POLITIQUE ÉTRANGèRE DES ÉTATS

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Hall GARDNER
Professeur de Sciences Politique à l’Université américaine
olitique étrangère
des tats nis
de Paris.
P
É
-U :
Barack Obama et le Moyen-Orient
Houshang
HASSAN-YARI
Houshang
HASSAN-YARI
Professeur
et directeur
du Département
de et
science politique
Professeur
et directeur
du Département
de science politique
et d’économique
du Collège
d’économique
du Collège militaire
royal militaire
du Canada.royal du Canada.
De tous les candidats aux élections présidentielles des États-Unis en 2008,
seul Barack Obama proposait un regard neuf
27et différent sur la politique étrangère
de son pays. Le point central, et contentieux, de sa proposition résidait dans la
reconnaissance de la nécessité d’être modeste et pragmatique dans son approche
internationale. Il offrait à rencontrer, sans préjudice et conditions, le dirigeant
des pays que le président sortant, George W. Bush, avait qualifiés de « voyous ».
L’aspect le plus controversé et contesté de cette proposition par les autres aspirants
à la Maison-Blanche était une rencontre inconditionnelle des dirigeants iranien et
nord-coréen.
La politique innovatrice, ou tout au moins différente, proposée par le sénateur
Obama émanait d’une personnalité qui représentait un cas presque exceptionnel
parmi les seize candidats démocrates et républicains. La politique reflétait l’image
de l’homme même. Le plus jeune candidat avec seulement deux ans d’expérience
de service sénatorial à Washington, il était, en 2008, l’unique sénateur noir dont le
père était noir kenyan et la mère blanche américaine, portant le nom le plus bizarre
de tous les candidats. Son deuxième prénom, Hussein, d’origine arabe, faisait de lui
le seul candidat présidentiel avec une vague connexion arabe ou moyen-orientale,
bien que son père soit en fait du Kenya1. Selon la loi, comme la mère de Barack,
Ann Dunham Stanley, était américaine, son fils le serait également. Les rumeurs
sur l’origine étrangère du candidat Obama et sa naissance à l’extérieur du territoire
américain, le disqualifiant, ont obligé sa campagne électorale à reproduire son acte
1. Pierre Tristam, « Barack Obama’s Middle East Policy. The Dovish Hawk », About.com Guide.
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Politique étrangère des États-Unis : Barack Obama et le Moyen-Orient Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
de naissance : Barack Hussein Obama. II est né à Hawaï d’A.D. Stanley et Barack
Hussein Obama du Kenya2.
Comme ces rumeurs n’ont pas empêché Obama d’être élu président, d’autres
cacophonies ont continué depuis son assermentation. Les récalcitrants reprochaient
deux choses à Obama. D’abord, sa religion. Selon les différents sondages d’opinion,
entre un cinquième et près d’un tiers des Américains croient que Barack Obama
est un musulman et que les musulmans devraient être interdits de se présenter à la
présidence ou de siéger à la Cour suprême des États-Unis3. La « campagne de désinformation » a laissé des traces. Le nombre de personnes qui maintenant identifient
correctement Obama en tant que chrétien a chuté à 34 %, en baisse de près de la
moitié par rapport au moment où il a pris ses fonctions présidentielles4.
Obama est aussi dénoncé comme un « socialiste ». Les conservateurs américains
sont furieux de ce qu’ils nomment le socialisme et le radicalisme de Barack Obama.
L’ancien président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, a intitulé
son nouveau livre Sauver l’Amérique : Comment arrêter la machine socialiste laïque
d’Obama. Le président est accusé de vouloir établir une limite à la somme d’argent
que les magnats de Wall Street peuvent gagner, de transformer les États-Unis en une
dictature de prolétariat, d’étatiser l’économie et de tuer les vieillards pour réduire le
coût des programmes sanitaires et sociaux. Les conservateurs dénoncent les plans de
sauvetage des secteurs bancaire, d’automobile et d’assurance5 du président Obama,
oubliant d’abord la source et les causes de la crise économique qui a nécessité l’intervention de l’État, et, surtout, les mesures tardivement adoptées par le président
conservateur George W. Bush en vue de sauver l’économie avant qu’il ne cède la
Maison-Blanche à son locataire suivant.
C’est dans ce contexte de mépris et méfiance qu’Obama cherche à faire une
intervention positive au Moyen-Orient après les décennies d’actions arbitraires
des administrations américaines dans certains dossiers et d’inertie dans d’autres.
