La médecine comme la maladie, est si intimement liée àlavie
des hommes que son histoire se confond forcément avec
l’histoire générale. »
Arthur Bordier - 1896
Directeur de l’école de médecine et de Pharmacie de Grenoble
Grenoble,
son université & ses facultés
de médecine et de pharmacie
1963-2013 Cinquantenaire
FaCulté de MédeCine & de PHarMaCie de Grenoble
Destins partagés
Jean-Jacques Sotto
«
La faculté de médecine et de pharmacie de Grenoble, indissociablement liée
à l’université Joseph Fourier, a hérité de son passé et au-delà de l’histoire
tumultueuse de Grenoble et du Dauphiné. Elle a légué à ses ressortissants
les vertus fondamentales de pugnacité, de créativité et d’ouverture avec une
propension à la rébellion et au non conformisme qui l’ont parfois desservie
dans ses soutiens mais qui lui ont permis d’être souvent à l’avant-garde des
évènements marquants de l’histoire et de la science.
Il est étonnant qu’une petite ville de garnison, fortifiée et fermée sur elle-
même par enceintes concentriques jusqu’au milieu du 19ème siècle, devienne
une métropole accueillante et ouverte sur le monde, de renommée
internationale en moins d’un siècle. Il est non moins étonnant qu’en
dépit des calamités innombrables et des adversités constantes qu’elle a
subies, elle ait pu rebondir, à chaque fois avec encore plus d’énergie et de
détermination.
Des noms successifs lui ont été donnés depuis Cularo, bourgade gauloise
habitée par les Allobroges ; Gratianopolis, ville fortifiée romaine en 381;
Gragnovol qui témoigne de l’adoption du vocable franco-provençal en
1178; Grenoble en 1347 au moment du « transport » du Dauphiné au
royaume de France et en l’honneur du fils ainé du roi de France qui prend le
titre de Dauphin. Par la suite, pour caractériser ses malheurs successifs, elle
fut dénommée « Gronoblo malherou » en 1740 par le poète François Blanc
et illustrée un siècle plus tard par Diodore Raoult et aussi Grelibre sous la
révolution pour remplacer le suffixe noble par libre.
Il est probablement vain de vouloir expliquer la réussite grenobloise à
travers les péripéties de son histoire mais il est passionnant de découvrir
une ville avec un passé aussi riche et avec si peu de vestiges apparents.
Par rapport à beaucoup d’autres villes qui ont su garder la mémoire
de leur histoire, peu d’édifices prestigieux ont été construits à Grenoble,
probablement par crainte des inondations si fréquentes et destructrices.
Mais aussi beaucoup de constructions ont été sciemment détruites pour
rebâtir sans cesse la cité, ce qui fait penser que Grenoble a la tentation de
faire table rase de son passé pour se tourner résolument vers son avenir.
Jean-Jacques Sotto
Septembre 2013
- 300 à 1789
Les bâtisseurs de remparts et de digues,
précurseurs des pionniers de l’industrie et de la science
-300 - 1030 : La naissance romaine et le haut Moyen-Age
1030 - 1347 Grenoble, capitale princière des dauphins
1347 - 1789 : Grenoble, au cœur de l’histoire du royaume de France
Les guerres
Grenoble face aux adversités : Peste et inondations
La vie publique et les bâtisseurs de la cité
La deuxième Université 1542 -1567 : renaissance et fin
Les hôpitaux compensent la faillite universitaire
Les prémisses de l’explosion économique et culturelle au 19ème siècle
1789 - 1939 : Lexpansion économique de Grenoble
et le réveil de l’université
La Révolution française et l’épopée napoléonienne
Cent cinquante ans de transformation et d’évolution de Grenoble
Lexpansion économique de Grenoble
La guerre de 14-18 accélère l’expansion industrielle de Grenoble
Création d’une nouvelle université en 1806
La formation médicale
Transfert des hôpitaux à La Tronche
1939 - 1970 : Epilogue
Grenoble vers son destin de métropole internationale
La deuxième guerre mondiale et ses glorieux lendemains
Les heures de gloire de l’Université scientifique et des sciences dures
L’Université, moteur de l’expansion industrielle
Enfin la faculté de médecine et de pharmacie
Les vertus de la cité grenobloise, fil conducteur de son histoire
5 à 26
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43 à 51
43
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Sommaire
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Les bâtisseurs de remparts et de digues,
précurseurs des pionniers de l’industrie
etde la science
-300 à 1030 :
La naissance romaine et le haut Moyen Age
-300 à 1789
Cularo était une petite bourgade gauloise
dont les premières allusions remontent
à -300 avant J-C. Elle suscita l’intérêt des
romains pour pénétrer dans les Alpes et en
contrôler les accès en vue de conquérir le
sud de la Gaule.
