Consommation alimentaire alternative

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Consommation alimentaire alternative :
Perception et comportement d’enseignants-chercheurs en gestion
Angélique RODHAIN
Maître de Conférences
CR2M – Université Montpellier 2
IUT de Béziers
Adresse personnelle :
867 avenue Paul Parguel
34 090 MONTPELLIER
06 75 91 39 03
[email protected]
Adresse professionnelle :
IUT de BEZIERS
17, quai du Port Neuf
34 500 BEZIERS
04 67 11 18 11
[email protected]
Remerciements :
L’auteur remercie Sandra Camus pour sa participation dans la conception du guide
d’entretien, ainsi que tous les enseignants-chercheurs ayant accepté d’ouvrir les portes de leur
cuisine…
1
Consommation alimentaire alternative :
Perception et comportement d’enseignants-chercheurs en gestion
Résumé :
L’objectif de cet article est premièrement de donner une définition de la consommation
alternative à partir de la représentation d’enseignants-chercheurs en gestion. Or, sont
alternatifs des produits qui ne seraient pas passés par le circuit de la grande distribution.
Deuxièmement, à partir du récit des répondants, est examiné l’écart existant entre une attitude
globalement positive envers un autre mode de consommation et le comportement. La théorie
de la neutralisation explique cet écart pour les personnes peu impliquées : elles trouvent des
raisons cohérentes permettant à leurs actes de ne pas être en accord avec leurs valeurs. En
revanche, les répondants plus impliqués restent culpabilisés par cet écart, malgré leurs actions
plus en accord avec leurs valeurs.
Mots-clés :
Alternatif, qualitatif, enseignant-chercheur, alimentaire.
Summary :
This article aims first at giving a definition of an alternative consumption from management
researchers’ perception. Products are considered as alternative only once they are bought out
of supermarkets. Second, from interviewees’ life narratives, we examine the existing gap
between a positive attitude towards this different kind of consumption and a behaviour far
from being engaged. The neutralization theory explain this gap for those who are involved:
they rationalize their behaviour in order not to feel incoherent with their deep values. In the
other hand, people involved still feel guilty by the gap even if their behaviour correspond
more with their values and self-concept.
Key words:
Alternative, qualitative research, researcher, food.
2
Consommation alimentaire alternative :
Perception et comportement d’enseignants-chercheurs en gestion
INTRODUCTION
Toutes les dernières enquêtes l’affirment : les Français sont de plus en plus sensibles aux
valeurs citoyennes et éthiques pour leurs achats. Travail des enfants, « made in France »,
respect des conditions de travail, fabrication non polluante, sont autant de critères auxquels les
Français se disent de plus en plus vigilants. Pourtant s’il est vrai que les achats dits éthiques
(produits du commerce équitable, produits biologiques, produits assurant un respect de règles
éthiques ou environnementales) croissent plus rapidement que la moyenne, il n’en reste pas
moins qu’ils demeurent assez marginaux dans l’hexagone. Par exemple, selon la dernière
étude du CREDOC1 datant de 2006, 18% des Français sont « convaincus » par les valeurs
citoyennes. Or, ces personnes sont appelées « convaincues » alors qu’ayant acquis au moins
un produit éthique au cours du semestre, un plancher qui reste bien faible. Ainsi, on constate
un écart assez important entre les déclarations et les comportements dès lors qu’il s’agit
d’achat éthique.
L’objet de cet article consiste alors à donner un éclairage à ce décalage entre l’attitude envers
une consommation différente - nommée ici alternative - et le comportement. Précisons que
l’adjectif alternatif porte dans son acception actuelle à lui seul une réflexion sur le système
économique, comme le définit le Petit Larousse « qui propose de concevoir autrement le
système de production et de consommation ».
Ce faisant, nous avons choisi d’interroger une population particulièrement restreinte : celle
des enseignants-chercheurs en gestion. La raison de ce choix réside tout d’abord dans le fait
que l’enseignant-chercheur en gestion est censé connaître davantage le système économique
et les modes de gestion des entreprises que la population en général. Ensuite, est émise
l’hypothèse d’un enseignant-chercheur habitué à discourir et donc capable de décrire et
d’analyser sa propre consommation. En tant qu’expert, il est alors intéressant de comprendre
sa vision d’une consommation jugée différente et de voir comment il fait le lien entre ses
connaissances, ses opinions et ses actions. Enfin, c’est une cible intéressante pour son
1
CREDOC enquête « Conditions de vie et aspiration des Français », début 2006, dans CREDOC,
Consommation et modes de vie, n°201, mars 2007.
3
appartenance à la population des consommateurs de produits éthiques car bénéficiant d’un
niveau d’éducation et d’un pouvoir d’achat relativement élevés.
En d’autres termes, les questions sous-jacentes sont : sur quels critères une consommation
serait-elle jugée alternative? Des produits particuliers peuvent-ils être considérés comme
alternatifs ? Quelle est l’attitude des répondants vis-à-vis d’une consommation différente ?
Est-ce qu’il existe des écarts entre l’attitude et le comportement des répondants ? Si écarts il y
a, comment ces derniers peuvent-ils s’expliquer ? Existe-t-il des stratégies pour les réduire ?
Le sujet d’étude est réduit aux produits alimentaires, ces derniers étant de loin ceux sur
lesquels portent davantage les critères éthiques2.
L’article est articulé en trois parties. Dans un premier temps, il s’agit d’établir un état des
lieux des différents types de consommation que l’on pourrait nommer alternative dans le
secteur alimentaire : seront abordés les produits du commerce équitable, produits biologiques,
produits de terroir, authentiques, portant des labels de qualité ou de provenance et les
alicaments.
Dans un deuxième temps, un éclairage sera réalisé sur la problématique et la méthodologie de
l’étude avant de présenter dans un troisième temps une analyse des réponses obtenues. Une
proposition de définition de la consommation alternative sera donnée après avoir fait un
détour sur le vocabulaire marketing utilisé par les répondants. Enfin, nous nous consacrerons
à comprendre les raisons de l’écart entre une attitude favorable envers une consommation
alternative et un comportement majoritairement classique.
UNE CONSOMMATION ALTERNATIVE
On connaît actuellement une certaine forme de résistance à la consommation classique
(Fournier, 1998, Kozinets, 2002, Roux, 2006). Communément appelé consomm’action ou
consommation politique ou encore responsable, chaque acte de consommation peut être
considéré comme un acte politique ayant des conséquences économiques, écologiques et
sociétales. Dubuisson-Quellier et Lamine (2003) distinguent deux types d’actions : le boycott
et le buycott, ce dernier consistant à « promouvoir la production et la consommation de
produits qui font l’objet de certification de leur valeur éthique : c’est le cas de produits
nationaux, d’éco-labels, produits garantis sans OGM, ou des produits issus du commerce
2
A la question « Pour quels types de produits pensez-vous qu’il soit le plus important aujourd’hui d’avoir des
engagements de citoyenneté de la part des entreprises ? », les sondés répondent à 48% pour les produits
alimentaires suivi de loin par le textile à 18% puis les produits pharmaceutiques à 11%, selon une enquête du
CREDOC parue dans Les 4 pages de statistiques Industrielles du SESSI, n°170, décembre 2002.
4
équitable » (p.2). François-Lecompte et Valette-Florence (2006) ont, quant à eux, précisé
cette distinction entre non achat et achat en mettant en lumière cinq facteurs de la
consommation socialement responsable : le refus d’acheter à une entreprise jugée
irresponsable, le recours à l’achat partage, la préférence pour les petits commerces, préférence
pour les produits domestiques et la réduction du volume de consommation.
Roux (2006) détermine trois motifs de résistance des consommateurs :
- pour une expression libertaire : la résistance apparaît alors comme un moyen de réaffirmer
son autonomie face à un système d’influence (consistant à consommer, mais autrement, en
détournant l’usage des produits ou en affirmant une fidélité pour des produits hors du
commun, ou en détournant les circuits classiques pour des circuits parallèles) ;
- comme sanction de comportement non-éthique des firmes : la résistance consiste alors à
recourir au non-achat et au bouche-à-oreille négatif ;
- comme engagement citoyen : la résistance est encore plus ancrée et réside dans la recherche
d’une diminution de la consommation dans un plaidoyer pour la décroissance.
Dans cette distinction, la consommation alternative apparaît selon Roux (2006) comme une
réaction des consommateurs allant jusqu’à remettre en cause le statut d’interlocuteur unique
joué par les entreprises, d’où la recherche de circuits parallèles et de recours aux échanges
entre consommateurs, pour échapper au marché classique. Dans cette position, la
consommation alternative est définie surtout à partir du circuit de distribution. Tel n’est pas
toujours le cas. Par exemple, Bézaudin et Robert-Demontrond (2007) rappellent que le terme
était au départ utilisé pour désigner ce qui sera nommé par la suite le commerce équitable.