Le conflit israélo-arabe, les rapports entre les États-Unis et les pays musulmans, la
guerre en Irak, l’impasse nucléaire en Iran, le terrorisme et la situation au Yémen
2. Pour l’image du certificat de naissance d’Obama, voir Los Angeles Times, 16 juin 2008.
3. Pour un résumé des sondages de Time et Pew, voir Al Jazeera :
http://english.aljazeera.net/news/americas/2010/ 08/2010819191334584676.html.
4. John Cohen & Michael Shear, « Poll shows more Americans think Obama is a Muslim »,
Washington Post, 19 août 2010.
5. « Is Obama a socialist ? What does the evidence say ? », The Christian Science Monitor,
1er juillet 2010.
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Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
font partie d’une panoplie de problèmes qui préoccupent grandement Obama.
Depuis sa campagne électorale il a promis des changements.
Le présent texte ne s’attarde que sur deux des nombreux défis que l’administration Obama est appelée à relever : le conflit israélo-arabe et la question iranienne.
Le conflit israélo-arabe
« Obama arrive au pouvoir après les deux présidents les plus pro-israéliens des
soixante dernières années, Bill Clinton et George W. Bush. L’approche d’Obama
met Israël d’abord, les Arabes loin au deuxième rang, tandis que les Palestiniens
obtiennent le mélange habituel de mentions honorable et passable. Cela pourrait
bénéficier aux fortunes électorales d’Obama, mais ne fera pas avancer la paix israélo-palestinien6. » Ces lignes ont été écrites en juillet 2008, quelques mois avant les
élections qui ont porté au pouvoir un idéal de changement. Bien que personne n’attende une rupture avec Israël ou dans la politique pro-israélienne des États-Unis,
l’espoir était quand même suscité dans l’avènement d’une politique plus équilibrée
qui serve d’abord l’intérêt national américain, ensuite les préoccupations de sécurité
d’Israël et, finalement, la réalisation des revendications légitimes de la nation palestinienne pour réaliser leur État, selon les normes internationales.
Le contentieux le plus difficile au Moyen-Orient reste le conflit israélo-arabe,
qui se réduit de plus en plus à sa dimension israélo-palestinienne. Pendant sa campagne électorale et en référence à la situation au Moyen-Orient, Obama avait mentionné : « Personne ne souffre plus que le peuple palestinien », sans oublier pour
autant d’ajouter que dans le passé les Israéliens et les Palestiniens avaient souffert en raison de l’absence d’un accord de paix. Les propos d’Obama sur la souffrance palestinienne ont révolté certains Juifs américains. Selon le New York Times7,
pour le rabbin Steven Silver de Californie, l’attribution de la première place aux
Palestiniens dans la matrice de souffrance est odieuse et malheureuse. L’affirmation
du camp d’Obama de la centralité de la sécurité d’Israël dans la politique américaine au Moyen-Orient n’a pas apaisé les groupes de pression pro-israéliens aux
États-Unis qui pensent que beaucoup d’Américains trouvent offensant le commentaire d’Obama.
6. Pierre Tristam, « Barack Obama in Arab and Middle Eastern eyes skepticism, cynicism and
outright hostility », About.com Guide, 25 juillet 2008.
7. New York Times, 14 mars 2007.
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Politique étrangère des États-Unis : Barack Obama et le Moyen-Orient Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Cette réaction très négative contraste avec la réception enthousiaste qu’Hillary
Clinton, une autre candidate démocrate, a reçue lorsqu’elle a pris la parole à une
conférence de l’American Israel Public Affairs Committee – Comité américain pour
les affaires publiques d’Israël (AIPAC)8, le principal lobby d’Israël aux États-Unis.
Afin de capitaliser sur sa position de favorite pour récolter les votes des communautés juives et se démarquer de son rival, Clinton s’est concentrée sur Israël et sa
sécurité, soulignant que toutes les options étaient sur la table pour une éventuelle
confrontation avec l’Iran sur la question de son programme nucléaire, jugé menace
existentielle pour Israël. En revanche, alors qu’Obama a carrément confirmé : « Je
suis pro-israélien », il a également parlé ostensiblement des Palestiniens. Vers la fin
de son discours, après avoir loué Israël, il a dit : «Nous sommes tous engagés dans
[l’idée de] deux États vivant côte à côte en paix. » Et dès qu’il y aurait des partenaires
palestiniens qui renonceraient à la violence, les négociations de paix avec Israël devraient se dérouler, a-t-il ajouté. Il a uniquement blâmé le Hamas pour le blocage
du processus de paix. Malgré tout, ses remarques ont été timidement reçues.
