgurantes de l’informatique, de l’automatisme et des techniques de l’information. Louis Weil, fondateur du centre de recherche sur les basses températures, fut le principal acteur de la collaboration entre recherche et industrie. Elu doyen de la faculté des sciences en 1961, il prend une part essentielle à la création du campus universitaire à Saint Martin d’Hères en décembre 1961. Ce premier campus “à l’américaine” en France, situé hors de l’agglomération et financé grâce à une avance de la société Merlin Gerin sera un atout capital pour le développement universitaire. 45 Création du Centre d’Etude Nucléaire de Grenoble Grâce à l’action menée par Louis Néel, le Commissariat à l’Energie Atomique crée le Centre d’Etude Nucléaire de Grenoble. C’est un évènement capital pour toute la région. Il sera le premier centre de recherche nucléaire de province obtenu au détriment de Toulouse. Il met à la disposition des chercheurs des moyens considérables comme les réacteurs expérimentaux Mélusine et Siloë et un personnel scientifique et technologique très importants. Louis Néel, grâce à cet outil, poursuivra ses recherches sur le magnétisme et l’influence des neutrons produits par les réacteurs nucléaires. Il obtiendra le prix Nobel de physique en 1970. 46 Michel Soutif est à la tête d’un autre élément fondateur. Il crée un enseignement de génie atomique à l’IPG, ce qui induit la présence de physiciens nucléaires et conduira à l’institut des sciences nucléaires doté d’un cyclotron en 1965. Michel Cordelle crée en 1967 le Laboratoire d’Electronique et des Techniques de l’Information (LETI). Et pour valoriser ces outils et les formidables investissements devenus internationaux, la coopération franco-allemande, puis britannique conduira à la création d’un réacteur à haut flux de neutrons dans l’institut Laue Langevin (ILL) en 1974. Enfin le Synchrotron , dernier né des appareils internationaux de Grenoble fonctionne depuis 1994. Là encore, ce fut une bataille acharnée avec Strasbourg pour l’obtenir. L’université, moteur de l’expansion industrielle Le développement de tous ces investissements sur un même site donne à la recherche grenobloise une opportunité unique au monde. Elle génère aussi une créativité tournée vers la production industrielle. Ce n’est plus, comme au siècle précédent, l’industrie seulement qui induit la formation d’ingénieurs et stimule la recherche universitaire. Maintenant les flux sont devenus réciproques et l’université stimule la création et l’accueil d’entreprises multiples et de start-up qui vont essaimer dans des zones urbanisées nouvelles et créer un nombre considérable d’emplois. Crolles Bernin avec STMicroélectronics et Soitec et enfin Minatec sur le Polygone de Grenoble. Cette liste montre l’occupation du territoire de la région et explique sa démographie avec une population de plus de 400 000 habitants pour la grande agglomération de Grenoble au début du 21ème siècle. Parallèlement, les effectifs de la population universitaire qui en résultent deviennent considérables. En 2002/2003, on dénombrait sur l’ensemble des universités plus de 4500 chercheurs, auxquels il faut ajouter 2800 enseignants chercheurs. 47 Parmi les grandes entreprises qui feront suite aux pionniers que furent Neyrpic et Merlin Gerin devenu Schneider Electric, on peut citer sans vouloir être exhaustif : Sames à Meylan (machines électrostatiques), Ugimag à Ugine (aimants permanents), Air Liquide à Sassenage, Thomson à Saint-Egrève, Alcatel à Veurey, Péchiney à Saint-Egrève, Efcis (microélectronique) au Polygone à Grenoble. La ZIRST de Meylan-Montbonnot, qui deviendra Inovallée en 2005, regroupe 260 entreprises et 8000 personnes ( avec en particulier le CNET, l’INRIA, SoGETI…) Hewlett Packard à Echirolles, la zone de La presqu’île aujourd’hui avec le Synchrotron. Grenoble deviendra la première ville anglophone en France après Paris avec près de 10 000 personnes. Quant aux étudiants ils sont près de 60 000 dont plus de 10% d’étrangers. Enfin la faculté de médecine et de pharmacie L’école nationale de plein exercice C’est dans ce contexte scientifique de pointe et d’activité universitaire majeure que va se créer et se développer la faculté de médecine de Grenoble. Dans un premier temps, l’école préparatoire est transformée en école nationale de plein exercice de médecine et de pharmacie en mars 1954. Elle permet aux étudiants de poursuivre leur cursus jusqu’au doctorat avec un enseignement grenoblois. 