Ainsi la notion de consommation alternative pourrait faire référence aussi bien aux produits
qu’aux circuits de distribution.
Dans une optique différente, en nous focalisant sur les produits, nous nous posons la question
de l’existence de produits alimentaires considérés comme intrinsèquement alternatifs pour le
consommateur.
Nous
posons
alors
dans
un
premier
temps
la
consommation
alternative comme une forme de consommation qui vise à explorer des solutions autres que
celles de la consommation de masse actuelle. Nous proposons ainsi d’élaborer un tour
d’horizon de produits pouvant être considérés comme différents dans le secteur alimentaire.
Ce faisant, nous tentons d’établir un inventaire de produits offrant une distinction par rapport
à une offre globale. Cet inventaire n’a d’autres prétentions que nourrir une réflexion des
consommateurs les amenant à définir ce qui peut ou non faire partie d’une consommation
alternative. C’est ainsi que produits du commerce équitable, produits biologiques, produits de
terroir, authentiques, portant des labels de qualité ou de provenance et les alicaments sont
5
rapidement abordés dans l’objectif de déceler leurs éventuels points communs en constituant
une consommation qui pourrait être jugée ou non « différente »3 par les répondants. La liste
de produits alimentaires n’est pas exhaustive. Nous aurions pu élargir la recherche aux
produits ethniques, diététiques, ou encore à la cosmetofood. Cependant l’objectif était avant
tout de distinguer différents types de produits et de mettre en lumière les frontières existantes
entre les produits pour les répondants. Si le choix des alicaments peut notamment surprendre,
précisons que ce dernier était proposé dans l’hypothèse que les répondants le positionnent
comme un produit résolument non alternatif…
Les produits biologiques
Les produits labellisés agriculture biologique (AB), mode de production n’utilisant ni engrais
ni produit phytosanitaire (Sylvander, 2004), assurent une lutte naturelle contre les parasites,
l’utilisation d’engrais verts et une limitation des produits de fertilisation, de traitement, de
stockage et de conservation (Aurier et Sirieix, 2004).
Rémy (2004) distingue quatre types de consommation biologique en France : utilitaire (pour
la santé), esthétique (pour la santé également mais dans une méfiance de la grande distribution
et de l’industrialisation), hédonique (pour le plaisir, la nostalgie) et politique (plus radical,
pour l’environnement et en cherchant un autre circuit d’achat). L’objectif de la consommation
biologique semble dépendre de la maturité du marché. C’est ainsi que les consommateurs
réguliers présentent des motivations plus altruistes et militantes que les consommateurs
occasionnels, plus égocentrés (Zanoli et Naspetti, 2002). Dans une étude comparative (Baker,
Thompson et Engelken, 2004), les Allemands, marché plus « mature », seraient davantage
soucieux de l’environnement (« us concerned ») alors que les Anglais se réfèrent davantage à
leur santé (« I concerned »). Ainsi, les produits biologiques peuvent offrir l’opportunité de
consommer différemment, et ce d’autant plus qu’une portion des consommateurs disent
rechercher à s’approvisionner sur les marchés locaux afin d’établir une relation directe avec
les producteurs.
Les produits bénéficiant de label de qualité
Les labels de qualité, dont le plus connu est le Label Rouge en France, garantit le suivi d’un
cahier des charge rigoureux (proscription notamment des farines animales et des
antibiotiques), un contrôle indépendant de la filière et des tests de dégustation auprès
3
Nous ne définissons pas la consommation alternative à dessein ici puisqu’il s’agit de déceler dans cet article ce
que les répondants jugent comme étant alternatif, et par rapport à quel référent il s’agit de se comparer.
6
d’experts et de consommateurs (Larceneux, 2003). Ces produits pourraient être considérés
comme une offre alternative, dans le sens où ils assurent une forte traçabilité et un respect de
traitement des espèces animales.
Les produits bénéficiant de label de provenance
Les labels de provenance garantissent et protègent une technique de production particulière
associée à un terroir et à une qualité gustative typique (Larceneux, 2003). Les labels les plus
connus sont l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) en France ou l’Appellation d’Origine
Protégée (AOP) en Europe. Ces produits apportent une distinction dans le sens où ils assurent
un lien avec le terroir et le territoire et avec une technique de production précise.
Les produits du commerce équitable
Le commerce équitable est défini comme : « une approche alternative au commerce
international conventionnel. C’est un partenariat qui vise au développement durable des
producteurs exclus et désavantagés » (Béji-Becheur et Fosse-Gomez, 2004). Comme le
précise Lecomte (2004) en préambule de son ouvrage consacré au commerce équitable, ce
dernier est par essence alternatif puisque « se définissant en opposition au commerce
classique ; il établit donc un postulat : le commerce, dans son organisation actuelle, est
inéquitable » (p. 15). Si les produits du commerce équitable étaient au départ vendus
essentiellement par le biais de filières intégrées (petites boutiques comme Artisans du Monde
ou en vente par correspondance), il est actuellement surtout proposé par la filière labellisée
notamment en grandes surfaces, qui totalisent 90 % des ventes en 2003 (Lecomte, 2004). Le
commerce équitable, au contraire de l’agriculture biologique, ne repose actuellement sur
aucun label officiel mais sur une multitude de labels privés - dont le plus connu en France est
Max Havelaar - aux standards bien différents (Hira et Ferrie, 2006). Witkowski (2005)
dénombre ainsi 18 labels différents en Europe, Amérique du Nord et Japon (regroupés par
FLO : Fairtrade Labelling Organisation).
Les produits de terroir
Fort et Fort (2006) citent trois paramètres importants pour le produit de terroir : l’origine
géographique de la matière première, l’origine locale d’un savoir-faire basé sur l’histoire et la
culture de la région, la réputation de l’entreprise ou du chef d’entreprise. Aurier, Fort et
Sirieix (2004) révèlent les associations liées au terroir pour le consommateur : production
7
artisanale, vendue sur le marché ou sur le lieu de production, avec un minimum de marketing,
présentant un goût non standardisé, ayant un fort pouvoir d’évocation et dont le
consommateur se sente proche. En raison de ces associations présentant le produit de terroir
comme non industriel, ce dernier pourrait faire partie d’une consommation alternative.
Les produits authentiques
De conception plus floue car plus subjective, le produit authentique doit avoir une origine
connue, qui réponde à la représentation que l’on a du produit et dont on a respecté la nature
tout au long de la production (Camus, 2002). Les produits authentiques peuvent cependant
être considérés comme faisant éventuellement partie d’une alternative, dans le sens où les
consommateurs recherchent dans leur achat une « expérience authentique » (Cova et Cova,
2002) où le retour vers le local et l’artisanal est dominant. Comme le précisent les auteurs, ce
n’est pas le produit qui est authentique en lui-même mais le producteur : le produit doit être
fabriqué dans une tradition historique à des fins non purement marchandes.
Les alicaments
Les alicaments sont des produits ayant un effet positif sur la santé. Si certains produits le sont
naturellement (par exemple, l’huile de Colza est naturellement riche en Oméga 3), de
nombreux nouveaux produits émergent après en avoir modifié les composants (par exemple
les laits fermentés aux probiotiques ou les margarines enrichies en Oméga 3) (Treillon, 2001).
Ces produits pourraient éventuellement faire partir de la sphère de la consommation
alternative car parfois issus de « recettes de grand-mère » difficiles à dénicher dans les circuits
de distribution traditionnels.
Une frontière diffuse entre produits
Ces différents types de produits sont la plupart du temps étudiés de façon séparée. Pourtant, à
l’instar de Sirieix, Meunier et Schaert (2004) supposant l’existence d’affinités entre les
consommateurs de produits biologiques et du commerce équitable, nous posons l’hypothèse
que ces différents produits pourraient être perçus comme présentant une offre alternative au
système classique. Rodhain, Rodhain et Llena (2005) proposent que les produits de terroir,
biologiques, du commerce équitable et les produits locaux peuvent présenter les points
communs suivants : le fait de reposer sur le lien social, sur l’authenticité et la traçabilité, ainsi
que le respect de la nature et des êtres vivants. De fait, les liens existent et les acteurs s’en
rendent compte, proposant une offre de plus en plus globale. C’est ainsi que la plupart des
8
labels de commerce équitable présente des engagements environnementaux. Wilkinson (2007)
va jusqu’à plaider pour la mise en place d’une certification globale à l’image du label français
Bioéquitable. Et si le commerce équitable semble s’opposer en première lecture à l’ensemble
des autres produits pour la distance géographique qu’il suppose entre les producteurs, de pays
en développement du Sud, et les consommateurs, de pays développés du Nord, il s’en
rapproche dans un deuxième temps car la notion de prix juste payé aux producteurs fait son
chemin non seulement
dans les filières locales des pays du nord (on parle alors de
« commerce équitable nord-nord » (Rodhain, Rodhain et Llena, 2005)) mais également dans
celles des pays du sud (Wilkinson, 2007). En d’autres termes, nous postulons que ces produits
peuvent, à des degrés divers, être considérés par les consommateurs comme différents des
produits classiques à partir de leurs référentiels sociétaux (Bézaudin et Robert-Demontrond,
2007) « répondant à un engagement social, solidaire, environnemental et/ou économique,
attendu par la société ou exprimé de manière latente dans la plupart des pays industrialisés,
sous l’égide de la morale, du respect des libertés et des droits de l’homme » (p.8). Selon les
auteurs, les référentiels sociétaux ayant puisé leurs racines dans la contestation de la
mondialisation, de l’entreprise et plus précisément du marketing, ont donné naissance à des
produits dits éthiques.