Selon le compte rendu du New York Times, les contrastes ont été criants dans
l’accueil réservé aux deux candidats. Il y avait de la musique israélienne, une pancarte avec le nom de Clinton en hébreu, des banderoles de campagne, des ballons
et une vidéo la montrant au travail. En revanche, les aides d’Obama préparaient
encore une petite plate-forme pour leur candidat à la dernière minute, avec un
minimum de décoration électorale dans la salle. Les assistants d’Obama avaient
indiqué que la rencontre serait une réunion informelle. À la fin, Obama a attiré
près de 1 000 personnes, beaucoup moins que Clinton. Il est nécessaire de rappeler
que Clinton n’a pas toujours été si populaire avec l’électorat juif américain ou le
gouvernement d’Israël. Comme première dame américaine, Hillary Clinton a été
l’un des premiers défenseurs d’un État palestinien. Elle s’est prononcée sur cette
8. En dépit des scandales politiques et accusations d’espionnage qui pèsent lourdement contre
certains de ses membres, l’AIPAC reste le passage obligé des candidats à la présidentielle, et
les présidents en exercice doivent réitérer l’engagement américain dans la protection d’Israël
à la conférence annuelle de l’organisation. L’AIPAC place ses stagiaires dans les bureaux des
membres du Congrès où ils ont un accès privilégié pour rédiger leurs discours, faire de la
recherche ; ils se trouvent dans le cercle intime des membres du Congrès. Les stagiaires sont
des personnes qui, en un sens, deviennent les yeux de l’AIPAC dans les bureaux des membres
du Congrès, des espions. Les stagiaires rédigent également des discours pour le vice-président.
Voir Dennis Bernstein & Jeffrey Blankfort, KPFA/Flashpoints, « AIPAC Lobbying », Audiovisual item # 286, Transcript of radio program, 6 janvier 2005.
http://www.monabaker.com/pMachine/more.php?id=A2797_0_1_0_M.
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Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
question, le 7 mai 1998, lors d’une visité dans les Territoires palestiniens. Elle a été
obligée de revenir sur ses positions quand l’opinion d’une partie de l’électorat newyorkais s’est retournée contre elle au cours d’une campagne pour le Sénat. À partir
de là, Clinton était devenue un partisan inlassable d’Israël9. La transformation a été
rapide et sans retour.
Obama a aussi eu un parcours similaire. Si, pour les organisations sionistes
et pro-israéliennes, le transfert de Bret Stephens, ancien rédacteur du journal
Jerusalem Post, au poste de rédacteur en chef du Wall Street Journal10 est dans l’ordre
des choses et tout à fait normal, le président Obama a dû cesser son amitié avec
Rashid Khalidi, un Américain d’origine palestinienne. Ce dernier est accusé d’être
« extrêmement anti-israélien, ou même carrément antisémite » et Barack Obama est
accusé d’avoir tissé avec lui des alliances anti-israéliennes11.
La campagne anti-Obama des organisations pro-israéliennes rejoignait celle du
rival républicain pour l’élection présidentielle. Selon Stephen Zunes12, la campagne
orchestrée par John McCain, Sarah Palin et leurs partisans a atteint un niveau encore plus bas vers la fin d’octobre 2008 avec leurs attaques contre le candidat démocrate Barack Obama, pour ses liens anciens avec l’universitaire palestinien américain Rashid Khalidi. Ce n’est qu’une partie d’une série de tactiques désespérées de
la part des républicains pour faire paraître Obama, résolument pro-Israël, comme
un anti-Israël. La campagne était conçue pour limiter politiquement les options
de ce dernier pour aborder les questions urgentes de la paix israélo-palestinienne
lors de sa présidence, maintenant qu’il était impossible de le rattraper et de nuire
à ses chances aux élections. En d’autres termes, c’était une attaque préventive pour
dissuader Obama, muni d’un mandat clair de gouverner, de forcer les parties en
9. http://newsbusters.org/blogs/brad-wilmouth/2009/01/05/nbc-s-mitchell-recounts-hillaryclinton-kissing-arafat-s-wife.