48 En revanche, les examens terminaux se passent toujours devant la Faculté de tutelle à Lyon. Les cadres enseignants deviennent nommés par le ministère alors que les locaux, leur équipement et leur fonctionnement sont encore assurés par la municipalité. Albert Bonniot a beaucoup œuvré pour cette transformation. Il est nommé directeur en 1956. Il sera aussi le père de l’école de chirurgie moderne du CHU de Grenoble. Jean Roget lui succédera en 1959. La naissance tumultueuse des facultés de médecine et de pharmacie en 1962 Jean Roget est l’artisan de cette création. En juin 1962, les examens de la première session de première année de médecine en seront le détonateur. Les professeurs lyonnais avaient posé une question de physiologie, non traitée à Grenoble pendant l’année universitaire. Ainsi sur 60 étudiants, 3 seulement étaient admissibles, 7 rachetés et 47 recalés avec note éliminatoire. L’esprit frondeur grenoblois a déclenché une vive réaction des étudiants. Après avoir manifesté, l’ensemble des étudiants a refusé de se présenter à la deuxième session, suivis par ceux qui étaient admis ou repêchés. Le Dauphiné Libéré relate l’évènement en juin 1962. L’affaire fit grand bruit et entraîna la démission du directeur Jean Roget et le soutien unanime de tous les professeurs. Devant cette insurrection, le préfet alerta le ministère qui délibéra suffisamment vite, soutenu par le professeur Debré, pédiatre comme le professeur Roget et c’est ainsi que le décret de création de la faculté sortit en août 1962. La deuxième session se passa sous les auspices de la faculté de Grenoble avec un succès collectif, massif pour les étudiants grenoblois, comme on peut l’imaginer. Peu de temps après, des locaux sont érigés sur le terrain de la Merci à La Tronche, offert sans délai par le conseil général. Le bâtiment, proche de la vie hospitalière, sera nommé Jean Roget et son ouverture se fera en octobre 1967 parallèlement au déménagement des locaux de la rue Lesdiguières dans le domaine de La Merci à La Tronche. La faculté de médecine et de pharmacie dans les pas de l’université scientifique La création de la faculté va créer une dynamique importante dans tous les domaines : Ouverture scientifique avec la création de l’université scientifique médicale et technologique (USTMG) en 1971 qui deviendra université Joseph Fourier en 1987. Création de disciplines nouvelles Elles sont supportées par une recherche clinique de haut niveau et engagée dans une démarche pédagogique de qualité. C’est ainsi qu’en moins de 10 ans il se créera 14 nouveaux services dont 5 laboratoires. De plus 70 nouveaux médecins hospitalouniversitaires seront nommés. Réflexion pédagogique et réforme de l’enseignement entrainées par les décrets sur l’enseignement médical et l’évolution de l’internat. Cette démarche trouvera son point d’orgue en 1992 avec la réforme du 2ème cycle des études médicales menée par le doyen Jacques Fournet. Elle a fait de Grenoble un pionnier dans l’évolution des pratiques pédagogiques. Cependant l’intégration de la médecine dans l’USTMG qui apparaît fondamentale aujourd’hui pour la faculté et la médecine en général, ne se réalisa pas sans douleur. La réforme universitaire d’Edgar Faure, suite aux évènements de Mai 1968, décida de créer de grandes universités pour pallier la pulvérisation des UFR devenues ingouvernables. Ainsi, ce fut contraints et forcés que les représentants de la faculté de médecine, plutôt tournés vers le protectionnisme des spécificités médicales, se plièrent à la loi. Au cours de la première assemblée constituante, Michel Soutif proposa sa candidature pour la présidence de l’université. Il n’obtint aucune voix des médecins. Il fut tout de même élu. Sans rancune, il œuvra pour l’épanouissement de la recherche médicale en suivant la démarche initiée par Louis Néel, pour l’intégration des laboratoires de recherche au CENG et dans l’université avec un grand succès. Du côté médecine, le mandat du doyen Roger Sarrazin fut déterminant pour s’intégrer, sans arrière-pensée, dans l’université dans un climat de confiance et d’intérêt réciproque. Ce fut là une orientation cruciale pour la faculté de médecine qui lui a permis de rivaliser avec l’université de Lyon, non pas en cherchant à égaler son volume d’activité ou son expérience clinique mais en faisant valoir la puissance de la recherche scientifique médicale comme image de l’identité grenobloise. Mais là débute une autre histoire riche en développement et pleine de promesses pour l’avenir, ce qui s’est confirmé par la suite. 