Les produits choisis sont parfois difficiles à distinguer. Par exemple, les produits de terroir,
les produits authentiques et les produits bénéficiant de labels de provenance ont tous en
commun le lien à un territoire donné. Un poulet fermier de Loué est à la fois un produit de
terroir, bénéficiant du label Rouge et peut être considéré comme authentique. Cependant
l’intérêt de la recherche consiste justement à ne pas établir des frontières claires entre les
produits mais évaluer les termes semblant représenter une consommation alternative pour les
répondants.
PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE
Problématique et méthodologie sont présentées de façon conjointe.
Problématique de la recherche
Cette recherche, par nature exploratoire, a pour objectif d’éclairer plusieurs points. Dans un
premier temps, il s’agit de définir ce que serait une « consommation alternative » pour les
enseignants-chercheurs interviewés et comprendre en quoi elle se distinguerait d’une
consommation classique.
9
Dans un deuxième temps, il s’agit de faire le lien entre le métier et les comportements des
individus. Les enseignants-chercheurs en gestion sont censés connaître davantage que la
population en général le système économique et la gestion des producteurs et distributeurs.
Or, cette connaissance conduit-elle à une attitude particulière puis à un comportement
singulier ? Existe-t-il des écarts entre les attitudes et comportement sur la consommation
alimentaire des enseignants-chercheurs en gestion et notamment en ce qui concerne une
consommation alternative ?
Qu’il s’agisse de produits biologiques, du commerce équitable ou éthiques, les
consommateurs se déclarent globalement toujours très favorables mais ces attitudes ne sont
pas suivies de faits (François-Lecompte et Valette-Florence, 2006 ; Pastore-Reiss, 2007). Ce
décalage, Chatzidakis, Hibbert et Smith (2007) l’expliquent pour le commerce équitable à
l’aide de la théorie de la neutralisation (Sykes et Matza, 1957, in Chatzidakis, Hibbert et
Smith, 2007). La neutralisation est un mécanisme permettant aux individus d’adopter un
comportement en désaccord avec leurs normes et attitudes exprimées. La neutralisation
consiste à minimiser, voire éliminer les effets que leur comportement non conforme devrait
avoir sur le concept de soi. Les auteurs, à partir d’entretiens semi-directifs auprès de
personnels d’université impliqués dans les produits du commerce équitable, ont observé
quatre techniques de neutralisation utilisées par les répondants :
- le déni de responsabilité ;
- le déni de préjudices (ou de bénéfices): considérer que son action n’a pas d’effet sur
d’autres (ce qui peut être rapproché de la notion de locus of control) ;
- condamner les juges : attaquer, pour se défendre de son manque d’action, les acteurs de la
cause que l’on est censé soutenir ;
- une autre priorité : une autre cause, plus importante aux yeux de la personne explique que
l’on fasse une entrave au règlement.
Les éventuels écarts entre attitude et comportement déclarés sont notamment analysés à l’aide
de la théorie de la neutralisation.
Choix des répondants
L’objectif étant de faire le lien entre les connaissances en gestion et le comportement, il était
possible de choisir soit des cadres en gestion, soit des enseignants. Notre choix s’est porté sur
ces derniers car Chatzidakis, Hibbert et Smith (2007) ont étudié l’écart entre comportement et
attitude envers le commerce équitable sur une population relativement identique : les
enseignants (et les étudiants) ayant un certain degré de sympathie envers le commerce
10
équitable, en justifiant leur choix par le fait que les répondants, habitués à débattre, pouvaient
davantage argumenter sur les actions et opinions. Si choisir des enseignants-chercheurs
permet effectivement de s’assurer d’un certain degré de connaissances du système
économique (et notamment du système alternatif), notre objectif n’était pas de recruter des
personnes étant forcément a priori très ouvertes à une façon différente de consommer. En tant
qu’experts, ils sont intéressants à étudier quant à leur vision d’une consommation jugée
différente et pour leur capacité d’analyse entre leurs connaissances, leurs opinions et leurs
actions. Nous avons cependant fait varier la cible en fonction de différents critères : le sexe (7
femmes et 5 hommes), le domaine de spécialisation (marketing, gestion des ressources
humaines, système d’information, contrôle de gestion et finance), le niveau (2 professeurs des
universités et 10 maîtres de conférences), l’âge (de 32 à 60 ans), l’habitat (2 personnes vivant
éloignés des grandes agglomérations, 3 habitants en ville et 7 en périphérie de ville) ainsi que
le statut marital (6 répondants vivant en famille avec enfants, 4 avec enfants mais vivant
séparément et 2 personnes seules sans enfants) (voir annexe 1). Des interviews
supplémentaires seront réalisées dans un deuxième temps pour élargir la cible à des cadres en
entreprise.
Méthodologie
La méthodologie suivie est de type théorie enracinée (Glaser et Strauss, 1967). Les questions
de recherche ont été posées de façon relativement vague et ne reposent pas sur une revue de la
littérature encore très structurée. La méthode choisie pour cette phase est alors qualitative. Un
premier guide d’entretien a été réalisé dans un premier temps. Ce guide a été testé par nos
soins. En d’autres termes, nous nous sommes auto-interviewés (faisant partie de la cible) afin,
d’une part, d’en vérifier la logique et la fluidité et, d’autre part, de réaliser une sorte d’autoethnographie (Cova et Cova, 2002) pour établir un lien entre notre propre vécu, notre
compréhension du système économique et notre comportement actuel vis-à-vis de la
consommation alimentaire en général et alternatif en particulier. Comme le soulignent Cova et
Cova (2002), tout chercheur réalise toujours plus ou moins une introspection avant de réaliser
toute recherche en se considérant comme faisant partie de l’échantillon. Or, ayant choisi un
type de répondant bien particulier dont nous faisons partie, cette introspection prend effet
automatiquement. Le problème réside ensuite dans la distanciation par rapport au sujet
d’étude. A l’instar de Rémy (2007) nous proposons alors d’être conscient de cette proximité
par rapport au sujet d’étude en réalisant notre auto-analyse, afin d’être davantage capable
d’établir par la suite une distanciation avec les autres répondants.
11
12 entretiens semi-directifs ont été conduits au domicile des répondants4, dans la cuisine. Les
entretiens ont duré de une heure à deux heures et vingt minutes (avec une moyenne de une
heure et quarante minutes). Le guide était constitué de trois parties (voir le guide d’entretien
en Annexe 2) :
- une partie introductive où le chercheur était amené à décrire sa consommation alimentaire et
les différents modes de ravitaillements utilisés ;
- une partie plus introspective où le répondant était amené à réfléchir quant à l’évolution de sa
consommation alimentaire tout au long de son histoire de vie ;
- une partie de définition de termes précis : consomm’action, consommation alternative,
produits authentiques, de terroir, ayant des labels de provenance et de qualité, produits
biologiques, issus du commerce équitable et alicaments. Pour chacun de ces produits, il était
demandé : une définition, une représentation du consommateur-type, si ces produits sont
consommés par l’interviewé, pour quelle catégorie, par quel circuit ils sont achetés et si cela
fait partie, dans sa représentation, de la consommation alternative.
Les entretiens ont été analysés en suivant les principes de la « comparaison constante » de la
théorie enracinée (Glaser et Strauss, 1967). Cette comparaison s’effectue à deux niveaux :
dans un premier temps, il s’agit de comparer les différents incidents mis en relief dans le
discours d’un répondant donné. Cela consiste à établir des liens entre les différents
événements et concepts énoncés par un répondant en particulier. Dès le premier entretien, le
chercheur doit analyser le sens des propos du répondant. Cette analyse lui permettra d’enrichir
les entretiens à venir. Dans un deuxième temps, il s’agit de comparer, après chaque nouvel
entretien, les répondants les uns aux autres. C’est ainsi que la théorie peut plus facilement être
généralisée. Les entretiens ont été arrêtés après le douzième car nous arrivions à une certaine
saturation par rapport aux questions abordées par la cible déterminée.