À voir également, le débat en 2000 entre Clinton et son rival Lazio, un autre aspirant au
Sénat, et la course entre les deux pour prouver qui était le plus favorable à Israël, même dans le
contexte de l’Intifida de Jérusalem :
http://www.ontheissues.org/ senate/Hillary_Clinton_Foreign_Policy.htm.
10. �Israel Matzav, 20 avril 2010.
http://israelmatzav.blogspot.com/2010/04/rashid-khalidis-dream-come-true.html.
11. ���������������������������������������������������������������������������������������������
Rachel Neuwirth, « Barack Obama’s Anti-Israel Alliances [������������������������������������
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incl. Rashid Khalidi����������������
]���������������
»�������������
, 24 octobre
2008. http://www.campus-watch.org/article/id/5917.
12. Stephen
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Zunes, « Rashid Khalidi : The Republicans’ Latest Smear of Obama», 2 novembre
2008.
http://www.huffingtonpost.com/ stephen-zunes/rashid-khalidi-the-republ_b_140097.html
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Politique étrangère des États-Unis : Barack Obama et le Moyen-Orient Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
conflit à s’engager à fond dans les négociations de paix. Dans ce contexte de chasse
aux sorcières, Khalidi allait devenir la chair à canon pour faire freiner la diplomatie américaine au Moyen-Orient, à la lumière du plan qu’Obama candidat avait
présenté au cours de sa campagne électorale. Certains spécialistes américains des
questions du Moyen-Orient ont tenté de rétablir les faits. Pour Stephen Zunes,
Obama et Khalidi et leurs épouses avaient effectivement un rapport social quand
ils enseignaient à l’université de Chicago, et leurs enfants fréquentaient la même
école. Il est ironique que Khalidi – diplômé de Yale et Oxford d’origine américaine,
et ancien président de la Middle East Studies Association – soit devenu le point
focal de ces attaques. En effet, l’orientation politique de cet académique de renommée internationale a été mal présentée pour des raisons politiques et idéologiques.
Khalidi a été qualifié de « terroriste », « extrémiste » et « néonazi » par McCain,
Palin et les organisations pro-israéliennes. Zunes confirme que, contrairement aux
attaques politiques contre Obama, ce dernier, comme George W. Bush, soutenait
solidement les politiques israéliennes et était prêt à faire confiance aux think tanks
de droite idéologisés plutôt qu’aux groupes de droits humains réputés13.
Enfin, l’engagement d’Obama du côté d’Israël d’abord est infaillible. Durant
la campagne électorale, il n’a pas cessé de répéter : «Notre point de départ doit
toujours être un engagement clair et fort pour la sécurité d’Israël, notre allié le plus
puissant dans la région et la seule démocratie établie », bien qu’il n’ait pas divulgué
s’il avait effectivement un vrai plan de paix pour résoudre le conflit israélo-palestinien14. Le discours d’Obama en 2007 a amené Shmuel Rosner, correspondant de
Ha’aretz à Washington, à tirer la conclusion suivante : « Obama sonnait aussi fort
que Clinton, aussi favorable que Bush, aussi amical que Giuliani15. Au moins rhétoriquement, Obama a réussi tout examen que n’importe qui aurait voulu lui faire
passer. Donc, il est pro-israélien. Point16. »
13. �����
Ibid.
14. ����������������
Pierre Tristam, op. cit.
15. Personnalité
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controversée, Rudolph (Rudy) Giuliani, maire de New York (1994-2001) et
candidat malheureux à l’investiture républicaine des présidentielles de 2008, a été obligé de se
retirer de la course faute d’appuis et de fonds. Durant la campagne électorale, le journal israélien
Ha’aretz, a rassemblé huit experts israéliens pour déterminer le meilleur candidat pour Israël :
Giuliani est arrivé premier, John McCain troisième, Hillary Clinton quatrième, et Obama le
dernier. Ha’aretz, 5 septembre 2006.
www.haaretz.com/.../israeli-panel-giuliani-is-best-presidential-candidate-for-israel-1.196603.
16. ��������������������������������������������������������������������
Cité par Ali Abunimah, « How Barack Obama learned to love Israel », The Electronic
Intifada, 4 mars 2007. http://electronicintifada.net/v2/article6619.shtml.