49 Les vertus de la cité grenobloise, fil conducteur de son histoire Au terme de cette analyse et en relisant les premières pages sur la garnison romaine, l’impression d’une immensité sépare les deux extrémités. La ville a été tant et tant bouleversée au cours des siècles que nul grenoblois ne peut aujourd’hui se targuer de descendre des allobroges gaulois ni même des habitants dauphinois du XVIIIe siècle tant l’apport des immigrants fut important et déterminant au cours des deux derniers siècles. 50 Mais il existe comme une magie qui procure à chaque immigré le sentiment d’appropriation de la ville, pas tellement en terme de territoire mais plutôt en terme d’adoption des valeurs qui ont guidé le destin de Grenoble. Tout au long de ce parcours, c’est l’histoire des hommes de bonne volonté qui émerge avec peut-être la fierté et le soupçon de vanité que nous pensons de nos qualités ; Pugnacité, persévérance et rébellion devant l’injustice et l’allégeance qui nous ont pesées, en provenance, selon les époques, de Vienne, de Valence, de Lyon et parfois de la Capitale. Créativité et dynamisme malgré les calamités et les adversités. Ouvertures et richesses des apports extérieurs par rapport à d’autres villes recroquevillées et protectionnistes. La ville de Grenoble glorieuse de son passé et pleine de confiance dans l’avenir. 51 1963-2013 CINQUANTENAIRE DE LA FACULTE DE MEDECINE ET DE PHARMACIE Grenoble, son université & sa faculté de médecine et de pharmacie Destins Partagés Auteur : Jean-Jacques Sotto Professeur honoraire université Joseph Fourier Direction artistique : Georges Humbert. Unberger www.unberger.com Mise en page : Alexandre Seux Illustrations p. 5,7,16,30 : Joseph Michalski, www.illustrateur.net Aquarelle p. 49 : Léely Secrétaires de rédaction : Martine Blanc, cadre administratif Nathalie Deschamps, chargée de communication santé Crédits photographiques : Bibliothèque municipale de Grenoble - p. 8,12,14,15,17,18,19,23,24,25,26,28,36,50,51 Musée Dauphinois - p. 6,8,10,16,19,24,31,32,33,34,35,38 Musée du Château de Vizille - p. 25,26 Ville de Grenoble, Alain Ficher - p. 44,46 Sources bibliographiques Association du musée grenoblois des sciences médicales : L’hôpital, 1850-2009 ; évolution et mutation. Grenoble - La Tronche - Echirolles ; 2009 Bordier A. La médecine à Grenoble : notes pour servir à l’histoire de l’école de médecine et de pharmacie. Grenoble : imprimerie de veuve Rigaudin ; 1896 Dreyfus P. La faculté de médecine de Grenoble. Presse de la SIA Lavaur ; 1970 Favier R. Grenoble : histoire d’une ville. Grenoble, France : Glénat ; 2010 Fondvielle R. Comité de sauvegarde du vieux Grenoble. Le vieux Grenoble, ses pierres et son âme. Grenoble : Roissard ; 1968 L’Express No spécial 3230, Grenoble 2000 ans d’histoire urbaine 29 mai- 4 juin 2013 L’Express No hors série, comment la France s’est créée : le Dauphiné. Juillet 2013 Joyeux B. Historique de la faculté de médecine et de pharmacie de Grenoble. Grenoble médico-chirurgical, mai 1967 : p 119-123 Soutif M. Grenoble : carrefour des sciences et de l’industrie. Les patrimoines ; éditeur le Dauphiné : Veurey, France ; 2005 Soutif M. La connivence entre physiciens de 1950 à 1975, la revue pour l’histoire du CNRS (en ligne) http:// histoire-cnrs.revues.org/1439. Janvier 2007 Wikipedia : http//fr.Wikipedia.org/wiki/histoire de Grenoble http//fr.Wikipedia.org/wiki/Chronologie de Grenoble Remerciements Jean-Paul Romanet, doyen de la faculté de médecine Christophe Ribuot, doyen de la facluté de pharmacie Denise Ruffino, directrice générale adjointe pour le secteur santé qui ont permis la réalisation de cet ouvrage Laurent Périllat, conservateur de la bibliothèque de l’université des sciences pour ses conseils et son aide à la relecture Imprimé en France : Imprimerie des Ecureuils - 38610 Gières Editions Unberger pour le compte de la faculté de médecine et de pharmacie de Grenoble Dépôt légal : septembre 2013 - ISBN 978-2-9531716-5-5 Domaine de la Merci - 38700 La Tronche www. sante.ujf-grenoble.fr