RESULTATS DE LA RECHERCHE
Les résultats de la recherche sont présentés en trois temps, en suivant les questions de
recherche posées. Dans un premier temps, nous proposerons une définition de la
consommation alternative. Dans un deuxième temps, nous questionnerons l’existence de lien
entre le métier d’enseignant-chercheur en gestion et le comportement de consommation. Pour
nous consacrer, dans un troisième temps, à la question complexe de l’écart entre attitude et
comportement dès lors que l’on traite de consommation éthique.
4
Exceptionnellement un entretien a pu se conduire à l’extérieur du domicile quand le répondant (vivant seul)
12
La consommation alternative
La consomm’action est un terme plus parlant que la consommation alternative pour les
répondants. Quelle que soit leur attitude vis-à-vis du consomm’acteur, l’ensemble des
personnes interrogées le définisse comme un consommateur se sentant responsable de la
société dans laquelle il vit, qui se positionne par rapport à la consommation de masse et
considère ses achats comme un vote lui permettant d’améliorer la société. L’attitude des
répondants vis-à-vis de la consomm’action est positive, voire admirative, pour presque tous
les répondants, si ce n’est un chercheur un peu plus cynique ne croyant pas en l’effet de cette
prise de position :
« Consomm’action, c’est du parler creux, comme gagnant-gagnant ! Je vais être bête et méchant, le
consommateur, il détruit en consommant, donc vivre, c’est un peu mourir... C’est vraiment la prétention
de l’être humain de penser qu’il puisse tout contrôler » (LUC5).
En revanche, définir la consommation alternative était perçu comme un exercice plus difficile
pour les répondants, ce terme ne figurant pas encore dans leur vocabulaire. Pourtant, les
définitions données se sont recoupées et trois idées sont apparues pour décrire une
consommation différente :
1. Le circuit de distribution. Pour qu’une consommation soit considérée comme alternative, il
faut dans un premier temps que la personne ne se soit pas procuré les produits par le biais de
la grande distribution.
« Pour moi, alternatif, c’est pas dans la norme, ça peut être du black ou une forme nouvelle, alternative à
la grande distribution, pour moi c’est ça […] par exemple les AMAP pour moi, c’est un réseau alternatif,
c’est pas ce qui se fait dans la norme » (SYLVIE).
« C’est une consommation qui ne passe pas par le circuit traditionnel qu’on cherche à imposer mais qui
détourne tous les processus de consommation » (ANNE).
« C’est drôle mais quand tu m'as parlé de consommation alternative, j'ai pensé tout de suite, pas au
produit mais à la distribution. Mais peut-être que j'ai tort... mais tu vois, ça m'a fait penser à des circuits
directs » (STEPHANE).
2. Le renoncement de consommation. Certains répondants ont évoqué la finalité de la
consommation : le fait de réfléchir davantage à ses besoins et tenter de consommer moins,
voire de renoncer à consommer.
« C’est consommer uniquement ce dont on a besoin… je trouve que la consommation c’est tellement un
besoin de compenser les frustrations, que si on consomme finalement par rapport aux besoins, t’achètes
finalement pas grand-chose… C’est peut-être ça le vrai alternatif… Un consommateur alternatif défini
comme ça c’est pas un bon citoyen, parce que lui, si on lui donne du pouvoir d’achat, c’est pas pour aller
dépenser des choses dont il n’a pas besoin… C’est un très mauvais citoyen, ça ! Ca va peut-être être une
personne qui va préconiser la décroissance… Ah non, là ce serait carrément subversif, là, c’est plus
alternatif (rires) » (JOELLE).
« C’est un renoncement peut-être. Un renoncement à des biens qu’on estime ne pas être légitime de
consommer » (LUC).
assurait ne pas avoir de denrées chez lui.
5
Pour des raisons de confidentialité, les prénoms ont été inventés.
13
3. Produire soi-même. Certains répondants évoquent le retour vers une sorte d’autarcie pour
assurer une consommation alternative, le fait de refaire soi-même des choses simples.
« Mais déjà s'il s'agissait de ne pas gâcher, de récupérer, de retransformer, de raccommoder, tout ça,
c'est une autre façon de consommer » (PIERRE).
« Maintenant, ça devient alternatif, le fait de faire soi-même » (LOUIS).
« Enfin, consommer des choses plus basiques que l’on transforme soi-même ensuite » (SOPHIE).
Bien que la plupart des répondants présentent une attitude très favorable vis-à-vis de ce qu’ils
définissent eux-mêmes comme une consommation alternative, aucun ne se définit lui-même
comme alternatif, notamment parce qu’ils considèrent que c’est un état d’esprit que l’on est
censé avoir pour tous ses achats, en permanence. Pourtant, nombre d’entre eux ont mis en
place des techniques de ravitaillement de façon plus ou moins ponctuelle, qui correspondent à
leur définition :
1. Le recours à des circuits de distribution parallèles : de nombreux répondants font leurs
achats de façon plus ou moins ponctuelle, en dehors des circuits de distribution classiques, la
plupart du temps par le biais d’un réseau amical ou en se déplaçant chez le producteur :
« Je commande le champagne via des filières de gens qui connaissent des gens qui connaissent des gens »
ANNE).
« Là y’a aussi des copains qui nous ramènent de l’Aveyron 10 kilos de bœuf, de veau… donc là c’est
pratiquement au producteur direct » (SOPHIE).
« C'est Christophe qui me les ramène parce que dans les Cévennes y'a plein de produits super sympas et
là par exemple il va me ramener une barquette entière avec un potimarron, des pommes de terre et c'est
un copain à lui des Cévennes qui fait les produits et qui vit à peu près avec ça et ça fait plaisir... »
(SYLVIE).
2. Le refus de la consommation en réfléchissant à ses besoins. Cette démarche est peu apparue
mais mérite d’être soulignée face à la définition de la consommation alternative :
« Si j’ai envie de manger quelque chose en passant devant un rayon je me dis « c’est bon, ça va, t’a pas
besoin de ça, c’est débile d’acheter des trucs qui doivent être bourrés de pesticides pour que ça arrive
dans cet état-là » (JOELLE).
« Pour la consommation, je rentre dans la masse comme tout le monde, mais j’essaie quand même de
retarder ma consommation » (EMILIE).
3. La production artisanale : beaucoup de répondants produisent eux-mêmes (ou font produire
par leur famille) des aliments premiers par le biais d’un jardin ou transformés :
« Des fruits, soit j'en récupère à droite à gauche... mais encore une fois c'est rien de faire des confitures,
c'est rapide et c'est hyper facile, c'est pas chiant à faire... Pareil pour la crème de marron. J'en achète
jamais […] sinon c'est vrai que j'ai pas mal de copains qui ont des jardins et je ramène des trucs des
balades sinon, tu trouves pas mal de choses comme les champignons, les châtaignes, les mûres, des
pommes, des cerises, des asperges, des espèces de petits poireaux, des herbes de Provence, les tisanes, le
tilleul, la verveine, la menthe, euh... voilà... ça fait vite pas mal de trucs que tu as en bocaux chez toi et
qui sortent du commerce, que je n'ai pas acheté non plus... » (PIERRE).
« Moi je fais beaucoup de production familiale, tout ce que je peux ramener qui soit préparé soit en
bocaux soit en frais… J’ai des pommes de terre, des oignons, des échalotes, de l’ail, et puis des bocaux,
des haricots verts, des haricots blancs, des sauces tomate, des civets de lapin… des préparations… mes
grands parents ont un jardin et l’été tu cueilles et voilà… » (ANNE).
14
Ainsi, les répondants ont mis en place certaines activités de consommation alternative, qu’ils
ne définissent pas comme telle car encore en marge de leur consommation habituelle.
Au préalable, nous pensions que certains produits pourraient être considérés comme étant par
essence alternatifs pour les répondants. Or, cela était rarement le cas, tellement les
enseignants-chercheurs étaient attachés avant tout au circuit de distribution. Par exemple pour
les produits biologiques :
« Et c'est pour ça que l'image du bio pour moi est confuse car j'en vois tellement en supermarché que je
commence à me demander si c'est alternatif ou pas... » (SYLVIE).
Malgré tout, le statut du produit du commerce équitable est différent des autres et souvent
considéré comme alternatif, même si acheté dans la grande distribution.