162
Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
Avant sa transformation en trio Clinton-Bush-Giuliani, comme l’a indiqué
Shmuel Rosner, Obama donnait un point de vue relativement équilibré sur le
conflit israélo-palestinien en s’alignant sur les positions adoptées par le camp de la
paix israélien et ses soutiens américains. Par exemple, lors de sa campagne infructueuse pour le Congrès en 2000, Obama a critiqué l’administration Clinton pour
son soutien inconditionnel à l’occupation et d’autres politiques israéliennes, et a
appelé à une approche modérée face au conflit israélo-palestinien. Il a évoqué le
cycle de la violence entre Israéliens et Palestiniens, contrairement à la plupart des
démocrates qui utilisaient la formule de la violence palestinienne et de la riposte
israélienne. Obama a également fait des déclarations de soutien à un accord de
paix le long des lignes de l’initiative de Genève et aux efforts similaires des modérés
israéliens et palestiniens17.
L’initiative, ou l’accord, de Genève, est un accord-cadre destiné à résoudre le
conflit israélo-palestinien sur une base permanente. Il est une synthèse de l’ensemble des négociations officielles précédentes, les résolutions internationales, la
feuille de route du Quartet, les efforts du président Bill Clinton et l’initiative de
paix arabe. L’accord cherchait à répondre à toutes les questions jugées essentielles
pour les deux parties. Sur la question territoriale, la frontière des deux États serait
fixée sur la ligne verte, celle qui existait avant la guerre de 1967. Jérusalem serait
divisée administrativement en deux : Jérusalem-Est devenant la capitale de l’État
palestinien, et Jérusalem-Ouest celle d’Israël. Pour éliminer la plupart des colonies
de peuplement israéliennes dans les territoires palestiniens, les Palestiniens devaient
limiter leur droit au retour des réfugiés en Israël pour un nombre déterminé par le
gouvernement israélien et mettre fin à toute autre revendication18. Après l’espoir
ainsi suscité par son appui à l’initiative, Obama a déçu. Comme c’était le cas avec
Hillary Clinton quelques années auparavant, le changement de cap chez Obama
était remarquable. Il confirmait que les États-Unis ne devraient jamais chercher à
dicter ce qui était meilleur pour les Israéliens et leurs intérêts de sécurité, et qu’aucun Premier ministre israélien ne devrait se sentir traîné à la table des négociations.
17. Stephen
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Zunes, « �����������������������������������
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Barack Obama on the Middle East ���
»��
, Foreign Policy In Focus, Washington
DC, 10 janvier 2008.
18. Pour le texte complet de l’accord de Genève, voir :
http://www.geneva-accord.org/mainmenu/french.
Les annexes de l’accord se trouvent dans :
http://www.geneva-accord.org/mainmenu/the-annexes.
163
Politique étrangère des États-Unis : Barack Obama et le Moyen-Orient Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Conscient des rapports de force dans le conflit israélo-palestinien, Obama se disait convaincu qu’Ehud Olmert (Premier ministre d’Israël en 2006-2009) était plus
que disposé à négocier une fin au conflit israélo-palestinien qui se traduirait par
deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Il a également reculé sur son
affirmation selon laquelle « personne ne souffre plus que le peuple palestinien » en
rejetant la responsabilité de l’impasse dans le processus de paix non pas sur l’occupation israélienne, mais sur les Palestiniens eux-mêmes. De plus, la protestation des
Palestiniens et des défenseurs de droits humains n’a pas emmené le gouvernement
d’Olmert à renoncer à la colonisation des Territoires occupés.
Alors, comme aujourd’hui, Obama est appelé à se confronter au même problème que ses prédécesseurs à la Maison-Blanche : comment répondre aux exigences de son poste politique et de ses dettes envers son électorat et ses bailleurs de
fonds, d’une part, et accomplir une promesse morale et un engagement solennel
envers un peuple dont le droit est reconnu par tous sans qu’il y ait une ferme volonté politique de le réaliser ? Le dilemme est de taille ! Obama est en train de brûler
le mandat clair qu’il avait obtenu de l’électorat américain pour faire autrement,
introduire un « changement » notable dans la gestion de l’État. Sa faiblesse devant Benjamin Netanyahu, qui est résolu à poursuivre le processus de colonisation
de ce qui reste de la Cisjordanie, devient de plus en plus criante. Il recule quand
Netanyahu avance, même lorsqu’il a le droit international de son côté. La montée
historique d’Obama à la présidence a montré comment l’audace peut susciter un
profond espoir de transformation sociale et politique. S’il a le courage politique
d’agir, le président américain a le pouvoir et les moyens de contribuer à une transformation importante au Moyen-Orient19.
