Christian Deblock 4
Un puissant mouvement de fond est à l’œuvre actuellement, poussé du « bas vers le haut »
par les marchés et relayé par les grandes puissances, les États-Unis en tête, pour mettre en
place des cadres normatifs universels, mais ce mouvement bute sur l’absence de « consensus
explicite » au sein de la Communauté internationale tant sur les principes que sur les règles à
suivre. Qui plus est, loin d’arranger les choses, les trois membres de la triade formée des
États-Unis, de l’Union européenne et du Japon auraient, selon la CNUCED2, une plus forte
propension à signer des accords avec les pays qui feraient partie de leur zone d’influence, et
ce, avec d’autant plus de facilité que ces derniers cherchent eux-mêmes à consolider, sinon
établir une relation commerciale privilégiée avec leur partenaire principal et, sur la base de
celle-ci, s’assurer un approvisionnement stable et régulier en capitaux et transferts de
technologie. Autrement dit, si l’hypothèse de la CNUCED est fondée, cela signifierait non
seulement que des mégablocs seraient en train de se former au sein de l’économie mondiale,
la distribution géographique des accords correspondant sensiblement à celle des stocks
d’investissement, mais surtout qu’il n’y aurait pas un, mais plusieurs modèles normatifs
évoluant en parallèle, sinon en concurrence.
Certes, la mondialisation s’accommode fort bien des différences régionales et, dans une
certaine mesure, la régionalisation des accords peut être considérée comme une solution
temporaire à l’absence de cadre multilatéral. L’engagement des grandes puissances dans
cette voie n’est d’ailleurs pas étranger aux difficultés rencontrées au sein des grands forums
internationaux, mais force est de constater que, si cet engagement a pu créer ce que l’actuel
Représentant au commerce des États-Unis, Robert B. Zoellick, appelle un climat de
« libéralisation compétitive », les choses n’avancent guère sur le plan multilatéral. Du moins,
pas dans le sens où les États-Unis le voudraient.
En effet, qu’il s’agisse du commerce, de l’investissement ou de tout autre domaine de
l’économie mondiale, l’un des traits caractéristiques de la diplomatie commerciale des
États-Unis, c’est sa très grande continuité, une continuité qui se double, et ce depuis la
Seconde Guerre mondiale, d’une forte détermination à exercer un leadership exclusif dans
les affaires économiques internationales. Cette continuité, elle apparaît tout d’abord sur le
plan des principes, en particulier pour deux d’entre eux : premièrement, les marchés doivent
être libres de toute interférence publique et deuxièmement, les relations commerciales entre
les États ne doivent pas faire l’objet de discrimination, de quelque nature que ce soit. Elle
apparaît ensuite dans la volonté de donner à ces principes un caractère formel universel,
notamment par l’instauration de régimes multilatéraux qui viendront sanctionner ceux-ci
2 CNUCED, « Towards mega blocks? », World Investment Report, 2003, Genève, pp. 23-
26.