« Oui, le commerce équitable, c’est alternatif pour moi… et d'ailleurs c'est étonnant que je dise ça parce
qu'on peut en trouver au supermarché...C'est une démarche... pourtant c'est contradictoire... je disais tout
à l’heure que c'était le canal, et là c'est le produit... enfin non c'est le circuit, enfin pas trop différent, c'est
la production qui est différente parce que c'est lié sur des contrats à long terme avec des producteurs... Et
là c'est sympathique, c'est des liens avec des producteurs » (PAUL).
Le produit du commerce équitable a une position particulière du fait que, par essence, il se
positionne comme une alternative au commerce classique et parce que les acheteurs sont
avant tout considérés comme altruistes. Cependant, son image est sans doute encore
largement dissociée du circuit de distribution car son introduction e GMS est encore assez
récente et limitée.
Les produits biologiques ont également une image de produits pouvant faire partie de la
consommation alternative, bien que distribués en grande distribution. Néanmoins, les
répondants, pour que la consommation soit alternative, attendent que les acheteurs fassent ce
choix davantage pour des raisons altruistes que pour la santé :
« Donc je pense que ceux qui consomment bio avec cette idée un peu plus générale d’impact sur
l’environnement sont peut-être, eux, dans une consommation alternative. Les autres, honnêtement, je
crois pas, ils consomment pour eux… » (JOELLE).
Un répondant a d’ailleurs à ce sujet établi sa propre théorie afin de positionner les produits du
commerce équitable et biologiques en fonction de la distribution :
« Et je dirais qu’il y a la consommation semi-alternative, qui utilise les produits spécifiques, mais dans
les circuits classiques. Là pour le coup, les produits bio, du CE, dans la GMS, c’est semi-alternatif pour
moi » (EMILIE).
Pour les alicaments, les réponses sont également convergentes. Excepté pour un répondant
considérant que les tisanes et recettes de grand-mère font partie des alicaments, ces derniers
ne font pas du tout partie d’une consommation alternative.
15
Pour tous les autres aliments (nommés terroir, authentiques, avec labels de qualité ou labels
de provenance), ils peuvent être éventuellement considérés comme authentiques à partir du
moment où ils sont achetés en dehors de la grande distribution. Pour qu’ils le soient, il faut
que puisse se mettre en place un lien direct avec le producteur ou un vendeur proche de ses
produits. Il doit en tous cas permettre la mise en place d’une interaction. Il doit représenter un
terroir ou un territoire duquel on se sente proche et bénéficier d’une histoire qui lui est propre.
Et ce produit doit surtout être sain, soit le moins transformé possible, soit transformé de façon
traditionnelle à partir de matières premières saines. Ce produit idéal serait tellement artisanal,
que les répondants le considèrent comme alternatif à partir du moment où il ne peut pas être
vendu (le produit emblématique : la soupe de la grand-mère). Il est intéressant de noter que
ces caractéristiques sont celles des produits authentiques ou des produits de terroir. Pourtant,
les répondants ont souvent une vision critique de ces produits parce qu’ils ont été repris par la
grande distribution et le marketing :
« Les produits authentiques, j'en pense que du bien quand ils le sont mais qu'ils ne disent pas qu'ils le
sont, des lardons du marché dans les vallées là-haut, la confiture de ma grand-mère, ça me va, c'est très
bien. Après utiliser le terme pour dire que oui, c’est un produit authentique, j'y crois pas une seule
seconde, ça rime à rien ! » (PIERRE).
« Authentique, c’est un slogan. A 80% c’est du bidon, du marketing, à 20% c’est de la production
artisanale » (PAUL).
Les répondants font une distinction entre les produits ayant des labels et ceux n’en ayant pas.
A ce titre, ils sont davantage critiques envers un terme qu’ils considèrent comme pas
forcément bien défini : les produits authentiques.
« Pour moi les produits authentiques, c’est un truc qui rime à rien. C’est pas un label, c’est très vendeur,
mais c’est rien ! » (SOPHIE).
Les produits de terroir sont bien mieux valorisés, parce que immédiatement identifiés à un
terroir, à une production artisanale. Ce terme n’est pas considéré comme un « slogan ».
Cependant, pour faire partie de la consommation alternative, il doit avoir été acheté en dehors
de la grande distribution.
Les produits bénéficiant de label de provenance peuvent être considérés comme alternatifs, si
acheté en dehors de la grande distribution : chez un caviste ou directement chez le producteur
pour le vin et chez un fromager pour le fromage. Sinon, c’est une consommation tout à fait
classique, d’autant plus qu’une grande majorité des vins et fromages sont vendus sous
appellation AOC.
Les produits avec label de qualité ne sont pas considérés par les répondants comme pouvant
participer à la consommation alternative, et ce d’autant plus que les répondants attachés aux
labels de type label rouge, disent l’acheter surtout en grande surface par sécurité mais ne pas y
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faire attention dès lors que l’achat se fait dans une petite boutique où la confiance est
interpersonnelle.
En résumé, la consommation alternative est avant tout liée au circuit de distribution. De ce fait
excepté les produits du commerce équitable et, dans une moindre mesure les produits
biologiques si achetés pour des raisons écologiques, pour qu’un produit soit alternatif, il faut
qu’il soit lié à un territoire et distribué en dehors de la grande distribution : petits commerces,
marché, direct au producteur, production personnelle… A ce titre, les produits de terroir
peuvent être considérés comme alternatifs pour presque tous les répondants, il en est de même
pour les produits bénéficiant de labels de provenance pour une partie des répondants. En
revanche, les produits ayant des labels de qualité, les produits authentiques et les alicaments
ne sont pas considérés comme alternatifs, comme le résume le tableau 1 suivant.
INSERER ICI TABLEAU 1
Lien entre le métier et la consommation alimentaire
Interrogés sur la question du lien entre le métier et la consommation personnelle, les
chercheurs répondent de but en blanc ne voir aucun lien. Pourtant au fil du discours, des
associations se font. Il apparaît plusieurs points convergents : une plus grande vigilance, une
connaissance de nouveaux produits par le biais d’étudiants et de collègues… et un vocabulaire
très critique envers le marketing, mais ces attitudes sont rarement suivies de faits selon les
répondants.
Une plus grande vigilance
Les répondants présentent de façon plus ou moins consciente une plus grande vigilance vis-àvis du système de distribution. Cette déclaration est parfois apparue au fil de l’entretien :
« C’est marrant parce que j’avais pas conscience de ce que je dis depuis tout à l’heure, d’avoir
l’impression que tout le message est faux à cause de la grande distri » (MARIE).
« Moi le fait que je sois prof [de gestion] a plutôt comme conséquence d’être plus vigilante sur ce que je
vais acheter. Parce qu’on connaît les méthodes plus ou moins bonnes, parce qu’on connaît un peu les
circuits de distribution, les pratiques de la grande distribution, mais bon c’est pas pour autant que je
vais pas faire mes courses en grande distribution, ça je pense que effectivement ça incite à plus de
vigilance, mais jusqu’à quel point, ça c’est difficile à dire… » (JOELLE).
« En GMS c’est sûr que le fait de savoir ce qu’est le merchandising et tout ces trucs là, le fait d’y avoir
réfléchi un petit peu, ça me donne une vision critique. Bon, après ça m’empêche pas d’y aller, ça me
donne juste une attitude critique… » (PAUL).
Mais cette vigilance vis-à-vis du système ne semble pas véritablement changer les
comportements des individus. D’après les répondants, les comportements les plus ancrés sont
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davantage liés à l’éducation, au milieu social. Il est intéressant de noter que, même les
répondants les plus cyniques envers les produits cités précédemment et considérés comme
surtout à forte valeur ajoutée pour le producteur, se les procurent pour des produits dont ils
sont experts pour des raisons culturelles :
« Pourquoi les œufs, tu les achètes bio ? Parce que je les imagine aussi manger du bon maïs tout jaune !
Comme quand mes grand- parents avaient des poules » (LUC).
Il se trouve en effet que de nombreux répondants ont des racines paysannes. Dans ce cas, ils
sont attachés à des produits de terroir, de qualité, pour les produits emblématiques faits par
leurs parents ou grands-parents : le plus souvent les œufs, les poulets et les légumes. A moins
que, même les produits les plus qualitatifs soient tellement en deçà des goûts connus que l’on
aime autant acheter les moins chers par manque de différence, voire ne plus acheter du tout.
Une connaissance des nouveautés par le biais des étudiants et de collègues
Bien que les répondants ne fassent pas le lien eux-mêmes, certains d’entre eux ont fait
référence à un autre moment de l’entretien aux connaissances qu’ils ont pu accumuler sur des
produits alimentaires par le biais d’études réalisées par des étudiants ou des collègues.