Cependant, tous les indices montrent qu’Obama ne sera pas en mesure de faire
une grande différence dans le conflit israélo-palestinien s’il poursuit l’approche actuelle. Un échec américain dans le dossier palestinien aura comme conséquence
inévitable une plus grande radicalisation dans la région et la marginalisation des
courants de pensée modérés. Une plus grande instabilité ne peut que mettre en
péril les régimes en mal de légitimité qui sont tous proches des États-Unis. La
République islamique d’Iran est déjà convaincue que les États-Unis sont beaucoup
trop faibles pour contrôler la région ; ils doivent quitter le Moyen-Orient, le leadership islamique le réclame.
19. Mark
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Levine, ����������������������������������������������������
« ��������������������������������������������������
Obama’s Middle East challenge ��������������������
»�������������������
, 28 janvier 2009. http://english.aljazeera.
net/focus/theobamapresidency/2009/01/ 200912694223241504.html.
164
Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
Le casse-tête iranien
Le comportement occidental, notamment américain, dans le dossier nucléaire a
persuadé Téhéran de la nécessité de mener une politique étrangère agressive. Le refus iranien d’accepter la validité des résolutions du Conseil de sécurité des Nations
unies, que le président Mahmoud Ahmadinejad a qualifié de « papier déchiré », est
présenté comme une victoire devant le déclin américain sur l’échiquier mondial.
De son côté, Obama souffle le chaud et le froid dans le dossier iranien depuis
sa candidature. Il a gagné des applaudissements et des critiques pour ses prises de
position sur l’Iran. Pour lui, l’option nucléaire contre l’Iran ne devrait pas être sur
la table alors même que l’option d’une attaque classique reste présente. Au moment
où il soutient le besoin de négocier directement avec l’Iran, bien qu’il ne faille pas
exclure l’usage de la force militaire, Obama réaffirme que son pays ne devrait pas
hésiter à parler directement avec l’Iran. De plus, la diplomatie américaine doit viser
à accroître le coût pour l’Iran de la poursuite de son programme nucléaire en appliquant des sanctions plus sévères et en augmentant la pression de ses principaux
partenaires commerciaux. Obama appelle le monde au secours en vue de travailler
pour arrêter le programme iranien d’enrichissement d’uranium et empêcher ce pays
d’acquérir des armes nucléaires. En échange, Obama propose des relations diplomatiques avec l’Iran, l’engagement économique et des garanties de sécurité, retirant
la « notion de changement de régime20 », idée si chère au président Bush.
Les messages mixtes d’Obama, présentés sous la forme de « carotte et bâton »,
sont vus à Téhéran comme une politique confuse et insensée. Il existe clairement
une grande différence culturelle entre les dirigeants des deux pays, qui écarte tout
dialogue constructif. La religiosité qui domine l’esprit et les actes des dirigeants iraniens rend toute compréhension de leurs messages politiques impossible. L’aspect
prédominant de la référence au retour imminent du douzième imam des chiites
duodécimains, Imam Mahdi, rend impossible tout raisonnement avec le leadership
de la République islamique. Comme il est protégé par ce dernier, personne ne peut
lui infliger une perte. Cette attitude ressemble singulièrement et étrangement aux
gestes des suicidaires qui, dans les deux éventualités de se faire tuer ou d’éliminer
l’ennemi, vont au paradis !
Les relations entre les États-Unis et l’Iran postrévolutionnaire n’ont jamais été
normales depuis que le mouvement révolutionnaire a réussi à prendre le pouvoir
au détriment de la monarchie très proche de Washington. Les Américains ont
20. Pierre
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Tristam, « The Dovjsh Hawk », op. cit.
165
Politique étrangère des États-Unis : Barack Obama et le Moyen-Orient Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
perdu non seulement leur meilleur allié dans la région sensible du golfe Persique,
mais aussi l’accès au territoire iranien, jugé vital pour la sécurité des alliés dans le
contexte de la guerre froide.
La perte de l’Iran a bouleversé l’équilibre des forces dans la région et a occasionné l’invasion de ce pays par l’Irak, guerre suivie par l’invasion du Koweït par les
troupes de Bagdad peu après. Depuis la prise en otage du personnel de l’ambassade
américaine à Téhéran, Washington a imposé de nombreuses sanctions militaires et
économiques à l’Iran. Washington a même tenté une mission militaire de sauvetage
de ses otages. L’échec de la mission à cause d’une tempête de sable a renforcé la
position de Khomeiny et d’autres dignitaires du régime qui voyaient la main cachée
de Dieu dans la protection de la République islamique. Ainsi, pour les trente et une
dernières années, l’« ennemi » est devenu le concept le plus utilisé et le plus mal
défini par les dirigeants iraniens.