Au tout début de notre ère, elle devient
un lieu de passage entre l’Italie et Vienne,
capitale gallo-romaine, pour transporter
troupes et marchandises via la Maurienne
et Montgenèvre. Un port (de la Madeleine)
sur l’Isère permet le transport par voie
fluviale. Elle acquiert le statut de vicus. Puis
elle devient ville fortifiée avec la première
enceinte romaine sur la rive gauche
de l’Isère, sous le règne des empereurs
Dioclétien et Maximin (284-293). Il sagit
d’une première muraille de 9 m de haut,
4,5m d’épaisseur et longue de 1,5 km dont
il ne reste que d’exceptionnels vestiges. Elle
délimite un territoire de 9 hectares. Cette
enceinte lui donne le statut de cité et elle
abrite alors une garnison romaine.
Lempereur Gratien (359-383) donne à la
Cité le nom de Gratianopolis et lui attribue
le titre d’évêché.
La première mention d’un évêché à
Gratianopolis est attestée en 381 avec
comme évêque Domin 1er.
pionniers de l’industrie et de la science
Les voies de communication entre Vienne et l’Empire romain.
Un des rares vestiges de l’époque romaine, rue Lafayette.
L’Empereur Gratien
à l’origine du nom
deGratianopolis.
6 7
Au cours du haut Moyen Age (450 à
1030), l’identité de la région autour de
Gratianopolis va se dessiner.
Les terres qui donneront naissance plus
tard au Dauphiné et qui s’étendent sur
les actuels départements de l’Isère, de la
Drôme et des Hautes Alpes, ont acquis
un semblant d’unité à la suite du partage
de l’héritage de Charlemagne au traité de
Verdun en 843.
Mais cette région reste très diverse au plan
géographique et culturel, car on y parle
deux langues : le provençal et le franco-
provençal. Elle l’est aussi en terme de
suzeraineté car gérée de façon disparate
par des ecclésiastiques très puissants et des
seigneurs issus des grandes familles locales
laïques, au pouvoir morcelé.
L’une d’entre elles va pourtant émerger, celle
des comtes d’Albon, et donner son identité
au Dauphiné.
Pendant cette période, la cité a participé au
rayonnement du christianisme avec comme
objectif de bâtir des édifices religieux
(églises funéraires, crypte Saint-Oyand)
et de se défendre, grâce à ses remparts,
contre les vagues successives d’assaillants
germaniques, lombards puis sarrazins.
Elle fut parfois soumise comme en 443
au royaume des Burgondes mais toujours
défendant avec acharnement l’intégrité de
la cité. On peut dire que ce furent des siècles
creux pour la bourgade de Gracianopolis,
étrangère à l’histoire des Francs. Pendant ce
demi-millénaire, elle a gardé une population
stagnante de quelques centaines de citadins.
Domin 1er et ses successeurs s’intituleront
“Princes de la ville” jusqu’à la Révolution
de 1789. Ils ont joué un rôle clé dans la vie
de la cité y compris ultérieurement dans le
domaine universitaire et hospitalier. Ils seront
ainsi souvent en conflit avec les autorités
laïques de la cité et du royaume des Francs.
Ainsi en 660, le roi mérovingien Clotaire III
prenant ombrage de l’influence de l’évêque
Fergus, commanditera son assassinat.
pionniers de l’industrie et de la science
Les comtes d’Albon : fondateurs du Dauphiné
1030-1347
Grenoble, capitale princière des dauphins
Cest une période cruciale
de l’histoire de Grenoble et
du Dauphiné qui se déroule
en toute indépendance de la
France au temps de la dynastie
des rois Capétiens. Larchevêque
de Vienne qui régnait alors sur une
vaste région Bourgogne Alpes et vallée du
Rhône, cède en 1030, la Savoie au comte
Humbert aux Blanches Mains et le sud
Viennois au comte Guigues 1er d’Albon.
Depuis le berceau d’Albon, près de Saint
Marcellin, les comtes vont s’ériger en famille
princière. Ils étendent leurs territoires vers
l’est et prennent Gratianopolis comme
capitale de leur comté. Il prendra en 1285
le nom de Dauphiné, relevant de la lontaine
autorité du Saint Empire romain germanique
fondé en 1157.
Cette période faste verra l’accroissement de
la ville qui comptera 4 500 habitants.
La construction de nouveaux remparts par
extension de l’enceinte romaine en 1218 et
1288, fera gagner 6 hectares à la cité. Plus
tard en 1338, il sera bâti une enceinte de
800 m sur la rive droite de l’Isère autour du
futur quartier Saint-Laurent.