Une critique du marketing
Un point commun également chez un grand nombre de répondants réside dans le vocabulaire
éminemment critique envers le marketing, notamment chez les spécialistes du domaine, qui
l’utilisent comme un synonyme de mensonge :
« J’aime les vins qui ont une étiquette à l’ancienne. Les trucs qui font marketing, moi j’ai horreur de ça,
pour moi c’est le signe que ce qu’il y a dedans, c’est pas bon » (JOELLE).
« Les alicaments, c’est un terme marketing pour la grande distri ! » (MARIE).
« Les alicaments, c’est le pipeau, c’est le marketing qui te soigne ! » (LUC).
« Pour moi le bio, c’est sérieux, c’est pas du marketing, c’est une différenciation, bon tu vas me dire c’est
aussi du marketing mais bon, c’est plus de l’information » (SOPHIE).
Ainsi, le métier semble avant tout conduire à une plus grande vigilance vis-à-vis de la
distribution et des méthodes marketing.
Ecart entre attitude et comportement vis-à-vis de la consommation alternative
Les répondants ont globalement une attitude positive vis-à-vis de la consommation alternative
(perçue comme en marge de la grande distribution) et une attitude critique vis-à-vis de cette
dernière. Il devrait de ce fait s’en suivre une forte consommation alternative. Or, tel n’est pas
le cas. Chacun met plus ou moins en place certains achats en dehors du circuit de masse, mais
la plupart des achats restent dans la norme. Dans un premier temps, nous allons analyser cet
écart par le biais de la théorie de la neutralisation puis nous analyserons, dans un deuxième
temps, des cas plus approfondis.
18
Les techniques de neutralisation perçues
Les techniques de neutralisation perçues dans les discours des répondants par Chatzidakis,
Hibbert et Smith (2007) sont également apparues dans cette étude, mais seulement chez les
répondants les moins impliqués dans la consommation alternative. Les quatre techniques
suivantes ont été avancées :
- le déni de responsabilité : les répondants se disent prêts à consommer alternatif mais
remettent souvent en cause le fait du manque d’information, du manque de praticité ou de lieu
pour faire des achats différents.
« C’est bien le commerce équitable, c’est plus généreux, mais il faudrait que la GMS s’y mette un peu
plus, on en voit pas, enfin Casino… Le problème c’est que t’as pas des produits équitables à tout coin de
rue et puis c’est plus cher aussi » (CHRISTINE).
« Je sais plus trop pourquoi je l’ai pas fait, parce que je m’y étais vraiment intéressée à son truc sur
Toulouse et je l’ai pas retrouvé dans le coin. Ou l’information n’était pas facile à trouver... » (MARIE).
- le déni de bénéfices : certains chercheurs disent ne pas chercher à avoir une consommation
alternative, bien que se positionnant pour ce système, parce qu’ils ne croient pas en l’effet des
achats individuels.
« J’ai plus racheté le café du commerce équitable parce que j’ai eu l’impression que je faisais une goutte
d’eau dans un océan de désespoir, voilà c’est ça l’idée ! Et je déteste faire ça, moi… Je déteste balancer
une goutte d’eau. Soit on fait les choses vraiment à fond pour que les gens sortent vraiment de la merde,
mais qu’on arrête de nous faire croire à cette goutte d’eau, ça suffit pas. En tous cas, je tranquillise pas
ma conscience avec ça… (rire) » (LUC).
- Condamner les juges : se sentant culpabilisés, certains répondants critiquent le fait de faire
reposer le choix sur le seul consommateur, alors que les produits sont souvent plus chers.
« A partir de là, j’ai plus d’état d’âme. Soit on généralise [le commerce équitable], il faut arrêter
l’hypocrisie. Soit on le généralise mais on donne pas le choix aux gens. Parce que l’individu va regarder
naturellement les finances et c’est beaucoup plus cher… » (LUC).
- Une autre priorité : certains chercheurs invoquent le refus d’achat alternatif par la présence
d’autres priorités que ces achats ne permettraient pas : le gain de temps et de praticité, la
qualité, le prix et la force de l’habitude.
« Dans ce réseau de producteurs, y’a une qualité de fromage extraordinaire, mais par négligence,
j’oublie… Et comme la démarche d’approvisionnement m’intéresse pas trop, la démarche d’aller à
Terroir Direct, j’y pense pas… Mais je regrette. Faut s’en occuper, faut commander, faut téléphoner,
faut… c’est un peu une négligence parce que j’aime bien… » (PAUL).
« Je suis allée à une conférence de Jacquiau sur les supermarchés et après j’y allais plus du tout… et ça
a duré un an et après j’y suis retournée… Et je me rends compte combien c’est facile de reprendre ses
habitudes même quand on a des informations… » (SYLVIE).
Néanmoins ces réactions sont apparues chez les consommateurs les moins impliqués dans la
consommation alternative. Pour d’autres, la conscience est bien plus accrue. Et, même si la
plupart des achats sont réalisés dans le circuit conventionnel, les répondants ne cherchent pas
à se déculpabiliser, ce qui amène d’ailleurs à un certain mal-vivre.
19
Cas de prise de conscience
Pour comprendre plus en profondeur, suivons deux cas précis.
Sophie perçoit le consommateur (et elle-même) comme schizophrène : « On est tous
consommateurs et on est tous des salariés français, et moi je suis très déprimée par plein de
choses, déjà par le chômage même si je ne suis pas directement touchée, mais le fait de payer
moins cher et finalement c’est à l’étranger au détriment de salariés français mais en me
disant que ça permet à des salariés d’autres pays de s’en sortir aussi […] je déprime en
supermarché de plus en plus parce que t’arrives pas à trouver un produit pour lequel tu te dis
que tu fais un bon achat, si tu fais un bon achat pour l’alimentation, tu ne fais forcément un
bon achat écologique ni citoyen, et quand bien même tu protèges les citoyens français, ça veut
dire que tu ne permets pas à d’autres travailleurs de se développer, donc ça c’est le côté
schizophrène super pénible. Donc oui je suis peut-être plus consciente de ça que d’autres et
en tout cas plus réaliste, enfin moins manichéenne, donc du coup c’est presque stressant […]
je pense que le consommateur est super responsable, il est coupable et en même temps il fait
ce qu’il peut…Parce qu’il est aussi victime de ce qu’on lui propose donc c’est une grosse
schizophrénie, donc mon désintérêt total, donc ça me fait encore moins plaisir de faire mes
courses… ».
Sophie fait des choix de consommation en fonction de différents critères : écologiques en
premier lieu mais aussi sociaux. Elle se déplace dans différents lieux et tente de trouver des
canaux divers, mais fait encore globalement, pour des raisons pratiques, ses courses en
supermarché. Mais elle vit assez mal ce choix puisqu’elle ne se donne pas d’échappatoire.
Elle est consciente des effets de ses choix de consommation, mais est très ouverte à de
nouvelles idées pour en changer. Elle participe à la consommation alternative, et ce de plus en
plus. Chaque nouvelle information lui fait prendre une orientation en particulier : plus
d’emballage individuel, plus de produits transformés, achats par des filières parallèles, etc…
Mais elle considère qu’aucun choix n’est idéal. Selon elle, le consommateur doit faire des
arbitrages en fonction de ses valeurs et essayer de s’y tenir.
Sylvie a une vision très noire de la grande distribution. Elle a surtout une représentation
extrêmement négative d’elle-même quand elle s’y rend : « dans la façon dont moi je fais mes
courses, c'est le sentiment de culpabilité de ne pas être en accord avec mes valeurs. Je
préfèrerais mille fois aller avec mon petit panier et avoir un contact avec les commerçants,
mais là au supermarché Champion non…J'ai l'impression de me fermer, d'être ce que je
n’aime plus en moi, d'être stressée, dans ma bulle, rapide, en lien avec personne,
20
individualiste, dans le stress, la consommation et je me vois comme ça ». Pourtant, elle se
ravitaille essentiellement en supermarché, même si, dès lors qu’elle change de circuit, elle se
dit très fière d’elle et plus en accord avec ses valeurs. Dans les autres circuits, elle met en
avant surtout le lien social, alors qu’elle se ferme à tout contact en supermarché. Elle utilise
des termes tels que « mon petit caviste » pour parler du lien personnel. Mais c’est comme s’il
fallait lutter contre l’appel du supermarché : « En fait je me rends compte à quel point je suis
dépendante du supermarché parce qu'il est à proximité. Et je suis mal, je suis mal avec ça et
en même temps j'ai du mal à changer parce que c'est tellement difficile de changer... Enfin je
sais pas si je peux parler de ça parce que c'est pas la question que tu poses mais pour
changer mes habitudes, je le fais très progressivement, c'est à chaque fois un pas, puis un
autre petit pas, l'eau et puis le riz bio... ». Ainsi, Sylvie voudrait profondément être une
consommatrice alternative, mais encore faut-il qu’elle résiste à la facilité des supermarchés.