Les preuves justificatrices de l’hostilité envers l’autre s’accumulent à Téhéran et
Washington. Les Iraniens croient fortement dans la théorie du complot, c’est-à-dire
que les Américains tentent de détruire leur régime. Ils citent souvent l’invasion de
leur territoire par l’Irak en 1980 comme une « affaire commandée » par Washington.
Les informations selon lesquelles Bagdad avait reçu de renseignements satellitaires
sur le mouvement de ses troupes durant la guerre renforcent leur suspicion. Pour
leur part, les Américains voient la main cachée de l’Iran dans tous les actes illicites
et anti-américains à travers le monde. Au fil des ans, les États-Unis ont formulé
une politique anti-iranienne sur quatre postulats : 1. La participation et l’appui de
l’Iran au terrorisme international. Ce que les États-Unis reprochent à l’Iran dans ce
dossier se résume à l’aide que le groupe Hezbollah libanais reçoit de la République
islamique. 2. La recherche des armes de destruction massive est la deuxième source
d’hostilité entre les deux pays. La question nucléaire n’a fait qu’envenimer le climat de méfiance. 3. Les États-Unis reprochent à l’Iran sa tentative de saboter le
processus de paix israélo-arabe. 4. La violation des droits humains est souvent citée
comme preuve de la nécessité de dénoncer le régime iranien. Si les accusations sont
bien répétées depuis plusieurs années, la riposte iranienne reste moins connue. Le
régime islamique ne cache pas son appui « politique » au Hezbollah qui luttait
contre l’occupation du Liban Sud par Israël, rejetant ainsi toute aide militaire à ce
groupe. Dans le dossier des armes de destruction massive, l’Iran se voit la victime
de ses armes, que l’Irak a utilisées au cours de la guerre en 1980-1988. Quant au
processus de paix et au rôle saboteur de l’Iran, Téhéran plaide sa non-culpabilité et
dénonce l’absence de paix à cause de l’intransigeance israélienne. Il faut rappeler
166
Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
cependant la non-reconnaissance de l’État hébreu par le régime islamique, car Israël
est « illégitime et usurpateur » selon Téhéran et ne devrait pas exister. Les récents
propos d’Ahmadinejad à cet effet rappellent la position de Téhéran sur cette question. Enfin, en réaction à la violation des droits humains, qui est le talon d’Achille
et le point très faible de la République islamique, celle-ci se trouve sur la défensive
et ne peut que dénoncer les Abou Ghraib et Guantanamo, sans répondre pour autant aux accusations dont elle est l’objet à l’intérieur comme à l’extérieur.
C’était dans ce contexte survolté qu’Obama est entré dans la campagne électorale
et a lancé son idée de négociation directe avec Téhéran. S’adressant aux membres de
l’AIPAC en mars 2007, Obama a expliqué comment les armes nucléaires iraniennes
pourraient déstabiliser la région et déclencher une nouvelle course aux armements.
Il a mentionné le cas des pays comme l’Égypte, l’Arabie Saoudite et la Turquie qui
pourraient s’engager dans une course nucléaire, sans expliquer pour autant l’absence
d’une telle course dans le passé, malgré l’existence d’un Israël nucléaire, et surtout
le pourquoi du réveil nucléaire soudain d’autres pays de la région si l’Iran se dotait
d’armes nucléaires. L’hypothèse d’une menace présumée de l’arme iranienne justifie
donc qu’Obama reprenne la phrase préférée du président Bush sur la nécessité de
garder sur la table toutes les options, incluant l’action militaire face à un Iran récalcitrant. Obama, qui deviendra le champion de désarmement nucléaire après son
élection, n’a pas jugé pertinente une proposition égyptienne sur la création d’une
zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient21. Proposer une telle option
à un public défendant Israël ne faisait pas de sens dans une campagne électorale.
Rappelons que certaines prises de position et la rhétorique dépourvue de substance
de quelques dirigeants iraniens ne feront qu’alimenter le sentiment d’imminence
d’une menace iranienne qui tarde à se produire.