De nombreux bâtiments seront construits:
collégiale Saint-André, cathédrale et église
Saint-Hugues accolées entre 1228 et 1237,
palais Delphinal en 1345.
Il ne reste que très peu de vestiges de ces
premières constructions. Ils localisent
cependant les édifices qui seront, en
grande partie, reconstruits sur les mêmes
emplacements.
Plan de Cularo et de ses remparts en 300.
Le sud viennois, future province du Dauphiné.
8 9
Comtes d’Albon :
Guigues V – Jean I – Humbert I
Jean II et Béatrix – Guigues VI
Cest aussi une première
organisation de la vie publique.
Les comtes prennent le titre de
dauphin et en adoptent l’emblème
en 1133. Lautorité sur la cité sera
partagée entre les dauphins, princes
d’Albon dont le quartier se situera
autour de la collégiale Saint-André
et les évêques, princes de la ville,
résidant dans l’évêché autour de
la cathédrale.
Cest ainsi qu’ils obtiennent de
l’empereur Frédéric 1er du Saint
Empire romain germanique un atelier
monétaire commun. Mais leur
entente aura des hauts et des bas.
Les dauphins élaborent une
charte des libertés pour les
habitants. Ils mettent en place un
processus démocratique par l’élection
de 4 consuls représentants de la
ville, notamment destinés à collecter
l’impôt et garantissant les droits des
habitants.
Ceci conduit à un conflit avec l’évêque et à
une rébellion, place du mal conseil (place
aux herbes actuellement), avec irruption
dans l’évêché. Cet incident provoque la
fuite momentanée de l’évêque. Ces droits
seront ainsi maintenus et confirmés plus
tard par Louis XI.
Les comtes bâtissent aussi les premiers
hôpitaux sur les rives de l’Isère : la
Madeleine (1090) sur la place des
Cordeliers (actuellement place de
Bérulle), Saint-Antoine (XIème siècle)
au niveau du Quai Perrière et Saint-
Jacques (1329) rue du pont de Saint
Jaime (actuellement rue de Lorraine).
Ce furent des institutions religieuses,
aujourd’hui disparues, destinées au
soulagement de la misère.
capitale princiÈre des daupHins
Humbert II Comte d’Albon, fondateur
du pouvoir administratif et de la première universi
Comte d’Albon et dernier des
dauphins, Humbert II, a joué
un rôle essentiel pour l’essor et
l’identité de la ville.
Inspiré par la cour de Naples
où il avait séjourné, il initie la
première université de Grenoble, créée en
1339 par une bulle du Pape Benoit XII en
Avignon.
Pour attirer étudiants et “professeurs”, il
pratique une politique d’ouverture et de
facilitation avec rémunération et protection
privilégiée des étudiants. Cette université
est créée sur la base d’un studium de droit:
droit canon, droit civil (sept professeurs),
arts (un professeur) et médecine (sans
enseignant). En contre-partie, il fait venir de
Palerme un médecin célèbre, Pantufle, qui
transmettra son savoir.
En paralèlle à cette création universitaire
déterminante, la quatrième en France après
Montpellier (1180), Paris (1200) et Toulouse
(1229), il créera le conseil delphinal en 1337,
base du futur parlement et la chambre
des comptes en 1340, siège des affaires
financières.
Son œuvre sera malheureusement anéantie
par deux évènements : la ville de Grenoble
est ravagée par la peste, et lui-même ruiné
par le prix des Croisades.
La mort dramatique de son fils unique, le
laisse sans héritier. Il est alors contraint en
1347 au “transport” du Dauphiné vers le
Royaume de France par le traité de Romans
pendant le règne de Philippe VI. Par ce
“transport” sans transaction financière,
Humbert II confie au roi de France la
province du Dauphiné pour la gérer. En
contrepartie, le roi remboursera les dettes
immenses que le comte avait contractées.
Cest un statut ambiguë, car le Dauphiné
appartient à la couronne mais n’est pas
rattaché au royaume. Cette ambigüité
perdurera pendant plus de quatre siècles
avec l’extinction progressive des prérogatives
de la province: disparition du pouvoir des
familles nobles et des privilèges fiscaux,
obligation de la langue française et surtout
remise en question du pouvoir politique et
juridique du parlement qui comme on le
verra, est à l’origine de la révolte à Grenoble,
prémisse de la Révolution de 1789.
239 ans de période noire pour l’université
Cest le début d’une longue période noire
de deux siècles où l’université s’éteint mais
ne disparaît pas.
Néanmoins, il restera de cette période faste
la vocation universitaire et juridique de
Grenoble.
Gratianopolis. A gauche la collégiale Saint-André, quartier des dauphins et à droite l’Evêché, quartier des évêques.
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