Il est alors intéressant de noter que l’idée de l’achat alternatif de temps en temps pour se
donner bonne conscience est un argument finalement développé davantage par les personnes
peu impliquées dans la consommation alternative. Les autres subissent au contraire une
mauvaise conscience lors des achats et ne se satisfont pas des achats réalisés à la marge.
Plusieurs stratégies sont mises en place pour les achats en supermarché : réduire la fréquence
mais augmenter la quantité, s’évader (en prenant son lecteur MP3), ou sous-traiter à son
conjoint. Etre alternatif semble être une position valorisée mais difficile à tenir car demandant
de nombreux efforts tant intellectuels que pratiques.
Quels critères semblent déterminants pour développer une consommation alternative
et réduire l’écart entre comportement et attitude ?
Cela semble une évidence, mais un premier point est essentiel : la prise de conscience. Pour
avoir le désir d’être alternatif, il faut tout d’abord avoir conscience de problèmes existants au
sein du système. Plusieurs répondants ont abordé la question de la dissociation entre le
consommateur et le citoyen.
« Il faut casser cet écran créé entre le produit et le producteur... C'est pas moi qui l'est créé cet écran et
maintenant il existe et il faut prendre conscience qu'il m'a rendu complètement débile car d'un côté j'ai
une vie de citoyen avec une certaine réflexion, et d'un autre côté, j'ai une vie de consommateur et je
réfléchis pas du tout » (PAUL).
« Si j’avais un message à faire passer, c’est qu’on est tous une seule et même personne : le
consommateur, le travailleur, le citoyen, qu’on essaie de dissocier, on nous prend un peu pour des cons…
Les travailleurs sont en colère…. Et vont acheter… par exemple, un travailleur chez Michelin qui gueule
parce que l’entreprise délocalise mais qui à côté de cela achète des produits de merde, alimentaires ou
non, qui viennent de Chine pour que ça coûte moins cher. C’est ça qui est incroyable, ils ne se rendent
pas compte que si eux, ils achetaient les produits locaux de leurs voisins au lieu des tomates d’Espagne
ou des produits alimentaires de Chine qui peuvent poser des problèmes sanitaires, s’ils arrêtaient, peutêtre que les voisins achèteraient aussi plutôt les pneus Michelin… on se rend pas compte des interactions
21
et je pense même qu’on fait exprès de ne pas se rendre compte, puisque le système libéral repose làdessus. Donc tout m’amène toujours à réfléchir en tant que consommateur, c’est très compliqué »
(EMILIE).
Ensuite, pour agir, il faut croire que son action peut avoir un effet. Ce critère est aussi nommé
les convictions de contrôle interne. Il est certain qu’il est inutile d’agir si l’on considère que
son acte est une goutte d’eau dans un océan…
« Je ne pense pas qu’il y ait tellement une conscience des gens quand ils consomment de leur pouvoir. Or,
moi je pense qu’on a un grand pouvoir individuel dans un premier temps qui pourrait être collectif sur ce
qu’on voudrait que ce soit la consommation, ce qu’on veut acheter, la manière dont on voudrait être
traité. Je pense que ça pourrait être possible » (JOELLE).
Il semble également important d’avoir conscience du malaise que l’on vit dès lors que nos
actes ne sont pas en cohérence avec nos valeurs. En d’autres termes, cela voudrait dire que
l’on ne mette pas en place de stratégie de neutralisation, système qui rassurerait l’individu. Et,
au contraire, sentir une forte récompense, personnelle et peut-être sociale, dès lors que l’achat
est alternatif.
« bon… remarque, ça rendrait les courses plus sympas, si à chaque fois, je me disais ça « je vais avoir un
acte militant en allant acheter » (JOELLE).
Alors que moi je sais que dans les produits que j’achète au supermarché, le producteur est étouffé, et
j’en suis pas fière […] j’aimerais bien être consomm’actrice. Je me rends compte que je le suis pas, mais
c’est quelque chose que je mets en place, mais après la rétribution est tellement grande, je suis tellement
contente de moi, tellement fière que je me demande pourquoi je l’ai pas fait avant » (SYLVIE).
En outre, d’après les répondants, il faut actuellement faire beaucoup d’efforts pour chercher à
être alternatif : il faut prendre du temps pour trouver d’autres réseaux, se déplacer. Il faut donc
être assez impliqué pour accepter de prendre le temps de faire ces efforts et ne pas résister à la
tentation du supermarché que l’on a toujours à portée de main.
« Donc il faut que je fasse des effort, que je me batte, c’est une lutte d’aller vers ça et loin des
supermarchés et je dirais presque que c’est contre nature car je vais contre les solutions de facilité, ça
me demande un effort » (SYLVIE).
Pour finir, la recherche de lien social semble importante également pour avoir recours à une
consommation alternative. Si cela semble plus évident pour les circuits de distribution directs,
cela l’est peut-être moins pour d’autres produits, pourtant la notion de lien social est souvent
mise en lumière également.
« Au marché bio, je trouve que les gens sont plus cools […] Y’a une ambiance plus sympa et tu peux
discuter avec les producteurs, ça c’est sympa... bon après discuter, c’est vrai que t’as pas le temps de
faire des grandes conversations mais t’as la mémé d’à côté qui te donne des conseils… » (JOELLE).
« Les produits du commerce équitable représentent le partage. Et c’est les seuls produits d’ailleurs. C’est
une reconnaissance de l’autre que je ne connais pas, alors que pour les autres, il peut vraiment y avoir
de la relation humaine, alors que là c’est l’imagination de la relation humaine… Ca représente le
commerce mondial » (PAUL).
CONCLUSION
La consommation alternative étant un fait de société actuel, il apparaît que les réflexions
comme les actions des répondants sont en pleine évolution. A l’heure actuelle, les
22
enseignants-chercheurs interrogés sont souvent critiques envers le système de distribution et
définissent la notion d’alternative à partir de la question essentielle de la distribution. Les
attitudes envers la consommation alternative (telle qu’ils la définissent eux-mêmes) sont très
favorables bien que pas toujours suivies de faits.
La théorie de la neutralisation explique, de même que dans les travaux de Chatzidakis,
Hibbert et Smith (2007), les écarts entre attitude et comportement envers la consommation
alternative. Cependant, il apparaît en outre ici que cette stratégie n’est utilisée que par les
individus peu impliqués. L’implication envers la consommation alternative est alors présentée
comme une variable discriminante primordiale. En revanche, pour les autres, la neutralisation
n’est plus suffisante. Les répondants ont tout à fait conscience de vivre une incohérence en
agissant en désaccord avec leurs valeurs et, ne mettant pas en place de stratégie de
neutralisation, ils finissent par vivre difficilement cet écart. Ils réalisent alors certains achats
alternatifs qui servent comme autant de fenêtres ouvertes vers une autre voie, sans les
déculpabiliser pour autant sur les achats plus classiques. Cependant les efforts à fournir pour
mettre en place un comportement cohérent sont tellement lourds qu’il est parfois difficile de
résister à l’appel du supermarché, solution de facilité. En outre, même les répondants les plus
volontaires avouent qu’il existe de nombreux problèmes dans l’offre alternative :
- un manque de cohérence : par exemple les produits du commerce équitable sont souvent suremballés, très marketés, vendus en petits conditionnement, ce qui pose un problème aux
personnes soucieuses d’écologie ;
- un problème de véracité : les produits du commerce équitable commencent à être critiqués
dans les médias (Jacquiau, 2006), la présence de produits de terroir, biologique et du
commerce équitable en marques de distribution jette la suspicion sur toute la filière ;
- la difficulté d’accès : les consommateurs doivent faire des efforts pour se procurer des
produits différents. Néanmoins c’est également ce qui en rend l’achat valorisant.
Le problème ainsi posé, la consommation alternative apparaît comme une forme de résistance
proche de l’engagement citoyen au sens de Roux (2006). L’alternative consiste ainsi à trouver
des circuits hors du marché, à produire soi-même de façon artisanale le plus possible, voire à
réduire sa consommation. Les consommateurs tentent alors d’échapper, ne serait-ce que pour
quelques produits, aux distributeurs classiques pour créer un lien direct soit avec les fabricants
eux-mêmes, soit avec d’autres consommateurs. Pourtant, n’ayant pas choisi d’interviewer au
départ des consommateurs particulièrement engagés, nous donnons ici l’exemple de la
proposition de Roux (2006) selon laquelle « dans chaque consommateur sommeille ou s’agite
23
un résistant potentiel ». Si tel est le cas, le développement (ou le retour) à des formes de
distribution plus humaines (dans la taille comme dans l’aspect relationnel) et plus locales
pourrait trouver un écho chez ces consommateurs en mal d’alternatives.