Tout en présentant les dirigeants iraniens comme une « menace pour nous
tous », Obama, qui n’a pas exclu l’usage de la force s’il le fallait, a ajouté que les
États-Unis devraient s’engager dans une « diplomatie agressive combinée avec des
sanctions sévères » pour empêcher l’Iran de devenir une menace nucléaire. Il a
appelé à un engagement direct avec la République islamique sur son programme
nucléaire, par la voie d’une diplomatie ferme et résolue, une intervention similaire
aux réunions que les États-Unis avaient menées avec les Soviétiques durant la période de haute tension des années de la guerre froide. La diplomatie accompagnée
des sanctions très sévères va s’exercer à deux niveaux : au niveau international par
l’entremise des Nations unies, et à l’échelle régionale par la voie d’une stratégie de
21. Stephen Zunes, « Barack Obama on the Middle East », op. cit.
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Politique étrangère des États-Unis : Barack Obama et le Moyen-Orient Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
coopération avec les États du golfe Persique et des sanctions qui viseraient le secteur
énergétique de l’Iran22. Autrement dit, Obama dit ce que son auditoire aimerait
entendre.
Malgré la mention de l’Iran trente-deux fois dans son discours devant l’AIPAC,
Obama a été attaqué par John McCain, le candidat républicain, ���������������
pour s’être déclaré prêt à négocier avec Téhéran. Réagissant à cette attaque, Obama a adopté une
approche plus nuancée en utilisant un ton beaucoup plus belliciste pour décrire
l’Iran, la plus grande menace pour Israël ou pour la paix et la stabilité de la région.
Il a affirmé que, contrairement aux allégations de certains (entre autres, McCain et
Clinton), il n’avait aucun intérêt à s’asseoir avec ses adversaires iraniens pour le simple plaisir de parler. Mais en tant que président des États-Unis, Obama serait prêt à
diriger la diplomatie dure et de principe avec les dirigeants iraniens, à un moment
et dans le lieu de son choix, si et seulement si elle pouvait faire avancer les intérêts
des États-Unis23. Propos étonnant de la part d’un professeur de droit, conscient du
risque de vouloir « négocier » (« dicter » serait un terme plus approprié) dans un tel
contexte où il choisirait son interlocuteur et les lieux de négociation !
Conclusion
La feuille de route qu’Obama s’était dressée durant la longue campagne électorale se déploie depuis qu’il assume la présidence des États-Unis.
Dans le dossier israélo-palestinien, il n’y a pas de progrès substantiel. Quoique
affaibli par la crise économique et les guerres idéologiques et procédurales internes
pour remplir ses promesses électorales sur le plan national, Obama a quand même
réussi à nommer George Mitchell envoyé spécial pour réduire l’écart entre Israéliens
et Palestiniens. Ce dernier, dont le travail est saboté par la colonisation des Territoires
palestiniens par Israël – qui contrevient ainsi au droit international –, les incursions
militaires du Tsahal en Cisjordanie et à Gaza, les déchirures interpalestiniennes, les
actes militaires inefficaces mais propagandistes du Hamas contre le territoire israélien, l’incapacité des États arabes à mettre de l’ordre dans leurs visions de la région,
n’a jusqu’ici pas réussi à faire avancer véritablement la paix. Dans l’éventualité de
cette tendance, Obama connaîtrait le même échec que ses prédécesseurs.
22. ���������������
Shmuel Rosner, op. cit.
23. Pierre
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Tristam, « Obama and Israel : An Analysis of Barack Obama’s AIPAC Speech. How
Obama hawked up his Middle East Policy – and talked tough on Iran », About.com Guide,
13 juin 2008.
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Géostratégiques n° 29 • 4e trimestre 2010
Où va l’Amérique de Barack Obama ?
D’autre part, le dossier nucléaire iranien devient de plus en plus compliqué.
Comme le candidat Obama s’était engagé à ne pas permettre à l’Iran de devenir
une menace nucléaire, la diplomatie américaine a réussi à imposer des sanctions
internationales à l’Iran. Elles sont en train de ronger l’économie et, graduellement,
la société iranienne, sans déstabiliser mortellement pour autant le régime islamique.
C’est un dossier à suivre, car tout changement important en Iran affecte directement l’ensemble du Moyen-Orient.
Somme toute, Obama a beaucoup à faire s’il veut résoudre les deux dossiers les
plus préoccupants pour la région et l’ensemble planétaire…
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