L’étude présente les limites classiques d’une recherche qualitative exploratoire. Nous en
préciserons deux. Dans un premier temps, de nature inductive, cette recherche souffre en
l’état actuel, d’un manque d’approfondissement de la littérature sur le thème de la résistance.
Ce faisant, nous avions peut-être au départ trop focalisé notre intérêt sur les produits
alternatifs alors que nous observons que ce sont surtout les circuits qui donnent au produit son
caractère différenciateur. Dans un second temps, cette recherche porte sur un faible nombre
de répondants, en outre dont la variété est réduite par choix. La notion de désirabilité sociale
est très forte dès lors que l’on traite de questions éthiques. Or, nous n’avons pas cherché à
neutraliser cet aspect, puisque nous avons au contraire interrogé des personnes de notre
entourage professionnel. Ce pari était risqué. En effet, si la plupart des répondants nous ont
fait confiance et ont osé nous faire part d’aspects très personnels, nous avons bien senti dans
un cas sur douze être perçu indésirable. Réaliser l’entretien dans la cuisine permettait certes
de créer un lien avec le répondant (et de mettre en image les achats réalisés dans le domaine
alimentaire) mais risquait en revanche d’être perçue intrusive dans un relation professionnelle
non exempte de liens hiérarchiques. Cependant le choix de l’enseignant-chercheur s’est avéré
judicieux pour la richesse des réponses collectées et une ouverture à la réflexion sur soi et à
son comportement.
Pour cette raison et parce que nombre de répondants, réfléchissant en répondant à nos
questions sur le vif nous ont annoncé a posteriori avoir davantage approfondi la question et
vouloir nous faire part de leurs réflexions, nous allons réaliser une deuxième vague
d’entretien avec ces mêmes individus. L’intérêt de cette deuxième phase est double. D’un
point de vue méthodologique, il s’agit d’évaluer l’impact de l’interview sur l’attitude et le
comportement des chercheurs. D’un point de vue théorique, il s’agit d’affiner la définition de
la consommation alternative. Ensuite, une autre série d’entretiens sera menée auprès d’autres
publics : des cadres en gestion dans un premier temps et des personnes sans qualification en
gestion afin de pouvoir comparer les résultats obtenus.
Enfin, parmi les enseignants-chercheurs interrogés, nombreux sont ceux cherchant
actuellement à mettre en place de nouvelles filières de réapprovisionnement. Une des voies
fréquemment citée est celle du recours à une AMAP (Association pour le Maintien d’une
24
Agriculture Paysanne). Ce système présente en effet une forte cohérence : les produits sont
issus d’une agriculture raisonnée, de saison, récoltés dans la région, sans emballage et
permettent de mettre en place une solidarité proche du commerce équitable, mais avec les
paysans locaux. Or, afin de véritablement observer les comportements réels, et non plus
seulement étudier les comportements déclarés, il serait intéressant de mettre en place une
recherche-action. Les chercheurs s’étant déclarés prêts à participer à une structure du genre
AMAP mais en jugeant le mécanisme compliqué, l’objectif est de mettre en lien une AMAP
avec les laboratoires de recherche, en permettant une livraison hebdomadaire au sein même de
l’Université.
25
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27
ANNEXE 1 : Tableau récapitulatif des répondants
Prénom
Sexe
Situation familiale Tranche d’âge
Habitat
Sylvie
Femme
célibataire
Maison, ville
Paul
Homme
Marié,
enfants
30-40
trois 50-60
majeurs
Maison, village
proche ville
hors foyer
Joëlle
Femme
Célibataire
30-40
Appartement,
ville
Christine
Femme
Mariée, 3 enfants
40-50
Maison, village
éloigné grande
ville
Marie
Femme
En
couple,
1 30-40
enfant
Maison, village
éloigné grande
ville
Anne
Femme
En
couple,
2 30-40
enfants
Sophie
Femme
En
couple,
ville
4 30-40
enfants
Pierre
Homme
Célibataire,
Femme
Maison, proche
ville
1 40-50
enfant
Emilie
Maison, proche
Maison, proche
ville
Célibataire,
1 30-40
Maison, ville
1 30-40
Appartement,
enfant
Luc
Homme
Célibataire,
enfant
Louis
Homme
proche ville
Marié, 4 enfants
40-50
Maison, proche
ville
Stéphane
Homme
En
couple,
enfants
2 40-50
Maison, proche
ville
NB : les prénoms ont été changés, cependant ils correspondent aux prénoms des
verbatims cités dans le texte.
28
ANNEXE 2 : Guide d’entretien
Je vais te poser diverses questions relatives à ta consommation au sens large. L’étude consiste
à observer la consommation d’un public particulier : celui des enseignants-chercheurs en
gestion.
1. Si je te dis « aller faire des achats alimentaires », qu’est-ce que cela t’évoque ? Qu’estce qui plaît ? Qu’est-ce qui te déplaît ? Lorsque tu vois les gens faire leurs courses
dans une GMS, quelles images te viennent à l’esprit ?
2. Peux-tu me raconter une scène de courses alimentaires classique pour toi ?
Où ? Fréquence ? Avec qui ? Pour qui et pour quoi ? Par exemple, souvenir des
dernières courses ? Produits alimentaires classiquement achetés ? Choix réalisés ?
Critères de sélection ? Quelle image as-tu de toi en train de faire les courses ?
3. As-tu parfois l’impression d’acheter des produits alimentaires (un peu) particuliers, en
te disant que tu ne fais pas (tout à fait) comme tout le monde ?
Si oui, lesquels ? Avec quelles fréquence ? Pourquoi ? Et pourquoi te semblent-il
particuliers ?
4. Est-ce que tu achètes des produits alimentaires par d’autres circuits de distribution que
la GMS ? Quels produits ? Par quels biais ? Pourquoi ? Quelle différence cela fait,
d’après toi, par rapport à la distribution via la GMS ?
5. Est-ce que ta consommation alimentaire a évolué depuis ton enfance?
Si oui, en fonction :
- de l'évolution de la situation familiale? (enfant, conjoint?)
- d'une meilleure information disponible?
- d'une évolution du budget alloué à l'alimentaire?
- autre ?
6. Est-ce que ton métier te conduit à ton avis à une consommation particulière ?
– par la connaissance des produits ?
– par la connaissance des circuits de distribution ?
– par la connaissance des producteurs ?
– par la connaissance des méthodes marketing (publicité, promotion…) ?
7. Est-ce que ton métier te conduit à réfléchir à ton rôle en tant que consommateur ?
8. Connais-tu le mot « consom’acteur » et sa signification ? Qu’en penses-tu ?
9. Connais-tu l’expression « consommation alternative » et sa signification ? Qu’en
penses-tu ?
10. Que penses-tu des gens qui achètent les produits suivants ? Pourquoi ? Qu’est-ce que
ces produits représentent pour toi ? Serais-tu prêt(e) à en acheter ? Pourquoi ? Si tu en
as déjà acheté, par quel biais ? Quels produits ? Où ? Pourquoi ? Font-ils partie de la
consommation alternative d’après toi ?
– les produits authentiques
29
–
–
–
–
–
–
les produits biologiques
les produits ayant des labels de provenance (type AOC…)
des produits ayant des labels de qualité (type label rouge
les produits de terroir
les produits issus du commerce équitable
les produits santé (comme les alicaments)
Sexe : …
Age (noter dans quelle tranche d’âge…) : …
Nombre de personnes au foyer : … dont enfants : …
Statut professionnel : …
Spécialité de gestion : …
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Tableau 1 : degré du caractère alternatif des produits en fonction du lieu de vente
Produit du commerce
Vendus en
Vendus dans
Conditions du caractère alternatif /
grande
d’autres
explications
surface
circuits
OUI
OUI
Sans condition
OUI
OUI
Si
équitable
Produit biologique
acheté
pour
des
raisons
écologiques
Produit avec labels
NON
OUI
de provenance
Si acheté dans des circuits de
distribution
avec
contact
interpersonnel (marché, achat direct
Produit de terroir
NON
OUI
Produit avec labels
producteur, …)
Acheté par sécurité en GMS mais
de qualité
non nécessaire dans les autres
NON
NON
Produit authentique
circuits (car basés sur la confiance)
Pour être alternatif, un produit
authentique ne devrait pas pouvoir
NON
NON
être vendu… sinon perçu comme
un slogan
Alicament
NON
NON
Manque de croyance : « produit
marketing ».
31
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